Freud et la cocaïne

Par Élizabeth  M. Thornton

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« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. » (Marcel François)

Élizabeth  M. Thornton1

Résumé : Le freudisme a joué un rôle décisif dans la « libération » sexuelle et dans la paralysie des institutions exerçant une autorité sociale (parents, maîtres, juges, etc.). On en voit bien la nocivité, mais on croit devoir le créditer d’une part de vérité psychologique. La publication de la correspondance entre Freud et le Dr Wilhelm Fliess, puis le travail d’archives réalisé par H.F. Ellenberger, confortent ceux qui soupçonnaient la fraude et le mensonge chez ce faux prophète. Le cas d’Anna O, point de départ de la psychanalyse, est caractéristique: la malade a bien existé, mais elle souffrait d’hystérie; Freud ne pouvait donc pas la guérir d’une névrose inexistante. Quant à Freud lui-même, il soignait ses migraines par des applications directes de cocaïne sur les muqueuses nasales, à une époque où les effets secondaires en étaient mal connus. Or tous ses traits anormaux (contradictions, trous de mémoire, excentricités, abattements suivis d’hyperactivité, agressivité et obsession sexuelle) sont caractéristiques de l’usage de la cocaïne pure. On comprend pourquoi la famille du fondateur de la psychanalyse avait tant résisté avant de laisser publier cette correspondance avec Fliess dans laquelle les deux cocaïnomanes échangeaient sur leurs impressions et leurs procédés. La psychanalyse est l’œuvre d’un malade. Quiconque gardait un fond de sens commun s’en doutait, mais il est bon se savoir que tel était bien le cas !

Le centenaire de la naissance de Freud, en 1956, fit connaître à une nouvelle génération l’enseignement alors à demi oublié du médecin psychanalyste viennois.

L’intérêt fut suscité par une campagne de conférences, d’émissions de radio, d’articles de journaux, tous réalisés par des amis personnels de Freud ou des psychanalystes de renom. Et les théories psychanalytiques furent présentées comme des faits établis si bien qu’on traita Freud comme un génie comparable à Copernic, Newton ou Einstein. En particulier Ernest Jones, ami intime et disciple de Freud, fit paraître les premiers volumes de la biographie de son maître.

Ainsi furent vulgarisés les travaux du célèbre médecin, en particulier son hypothèse centrale selon laquelle la répression sexuelle serait la cause première de la névrose et des maladies mentales.

Dès les années soixante on vit se constituer un groupe d’universitaires et d’hommes de plume plaidant pour modifier d’urgence les comportements sociaux relatifs à la morale sexuelle, “afin d’éviter l’effondrement de la civilisation” comme le signifia Alex Comfort. L’Observer, de Londres, réclama la création d’une chaire à l’Université pour traiter de l’inconscient. Nonobstant le fait que Freud eût qualifié la religion de “névrose obsessionnelle universelle” (une de ses nombreuses expressions contradictoires), des clercs dans le vent firent chorus avec enthousiasme. Survint alors Marcuse qui fit un amalgame des théories de Karl Marx et de Sigmund Freud.

Des intellectuels réclamèrent même que marxisme et freudisme fussent incorporés dans la doctrine de l’Église !

Aujourd’hui, plus de quarante années nous séparent de ces jours d’exaltation ; la société permissive engendrée par ce retour du freudisme a tourné court. Les années quatre-vingt ont vu émerger une société sans joie, accablée par les problèmes que la révolution sexuelle a laissés dans son sillage. Il serait donc mal venu d’accepter sans réserves les théories du médecin viennois : la ‘terre promise’ libérée de la névrose et des maladies mentales s’est révélée n’être qu’une rocaille désertique.

Or, à regarder en arrière, il apparaît que nombreux furent ceux qui, parmi les récents partisans des théories psychanalytiques, ne lurent jamais, plume à la main, les livres de Freud.

S’ils l’avaient fait, ils auraient découvert que l’auteur n’étayait aucune de ses idées, tout au plus donnait-il la promesse que des ouvrages à venir exposeraient les preuves décisives tant attendues. Or, ces textes ‘annoncés’ ne furent jamais rédigés.

Lorsque Freud citait ses premières œuvres, comme contenant la justification de ses théories, il faut croire qu’il avait des trous de mémoire ou alors qu’il prenait un risque calculé, pariant que personne ne se mettrait en peine de vérifier ses assertions.

Dans ce dernier cas, il faut reconnaître que le jeu en valait la chandelle! Les œuvres de jeunesse fourmillent de contradictions, de raisonnements circulaires, au milieu desquels Freud plaide pour ses idées sans les justifier. Ainsi en est-il du cas le plus fameux des annales de la psychanalyse, celui d’ “Anna O”, cas retenu par la légende comme étant la cure psychanalytique primordiale qui lança Freud sur le chemin qu’il devait suivre toute sa vie.

Il fallut attendre bien des années pour que l’inconsistance de l’histoire d’Anna O fût découverte. Ce fut d’abord Jung (alors séparé de Freud) qui, lors d’ un séminaire donné à Zurich, en 1925,  avoua que “ce cas fameux d’un succès thérapeutique éclatant, n’était rien de tout cela… Il n’y eut en réalité aucune cure à la manière dont Freud la présentait”. Puis, en 1953, dans la biographie de son maître, Ernest Jones révéla le vrai nom de la malade. Loin d’être une inconnue, celle-ci s’était rendue célèbre en tant que pionnière de l’aide sociale, oratrice du mouvement féministe et auteur de divers ouvrages, notamment de sociologie.

Quand l’éminent historien H.F. Ellenberger vint à Vienne pour travailler à son livre sur la psychanalyse, il put recueillir de nombreux éléments biographiques. Les données fournies par l’état civil l’amenèrent finalement à découvrir, dans les caves d’un sanatorium suisse, le dossier médical et la correspondance relative au cas d’Anna O. Le tout dormait là oublié depuis plus de quatre-vingt dix ans. Ces documents démontrent à la fois que la malade n’avait pas été guérie par un traitement “cathartique” et que Freud avait bien conscience du fait. Ils prouvent en outre qu’elle ne souffrait pas de névrose mais d’hystérie.

Les symptômes diagnostiqués ne pouvaient pas être d’origine psychique, mais résultaient purement et simplement d’une déficience organique du cerveau.

La publication de la ‘correspondance’ de Sigmund Freud avec Wilhelm Fliess2, devait porter un autre coup, mortel celui-là, à la réputation de l’inventeur de la psychanalyse.

Ces lettres couvrent les années 1892-1900 au cours desquelles Freud tourne le dos à la médecine classique, qu’il avait pratiquée jusque là, pour poser les bases théoriques de la psychanalyse. Il s’agit d’un recueil, d’un intérêt inestimable, concernant ces années critiques. Pourtant, depuis des décennies, la famille de Freud en refusait la consultation aux chercheurs et aux historiens. Une auréole de mystère entourait donc ces fameuses lettres. La pression des curieux devenant insupportable, la famille autorisa enfin leur publication complète. Il en ressort l’étrange histoire que voici.

Wilhelm Fliess était un oto-rhino-laryngologiste berlinois. Il s’était lié d’amitié avec Freud en 1892, année où il venait souvent à Vienne en raison de ses fiançailles puis de son mariage avec une héritière viennoise, Ida Bondy. Par la suite les deux hommes se rencontrèrent à mi-chemin plusieurs fois par an pour tenir ce qu’ils appelaient leurs “congrès scientifiques”. Entre deux “congrès”, ils s’écrivaient de nombreuses lettres. Cette correspondance connut bien des vicissitudes. En particulier Freud tenta de la détruire lorsqu’il la vit réapparaître, aussitôt après la mort de Fliess (1858-1928).

Dans les années quatre-vingt, Freud avait essayé la cocaïne, récemment découverte, mais de manière sporadique et par voie orale. Les lettres envoyées à Fliess prouvent que Freud se remit à la cocaïne en 1892, et cette fois par la voie nasale, beaucoup plus dangereuse, et avec des prises régulières.

Fliess avait expérimenté la cocaïne sur les voies respiratoires de ses malades.

Il s’en servait comme d’un anesthésiant local et notait ses effets sur les symptômes de ses patients. Il en tira une théorie audacieuse : la cocaïne soulageait les douleurs des organes génitaux ainsi que les maux de tête, en particulier les migraines. À partir de ces faits, il postula que ces maladies étaient autant de “névroses nasales réflexes” et que le remède souverain n’était autre que l’application de cocaïne dans le nez. Fliess et Freud souffraient tous deux de migraines, et il apparaît dans leur correspondance que, dès la fin de 1892, ils traitèrent leurs attaques par des applications répétées de cocaïne sur les muqueuses du nez.

Mais la “névrose nasale réflexe” n’existait pas que dans l’imagination du seul Fliess, puisque plusieurs traités d’oto-rhino-laryngologie de l’époque mentionnaient cette hypothèse. On venait tout juste de découvrir le fonctionnement réflexe du système nerveux, et la chasse aux réflexes faisait fureur dans les milieux médicaux. À tel point qu’un observateur écrivait ironiquement qu’on avait prétendument découvert et décrit plus de nouveaux réflexes que le corps humain ne comportait de nerfs et de muscles!

En réalité, Fliess avait fait l’erreur colossale de se méprendre sur les propriétés de la cocaïne. En effet, lorsque la drogue est appliquée sur les membranes muqueuses, elle pénètre rapidement dans le système sanguin à travers la membrane. Dans le cas du nez, la drogue affecte le cerveau en quelques secondes. Ce que les deux hommes supposaient être de nature locale et réflexe, était en réalité l’effet d’une drogue agissant puissamment sur des cellules nerveuses très sensibles.

Or, la cocaïne a encore d’autres effets. Elle est hautement vasoconstrictrice, c’est-à-dire qu’elle contracte les vaisseaux sanguins voisins de son point d’application. Cependant, lorsque l’effet a disparu, les vaisseaux se dilatent rapidement et un afflux de sang se produit.

La migraine étant due au gonflement des vaisseaux sanguins dans la zone cérébrale, une première application de cocaïne venait donc la soulager. Mais la douleur revient en force dès que la drogue a donné son effet et que la dilatation se produit de nouveau. Ce qui requiert d’urgence plus de cocaïne, et ainsi s’instaure un cercle vicieux.

Qui plus est, tout gonflement du nez était considéré à cette époque comme une cause du processus (au lieu d’être regardé comme un effet secondaire du traitement), donc de nouvelles doses de cocaïnes étaient aussitôt apportées.
La cocaïne attaquant les muqueuses, des symptômes pathologiques graves apparurent chez les deux hommes, avec nécrose et ulcères; ils y virent encore une confirmation de leur théorie du réflexe nasal et poursuivirent en conséquence le traitement à la cocaïne…

Ainsi, durant les années où il formulait ses thèses majeures, Freud était en fait sous l’effet d’une drogue hautement toxique et affectant sélectivement le cerveau; l’évidence apportée par la correspondance avec Fliess est, sur ce point, indéniable. Ce fait suffit à en expliquer beaucoup d’autres : les excentricités de Freud dans les années quatre-vingt-dix (que Jones excusait comme les peccadilles inoffensives d’un homme de génie), ses sautes d’humeur entre la fierté exaltée et la dépression profonde, suivies de périodes d’hyperactivité (interprétée par Ernest Jones comme le signe d’une “névrose créatrice”), ses mystérieux symptômes cardiaques qui le troublèrent  tant vers le milieu de cette décennie, les trous de mémoire inexplicables, les contradictions et les inconsistances dans ses œuvres qui perturbèrent tant ses traducteurs et ses éditeurs. Tous ces symptômes sont autant d’effets spécifiques de la cocaïne.

Lorsque Freud refusa si brusquement la moralité commune de son temps, pour adopter la cause d’une complète liberté sexuelle, ou lorsqu’il dénonça le mal suscité par la répression de l’agressivité, tous ces comportements peuvent s’expliquer par l’influence de la cocaïne.

Il est rare aujourd’hui d’utiliser seule la cocaïne pure et concentrée. Mais la littérature du XIXème siècle nous renseigne sur les épidémies de cocaïnisme qui submergèrent les États-Unis durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, lorsqu’on prenait la cocaïne pour une drogue bénéfique, sans danger. Deux de ses effets doivent être considérés par quiconque veut juger des théories de Freud.

Le premier est une stimulation initiale des fonctions sexuelles, comme ce fut le cas chez Freud lui-même. Un usage répété de la cocaïne, en revanche, réduit l’activité sexuelle qui peut aller jusqu’à cesser presque complètement; là encore Freud nous fournit un exemple typique de cocaïnomane invétéré. Ainsi le pan-sexualisme qui infeste ses théories est-il la conséquence prévisible de sa dépendance à la cocaïne.

Le second effet, d’importance majeure lui, est une agressivité renforcée, qui se traduisit à la fin du XIXème siècle par une élévation notable du taux d’homicides jusqu’à ce que la cocaïne cessât d’être en vente libre. On comprend mieux dès lors pourquoi Freud a plaidé non seulement pour la liberté sexuelle, mais encore pour la non-répression des tendances agressives…
Cette histoire devrait servir de leçon à ceux qui récusent l’enseignement de l’Église au nom des “découvertes scientifiques modernes” de Sigmund Freud. Les vérités éternelles sorties de la bouche de Jésus-Christ triompheront toujours des prétendues sagesses à la mode, si séduisantes et si convaincantes qu’elles puissent bien apparaître au premier abord.


1 E.M. Thornton est l’auteur de Freud and cocaine – The Freudian Fallacy (Blond and Briggs Limited, Dataday House, Alexandra Road, London Sw 19 75 Z). Le lecteur francophone consultera avec intérêt le livre du Pr Gabriel Nahas : Freud, la cocaïne et le cerveau (Ed. F.-X. de Guibert, Paris, 1993).

2 Freud, Sigmund, Lettres à Wilhelm Fliess, trad. de l’allemand par Françoise Kahn & François Robert, Paris, PUF, 2006.

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