Partager la publication "Lettre ouverte à M. Claude Allègre"
Par Roland Gérard
Résumé : L’actuel ministre de l’Education Nationale et de la Recherche, à Paris, est un scientifique reconnu, auteur de nombreux ouvrages de géologie notamment sur l’origine du système solaire. Il a voulu faire connaître sa vision du monde et de la religion, et toutes les bibliothèques scolaires abritent désormais les pensées du ministre sur Dieu et sur la Bible. C’était son droit. Mais sous le scientifique l’anticlérical doctrinaire perce souvent dans ce livre. L’auteur a voulu ramener le ministre à un peu d’objectivité et lui faire comprendre que son rôle n’était pas de blesser les convictions des chrétiens, mais aussi de reconnaître à la Bible toute sa richesse et sa profondeur.
Monsieur le Ministre,
Nous avons lu avec intérêt votre ouvrage intitulé « Dieu face à la Science« , et tenons à vous féliciter pour une étude si riche. C’est là une remarquable synthèse tant sur l’aspect historique de la question que sur ses implications philosophiques.
Cependant, un certain nombre d’affirmations ne nous paraissent pas fondées. Vous dites en particulier : « Les textes sacrés quels qu’ils soient sont incompatibles avec les connaissances scientifiques actuelles si – et le si est fondamental – on leur attache un sens littéral » (p. 274). Cette assertion est très grave, puisque vous enlevez au Texte son principe de Révélation.
La foi chrétienne, la vérité du récit biblique, s’en trouve principalement lésée ; c’est une atteinte à la croyance profonde des fidèles. Vous le reconnaissez vous-même puisque vous ajoutez (p.285) : « Dès lors qu’on choisit les symboles, la première partie de la Bible perd son importance primordiale au profit des Proverbes ou de l’Ecclésiaste, et les différences entre religions s’amenuisent« .
Une absence de réaction de notre part équivaudrait à consentir, et les croyants que nous sommes ne peuvent pas ne pas protester.
Le Credo proclame : « Je crois en Dieu créateur du ciel et de la terre ». Oui ! Le Seigneur voulut l’être au lieu du non-être. Il établit les notions de temps et d’espace et ordonna l’apparition de la matière dont la transformation se soumettra aux lois qu’Il forge.
Son intervention ne se limite pas à l’impulsion initiale, car depuis le Commencement, et aujourd’hui encore, la Providence Divine est à l’œuvre.
Mais attention ! Quand vous dites « Dieu guide la Création » vous employez des termes qui ne nous semblent pas appropriés. Il est préférable de dire : La toute Puissance du Créateur détermine les circonstances hautement improbables qui rendent effectif ce que la nature par elle-même ne saurait provoquer.
Pour prendre un exemple, évoquons l’apparition de la Vie. Une cellule vivante se compose d’une vingtaine d’acides aminés formant une chaîne compacte. La fonction de ces acides aminés dépend à son tour d’environ 2000 enzymes spécifiques. Les biologistes calculent que la probabilité pour qu’autant d’enzymes se rapprochent de manière ordonnée jusqu’à former la cellule vivante est de 1/10 puissance 1000 !
De la même manière, les astronomes pourraient calculer la probabilité pour qu’une planète présente des caractéristiques semblables à la nôtre, – présence d’eau, distance à étoile moyenne, association avec une Lune, inclinaison de la planète dont découle le phénomène des saisons, etc… Elle doit être du même ordre que pour l’apparition de la vie. Malgré cela, vous écrivez (p.72) : « Le soleil, notre étoile, est une étoile banale, une parmi les milliards de milliards qui peuplent l’univers (…). Ces données sont terribles pour la croyance classique, pour la lecture littérale du Livre. Rien n’indique en effet que Dieu – s’il existe – ait porté une attention particulière à la terre et à son environnement stellaire« . C’est là nier l’évidence que notre planète est un corps tout à fait exceptionnel.
Ainsi, dès lors que la science confirme que la succession d’événements heureux pour que la Terre soit porteuse de vie et qu’apparaisse l’homme, est quasiment irréalisable spontanément, nous sommes amenés à admettre une Volonté supérieure dominant la matière.
Et pour nous, fidèles, rien n’est possible qu’avec la Providence divine.
Nous croyons en outre que le Créateur propose aux hommes une Alliance. Afin de la sceller. Il inspire les prophètes. Pour les juifs et les chrétiens, cette relation historique s’est concrétisée, siècle après siècle, par la révélation de la Bible qui est donc le lien fondamental de Dieu avec le genre humain.
Vous l’exprimez d’ailleurs fort bien (page 282) : « En ce qui concerne les religions occidentales, il est postulé que la rédaction de l’Ancien et du Nouveau Testament a été directement inspirée par Dieu. »
C’est effectivement le message de l’Eglise. De ce fait, le Livre ne saurait souffrir d’aucune remise en question quant à sa véracité, symbolique comme littérale. Et nous souscrivons totalement à la profession de foi du pape Léon XIII réaffirmant l’inerrance absolue de la Bible dans l’encyclique Providentissimus Deus : « Il serait absolument funeste soit de limiter l’inspiration à une partie des écritures, soit d’accorder que l’auteur lui-même s’est trompé. On ne peut non plus tolérer la méthode de ceux qui se délivrent de ces difficultés en n’hésitant pas à accorder que l’inspiration divine ne s’étend qu’aux vérités concernant la foi et les moeurs. En effet, tous les livres entiers que l’Eglise a reçus comme sacrés et canoniques dans toutes leurs parties, sont écrits sous la dictée de l’Esprit Saint. Tant s’en faut qu’aucune erreur puisse s’attacher à l’inspiration divine, que celle-ci par elle même exclut toute erreur, mais encore l’exclut et y répugne aussi nécessairement que Dieu, souveraine vérité, ne peut être l’auteur d’aucune erreur« . Le pape est formel : la Bible ne peut se tromper.
Concernant les textes bibliques, votre ouvrage exprime des doutes, qui prennent parfois la forme de contestation, comme dans la phrase citée précédemment. Nous observons même que certains passages ne traduisent pas le message que les prophètes ont voulu exprimer. Ainsi lit-on (p.170) : « Difficile à concevoir, ce Dieu dont l’action serait saccadée, épisodique. Il s’agirait presque d’un dieu grec, avec ses colères et émotions presque légendaires. Pas du Dieu judéo-chrétien, juste, sévère et charitable« . Soyez pourtant sûr que des épisodes comme le Déluge ou Sodome et Gomorrhe nous aident grandement dans notre conception. Et si le projet du Créateur devait passer par des bouleversements ?
Certes, à chacun son approche ! Mais comme Ministre de la Recherche et de l’Education Nationale, vous êtes un homme public, et portez une lourde responsabilité. Alors, par respect pour les fidèles de la Religion du Livre, vous saurez accepter que nous vous interpellions sur ce que vous écrivez, afin de défendre l’authenticité littérale des textes que nous qualifions de sacrés.
Tout d’abord, nous notons avec satisfactions que vous reconnaissez à la Bible son importance (p.192) :
« Il existe trois raisons cardinales qui ont d’après moi présidé au développement de la science dans l’occident chrétien et par ailleurs.
La première, et peut-être la plus surprenante, est liée au contenu et à la forme même du message des religions du Livre.
La deuxième tient à la création d’une structure qui va se révéler un lieu extraordinaire du développement scientifique, je veux parler des universités dont l’apparition est elle même liée au Livre.
La troisième est la compétition acharnée qui a prévalu entre les religions du livre. »
En toute logique, un texte dénué de portée scientifique ne pourrait aider les chercheurs et implicitement vous admettez que les Ecritures Saintes contiennent les ferments du véritable progrès de la connaissance. D’ailleurs un autre penseur contemporain, Gaston Bouthoul, surenchérit en disant dans « Biologie Sociale » (p.112) : « Ce n’est pas sans raison que la science moderne est née en pays chrétien ; le christianisme étant la seule religion à séparer nettement le monde sacré du monde profane, laissant toute liberté dans le domaine de la matière« . Et nous d’acquiescer, bien entendu.
Nous prenons acte aussi de ce que vous faites allégeance à l’auteur sacré lorsqu’il déclare que toute l’humanité est issue d’un couple unique. « A cet égard, les croyants peuvent trouver un certain réconfort. Il y a sans doute eu un (ou quelques) Adam et une (ou quelques) Eve quelque part dans les paysages volcaniques et lacustres du rift africain. » (p.163). Vous reconnaissez que la controverse du siècle dernier opposant les tenants du monogénisme et ceux du polygénisme s’est soldée par une authentification des affirmations bibliques. Les progrès de la connaissance et en particulier l’étude du matériel génétique ont ici apporté la preuve irréfutable de l’unicité biologique du genre humain. Sur ce point, saluons la remarque du Père Monsabré qui dans « Gouttes de vérités« , publié en 1907, observait non sans ironie : « Les savants à bout de recherches sont obligés de finir par où le chrétien commence« . Remarquez que le débat n’est pas clos puisque nous affirmons qu’en sus toute l’humanité remonte à la famille de Noé, et qu’il faut aussi considérer que nous sommes tous héritiers du même patrimoine culturel initial.
Vous avez encore notre approbation lorsque vous dites : « L’origine de la Terre, la façon dont elle s’est formée, et, partant s’est située dans l’univers, les conditions qui l’ont rendue hospitalière à la vie et à l’homme, sont des questions sur lesquelles se sont penchées toutes les civilisations humaines et la plupart des religions et qui les préoccupent encore aujourd’hui. »
Mais nous réprouvons votre appréciation sur la présentation qu’en fait la Bible. Et lorsque (p.283) vous vous essayez à cet exercice, nous considérons que votre approche ne convient pas. « Dans la Genèse on lit : ‘Au Commencement Dieu créa le Ciel et la Terre. Or la Terre était déserte et vide : les ténèbres s’étendaient sur l’abîme et le souffles d’Elohim planait sur les eaux’. Ce récit suggère que le ciel et la Terre ont été créés ensemble. » Non ! Telle n’est pas notre interprétation.
Nous pensons que l’exégète doit prendre en compte des considérations rigoureuses, pour qu’un langage aussi sublime se perçoive avec clarté.
Dans le cas présent,
– L’auteur utilise une langue archaïque, donc d’un vocabulaire très réduit, et le même mot peut ainsi avoir plusieurs significations. Dans l’évocation du Premier Jour, le mot Terre peut se traduire par matière.
– Les textes sacrés sont écrits pour toutes les générations de fidèles, et pas seulement pour la nôtre en mal de concordisme. Le descriptif est donc simple. De ce fait nous devons aujourd’hui comprendre les mots qui sont employés comme ayant un sens au stade de notre connaissance, mais aussi comme devant avoir eu un sens pour ceux qui nous ont précédés. C’est une gymnastique intellectuelle supplémentaire qui nous est demandée, puisqu’il faut avoir la perception de l’homme moderne que nous sommes et simultanément, celle du fidèle des temps antiques. Mais justement, le progrès des connaissances nous aide à relativiser. Si le moine du moyen âge assimilait le mot ciel à une voûte solide où se fixaient les étoiles, nous pouvons nous l’entendre comme évoquant toutes les lois spatio-temporelles qui régissent les météores.
– Un récit biblique présente une dimension explicative, et donc scientifique puisque devant guider notre recherche, mais c’est aussi, juste retour des choses, un chant à la gloire du Créateur. D’où son aspect poétique, et son style souvent imagé.
Ainsi, tout un chacun peut conclure que le texte sacré raisonne parfaitement et résonne à la perfection. Admirons le style employé pour indiquer la fin d’une période de transformation technique de la matière et le début d’une nouvelle tout en conservant aux termes leur concise harmonie « Il y eut un soir, il y eut un matin, premier jour« .
Dans cette perspective, nous rejetons sans appel votre affirmation : « Le scénario de la Genèse, si l’on prend la description qu’en donne la Bible au pied de la lettre, est mis en pièces« . Nous disons avec force que l’évocation de la création du monde en six jours, eut une influence considérable sur les chercheurs en quête de compréhension des événements naturels pour les orienter dans le vrai sens. Ce texte, d’une puissance prodigieuse, contient bien des enseignements que nous devons efforcer de percevoir. « Que la terre produise l’herbe ! » N’est-ce pas une réponse à une interrogation majeure de notre époque industrielle ? Faut-il oui ou non aller vers une culture hors-sol généralisée de nos plantes alimentaires ? N’est-ce pas une limite apportée à l’élevage en batterie et à une grande échelle des bovins, ovins et autres porcins, ce que la technique permet, sans en indiquer les risques ? Ces questions, nous avons à les poser, et nous les posons aussi au ministre de la Recherche.
Chaque mot, chaque détour de phrase du texte sacré est une ouverture sur la connaissance intime de la nature. Nous en avons la certitude, et nous voudrions la partager avec l’homme de science que vous êtes.
En conséquence, avec tout le respect que nous lui devons, nous demandons instamment au Ministre de l’Education Nationale de faire en sorte que dans nos lycée et collèges, les enseignants s’imposent une attitude réservée vis à vis des textes sacrés. Qu’ils s’abstiennent de tout commentaire désobligeant et indiquent aux élèves qui s’interrogent sur ces récits que seule une approche religieuse peut leur fournir la réponse qu’ils attendent.