La conversion de Ninive est-elle une fiction ?

Par Dom Jean de Monléon osb

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La conversion de Ninive est-elle une fiction ? 1

Résumé : Aux dires de certains commentateurs et notamment ceux de la “Bible de Jérusalem”, l’histoire de Jonas et de la conversion de Ninive relèverait de la fiction. Ce serait une simple parabole en vue d’illustrer une vérité strictement spirituelle. L’auteur réfute ici cette opinion en montrant la faiblesse de ses arguments. Puis il évoque le propre témoignage de Jésus-Christ : le séjour de Jonas dans un cétacé ne pourrait constituer un véritable signe de la Résurrection, s’il ne s’agissait d’une réalité historique.

Ayant ainsi liquidé la question de l’auteur de Jonas, et considérant comme établi que le livre est postérieur à la ruine de Ninive, la B.J.1 se met en devoir d’expliquer pourquoi il convient de le ranger dans la catégorie des “fictions allégoriques”, c’est-à-dire de le considérer comme un simple récit fabuleux.

Ce n’est pas la peur du surnaturel qui fait adopter ce sentiment… Aucun catholique ne sera tenté de constester la possibilité du miracle“…A la vérité, nous aurions quelque droit de le craindre. Quand on voit la persévérance avec laquelle la critique s’applique à ravaler l’un après l’autre tous les faits extraordinaires contés par l’Ecriture au niveau de phénomènes scientifiquement explicables ; le soin minutieux qu’elle met à désacraliser celle-ci, à la “pasteuriser”, pour y détruire jusqu’au moindre vestige de vie surnaturelle, on est en droit d’appréhender que ce ne soit justement le caractère inouï du prodige qui incite à chercher une autre explication ? Mais l’affirmation de la B.J. nous donne tout apaisement à cet égard. Non, non, ce n’est pas la crainte du miracle qui détermine sa prise de position.

La critique moderne est prête à accepter tous les miracles que l’on voudra, à condition cependant qu’on demeure dans les limites du raisonnable, et qu’on ne lui demande pas de prendre des vessies pour des lanternes. Or on conviendra que l’histoire de Jonas, à cet égard, dépasse les bornes, et que les extravagances y sont accumulées comme à plaisir.

Voit-on un prophète hébreu du VIIIème siècle apparaissant soudain en prédicateur justicier, au sein de la puissante Ninive ?.. Le point culminant du récit, et aussi de la série des invraisemblances, est la conversion subite de Ninive : à peine Jonas, un inconnu, a-t-il annoncé la ruine de la cité, que ses habitants, grands et petits, c’est-à-dire environ un million de personnes, se livrent aux manifestations les plus extraordinaires du repentir. Le texte est formel : le mouvement fut général ; le roi lui-même descend de son trône, se revêt d’un cilice et s’assied sur la cendre. S’il s’agissait d’un fait historique, nous serions en présence d’un miracle sans égal dans l’histoire de l’humanité, bien supérieur à celui de la Pentecôte. Comment expliquer qu’un tel prodige n’ait laissé aucune trace ailleurs, dans la Bible, ni dans les annales assyriennes ? On invoque la lacune de ces annales ; on allègue que la conversion a pu être sans lendemain, sans prendre garde qu’ainsi on met en doute sa sincérité, reconnue par Dieu Lui-même. Ces réponses, d’ailleurs, paraîtront des échappatoires si l’on veut bien se rendre compte de la grandeur unique du prodige : cette énorme multitude d’Assyriens atteint, d’un seul coup, l’idéal que les prophètes se plaignent sans cesse de ne pas trouver réalisé en Israël.

On concédera bien volontiers à l’auteur de ces lignes que, sur le plan de la logique humaine, l’aventure de Jonas est tout à fait invraisemblable. Mais nous ne devons pas oublier qu’il s’agit ici d’un récit sacré, et d’une figure prophétique ; c’est-à-dire d’un événement dont la rédaction a été supervisée par le Saint-Esprit, et dont les péripéties ont été calculées et dirigées par Dieu, pour donner à l’avance aux hommes une lointaine connaissance de la manière dont s’accomplirait un jour l’œuvre de la Rédemption.

Si nous voulons comprendre quelque chose à ce drame, comme d’ailleurs à toutes les autres prophéties, il est indispensable de l’envisager dans la lumière de la foi, qui seule peut nous en faire saisir la véritable signification.

Tous les anciens commentateurs ont vu dans l’envoi de Jonas à Ninive, une figure de la mission données aux Apôtres, d’annoncer l’Evangile aux Gentils.

L’effet merveilleux de la prédication de ce “petit” prophète représente à l’avance la puissance dont devait jouir un jour la parole des premiers prédicateurs chrétiens. A leur voix, on verrait les païens se convertir en masse, les souverains eux-mêmes s’humilier et faire pénitence ; et les rois… les rois de la pensée, explique Saint Jérôme, c’est-à-dire : les hommes revêtus de la pourpre de l’éloquence et du savoir, se muer en humbles disciples de pêcheurs galiléens.

La conversion de Ninive figure donc d’abord celle de la Gentilité en général. S’il est extraordinaire de voir une cité de 600.000 habitants, écouter docilement la parole d’un prédicateur étranger et ce fut en effet, sans aucun doute, un miracle stupéfiant,  il est bien plus extraordinaire de penser que douze pauvres Juifs sans instruction, sans argent, sans soldats, ont réussi à porter l’Evangile aux quatre coins du monde et à opérer, en une génération, la plus étonnante révolution qui se soit jamais vue sur la terre. A leur appel, des peuples entiers ont accepté un code de morale qui les obligeait à changer radicalement leur manière de vivre ; ils ont répudié la licence ordinaire de leurs mœurs, pour accepter les lois de la continence et du jeûne ; pour se soumettre à des préceptes aussi contraire à la nature que le pardon des offenses ou l’amour des ennemis. Des princes sans nombre ont dépouillé leur superbe, pour descendre dans la cuve baptismale, pour confesser leurs péchés aux pieds d’un prêtre issu souvent de condition obscure ; parfois même, comme celui de Ninive, ils ont quitté la pourpre royale, pour revêtir la robe des pénitents.

La conversion de la “grande ville” figurait aussi, plus spécialement, celle de Rome, la capitale du monde païen, la Babylone de Satan, et dans laquelle, dit saint Léon, “une superstition très attentive avait rassemblé tout ce que de vaines erreurs avaient jamais institué” ce qui veut dire qu’elle était le rendez-vous de toutes les idoles et de toutes les fausses religions.

Or, voici que “dans cette forêt pleine de rugissements de fauves, dans cet océan (de vices) dont les profondeurs étaient toujours en ébullition1“, débarque un jour, de la terre de Judée comme Jonas, un pêcheur galiléen qui, par une singulière coïncidence, s’appelle Simon bar Jona, Simon fils de Jonas.

A peine est-il à pied d’œuvre, qu’un sourd travail de gestation commence dans la ville. Sans doute, le changement n’a pas la soudaineté fulgurante de la conversion de Ninive, mais par contre il se montre beaucoup plus radical et beaucoup plus tenace. De la cité qui était hier la sentine de tous les vices, s’élève peu à peu un parfum extraordinaire de pureté, de piété et de charité.

Au mépris de tous les usages, les fières patriciennes se mettent à soigner les malades, à nourrir les pauvres de leurs mains ; elles ne rougissent pas de frayer côte à côte avec leurs esclaves dans les assemblées clandestines des Catacombes. Tout un monde, où les gens les plus humbles coudoient les membres de la haute aristocratie, embrasse un mode de vie qui ressemble plus à celui des anges qu’à celui des hommes.

A la seule parole de Pierre et de Paul, deux étrangers qui n’ont aucune racine dans le terroir de Rome, les convertis s’attachent à la doctrine du Christ, avec une telle conviction et une telle générosité que, pour lui être fidèles, ils braveront les plus terribles supplices. Ils se laisseront dévorer par les bêtes de l’amphithéâtre, verseront leur sang à flots dans des supplices d’une affreuse cruauté, et mériteront à la cité de Romulus, par le nombre de martyrs qu’ils lui donneront, une gloire plus grande que celle que lui avaient acquise les victoires immortelles de ses légions.

La conversion de Rome eut en outre l’avantage d’être durable, et de faire pour toujours de cette fière cité la capitale du monde chrétien. Celle des Ninivites au contraire ne le fut pas. Dès que la menace leur parut conjurée, ils retournèrent à leur dérèglements, et c’est pourquoi, quelques années plus tard, leur ville fut détruite de fond en comble, comme Jonas l’avait annoncé.

Ce prompt relâchement cependant ne met pas en question la sincérité de leur premier repentir. Cette sincérité ne fait aucun doute : Dieu regarda leurs œuvres… et il eut pitié d’eux, dit le texte sacré.

Or Dieu, qui sonde les reins et les cœurs, n’aurait pas regardé leurs œuvres, pas plus qu’il ne regarda les sacrifices de Caïn, – si celles-ci n’avaient été dirigées par une intention droite. Sincérité et persévérance sont deux choses distinctes ; c’est tous les jours que l’on voit des hommes prendre loyalement, authentiquement, la résolution de rompre avec une vie de péché, et s’y tenir pendant quelque temps ; mais le premier démon revient avec sept compagnons plus méchants que lui2, et bientôt le pécheur, repris par son péché, retourne à son vomissement.

La B.J. s’étonne ensuite que nulle part ailleurs il ne soit question d’un événement aussi sensationnel. Mais qu’elle nous explique alors pourquoi Saint Jean est le seul Evangéliste à avoir raconté la résurrection de Lazare ? Ce miracle, le plus extraordinaire qu’ait accompli le Sauveur, constitue manifestement, après sa propre résurrection, l’argument le plus fort que l’on puisse invoquer pour prouver sa divinité. Comment se fait-il que  ni saint Matthieu, ni saint Marc, ni saint Luc, n’en aient soufflé mot ? Sommes-nous autorisés, pour autant à contester la véracité du récit de saint Jean ? Il y a quantité de traits semblables aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament. Le témoignage de l’Ecriture se suffit à lui-même. En supposant qu’il n’y ait aucune autre preuve, c’est assez que la prophétie de Jonas soit mise par l’Eglise au monde des Livres inspirés, pour qu’aucun doute ne puisse subsister sur la véracité de son sens littéral.

Mais il y a d’autres preuves. Il y a en sa faveur un témoignage écrasant : celui de Jésus en personne. Aux Juifs qui lui demandent un argument palpable de la divinité de sa mission, le Sauveur répond : “Cette génération mauvaise et adultère cherche un signe : et il ne lui en sera donné, sinon le signe du prophète Jonas. De même en effet que Jonas a été dans le ventre du cétacé trois jours et trois nuits de même le fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. Les hommes de Ninive se lèveront au jour du jugement avec cette génération et ils la condamneront, parce qu’ils firent pénitence à la prédication de Jonas. Et voici ici plus que Jonas…3

Il semble impossible à première vue d’éluder un témoignage aussi formel, émanant de la bouche même de la Vérité faite chair.

La critique cependant prétend bien l’esquiver.

Il faut remarquer, dit la B.J., que les récits de l’engloutissement de Jonas par un poisson et de sa délivrance sont utilisés par le Christ comme des figures de sa sépulture et de sa résurrection, et la conversion des Ninivites, comme un signe annonçant par contraste la condamnation des Juifs incrédules. Or, que ces événements soit historiques ou fictifs, ils gardent en toute hypothèse la signification que leur donne Jésus. Un prédicateur n’hésite pas à proposer comme modèle l’enfant prodigue ou le publicain ; l’Eglise, dans sa liturgie, parle du Lazare de la parabole comme d’un personnage réel : “et cum Lazare quondam paupere, aeternam habeas requiem”4. D’une manière générale, d’ailleurs, on peut dire que le Christ et les Apôtres traitent l’Ancien Testament tout entier comme une prophétie, au sens large, de l’ère messianique ; entre les narrations historiques et les paraboles de l’Ecriture, il y a ceci de commun que les unes et les autres sont des préfigurations du Royaume de Dieu“.

Reprenons le texte du divin Maître que nous avons cité tout à l’heure, afin d’en bien préciser la portée.

Les Juifs lui demandaient un signe ; c’est-à-dire, par définition même, une chose perceptible aux sens5 – et ce mot à lui seul suffirait à exclure l’hypothèse d’une simple parabole. Ils le demandaient pour avoir une preuve tangible qu’il était le Fils de Dieu. Ils réclamaient de Lui un prodige analogue à ceux qu’avaient opérés Moïse pour convaincre le Pharaon, ou Elie, quand il avait fait descendre le feu du ciel. Mais Jésus se refuse à  accéder à leur désir : il sait trop bien que ce serait parfaitement inutile.

Cette génération mauvaise et adultère” n’y croira pas plus qu’elle n’a voulu croire à ceux qu’il a déjà accomplis à profusion en guérissant les malades, en rendant la vue aux aveugles, en délivrant les possédés, en ressuscitant les morts. Aussi il ne leur en donnera plus qu’un seul, quand le moment sera venu, mais le plus éclatant, le plus décisif de tous : celui de sa mort et de sa Résurrection. C’est de ce double événement que Jonas est “le signe”. Dieu, afin de préparer les esprits à ce mystère incroyable, afin de montrer comment le Sauveur serait réellement un jour absorbé par la mort, mais ne serait pas décomposé par elle, et lui échapperait au bout de trois jours, a dessiné comme une première ébauche de ce prodige dans l’extraordinaire aventure de Ninive :  “De même, dit-il, que Jonas a été trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine – non pas en figure, précise Saint Albert le grand, mais à la lettre6de même le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits7 dans le sein de la terre“.

Tel est donc le signe présenté par le Sauveur lui-même pour présager sa Passion. Aux yeux de la critique, “peu importe que cet événement soit historique ou fictif : il garde en toute hypothèse la signification que lui donne Jésus“. J’en demande mille pardons à l’auteur : il n’est pas question ici de signification, mais de signe, ce qui change complètement la question. Qu’un prédicateur puisse employer, dans un sermon, une allégorie aussi utilement qu’un fait réel, nul ne le constestera. Il pourra parler du bon Samaritain, de l’enfant prodigue ou du pauvre Lazare comme s’ils étaient des personnages authentiques. Peu importe en pareil cas qu’ils aient existé ou non : même si  leur aventure est une fiction, elle garde toute sa vertu morale et édifiante.

Mais il en va tout autrement quand il s’agit de prouver une vérité de la foi. Or, c’est le cas de l’histoire de Jonas.

Notre Seigneur, devant les hommes qui ne croient pas en Lui, se propose de donner un Signe, c’est-à-dire une preuve, un témoignage, -“marturia“, dit Saint Jean Chrysostome, qui les amène à admettre l’idée de sa Résurrection. Ceci nous place sur un terrain qui n’a plus rien de commun avec la simple homélie. Personne, que je sache, n’a jamais songé à citer le pauvre Lazare ou le bon Samaritain comme des témoins de la divinité du Christ ; tandis que c’est là le rôle essentiel des Apôtres et des Prophètes, et donc de Jonas.

L’allégorie, – c’est-à-dire la parabole, – n’a pas valeur argumentative“, dit saint Thomas8 à la suite de saint Augustin et de toute la Tradition. Que l’on nous permette de prendre, dans les événements de la vie contemporaine, un exemple qui aidera à comprendre le sens de cette affirmation. De ce que deux hommes, grâce à l’appareil nommé “bathyscaphe”, ont pu descendre à 4.000 mètres sous l’eau, on est en droit d’arguer qu’un jour viendra où le fond des océans n’aura plus de secrets pour nous ; mais de ce que Jules Verne a écrit “Un voyage dans la lune”, on ne peut tirer aucun argument pour affirmer que les hommes iront un jour se promener dans les astres.

Le descente du bathyscaphe est un fait historique, elle a dès lors valeur argumentative, c’est-à-dire, selon l’étymologie de ce mot : “arguere mentem“, elle entraîne l’acquiescement de l’esprit. Le voyage dans la lune de Jules Verne, au contraire, si passionnant, si suggestif, si stimulant qu’il puisse être, n’a aucune valeur probante, parce qu’il n’est qu’une fiction.

De même, Notre Seigneur ne pouvait tirer aucun argument en faveur de sa Résurrection, d’une aventure qui n’eût été qu’un conte. D’ailleurs, d’une façon générale, prétendre réduire les faits rapportés par l’Ecriture à des simples fables, est aller directement contre le caractère propre des Livres Saints ; car, explique le Docteur Angélique : “Dieu, qui est le véritable auteur de ceux-ci, peut non seulement accommoder les paroles, ce qui est aussi au pouvoir de l’homme, mais encore les réalités elles-mêmes – res ipsas – à ce qu’il veut signifier9“.

Voici au surplus ce qu’enseigne le Magistère suprême de l’Eglise sur ce point :

Il est encore un autre groupe de déformateurs de l’Ecriture Sainte, déclare le Pape Benoît XV, dans l’Encyclique Spiritus Paraclitus, – Nous voulons dire ceux qui, abusant de certains principes, justes du reste tant qu’on les renferme dans certaines limites, en arrivent à ruiner les fondements de la véracité des Ecritures et à saper la doctrine catholique transmise par l’ensemble des Pères… Recourant trop aisément, malgré le sentiment et le jugement de l’Eglise, au système… des récits qui ne seraient historiques qu’en apparence, ils prétendent découvrir dans les Livres Saints tels procédés littéraires inconciliables avec l’absolue et parfaite véracité de la morale divine.

Vous voyez dès lors, Vénérables Frères, avec quelle ardeur vous devez conseiller aux enfants de l’Eglise de fuir cette folle liberté d’opinion… Lisons-nous, en effet, que Notre Seigneur ait eu une autre conception de l’Ecriture ? Les formules “Il est écrit” et “Il faut que l’Ecriture s’accomplisse” sont sur ses lèvres un argument sans réplique et qui doit clore toute controverse. Mais insistons plus à loisir sur cette question. Qui ne sait ou ne se souvient que, dans ses discours au peuple, soit sur la montagne voisine du lac de Génésareth, soit dans la synagogue de Nazareth et dans la ville de Capharnaüm, le Seigneur Jésus empruntait au texte sacré les points principaux et les preuves de sa doctrine ? N’est-ce pas là qu’il puisait des armes invincibles pour ses discussions avec les pharisiens et les saducéens ? Qu’il enseigne ou qu’il discute, il produit des textes et comparaisons tirés de toutes les parties de l’Ecriture et il les produit comme des autorités qui doivent nécessairement faire foi. C’est ainsi par exemple qu’il se réfère indistinctement à Jonas et aux habitants de Ninive, à la reine de Saba et à Salomon, à Elie et à Elisée, à David, à Noé, à Loth, aux habitants de Sodome et à la femme de Loth10“.

Il ressort avec évidence des paroles de Notre Seigneur analysées tout à l’heure que le Divin Maître a rivé de la façon la plus étroite sa propre Résurrection à l’histoire de Jonas.

Il est impossible d’admettre que, dans la phrase énoncée par Lui, le verbe être ait une signification différente selon qu’on considère le premier ou le second membre.

Ce terme ne saurait exprimer tantôt une réalité substantielle, ce qui est sa fonction propre et tantôt une simple apparence fictive. Si on prétend lui ôter son “nerf”, son sens plein, dans l’une des positions, on le lui enlève nécessairement dans la seconde. Si l’on concède que la sortie de Jonas, vivant, du ventre de la baleine, n’est qu’une allégorie, on est contraint d’accepter, ipso facto, que la Résurrection du Sauveur le soit aussi.

Il faut remarquer en outre que Notre Seigneur, dans le texte cité, fait appel au témoignage des habitants de Ninive, qui se lèveront au jour du jugement pour condamner les Juifs parce qu’ils ont cru, eux, à la prédication de Jonas. Peut-on penser sérieusement que pour porter une accusation aussi grave le Divin Maître n’évoque que des témoins fictifs, des figurants de parabole ?

Et cette remarque prend plus de poids encore si nous considérons que ce témoignage des Ninivites va de pair avec celui de la reine de Saba. Or on ne peut mettre en doute le caractère historique de cette princesse. Il est impossible de penser que, dans une menace aussi lourde de conséquences, le Christ ait mélangé l’histoire et la fable, la réalité et la fiction.

Saint Thomas se sert de cet argument pour prouver l’historicité de Job :

Il en est, dit-il, qui ont pensé que ce Job ne fut pas un personnage réel, mais que [son livre] est une parabole imaginée pour servir de thème à une discussion sur la Providence, comme les hommes le font souvent pour étudier une question. Bien que cela n’ait pas beaucoup d’importance, si l’on considère le but de l’ouvrage, cela compte au point de vue de la vérité elle-même. Une telle opinion est en contradiction avec l’Ecriture qui, au livre d’Ezéchiel, nomme ensemble Noé, Daniel et Job11. Or il est certain que Noé et Daniel ont réellement existé : donc il n’est pas permis d’en douter pour le troisième qui est nommé avec eux12.

Et il n’est pas permis, pour la même raison, de douter du témoignage des Ninivites, qui est mis en parallèle avec celui de la reine de Saba.

(Suite et fin au prochain numéro)

  1. Mat. XII, 45. ↩︎

1 Bible de Jérusalem. Cette version est dite “de Jérusalem” en référence à l’Ecole Biblique de Jérusalem, fondée en 1890 par le P. Lagrange.

1 S. Léon, 1er Sermon sur S. Pierre et S. Paul, Patr. Lat., de Migne, t.54, C.423.

3 Mat., XII, 39-41.

4 Et avec le pauvre Lazare de jadis, que tu aies le repos éternel.

5 Saint Thomas, IIIa Pars, qu. 60, a. 4.

6 In Matthaeum, XII, 40. Opera omnia, Edit. Vivès. T. XX, p.537.

7 Ndlr. Il faut bien comprendre ici le sens littéral des “trois jours et trois nuits”, car il ne peut s’agir d’un intervalle de 72 heures. Dans le calendrier hébreu, le jour solaire commence la veille et se termine à la nuit suivante, vers 18 heures (nous sommes plus près des Tropiques). Cette entité “nuit-jour” est restituée par les traducteurs par la locution “jour et nuit”, mais il s’agit d’une seule période de 24 heures. Enfin, les Anciens (et pas seulement les Hébreux) avaient coutume d’arrondir au nombre entier supérieur. Un géant de 5 coudées n’est pas un homme mesurant 2m30 (pour une coudée de 46 cm) ou 2m60 (pour la coudée “royale”), mais un homme dépassant 4 coudées (haut donc de plus de 1m84). La mort de Jésus-Christ se produit le vendredi à 15 heures, la descente de la croix ayant lieu avant le sabbat (du vendredi à 18h au samedi). Le dimanche de la Résurrection commençait le samedi à 18h. Ainsi le matin de Pâques se situe au milieu du “troisième jour”. En nombres entiers, comptés à la manière antique, l’intervalle est arrondi à trois “nuits-jours”, alors qu’il ne s’est écoulé que 36 heures environ soit moins de 2 jours et seulement 2 nuits selon notre manière de compter. Notre langue a conservé ce genre de décalage lorsqu’elle compte “huit jours” pour une semaine et le nomme “quinzaine” un intervalle de quatorze jours.

8 Ia Pars, qu. I, a. 10.

9 Ia Pars, qu. I, a. 10.

10 Cf. Mat. , XII, 3, 39-42 ; Luc, XVII, 26-29, 32, etc…

11 XIV, 14.

12 In Job, proemium. Edit. Vivès, t. XVIII, p.1.

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