Du christianisme à la psychologie

Par William Kirk Kilpatrick

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Du christianisme à la psychologie1

Résumé : Après les « confessions d’un psychothérapeute » (Le Cep n°14), ce témoignage d’un ancien professeur de psychologie apporte un utile complément. La psychologie « humaniste » (au sens américain) dont il parle est celle de Rogers, de Maslow, de Fromm, etc… toujours enseignée. Cultivant l’ouverture aux autres et la tolérance, elle ne semble pas a priori hostile au christianisme. Mais en faisant du développement de soi la valeur suprême, elle relativise de fait, et le fondement biblique, et la finalité spirituelle qui constituent l’essence du christianisme. Devant ses échecs personnels, ce fut le réalisme de la vision chrétienne des êtres qui ramena W. Kilpatrick vers une Eglise, évangélique en l’occurrence.

C’est au lycée que mon intérêt pour la foi chrétienne commença à décliner. A cette époque je découvris la psychologie. Je ne me rendais pas compte que je perdais tout intérêt pour le christianisme ; je pensais simplement que j’y ajoutais quelque chose d’utile. Mais bien vite ma foi avait glissé de l’un vers l’autre.

Et il n’y avait aucune raison pour que cela ne se produisît pas. Pour autant que je pus voir, il n’y avait pas de différence essentielle entre les deux. J’avais lu les théologiens les plus libéraux – c’est-à-dire les plus imbus de psychologie – et, à ce que j’avais pu comprendre, la Bible et la confession de foi n’étaient pas importantes ; mais aimer les autres l’était. Je pensais que je pouvais m’en accommoder aisément sans l’aide de l’Eglise et sans prières. Tout cela, présumais-je, était réservé à ceux qui n’avaient pas atteint la connaissance.

Freud avait été étonné par le commandement biblique « aime ton prochain ». « Comment cela peut-il être possible ? » demandait-il. Moi, je pensais que ce serait facile .Les psychologues modernes semblaient de mon côté. De plus, ils paraissaient d’accord avec les théologiens modernes : ensemble ils auraient pu citer la phrase de saint Augustin : « Aime et fais ce qu’il te plaît. »

En outre, la psychologie possédait des explications intéressantes pour presque tous les types de comportements humains, et je n’avais aucune raison de douter de sa version.

Erich Fromm disait que pour aimer les autres, il fallait d’abord s’aimer soi-même. Cela ne concordait-il pas avec ce que Jésus enseignait ?

Pour moi, bien sûr, c’était merveilleusement riche de signification ; comme pour la plupart des autres jeunes de vingt-deux ans, je m’aimais profondément. Ma nouvelle Bible était le livre du psychologue Carl Rogers : On becoming a person (le développement de la personne). Rogers y suggérait complaisamment que l’être humain était au fond une créature bonne et honnête avec guère plus de disposition naturelle pour la haine que le bouton de rose. Je fis mon introspection et n’y trouvai aucune haine. Il n’y avait pas de gens mauvais, concluai-je, uniquement des environnements mauvais.

La doctrine optimiste de Rogers coïncidait avec la tendance religieuse de l’époque. Dans les églises, les intellectuels minimisaient le péché comme s’il était une séquelle accidentelle du Moyen-Age. Dans son livre « Le Milieu Divin« , le prêtre paléontologue Pierre Teilhard de Chardin, pour justifier ce peu d’attention portée au mal moral, observait que « l’âme dont nous nous occupons est supposée s’être déjà détournée de la voie de l’erreur. » Dans un langage moins solennel, une personne de ma connaissance, un prêtre, déclarait qu’on ne devrait pas enseigner aux enfants les Dix Commandements. C’était de la mauvaise psychologie, disait-il. Je n’avais aucune raison de douter des autres idées qui prévalaient en psychologie. Abraham Maslow, dont la photographie et les livres paraissaient rayonner d’une sagesse compatissante, disait qu’aimer de tout son être était bon, mais qu’aimer par besoin était mauvais. A cette époque je ne me comprenais pas combien mon besoin intérieur était grand. J’étais déjà à moitié convaincu qu’une personne saine n’avait pas vraiment besoin des autres.

Les gens sains n’éprouvaient jamais de désir de vengeance non plus. Erich Fromm expliquait que la personne productive ne désire pas se faire justice. Seuls, les infirmes et les impotents le désirent – des gens comme Hitler. Je plaignais ces infirmes, ces impotents revanchards. Si seulement ils pouvaient apprendre à aimer – comme Erich Fromm ou moi-même. Mon expérience personnelle de la vengeance n’était faite, jusqu’à cette époque, que de quelques rancunes d’enfant qui avaient duré à peine un jour ou deux. Je n’avais aucune notion du pouvoir de destruction qu’elle possédait sur toute vie productive.

Je n’avais pas conscience qu’une personne pût avoir soif de vengeance de la même façon qu’un vampire est assoiffé de sang. L’idée que la vengeance pût réellement paraître douce – quelque chose de si irrésistible que les prophètes bibliques mettent constamment en garde contre elle – dépassait mon entendement. Pourtant, j’avais été passionné par la revanche qu’Ulysse avait prise sur les prétendants et j’affectionnais beaucoup les films qui avaient pour thème la vengeance. Comme dans bien d’autres domaines, je n’avais pas la moindre idée du gouffre qui séparait mes préceptes de psychologie de mon expérience réelle.

Je n’avais pas conscience non plus du gouffre croissant qu’il y avait entre ma croyance en la psychologie et ma croyance religieuse. L’existence d’un tel gouffre était voilée par le brouhaha de ces nombreux clercs qui portaient aux nues la psychologie. Un prêtre me fit connaître les écrits de Carl Rogers, et un pasteur me suggéra de lire Maslow et Fromm. D’autres prêtres et pasteurs organisaient des rencontres au sein de leurs églises.

Mon premier contact avec ce type de rencontres et avec d’autres expressions de psychologie humaniste, se fit par l’intermédiaire d’un pasteur. Il m’invita un jour à une réception donnée en son honneur par des étudiants qui avaient assisté à son atelier de sexualité humaine. Quand j’arrivai, des cercles de six ou sept personnes se tenant debout avaient déjà été formés. A peine étais-je entré dans la maison, qu’un bras sorti d’un de ces cercles me tira à l’intérieur. « Quel est ton nom ? » dit quelqu’un. Je lui dis.


 » Nous t’aimons », dit-il et les autres murmurèrent, « nous t’aimons », tandis que nous nous balancions d’avant en arrière les bras autour des épaules. Je ne ressentis rien – quelque insuffisance dans ma nature, pensai-je – mais je baissai quand même la tête et me mis à murmurer. Entre-temps, j’avais développé l’habitude mentale de voir l’harmonie en toutes choses. J’affectionnais la phrase : « toute connaissance est une ». Je recherchais la synthèse partout. Les idées religieuses, philosophiques, psychologiques et sociologiques fusionnaient avec facilité et commodité. Les pensées de Maslow se confondaient avec celles du théologien juif Martin Buber dans l’un des affluents de mon esprit, elles débordaient les quelques écluses qui pouvaient faire obstacle, rejoignaient les nombreux autres affluents et ensemble déferlaient vers l’océan de l’unité.

Bientôt d’autres limites commencèrent à s’estomper : celles qui séparaient le bien du mal. Je découvris qu’il était possible de transmuer le bien en mal et le mal en bien par des retouches dans la définition : en relâchant ici, en serrant là. Il n’était toutefois presque pas nécessaire d’agir de la sorte. Ma conscience du péché était sur son déclin – résultat, bien sûr, d’une habitude d’acceptation pratiquement totale de soi. J’avais appris à m’en remettre à mes instincts : si je désirais quelque chose, cela devait être bon. Il m’était difficile de réaliser combien j’étais dans l’erreur tant mes désirs étaient sincères et tant je recherchais  avec force l’épanouissement personnel.

Je me persuadai, malgré des années d’éducation chrétienne, que le mal n’était pas une chose inhérente à l’homme, mais plutôt le résultat de conditions sociales injustes et d’un environnement mauvais. Mes propres instincts fondamentaux étaient, je le ressentais, nobles et honnêtes. Mon intention était que tout le monde devait grandir ensemble dans la paix, la fraternité et la charité. Si la société n’avait pas réussi à atteindre cette harmonie, c’était principalement parce que des individus n’avaient pas appris à s’aimer. En tant que professeur, je vis une occasion de remédier à ce manque d’amour de soi. Je donnerais moi-même à mes étudiants cette empathie et cette acceptation inconditionnelle que je les présumais ne pas recevoir de parents sans psychologie. Il ne sortirait de mes classes aucun Hitler ou Staline.

Dans tout ceci – ce processus de « maturation » – je ne voyais aucun besoin de sacrifice ou de choix difficiles. Je ne ressentais aucun besoin de renoncer aux convictions entretenues dans le passé ; elles fondaient simplement comme neige au soleil. Le plus souvent, ce processus de fonte était encouragé par des théologiens impatients de faire disparaître les éléments difficiles de la foi. Auparavant, tout ce qui pouvait séparer du monde était considéré comme un objectif à atteindre. Bien vite, cependant, ce fut au monde que je donnais mon allégeance. Enfant, j’avais été profondément marqué et enchanté par mon appartenance à l’Eglise ; mais comme les enfants d’immigrés, honteux de leur accent et impatients de s’assimiler, j’étais désormais arrivé à un stade de la vie ou j’aurais été profondément gêné d’être associé à l’Eglise. Cela m’aurait embarrassé.

J’étais désormais prêt à livrer la plus grande part de mon héritage chrétien au royaume de la mythologie ou de l’antiquité, et à adopter à sa place les nouvelles croyances bien profilées qui parlent très peu de quoi que ce soit, si ce n’est d’amour.

Je donne peut-être ici une impression inexacte. La foi chrétienne est quelque chose de très solide. Elle ne vous lâche pas aussi facilement. Quelques-uns des éléments essentiels de ma foi demeuraient quand même. Il y avait des limites que je ne pouvais, que je ne voulais pas franchir. Certaines de mes convictions résistaient. Mais lorsque c’était le cas, je refusais simplement d’admettre la possibilité de quelque opposition avec les convictions que je chérissais en psychologie. J’aimais A et j’aimais B ; de plus, j’étais persuadé qu’ils s’aimeraient dès qu’ils se rencontreraient. J’admirais les psychologues pour leur spiritualité, et j’admirais les théologiens pour leur connaissance de la psychologie. Il ne pouvait y avoir aucune querelle entre eux.

Quelle que fût la manière dont j’essayais de réconcilier la psychologie et le christianisme, c’était toujours aux dépens du christianisme. La conception chrétienne de la vie qui avait autrefois pénétré avec puissance ma pensée, s’effritait continuellement sur les bords et son centre s’amenuisait de plus en plus.

Tandis que la sphère chrétienne se ratatinait, la sphère humaniste prenait de l’envergure. J’étais en train, pour utiliser un langage moderne, « d’apprendre énormément sur moi-même. » Je découvrais que je pouvais me montrer plus indulgent envers moi-même que je ne le croyais auparavant. J’accueillais désormais à bras ouverts comme un vieil ami toute tendance intérieure que j’eusse pu refouler auparavant. En outre, la libéralité que je m’accordais, se reportait sur les autres avec une tolérance positivement déréglée. Je croyais que le reste de l’humanité et moi-même nous nous trouvions au seuil de découvertes plus grandes et plus merveilleuses sur le moi. Il nous fallait seulement apprendre à nous laisser aller, à nous laisser emporter par le courant de l’instinct.

Ce fut une période excitante. Je rencontrais des gens qui non seulement ressentaient la même chose que moi, mais qui paraissaient également bien avancés dans l’art de vivre ; des gens qui, aux yeux de tous, étaient passionnants. Nos conversations étaient émoustillantes, hardies, bien au-delà de l’ordinaire. Du moins le pensais-je. Lorsque je me trouvais avec ces compagnons, j’avais l’impression que nous formions une société secrète, une brillante secte gnostique, alors que tout à l’entoure c’était la morne orthodoxie. Nous n’avions pas de devise, mais si nous en avions eu une, je pense qu’elle aurait été : « Pourquoi pas ? »

Mais jamais je n’allai jusqu’à l’extrême pour faire de la psychologie une religion à part entière. Quelque chose de ma première éducation chrétienne m’en empêchait. Par surcroît, des événements dans ma vie commençaient à saper la confiance facile que j’avais en une possibilité de salut par soi-même.

Je n’avais aucune raison de douter des explications de la psychologie, car jusqu’à environ trente ans, ma vie s’était passée dans du coton.

Dès lors se déroula une série d’événements auxquels l’expert en psychologie que j’étais n’était pas préparé. Bien que les problèmes que je rencontrai ne fussent pas différents de ceux rencontrés par la plupart des adultes, l’idée qu’ils n’arriveraient jamais à une personne bien au fait d’elle-même avait quelque peu pénétré mon esprit. Les psychologues que j’admirais le plus semblaient insinuer entre les lignes que la souffrance n’était pas le lot habituel de l’humanité, mais qu’elle était plutôt une espèce d’erreur stupide que l’on pouvait éviter grâce à une meilleure compréhension de la dynamique humaine. Or, je commettais beaucoup d’erreurs stupides. Mes intentions les meilleures récoltaient les pires conséquences. Mes efforts les plus grands débouchaient sur des échecs ; non pas toujours, mais assez souvent pour ouvrir de larges brèches dans mes plans d’auto-réalisation. Un rêve, semblait-il, ne pouvait être acquis qu’au prix d’un autre rêve. En outre, je découvris que, bien que je n’eusse pas le goût du sacrifice ou des difficultés, celui-ci était indispensable à quiconque voulait garder un strict minimum de responsabilité. Pendant ce temps, mes expériences d’auto-expression me plaçaient dans des situations déplaisantes et me contraignaient à reconsidérer la foi que je mettais en ma propre innocence essentielle. Ma vie m’échappait, et le seul conseil que je pouvais obtenir de mes amis psychologues, c’était de m’ouvrir encore plus. J’étais arrivé à un point où il ne restait plus rien à ouvrir. Mon ouverture s’était faite de tous côtés et m’entourait désormais comme un gouffre.

Un processus inverse se mit en route. Ma foi en la psychologie commença, bien que lentement, à se désintégrer. J’avais mis du poids sur l’échafaudage de la psychologie et celui-ci avait lâché. Je récitais quand même le répertoire de formules (j’enseignais à ce moment la psychologie), mais bien vite il fut manifeste que la plus grande partie de ces préceptes ne s’appliquait pas à ma propre vie. D’après les normes communément acceptées de croissance personnelle, ma vie ne pouvait apparaître que ridicule. En termes de « développement personnel », selon l’expression populaire du moment, je me trouvais sur la route de la régression. C’était insensé  ! Et il n’y a pas de place pour l’insensé dans le système de la psychologie. Cependant il existait une autre direction, celle de la foi, que j’avais ignorée pendant plus de dix années, restant ouvert à toutes les autres directions.

Une tradition chrétienne bien établie affirmait que ce qui paraissait insensé aux yeux des hommes ne l’était pas nécessairement aux yeux de Dieu. Peut-être cette ancienne promesse justifiait-elle un nouveau regard !…

En effet, je revins au christianisme, au christianisme véritable, pas à la version édulcorée. Ce fut un retour lent : si lent et si réticent qu’il serait insensé de ma part de me présenter en modèle de quelque façon que ce soit. Ce que je désire préciser ici, c’est que la religion et la psychologie étaient devenues pour moi pratiquement indiscernables l’une de l’autre : Freud et les pères de l’Eglise, la foi en Dieu et la foi au potentiel humain, la Révélation et la révélation de soi, tout cela était emmêlé en un ensemble qui faisait bon ménage. Quant à Dieu, Il commençait dans mon esprit à prendre la forme d’un sympathique conseiller de l’école non-directive. Je ne rechignais jamais à faire Sa volonté… Sa volonté coïncidait toujours avec la mienne.

Le loup en habit de brebis :

Le véritable christianisme ne s’allie pas bien à la psychologie. Lorsque vous essayez de les mélanger, vous obtenez souvent un christianisme édulcoré au lieu d’une psychologie christianisée. Toutefois, le processus est subtil et rarement remarqué. Je n’étais pas conscient que je confondais deux choses différentes. Et ceux dans l’Eglise qui auraient pu me ramener dans la bonne voie subissaient le même enchantement que moi. Ce n’était pas une attaque de front contre le christianisme ; je suis persuadé que j’y aurais alors résisté. Ce n’était pas le loup devant la porte : le loup était déjà dans la bergerie, en habit de brebis. Et de la façon dont certains bergers le chérissaient et le nourrissaient, on pouvait penser que c’était la plus belle des brebis.

Ce qui m’arriva n’était pas inhabituel.

Vers la fin des années soixante et au cours des années soixante-dix, un nouveau climat d’idées psychologiques s’installa dans les assemblées catholiques et protestantes libérales. Beaucoup parmi le clergé, les religieuses et les dirigeants laïques, commencèrent, à partir de bonnes intentions, à mélanger leur foi avec la sociologie, la psychologie et d’autres causes séculières.

Au même moment, beaucoup d’entre eux élevèrent le développement personnel à un rang sans rapport avec le développement spirituel. Leur foi s’effila tellement par ces adjonctions qu’elle n’était plus assez solide pour les soutenir quand une crise sociale ou personnelle les frappait. Des milliers de personnes quittèrent l’Eglise. Interrogé lors d’une étude sur les motifs de cet exode, un groupe d’anciennes religieuses mentionna comme raison principale « l’impossibilité d’être moi-même ». La foi du commun des croyants fut également ébranlée. Quelques-uns tinrent bon. D’autres se détournèrent complètement de leur foi. D’autres encore rejoignirent des églises chrétiennes qui semblaient plus sûres et plus sereines.

Le problème a-t-il disparu ? Pas du tout. La nouvelle religion hybride paraît se renforcer.

Un de mes amis demanda récemment à un moniteur d’école du dimanche quelle était la caractéristique la plus importante de son cours ; il lui fut répondu : « Nous apprenons aux enfants à se développer, à devenir des personnes à part entière, à interroger, à choisir des valeurs. » Une religieuse, également monitrice, dit simplement : « Nous leur montrons comment devenir des personnes à part entière. » La première femme ordonnée prêtre par l’Eglise épiscopale fut interrogée par un enquêteur qui lui demanda si elle se considérait elle-même comme une femme forte dans la foi. Elle répondit que non, qu’elle ne l’était pas. « Mais je crois fermement à l’amour et c’est cela finalement la religion, n’est-ce pas ? » Lors d’une rencontre des sommités de la Faculté théologique de Harvard, je parlai à un professeur qui préférait les « évangiles gnostiques » récemment découverts aux Evangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean parce que ces derniers évangiles « masculins » ne « répondaient pas aux besoins des femmes ».

Ce n’est pas un phénomène purement catholique ou libéral. Les chrétiens évangéliques et les charismatiques possèdent des limites fragiles que les idées de la psychologie peuvent facilement franchir. Quelques-uns des évangélistes qui utilisent les médias proclament un évangile du succès personnel et de la maîtrise de soi qui n’a pas grand chose à voir avec les Ecritures mais qui, par contre, doit beaucoup à la « pensée positive ».

Derrière il y a l’idée que la foi conduira à une personnalité saine, remède à la maladie, et même à la sécurité financière. Dans ces cas, on peut se demander si c’est en Dieu que nous croyons ou en nous-mêmes.

Plutôt que de tirer leçon de la triste expérience des catholiques, certains évangéliques semblent portés à commettre les mêmes erreurs. Un livre récemment publié par un pasteur évangélique célèbre appelle à une « nouvelle réforme » fondée sur l’estime de soi, qu’il considère comme « la plus grande des valeurs ». Dans cette « réforme naissante », dit l’auteur, la psychologie et la théologie « oeuvreront côte à côte comme de solide alliées« .

Nul ne peut douter des bonnes intentions ni des espérances lumineuses de cet auteur. Mais quiconque sait lire le passé récent et constater le résultat de telles alliances n’est pas aussi optimiste.

Ces tentatives de faire cause commune avec la psychologie sont des exemples de « christianisme et… ». C’est une grande tentation pour ceux qui craignent que le christianisme seul ne soit pas suffisant. Le problème est que le « christianisme et… » met de côté le véritable christianisme ou l’empêche de prendre prise.

Il est maintenant évident que les chrétiens doivent se préoccuper à juste raison de l’attrait factice qu’exerce la psychologie. Mais pourquoi les non-chrétiens devraient-ils faire attention ?

Tout simplement parce qu’ils vivent aussi, eux et leurs enfants, dans le monde de la psychologie. S’il est vrai que des chrétiens ont été détournés de leur foi par la psychologie, il me paraît tout aussi vrai que nous avons tous été détournés de nos meilleurs instincts et de notre bon sens. Nous pouvons demander à l’égard de certaines prétentions de la psychologie : « sont-elles irréligieuses ? » Mais nous pouvons également demander : « sont-elles réalistes ? » S’il existe des défauts dans le système, ils apparaîtront dans les choses pratiques, auquel cas ils offenseront non seulement Dieu mais également notre sens logique.

Ceci nous amène au dernier point. L’homme de la rue ne craint plus d’entendre que son comportement peut le conduire en enfer, mais il se met à réfléchir lorsqu’il entend dire que celui-ci peut le conduire dans un asile d’aliénés.

Je ne dis pas que nous sommes tous sur le chemin de l’asile, bien que cette possibilité ne soit pas écartée, mais je veux dire que nous glissons tous insensiblement vers une vie morne et insipide comme celle de l’asile d’aliénés. Une attitude trop sérieuse à l’égard du moi constitue un souci malsain et finalement frustrant. Elle ne conduit pas à une société composée d’individus différents et intéressants, mais à une triste foule de gens dont l’apparence et le langage se ressemblent, débitant de façon monotone les mêmes histoires, ressassant leurs préoccupations personnelles. Voici où je veux en venir. Même en raisonnant en termes purement matériels, il n’est pas certain que la psychologie nous laisse dans les meilleures conditions . Nous avons des tonnes de conseils d’experts et des montagnes de révélations sur le moi. Marchons-nous d’un pas plus léger ou rions-nous plus franchement encore pour cela ? La psychologie veut que nous jugions une idée non pas sur le fait qu’elle peut ou non sauver l’âme d’un homme, mais sur sa santé d’esprit. Son but est de rendre la vie plus humaine. Il peut être démontré, je crois, que la psychologie a plutôt moins contribué à ce but qu’on ne le suppose communément, et que le christianisme y a plutôt contribué davantage.


1 Extrait de « Séduction psychologique« , Centre Biblique Européen, Lausanne, 1985.

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