Maurice Allais avait prévu la crise économique (3ème partie)

Par Philippe Bourcier de Carbon

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« Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant. » (P. Le Prévost)

Le pouvoir financier au cœur de la crise de 20081)

Philippe Bourcier de Carbon2

Résumé : Quand survint la crise de l’été 2008, avec la faillite de la banque Lehman Brothers, il aurait fallu expliquer au public pourquoi la plongée des cours de la Bourse avait un impact sur l’économie réelle. C’était le point précis sur lequel le (seul) Prix Nobel français d’économie avait le plus contribué, par son analyse des facteurs psychologiques agissant sur la quantité de monnaie disponible. De plus, en 1999, Maurice Allais avait donné un ouvrage de vulgarisation intitulé : La Crise mondiale aujourd’hui : pour une profonde réforme des institutions financières et monétaires. Mais précisément, non content d’analyser les causes de la crise, Allais proposait aussi les remèdes, principalement le contrôle par l’État de la création monétaire. Il s’agissait donc d’une question politique majeure, touchant la nature même du pouvoir et de ses détenteurs. Dans cette troisième partie, la crise actuelle est comparée à la grande crise de 1929-1934, tant sont nombreuses et profondes les similitudes.

Esquissons maintenant ici les principales analyses et propositions du Professeur Maurice Allais concernant les mécanismes de la crise, bancaire, financière et économique qui a éclaté spectaculairement l’année dernière à partir des pratiques des grands acteurs financiers anglo-saxons, systématiquement confortées par leurs dirigeants politiques, et qui, dans le cadre d’une mondialisation financière anarchique que ces derniers se sont attachés à généraliser depuis les années 90, menace aujourd’hui de plonger le monde dans une catastrophe économique généralisée, voire sans précédent par ses dimensions.

Cette occasion est d’autant plus heureuse que les nombreux ouvrages et analyses du Prix Nobel français d’Économie sur la question, demeurent généralement trop méconnus, tant sa pensée se situe à contre-courant de la « pensée économiquement correcte » qui s’est aujourd’hui instaurée universellement sur la question.

Au cours de cette conférence, je ne saurais mieux faire que d’emprunter de larges passages au petit ouvrage de février 1999 du Prix Nobel français destiné au grand public « La Crise mondiale aujourd’hui » [7].

I – Introduction :

Selon George Soros, à la fois célèbre praticien professionnel des « Hedge Funds » ou « Fonds d’Arbitrage » et observateur qualifié du petit monde des principaux acteurs de la spéculation financière sur les places internationales, seigneurs actuels de la Super Classe mondiale, « le début de la crise financière actuelle peut être daté officiellement d’août 2007 », ainsi qu’il le déclare en introduisant la brève rétrospective chronologique des faits financiers significatifs3 par laquelle il ouvre son dernier ouvrage « La vérité sur la crise financière4 » [1].

Et de fait, quinze jours après la parution de son livre, le monde était frappé de stupeur et de panique devant la faillite déclarée le 15 septembre 2008, de la banque Lehman Brothers, l’un des principaux acteurs opérant sur les marchés financiers spéculatifs internationaux.

Il est en effet très significatif que George Soros lui-même conclut ainsi sa brève chronologie des faits, par cette déclaration que ne renierait pas Maurice Allais :

« Les marchés financiers comme les autorités de régulation ont mis beaucoup de temps à reconnaître que l’économie réelle serait inévitablement affectée. Cette réticence est difficile à comprendre. Pourquoi l’économie réelle, qui a été stimulée par l’expansion du crédit, devrait-elle ne pas subir les effets de son resserrement ? On a du mal à s’empêcher de penser que les autorités, comme les acteurs du marché, vivent sur des idées fausses quant à la façon dont celui-ci fonctionne, et que ces idées fausses sont à l’origine, non seulement de leur incapacité à comprendre ce qui se passe, mais encore des excès qui ont conduit aux turbulences actuelles.

Mon propos est de démontrer que le système financier international tout entier repose sur des bases erronées ». George Soros [3, page 28]

Nous rappellerons d’abord quelques constantes caractéristiques des situations qui précèdent toujours l’éclatement des grandes crises financières, comme celle de 1929-1934, avant de rappeler l’importance des principes de régulation destinée à les prévenir tel le Glass-Steagall Act, imposé le 16 juin 1933 par le Président Roosevelt, et révoqué le 12 novembre 1999 par le Président Clinton sous la pression tenace des dirigeants financiers anglo-saxons.

Après avoir résumé les analyses de Maurice Allais, nous présenterons les principes de la réforme radicale du crédit qu’il propose, et nous évoquerons brièvement l’accueil médiatique qui leur aura été réservé, principalement en France, pour terminer en guise de conclusion sur la confirmation de l’impuissance actuellement manifeste des dirigeants politiques à imposer des principes de régulation susceptibles de mettre un frein aux pratiques financières à l’origine de la crise.

Dans le monde de la finance tout continuera donc en 2010 – et de plus belle – comme avant ! La crise mondiale va donc encore se développer largement, et ses plus « beaux » jours sont encore – hélas – devant elle.

II – Rappel de la Grande Crise de 1929-1934 :

Maurice Allais résume dans son livre [7] les caractéristiques de la Grande Dépression.

« La crise de 1929 a été la conséquence de l’expansion déraisonnable des crédits boursiers qui l’a précédée aux États-Unis et de la montée extravagante des cours de Bourse qu’elle a suscitée. » Maurice Allais [7]

Et Maurice Allais résume ainsi les événements :

« La hausse des cours et leur effondrement.»

Aux États-Unis, l’indice Dow Jones des valeurs industrielles est passé de 121 le 2 janvier 1925 à 381 le 3 septembre 1929, soit une hausse de 215 % en quatre ans et huit mois. Il s’est effondré à 230 le 30 octobre, soit une baisse de 40 % en deux mois correspondant pour certaines actions à des baisses bien plus grandes encore.

L’indice Dow Jones n’a atteint son minimum de 41,2 que le 8 juillet 1932, soit une baisse de 89 % en trois ans. Il n’a retrouvé son cours du 2 janvier 1925 que le 24 juin 1935, et son cours du 3 septembre 1929 que le 16 novembre 1954.

La baisse des cours de Bourse de 1929 à 1932, avec toutes ses séquelles, représente probablement un des plus spectaculaires effondrements d’une hausse spéculative des cours que le monde ait jamais connus.

Tant que la Bourse a monté, ceux qui achetaient, le plus souvent à crédit, voyaient leurs prévisions confirmées le lendemain par la hausse des cours, et jour après jour la hausse venait justifier les prévisions de la veille.

La hausse s’est poursuivie jusqu’à ce que certains opérateurs aient été amenés à considérer que les actions étaient manifestement considérablement surévaluées, et ils se sont mis à vendre, voire même à spéculer à la baisse.

Dès que les cours n’ont plus monté, ils ont commencé à baisser, et la baisse a alors justifié la baisse, en entraînant à sa suite un pessimisme généralisé. La baisse ne pouvait plus alors que s’amplifier.

Une hausse des cours de bourse démesurée au regard de l’économie réelle :

À la veille même du Jeudi noir du 24 octobre 1929, où le Dow Jones est tombé à 299, en baisse de 22 % depuis son maximum de 381 du 3 septembre 1929, la presque totalité des meilleurs économistes, dont par exemple le grand économiste américain Irving Fisher, considérait que la hausse de la Bourse américaine était parfaitement justifiée par la prospérité de l’économie, la stabilité générale des prix et les perspectives favorables de l’économie américaine.

Cependant, à première vue, la hausse des cours de Bourse de 215%, de 1925 à 1929, apparaît incompréhensible au regard de l’évolution de l’économie américaine, en termes réels. En effet, de 1925 à 1929, en quatre ans, le produit national brut réel ne s’était élevé que de 13 %, la production industrielle de 21 % seulement, et le taux de chômage était resté stationnaire au niveau de 3 %. Dans la même période, le produit national brut nominal ne s’était élevé que de 11 % ; le niveau général des prix avait baissé de 2% ; la masse monétaire (monnaie en circulation plus dépôts à vue et à temps) ne s’était élevée que d’environ 11%5.

Cependant, de janvier 1925 à août 1929, la vitesse de circulation des dépôts dans les banques américaines à New York s’était élevée de 140 %.

C’est cette augmentation de la vitesse de circulation des dépôts dans les banques de New York qui a permis l’augmentation des cours de Wall Street6.

La dépression :

La vague de pessimisme que le krach boursier de 1929 a engendrée, a entraîné, de 1929 à 1932, une contraction d’environ 20 % de la masse monétaire et d’environ 30 % des dépôts bancaires7. Dans le même temps, la Federal Reserve essayait, mais vainement, de s’opposer à cette contraction en accroissant la monnaie de base de 9%.

Les spéculateurs, qui avaient acheté des actions avec des fonds empruntés à court terme, se sont vus contraints d’emprunter à nouveau à des taux d’intérêt très élevés, voire à vendre à n’importe quel prix pour faire face à leurs engagements. Des retraits massifs de certains dépôts ont entraîné les faillites d’un grand nombre de banques8, d’où une contraction accrue de la masse monétaire.

Ce pessimisme, ce climat de détresse et cette contraction de la masse monétaire ont entraîné une diminution du produit national brut nominal de 44%, du produit national brut réel de 29%, de la production industrielle de 40%, et de l’indice général des prix de 21%.

Le taux de chômage est passé de 3,2 % en 1929 à 25 % en 1933, soit 13 millions de chômeurs9, pour une population active de 51 millions. La population totale des États-Unis n’était alors que d’environ 120 millions.

Un endettement excessif :

La Grande Dépression a été considérablement aggravée dans son déroulement par le surendettement qui s’était développé avant le krach boursier de 1929, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis.

• À l’intérieur des États-Unis, le montant global des dettes des particuliers et des entreprises10, correspondant en grande partie à des crédits bancaires, s’était considérablement accru de 1921 à 1929. En 1929, il représentait environ 1,6 fois le produit national brut américain. Au regard de la baisse des prix et de la diminution de la production au cours de la Grande Dépression, le poids de ces dettes s’est révélé insupportable.

Parallèlement, de 1921 à 1929, l’endettement de l’État fédéral et celui des États et des municipalités s’étaient également considérablement accrus. En 1929, ils représentaient respectivement environ 16,3 % et 13,2 % du PNB américain11.

À l’extérieur des États-Unis, le montant des réparations dues par l’Allemagne avait été fixé en 1921 à 33 milliards de dollars, représentant environ 32% du PNB américain en 1929. Au titre des dettes de guerre, les nations européennes devaient aux États-Unis environ 11,6 milliards de dollars, représentant environ 11% du PNB américain.

Enfin, des prêts privés, principalement bancaires, avaient été consentis, principalement à l’Allemagne, pour un montant global de 14 milliards de dollars en 1929, représentant environ 13,5 % du PNB américain.

Les dettes de guerre s’étaient révélées impayables. L’Allemagne n’avait pu s’acquitter que très partiellement de ses obligations, et cela principalement avec des fonds empruntés.

Le développement de la Grande Dépression a été considérablement aggravé par les charges de toutes ces dettes et par les mouvements internationaux de capitaux à court terme qui en ont résulté, par suite des interdépendances complexes de toutes sortes entre les économies européennes et l’économie américaine. En fait, toutes ces dettes ont dû être réduites et rééchelonnées au cours de la Grande Dépression.

Des mouvements massifs de capitaux et des dévaluations compétitives :

À partir des États-Unis, la « Grande Dépression » s’est étendue dans tout l’Occident, générant partout l’effondrement des économies, le chômage, la misère et la détresse.

À la suite de l’abandon de l’étalon or, en septembre 1931, par la Grande-Bretagne, se sont succédé des dévaluations en chaîne. La plus spectaculaire a correspondu à l’abandon de l’étalon or par les États-Unis en avril 1933.

Toute cette période peut se caractériser à la fois par des spéculations sur les monnaies, des mouvements massifs de capitaux, des dévaluations compétitives et des politiques protectionnistes des différents pays pour essayer de se protéger des désordres extérieurs.

Finalement, vers la fin de 1936, les relations de change entre les principales monnaies n’étaient pas très différentes de ce qu’elles étaient en 1930, avant que le cycle des dévaluations n’eût commencé ». Maurice Allais [7].

III – Pourquoi l’effondrement des cours de la Bourse a-t-il entraîné celui de l’économie réelle ? L’analyse d’Allais répondant à la question de George Soros :

Maurice Allais, dont les travaux ont – singulièrement depuis les années 60 – révolutionné l’analyse de la dynamique monétaire [2, 4], a su, par son analyse de la notion psychologique d’« encaisse désirée », mettre en évidence et quantifier l’importance déterminante de l’effet de la psychologie collective sur les fluctuations monétaires.

Il commente ces événements financiers en résumant ainsi son expertise  dans son ouvrage de 1999 [7] :

« Facteurs psychologiques et facteurs monétaires. »

Si la hausse des cours de Bourse, de 1925 à 1929, a quelque chose d’incompréhensible au regard de l’évolution de l’économie américaine en termes réels pendant la même période, la baisse de l’activité économique en termes réels, de 1929 à 1932, n’en apparaît pas moins aussi étonnante, au moins à première vue. Comment est-il donc possible que la chute des cours boursiers ait pu induire par elle-même une telle diminution de l’activité économique ?

En réalité, ces deux phénomènes, qui à première vue apparaissent quelque peu paradoxaux, s’éclairent parfaitement dès que l’on considère à la fois les facteurs psychologiques et les facteurs monétaires.

Lorsque la conjoncture est favorable, les encaisses désirées12 diminuent et, de ce fait, la dépense globale augmente. Lorsqu’elle est défavorable, les encaisses désirées augmentent et la dépense globale diminue13. De même, la croyance dans la hausse suscite la création ex nihilo de moyens de paiements bancaires et l’appréhension de la baisse engendre la destruction des moyens de paiement antérieurement créés ex nihilo14.

La hausse entraîne la hausse et la baisse entraîne la baisse. Pour les spéculateurs à la hausse ou à la baisse des actions, ce n’était pas les « fondamentaux » qui étaient considérés, mais c’était l’appréciation psychologique de ce que les autres allaient faire.

La grande dépression de 1929-1934 et le mécanisme du crédit :

L’origine et le développement de la Grande Dépression de 1929-1934 représentent certainement la meilleure illustration que l’on puisse donner des effets nocifs du mécanisme du crédit :

la création de monnaie ex nihilo par le système bancaire ;

la couverture fractionnaire des dépôts ;

le financement d’investissements à long terme par des fonds empruntés à court terme ;

le financement de la spéculation par le crédit;

et les variations de la valeur réelle de la monnaie et de l’activité économique qui en résultent.

L’ampleur de la crise de 1929 a été la conséquence inévitable de l’expansion déraisonnable des crédits boursiers qui l’a précédée aux États-Unis et de la montée extravagante des cours de Bourse qu’elle a permise, sinon suscitée.

Au regard de la prospérité de l’économie et de la montée des cours jusqu’en 1929, le diagnostic de l’opinion dominante était aussi général qu’affirmatif. Il s’agissait d’une « New Era », d’une nouvelle ère de prospérité générale, qui s’ouvrait au monde entier.

Cependant, l’analyse qui précède montre avec quelle prudence on doit considérer la prospérité d’une économie en termes réels, dès lors que se développent des déséquilibres potentiels, à première vue mineurs en valeur relative, mais susceptibles d’entraîner, lorsqu’ils se concrétisent et se cumulent, de profondes modifications de la psychologie collective.

Rien de fondamentalement nouveau dans la crise de 1929 :

Ce qui, pour l’essentiel, explique le développement de la New Era, aux États-Unis et dans le monde, dans les années qui ont précédé le krach de 1929, c’est l’ignorance, une ignorance profonde de toutes les crises du XIXème siècle et de leur signification réelle.

La crise de 1929-1934 n’était en fait qu’une répétition particulièrement marquée des crises qui s’étaient succédées au XIXème siècle15, et dont celle de 1873-1879 fut sans doute l’une des plus significatives :

En fait, toutes les grandes crises des XVlIIème, XIXème et XXème siècles ont résulté du développement excessif des promesses de payer et de leur monétisation16 17.

Partout et à toute époque, les mêmes causes génèrent les mêmes effets et ce qui doit arriver arrive. » Maurice Allais [7]

Toujours selon Maurice Allais, en effet [7] :

« La crise mondiale d’aujourd’hui et la Grande Dépression. » De profondes similitudes :

• De profondes similitudes apparaissent entre la crise mondiale d’aujourd’hui et la Grande Dépression de 1929-1934 :

la création et la destruction de moyens de paiement par le système du crédit,

le financement d’investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme,

le développement d’un endettement gigantesque,

une spéculation massive sur les actions et les monnaies,

un système financier et monétaire fondamentalement instable.

Cependant, des différences majeures existent entre les deux crises. Elles correspondent à des facteurs fondamentalement aggravants.

• En 1929, le monde était partagé entre deux zones distinctes : d’une part, l’Occident, essentiellement les États-Unis et l’Europe et, d’autre part, le monde communiste, la Russie soviétique et la Chine. Une grande part du tiers-monde d’aujourd’hui était sous la domination des empires coloniaux, essentiellement ceux de la Grande-Bretagne et de la France.

Aujourd’hui, depuis les années 70, une mondialisation géographiquement de plus en plus étendue des économies s’est développée, incluant les pays issus des anciens empires coloniaux, la Russie et les pays de l’Europe de l’Est depuis la chute du Mur de Berlin en 1989. La nouvelle division du monde se fonde sur les inégalités de développement économique.

Il y a ainsi entre la situation de 1929 et la situation actuelle une différence considérable d’échelle, c’est le monde entier qui actuellement est concerné.

• Depuis les années 70, une seconde différence, majeure également et sans doute plus aggravante encore, apparaît relativement à la situation du monde de 1929.

Une mondialisation précipitée et excessive a entraîné par elle-même des difficultés majeures. Une instabilité sociale potentielle est apparue partout, une accentuation des inégalités particulièrement marquée aux États-Unis, et un chômage massif en Europe occidentale.

La Russie et les pays de l’Europe de l’Est ont rencontré également des difficultés majeures en raison d’une libéralisation trop hâtive.

Alors qu’en 1929 le chômage n’est apparu en Europe qu’à la suite de la crise financière et monétaire, un chômage massif se constate déjà aujourd’hui au sein de l’Union européenne, pour des causes très différentes, et ce chômage ne pourrait qu’être très aggravé si la crise financière et monétaire mondiale d’aujourd’hui devait se développer.

• En fait, on ne saurait trop insister sur les profondes similitudes, tout à fait essentielles, qui existent entre la crise d’aujourd’hui et les crises qui l’ont précédée, dont la plus significative est sans doute celle de 1929. Ce qui est réellement important, en effet, ce n’est pas tant l’analyse des modalités relativement complexes, des « technicalities » de la crise actuelle, qu’une compréhension profonde des facteurs qui l’ont générée.

De cette compréhension dépendent, en effet, un diagnostic correct de la crise actuelle et l’élaboration des réformes qu’il conviendrait de réaliser pour mettre fin aux crises qui ne cessent de ravager les économies depuis au moins deux siècles, toujours de plus en plus fortes en raison de leur extension progressive au monde entier.

La création et la destruction de moyens de paiement par le mécanisme du crédit :

Fondamentalement, le mécanisme actuel du crédit aboutit à une création de moyens de paiement ex nihilo, car le détenteur d’un dépôt auprès d’une banque le considère comme une encaisse disponible, alors que, dans le même temps, la banque a prêté la plus grande partie de ce dépôt qui, redéposée ou non dans une banque, est considérée comme une encaisse disponible par son récipiendaire.

À chaque opération de crédit il y a ainsi duplication monétaire. Au total, le mécanisme du crédit aboutit à une création de monnaie ex nihilo par de simples jeux d’écriture18. Reposant essentiellement sur la couverture fractionnaire des dépôts, il est fondamentalement instable.

Le volume des dépôts bancaires dépend en fait d’une double décision, celle de la banque de s’engager à vue et celle des emprunteurs de s’endetter. Il résulte de là que le montant global de la masse monétaire est extrêmement sensible aux fluctuations conjoncturelles. Il tend à croître en période d’optimisme et à décroître en période de pessimisme, d’où des effets déstabilisateurs.

En fait, il est certain que, pour la plus grande part, l’ampleur de ces fluctuations résulte du mécanisme du crédit et que, sans l’amplification de la création (ou de la destruction) monétaire par la voie bancaire, les fluctuations conjoncturelles seraient considérablement atténuées, sinon totalement supprimées19.

De tout temps, on a pu parler des « miracles du crédit ». Pour les bénéficiaires du crédit, il y a effectivement quelque chose de miraculeux dans le mécanisme du crédit puisqu’il permet de créer ex nihilo un pouvoir d’achat effectif qui s’exerce sur le marché, sans que ce pouvoir d’achat puisse être considéré comme la rémunération d’un service rendu.

Cependant, autant la mobilisation d’« épargnes vraies » [c’est-à-dire l’abandon pour un temps d’un pouvoir d’achat réel acquis en rémunération d’un service économique ou d’un bien réel] par les banques pour leur permettre de financer des investissements productifs est fondamentalement utile, autant la création de « faux droits » par la création monétaire [résultant d’une duplication de pouvoir d’achat par un jeux d’écritures bancaires] est fondamentalement nocive, tant du point de vue de l’efficacité économique qu’elle compromet par les distorsions de prix qu’elle suscite que du point de vue de la distribution des revenus qu’elle altère et rend inéquitable.

Le financement d’investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme :

Par l’utilisation des dépôts à vue et à court terme de ses déposants, l’activité d’une banque aboutit à financer des investissements à moyen ou long terme correspondant aux emprunts qu’elle a consentis à ses clients. Cette activité repose ainsi sur l’échange de promesses de payer à un terme donné de la banque contre des promesses de payer à des termes plus éloignés des clients moyennant le paiement d’intérêts.

Les totaux de l’actif et du passif du bilan d’une banque sont bien égaux, mais cette égalité est purement comptable, car elle repose sur la mise en parallèle d’éléments de nature différente : au passif, des engagements à vue et à court terme de la banque ; à l’actif, des créances à plus long terme correspondant aux prêts effectués par la banque.

De là résulte une instabilité potentielle permanente du système bancaire dans son ensemble puisque les banques sont à tout moment dans l’incapacité absolue de faire face à des retraits massifs des dépôts à vue ou des dépôts à terme arrivant à échéance, leurs actifs n’étant disponibles qu’à des termes plus éloignés.

Si tous les investissements dans les pays sous-développés avaient été financés par les banques, grâce à des prêts privés d’une maturité au moins aussi éloignée, et si le financement des déficits de la balance des transactions courantes des États-Unis était uniquement assuré par des investissements étrangers à long terme aux États-Unis, tous les déséquilibres n’auraient qu’une portée beaucoup plus réduite, et il n’existerait aucun risque majeur.

Ce qui, par contre, est éminemment dangereux, c’est l’amplification des déséquilibres par le mécanisme du crédit et l’instabilité du système financier et monétaire tout entier, sur le double plan national et international, qu’il suscite. Cette instabilité a été considérablement aggravée par la totale libération des mouvements de capitaux dans la plus grande partie du monde. » Maurice Allais [7]

La création monétaire : Le banquier joue entre les flux entrants (dépôts nouveaux et retour de crédits consentis) et sortants (crédits consentis) en créant de la monnaie (de crédit bancaire ex nihilo) par duplication monétaire en accordant des crédits de plus long terme que les dépôts qui les couvrent. Autrement dit, il prête de l’argent qu’il ne possède pas dans ses caisses. Il prête en anticipant la rentrée de dépôts : ce sont les crédits qui font les dépôts. Banque centrale : Quand une banque (secondaire) manque de dépôts pour couvrir les retraits, elle se refinance auprès d’autres banques (marché interbancaire) ou, à défaut, auprès de la Banque centrale, prêteur en dernier ressort. La Banque centrale dispose de plusieurs instruments de régulation monétaire (taux d’intérêt, appel d’offres, prise en pension, réserves obligatoires, open-market).  
Création et destruction monétaires : « (…) C’est le principe fondamental de la création monétaire : si je fais un crédit papier de 100 et si je sais qu’une grande partie de ce crédit reviendra chez moi banquier, je peux multiplier le crédit bien au-delà du stock d’or dont je dispose. (…) Le mécanisme est décrit dans l’adage : « les prêts font les dépôts ». Le crédit fait les dépôts, il fait l’argent. Et non l’inverse ! Avis à ceux qui croient que l’épargne fait l’argent. Quel contresens ! (…) Mais la vraie garantie de la création monétaire, c’est l’anticipation de l’activité économique, du cycle production consommation. Encore faut-il que cette anticipation soit saine : toute création monétaire saine débouche sur une destruction monétaire équivalente. (…) Nous percevons mieux la nature de la monnaie : des dettes (des créances sur la banque émettrice) qui circulent. Des dettes qui, si elles sont saines, doivent, par l’activité économique, provoquer leur remboursement. Aujourd’hui, la monnaie est détachée de tout support matériel, on peut en créer à l’infini. » Bernard Maris, Anti-manuel d’économie, Éd. Bréal, oct. 2003, p. 219

Et Maurice Allais « enfonce le clou », en soulignant la spécificité essentielle de la situation contemporaine qui aggrave très fortement aujourd’hui la portée d’une crise systémique du système bancaire, financier et monétaire [7].

« Le développement d’un endettement gigantesque » :

À partir de 1974, le développement universel des crédits bancaires, et l’inflation massive qui en est résultée, ont abaissé pour une décennie les taux d’intérêt réels à des valeurs très faibles, voire négatives, génératrices à la fois d’inefficacité et de spoliation.

À des épargnes vraies se sont substitués des financements longs à partir d’une création monétaire ex nihilo. Les conditions de l’efficacité comme celles de l’équité s’en sont trouvées compromises. Le fonctionnement du système a abouti tout à la fois à un gaspillage de capital et à une destruction de l’épargne.

C’est grâce à la création monétaire que, pour une large part, les pays en voie de développement ont été amenés à mettre en place des plans de développement trop ambitieux, et à vrai dire déraisonnables, et à remettre à plus tard les ajustements qui s’imposaient, tant il est facile d’acheter, dès lors qu’on peut se contenter de payer avec des promesses de payer.

Par nécessité, la plupart des pays débiteurs ont été amenés à se procurer par de nouveaux emprunts les ressources nécessaires à la fois pour financer les amortissements et les intérêts de leurs dettes et pour réaliser de nouveaux investissements. Peu à peu, cependant, la situation est devenue intenable.

Parallèlement, l’endettement des administrations publiques des pays développés en pourcentage du produit national brut et la charge des intérêts en pourcentage des dépenses publiques ont atteint des niveaux difficilement supportables.

Une spéculation massive :

Depuis 1974, une spéculation massive s’est développée à l’échelle mondiale. La spéculation sur les monnaies et la spéculation sur les actions, les obligations et les produits dérivés en représentent deux illustrations significatives.

La substitution, en mars 1973, du système des changes flottants au système des parités fixes, mais révisables, a accentué l’influence de la spéculation sur les changes alimentée par le crédit.

Associé au système des changes flottants, le système du crédit tel qu’il fonctionne actuellement a puissamment contribué à l’instabilité profonde des taux de change depuis 1974.

Pendant toute cette période, une spéculation effrénée s’est développée sur les taux de change relatifs des principales monnaies, le dollar, le deutschemark et le yen, chaque monnaie pouvant être achetée à crédit contre une autre, grâce au mécanisme du crédit.

La spéculation sur les actions et les obligations a été tout aussi spectaculaire. À New York, et depuis 1983, se sont développés à un rythme exponentiel de gigantesques marchés sur les « stock-index futures », les « stock-index options », les « options on stock-index futures », puis les « hedge funds » et tous « les produits dérivés » présentés comme des panacées.

Ces marchés à terme, où le coût des opérations est beaucoup plus réduit que sur les opérations au comptant et où pour l’essentiel les positions sont prises à crédit, ont permis une spéculation accrue et généré une très grande instabilité des cours. Ils ont été accompagnés d’un développement accéléré de fonds spéculatifs, les « hedge-funds ».

En fait, sans la création de monnaie et de pouvoir d’achat ex nihilo que permet le système du crédit, jamais les hausses extraordinaires des cours de bourse que l’on constate avant les grandes crises ne seraient possibles, car à toute dépense consacrée à l’achat d’actions, par exemple, correspondrait quelque part une diminution d’un montant équivalent de certaines dépenses, et tout aussitôt se développeraient des mécanismes régulateurs tendant à enrayer toute spéculation injustifiée.

Qu’il s’agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, ou de la spéculation sur les produits dérivés, le monde est devenu un vaste casino.

Les tables de jeu y sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. Le jeu et les enchères, auxquelles participent des millions de joueurs, ne s’arrêtent jamais. Aux cotations américaines succèdent les cotations à Tokyo et à Hongkong, puis à Londres, Francfort et Paris.

Partout, la spéculation est favorisée par le crédit puisqu’on peut acheter sans payer et vendre sans détenir. On constate le plus souvent une dissociation entre les données de l’économie réelle et les cours nominaux déterminés par la spéculation.

Sur toutes les places, cette spéculation, frénétique et fébrile, est permise, alimentée et amplifiée par le crédit. Jamais dans le passé elle n’avait atteint une telle ampleur.

Un système financier et monétaire fondamentalement instable :

L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s’était constatée. Jamais sans doute il n’est devenu plus difficile d’y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n’était apparue avec une telle menace d’un effondrement général.

Toutes les difficultés rencontrées résultent de la méconnaissance d’un fait fondamental, à savoir qu’aucun système décentralisé d’économie de marchés ne peut fonctionner correctement si la création incontrôlée ex nihilo de nouveaux moyens de paiement permet d’échapper, au moins pour un temps, aux ajustements nécessaires. Il en est ainsi toutes les fois que l’on peut s’acquitter de ses dépenses ou de ses dettes avec de simples promesses de payer, sans aucune contrepartie réelle, directe ou indirecte, effective.

Devant une telle situation, tous les experts sont à la recherche de moyens, voire d’expédients, pour sortir des difficultés, mais aucun accord réel ne se réalise sur des solutions définies et efficaces.

Pour l’immédiat, la presque totalité des experts ne voient guère d’autre solution, au besoin par des pressions exercées sur les banques commerciales, les Instituts d’émission et le FMI, que la création de nouveaux moyens de paiement permettant aux débiteurs et aux spéculateurs de faire face au paiement des amortissements et des intérêts de leurs dettes, en alourdissant encore par là même cette charge pour l’avenir.

Au centre de toutes les difficultés rencontrées, on trouve toujours, sous une forme ou sous une autre, le rôle néfaste joué par le système actuel du crédit et la spéculation massive qu’il permet. Tant qu’on ne réformera pas fondamentalement le cadre institutionnel dans lequel il joue, on rencontrera toujours, avec des modalités différentes suivant les circonstances, les mêmes difficultés majeures. Toutes les grandes crises des XIXème et XXème siècles ont résulté du développement excessif des promesses de payer et de leur monétisation.

Particulièrement significative est l’absence totale de toute remise en cause du fondement même du système de crédit tel qu’il fonctionne actuellement, savoir la création de monnaie ex nihilo par le système bancaire et la pratique généralisée de financements longs avec des fonds empruntés à court terme.

En fait, sans aucune exagération, le mécanisme actuel de la création de monnaie ex nihilo par le crédit est certainement le « cancer » qui ronge irrémédiablement les économies de marchés de propriété privée. » Maurice Allais [7].

Bibliographie sommaire :

[1] – George Soros, La vérité sur la Crise financière, Denoël, 29 août 2008

[2] – Maurice Allais, Economie & Intérêt, 800 pages, première    édition en deux tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1947, réédition en un seul tome, 1175 pages, en mai 1998 aux Editions Clément Juglar, 62 avenue de Suffren, 75015 Paris, augmentée d’une nouvelle introduction de 265 pages, et de 111 pages d’appréciations publiées portant sur la première édition.

[3] – Maurice Allais, L’Impôt sur le Capital et la Réforme Monétaire, 1977, Editions Hermann, Paris, 370 pages, Seconde édition, Editions Hermann, 1988.

[4] – Maurice Allais, Les Fondements de la Dynamique Monétaire, Editions Clément Juglar, Paris, 2001, 1302 pages. Cet ouvrage reprend les principales contributions de l’auteur depuis 1952.

[5] – Maurice Allais, Pour l’Indexation, Editions Clément Juglar, 75015 Paris, 1990, 184 pages.

[6] – Maurice Allais, Pour la Réforme de la Fiscalité, Editions Clément Juglar, Paris, Août 1990, 131 pages

[7] – Maurice Allais, La Crise mondiale d’aujourd’hui : pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires, Editions Clément Juglar, Paris, Février 1999, 237 pages.

(À suivre : Les principes d’une réforme radicale du crédit)


1 Cette partie, ainsi que la suivante, correspondent à une conférence donnée le 18 octobre 2009 à Paris lors d’un colloque sur La responsabilité de la « Super classe mondiale » dans la Crise économique mondiale, organisé par le Club de l’Horloge. Les chiffres placés entre crochets, renvoient aux références bibliographiques listées en fin de communication.

2 Démographe, Président de l’AIRAMA, Alliance Internationale pour la Reconnaissance des Apports de Maurice Allais en Physique et en Economie, http://allais.maurice.free.fr/AIRAMA/Statuts.htm

3 En pages 13 à 28 de son livre [1]

4 George Soros, La vérité sur la Crise financière, Denoël, 29 août 2008.

5 La masse monétaire M1 (monnaie en circulation, plus dépôts à vue) s’était accrue de 3,8 % et la masse monétaire M2 (MI plus dépôts à temps) de 10,8%. La monnaie de base B (monnaie manuelle + dépôts auprès du Federal Reserve System) ne s’était accrue que de 0,9 %. Les différences M1-B et M2-B correspondant aux dépôts bancaires, ne s’étaient élevées que de 5,0 % et 12,8 %.

6 La dépense globale est en effet égale au produit de la masse monétaire par la vitesse de circulation.

7 En fait, la masse monétaire M1 a diminué de 21 % et la masse monétaire M2 de 23 %, les différences M1-B et M2-B diminuant respectivement de 31 % et 28 %.

8 Dans un système de couverture fractionnaire des dépôts, aucune banque de peut faire face à des retraits massifs. En 1931, 2.550 banques américaines ont fait faillite.

9 Pour aider les chômeurs, il n’y avait alors que la charité privée.

10 Consumer credit, mortgages, et corporate liabilities

11 Considérées indûment par les États-Unis comme de simples dettes commerciales.

12 Le concept d’« encaisse désirée» a été introduit au XIXème siècle par Léon Walras, puis repris par Jacques Rueff avant et après la Seconde Guerre mondiale. C’est essentiellement un concept psychologique dont la signification est très simple. L’encaisse désirée est l’encaisse en monnaie (billets et pièces, plus dépôts à vue) que l’on désire détenir au regard de la situation conjoncturelle.

Considérons par exemple un citoyen qui a un revenu de 40.000 francs par mois et qui détient une encaisse en billets de 1.000 francs et un dépôt à vue dans une banque de 10.000 francs, soit une encaisse de 11.000 francs :

Si la situation est normale, ses dépenses seront de 40.000 francs et son encaisse de 11.000 francs restera inchangée.

Si, par contre, il craint d’avoir à faire face à des risques en raison d’une crise, il pourra désirer augmenter son encaisse de 10.000 francs. Sa nouvelle dépense deviendra égale à son revenu de 40.000 francs diminué de l’augmentation de 10.000 francs de son encaisse désirée, soit 30.000 francs. Dans la nouvelle situation, son encaisse désirée, qui était précédemment de 11.000 francs deviendra égale à 21.000 francs.

Naturellement, si notre consommateur ne veut pas, ou ne peut pas, réduire ses dépenses, il pourra évidemment vendre une partie de son actif pour un montant de 10.000 francs. Mais alors l’acheteur de cet actif devra réduire ses propres dépenses de 10.000 francs.

Au total, la dépense globale de ces deux agents diminuera de 10.000 francs.

De là résulte cette propriété tout à fait essentielle : au cours d’une période donnée, la dépense globale dans l’économie diminue d’un montant égal à l’augmentation du montant global des encaisses désirées.

Inversement, la dépense globale augmentera d’un montant égal à la diminution des encaisses désirées.

13 La variation de la dépense globale D comporte deux éléments : le premier proportionnel à l’écart relatif entre le montant global des encaisses détenues M (égal à la masse monétaire) et le montant global des encaisses désirées Md (égal au montant des encaisses que l’ensemble des opérateurs désirent détenir) ; et le second égal à l’accroissement relatif de la masse monétaire M.

L’encaisse globale désirée dépend essentiellement de facteurs psychologiques. Dans une période d’optimisme, Md diminue et dans une période de pessimisme Md augmente. À toute diminution de Md correspond ainsi une augmentation de la dépense globale D, et à toute augmentation de Md correspond une diminution de la dépense globale D. La récession se trouve ainsi aggravée. (Allais, 1968, Monnaie et Développement. I. L’équation fondamentale de la dynamique monétaire, p. 83). [Un appendice dans le livre explique l’équation fondamentale de la dynamique monétaire.]

14 La création de monnaie scripturale dépend d’une double volonté, la volonté des banques de prêter, et la volonté des agents économiques d’emprunter. En temps de prospérité, cette double volonté existe et la monnaie scripturale augmente. En temps de récession, cette double volonté disparaît et la monnaie scripturale diminue.

15 Lors de la crise de 1837, le révérend Leonard Bacon déclarait dans son sermon du 21 mai : « A few months ago, the unparalleled prosperity of our country was the theme of universal gratulation. Such a development of resources, so rapid an augmentation of individual and public wealth, so great a manifestation of the spirit of enterprise, so strong and seemingly rational a confidence in the prospect of unlimited success, were never known before. But how suddenly has all this prosperity been arrested ! That confidence, which in modern times, and especially in our own country, is the basis of commercial intercourse, is failing in every quarter ; and all the financial interests of the country seem to be convulsed and disorganized. The merchant whose business… [was] conducted on safe principIes… [finds that] loss succeeds to loss, till he shuts up his manufactory and dismisses his laborers. The speculator who dreamed himself rich, finds his fancied riches disappearing like an exhalation… What more may stand before us… It is enough to know that this distress is hourly becoming wider and more intense…» (in Irving Fisher, Booms and Depressions, 1932).

16 Sur les crises du XIXème siècle, Clément Juglar écrivait déjà en 1860 : «Les crises commerciales sont le résultat d’altérations profondes dans le mouvement du crédit… Qu’est-ce que le crédit, le simple pouvoir d’acheter en échange d’une promesse de payer ? … La fonction d’une banque ou d’un banquier est d’acheter des dettes avec des promesses de payer… La pratique seule du crédit amène ainsi, par l’abus qu’on est porté à en faire, aux crises commerciales.

Le crédit est le principal moteur, il donne l’impulsion; c’est lui qui, par la signature d’un simple effet de commerce, d’une lettre de change, donne une puissance d’achat qui paraît illimitée… Ce qui favorise le développement des affaires et la hausse des prix, c’est le crédit… Chaque échange d’un produit donne lieu à une nouvelle promesse de payer… » » (in Clément Juglar. Des Crises commerciales et de leur retour périodique en France, en Angleterre et aux États-Unis (1862), 2ème édit., 1889).

17 J’ai présenté une analyse synthétique des relations de cause à effet de la dynamique monétaire dans l’Introduction à la deuxième édition de mon ouvrage Économie et intérêt, pp. 115-174. (Éd. Clément Juglar, 62, av.  de Suffren, Paris 15ème. Tél : 01.45.67.48.06). Pour une bibliographie étendue de mes analyses, voir pp. 116 et 117, 154 et 164-165.

18 Ce n’est qu’à partir de la publication en 1911 de l’ouvrage fondamental d’Irving Fisher, The purchasing power of money, qu’il a été pleinement reconnu que le mécanisme du crédit aboutit à une création de monnaie.

19 Comme les variations de la dépense globale dépendent à la fois de l’excès de la masse monétaire sur le volume global des encaisses désirées et des variations de la masse monétaire, le mécanisme du crédit a globalement un effet déstabilisateur puisqu’en temps d’expansion de la dépense globale la masse monétaire s’accroît alors que les encaisses désirées diminuent et qu’en temps de récession la masse monétaire décroît alors que les encaisses désirées s’accroissent.

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