Le principe de tolérance

Par Dominique Tassot

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Résumé : Le souverain Architecte applique un « principe de tolérance » : il sait former le même cristal régulier avec des proportions variables de composants, par une savante compensation des écarts. Négligeant cette sage attitude, l’homme écarte de son environnement les êtres qui paraissent ne pas lui convenir : « principe d’éradication » dont les effets pervers éclatent notamment dans les récentes épizooties de fièvre aphteuse et de « vaches folles ». Certes l’homme peut faire autre chose que le Créateur, et la terre lui fut soumise pour cela ; mais il devrait rester humble et ne pas prétendre faire mieux. Tous les êtres ont leur mission.

Dans Le Cep n°14  nous avons vu Albert de Lapparent s’émerveiller devant les sulfates complexes de fer, de zinc et de magnésium qui forment sensiblement les mêmes cristaux, quelles que soient les proportions respectives en oxydes de fer, de zinc et de magnésium qui ont réagi avec l’acide sulfurique. Il en déduisait un principe de « tolérance de la nature » ainsi défini : « Un architecte intransigeant, ayant résolu d’exécuter une construction avec des cubes de pierre, les refuserait impitoyablement sur le chantier si, à la vérification, il ne trouvait pas toutes les arêtes rigoureusement égales, ni tous les angles exactement droits. Au lieu de cela, un constructeur plus tolérant se contentera de demander que les différences ne dépassent pas une certaine limite ; et alors, par d’heureuses combinaisons de ces cubes un peu défectueux, en corrigeant les inégalités des uns par les défauts en sens contraire des autres, il saura donner à sa construction un aspect d’ensemble assez correct pour que nul n’y trouve à redire. »1

Une première leçon sera d’admirer ici l’intelligence souveraine du Créateur. La « loi des proportions définies » nous apparaît de prime abord comme une condition intrinsèque de toute cristallisation : l’architecture cristalline requiert en effet une quantité précise de chaque élément, puis leur disposition exacte dans l’espace, afin de constituer une figure géométrique régulière s’achevant par des plans et des angles parfaitement définis.

Etant donnés les volumes atomiques très différents du fer, du zinc et du magnésium, et les exigences de leurs liaisons avec le soufre et l’oxygène, l’œuvre est autrement difficile que ne serait, pour un enfant, la construction d’une maison avec des parallélépipèdes de tailles différentes. Albert de Lapparent peut donc conclure sans hésiter que le hasard n’est pour rien dans la formation des cristaux et que leur sage ordonnance appelle une intelligence ordonnatrice extérieure, puisque ce phénomène si harmonieux se réalise « en des objets chez lesquels il n’est permis d’admettre ni instinct, ni calcul, ni tâtonnement, ni dispositions transmises par héritage« .

Mais le grand géologue va plus loin et nous fait admirer comme un génie au second degré chez l’Architecte des cristaux. Alors que l’existence de proportions définies entre les composants nous apparaît comme une contre-partie inévitable de la cristallisation, le Souverain Architecte s’affranchit lui-même de cette loi qu’il a pourtant posée comme le fondement de toute la chimie, et parvient à former des cristaux présentant presque les mêmes plans et angles, avec des proportions quelconques des trois éléments. Telle serait une cuisinière qui pourrait donner sensiblement la même saveur et la même consistance à son gâteau, tout en faisant varier les quantités respectives des ingrédients utilisés. De là une seconde leçon beaucoup plus importante que la première.

La première leçon établissait l’existence d’un Créateur intelligent. La seconde, avec le principe de la tolérance, nous dévoile un trait de son caractère, trait invraisemblable mais vrai, « dont il y aurait profit à nous inspirer, même dans d’autres domaines que celui de l’architecture. Si ce n’est pas tout à fait employer le minimum d’efforts, ce serait du moins manifester le minimum d’exigences, et éviter entre les hommes le plus possible de frottement« 2.

Ainsi la perfection de l’œuvre ne repose pas sur l’exacte adéquation de chaque composant, et il existe une harmonie d’ensemble qui s’élabore à travers l’imperfection même des éléments, certains défauts chez les uns étant compensés par des défauts opposés chez les autres.

Il semble que la civilisation contemporaine, et tout particulièrement la « construction » européenne, se fonde sur un principe rigoureusement opposé. Il n’est question que de normes de plus en plus strictes, de tolérances de plus en plus réduites, le « zéro défaut » étant vécu et présenté comme l’idéal mythique vers lequel tous doivent tendre. Au divin « principe de tolérance », la société humaniste oppose un « principe d’éradication ». Le mal doit disparaître dès ici-bas, dès lors que le grand’œuvre est de dispenser à tous le confort psychique et le bonheur matériel.

Or la victoire sur le mal, la liturgie de Pâques nous l’enseigne, ne peut venir que de Dieu, avec Dieu et pour Dieu. Aussi le principe d’éradication démontre-t-il chaque jour son inefficience, quelques exemples suffiront à le démontrer.

Le « microbisme » pasteurien avait posé en principe que la cause des maladies était un agent pathogène extérieur à l’organisme. En détruisant cet agent, microbe ou virus, on devait donc éradiquer la maladie, et les antiseptiques et les antibiotiques devenaient les principaux facteurs de santé. C’était donner une  définition négative de la santé, alors qu’il s’agit d’une vertu intrinsèque au corps vivant, et oublier ce mot prophétique de Claude Bernard : « Le microbe n’est rien, le terrain est tout« . La récente épidémie de fièvre aphteuse vient opportunément nous rappeler l’importance des immunités naturelles : les animaux bien alimentés en magnésium restent indemnes, même lorsqu’ils touchent du museau ceux d’un cheptel contaminé. En 1932 le docteur Neveu3, avait découvert l’efficacité curative du chlorure de magnésium sur un troupeau malade. Il fit une observation significative : « Un fait m’avait frappé. J’avais traité une vache malade. Cette vache avait un veau qui ne l’était pas encore et qui ne le fut jamais. Or, il est quasi impossible qu’un veau, né dans une épizootie de fièvre aphteuse, suçant le lait d’une mamelle recouverte d’ulcération, reste hors de toute atteinte. Il fallait donc que le lait de la mère, traitée par le chlorure de magnésium, acquît un pouvoir préventif. »4

Fondée sur la confiance en la sagesse et en la bonté du Créateur, une complémentation éventuelle en magnésium revient à quelques centimes par jour. A l’opposé, les autorités sanitaires inspirées par le principe d’éradication (sous le nom magique de « principe de précaution ») ont fait abattre et brûler des centaines de milliers de bovins et plus d’un million d’animaux qui auraient pu guérir en quelques jours et dont la maladie, non transmissible à l’homme, ne devient fatale que dans 5% des cas, le tout au nom de la science et sans reculer devant le coût économique et humain !

Elles ont encore imposé des mesures d’isolement des étables et de désinfection des véhicules, alors que les mouches circulent librement de mamelles en mamelles, de bouse en bouse et de museau en museau !…

Nous toisons (de haut) les anciens peuples qui offraient quelques chèvres, voire quelques humains, en sacrifice à leurs faux dieux, des démons… Mais sommes-nous bien sûrs de ne pas les dépasser dans l’horreur ?

Le cas de la « vache folle » ou E. S. B. (Encéphalite Spongiforme Bovine) est plus significatif encore. Léon Bloy disait plaisamment : « La médecine moderne consiste à chercher la petite bête. » La « petite bête », en l’occurrence, est le prion : protéine encore mal connue qui s’est diffusée grâce aux farines animales dont les équarrisseurs anglais abaissèrent la température de cuisson de 130°C à 80°C. Modification justifiée d’ailleurs au nom de la science !.. Science économique : moindre chauffe, donc moindre coût. Science diététique : meilleure qualité nutritive d’un aliment moins cuit. Ici encore le principe d’éradication passe par la destruction de tous les animaux susceptibles d’héberger le prion muté. Un seul cas de vache folle entraîne l’abattage de tout le troupeau : puisque la cause de la maladie est supposée extérieure à l’organisme, toutes les bêtes qui ont vécu ensemble présenteraient le même risque d’infection. Or cette approche de la maladie soulève plusieurs objections. Des vaches « ayant le tournis » ont existé bien avant l’usage des farines carnées. Peut-on parler d’épidémie (il faudrait dire d’épizootie) pour une maladie de dégénérescence qui met 3 ans à se manifester ? Enfin le propre Commissaire européen à l’Agriculture, Franz Fischer, de passage à Paris le 5 décembre 2000 a lancé cette phrase étonnante :

« L’hypothèse d’une mutation spontanée des cellules bovines paraît aujourd’hui très vraisemblable« .

C’est, avec 117 ans de retard, donner raison à l’opposant méconnu de Pasteur, Antoine Béchamp, lorsqu’il écrivait dans son ouvrage fondamental, « Les microzymas » : « la maladie est une opération accomplie par l’individu vivant et non pas un être créé en dehors de lui et qui vient le saisir avec un caractère constitué d’avance (…) Le parasitisme5 est dangereux comme doctrine, surtout parce qu’il fait perdre de vue le véritable point de départ étiologique6 des maladies.

 Il place le danger hors de nous, alors qu’il est en nous. (…) Le premier cas d’une épidémie est créé, sans qu’il y ait eu de microbe nocif aux alentours7. »

Or un vétérinaire anglais, M. Purdey, nota une étroite corrélation entre l’apparition de l’ESB et les campagnes d’éradication du varron des années 1980 au début des années 1990. Le varron est une grosse larve qui migre sous la peau des bovins. Les pasteuriens virent en lui un « parasite », donc certainement nuisible au rendement en viande ou en lait. Certes, en s’armant de patience et d’une seringue d’eau oxygénée, le paysan peut extraire un à un les varrons de l’endoderme. Mais une telle méthode ne peut convenir à des éleveurs encore fascinés par le mirage des étables industrielles. La chimie, appelée à la rescousse, élabora une substance « varronocide », administrée deux fois par an : l’ivermectine, dont l’Administration vétérinaire locale peut imposer l’usage.

L’hypothèse Purdey est la suivante : Les insecticides à base d’organophosphates provoquent la mutation du prion chez les veaux en gestation : eux ne sont pas protégés comme les adultes par le filtre des muqueuses intestinales ; et le métabolisme du prion se fait principalement durant la vie prénatale8. Ainsi l’éradication du « parasite » finirait par nuire à la santé du bétail9.

Une fois de plus le remède s’avère pire que le mal. Il faudrait évoquer ici l’abus des antibiotiques provoquant des mutations chez les bactéries avec l’apparition de souches résistantes qu’on ne sait plus détruire.

D’où la multiplication des maladies « nosocomiales » : 5 à 10 % des patients hospitalisés contractent une infection (jusqu’à 22 % dans les services de réanimation) !.. De même les herbicides « totaux » induisent la prolifération d’un petit nombre de plantes « résistantes » qui ne sont plus concurrencées par les autres herbes adventices.

Au lieu de diriger sa hargne contre ses propres imperfections morales, l’homme moderne a lancé une guerre d’extermination contre tout ce qui le gêne dans la Création. Il vise un bonheur tout matériel, et ne veut pas en être redevable à plus haut que lui-même. L’Evangile, en revanche, nous enseigne à patienter jusqu’à la récolte pour séparer le bon grain de l’ivraie.

En attendant certes, l’homme doit gagner son pain à la sueur de son front : il lui faut travailler à déplacer les équilibres naturels à son profit : mieux vaut moins d’ivraie et plus de grain, moins de moustiques et de scorpions. L’asepsie et l’antisepsie ont leur juste place. Mais la volonté démiurgique de recréer un monde nouveau dont les maux matériels seraient exclus, provient d’un oubli tragique des premiers chapitres de la Genèse et d’une prétention insoutenable : celle d’un bonheur atteint sans Dieu, voire contre lui, comme si tous les êtres n’étaient pas dès l’origine conçus en vue de notre bien, et par une intelligence incomparablement supérieure à la nôtre. « Quand l’homme a fini de chercher les merveilles de la Création, il n’est qu’au commencement ; et lorsqu’il s’arrête il se trouve perplexe« , nous avertissait déjà le livre de Ben Sirach le Sage (18:6).


1 A. de Lapparent, Science et Apologétique, Paris, Bloud, 1905, p.157.

2 Ibidem.

3 Disciple du Pr. Pierre Delbet qui, dès 1915, avait proposé d’augmenter la vitalité des cellules (et donc leur puissance phagocytaire) par le chlorure de magnésium.

4 Cité par Le Paysan biologiste n°29 (mars 1979).

5 La doctrine de Pasteur, que Béchamp désigne aussi du nom de « microbisme.

6 Causal, du grec « aïtia » : cause.

7 A. Béchamp, Les microzymes dans leurs apports avec l’hétérogonie, l’histogonie, la physiologie et la pathologie, Paris, Baillière, 1833, pp.883 et 889. Cet ouvrage monumental a été réédité en 1990 par le Centre International d’Etudes A. Béchamp (163 rue Saint Honoré, 75001 Paris).

8 M. Purdey, The UK Epidemic of BSE : Slow virus or chronic Pesticide-Initiated Modification of the Prion Protein ?, Medical Hypotheses (1996) 46, 429-454.

9 Vu que des traces d’ivermectine passent dans le lait et la viande et que la baisse de rendement due au varron n’a jamais pu être mise en évidence, il s’est formé en France une Coordination Nationale contre l’Eradication du Varron (Jean Coulardeau, 43430 Les Vastres, tél. 04 71 59 53 43).

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