Partager la publication "L’Année de Mattei et son “affaire”"
Fabrizio Cannone
Résumé : Le catholicisme tranquille, mais à la solidité granitique, du Pr Roberto de Mattei a donné lieu à de vives réactions au cours de l’année écoulée. Alors que son récent ouvrage sur l’histoire du dernier Concile ne rencontrait aucune critique de faits, de fond ou de méthode, les opposants recoururent aux attaques personnelles, en profitant d’une émission sur Radio Maria. De Mattei y avait déclaré que le récent tsunami au Japon était un châtiment divin, ce que de hautes autorités de l’Église avaient affirmé autrefois, lors des tremblements de terre de Lisbonne (1755) et de Messine (1908). Aussitôt l’Union des Athées lança une campagne de signatures à Rome pour demander sa démission de la vice-présidence du CNR. Roberto de Mattei se vit refuser, par le président du jury, la remise du Prix Aqui Storia qu’il venait de mériter pour son ouvrage ! Il se vit attaqué par des intellectuels catholiques, notamment par le P. Mucci dans la Civiltà Cattolica, considérant qu’un Dieu Amour ne saurait punir. On peut cependant se rassurer en constatant la faiblesse des arguments avancés, en guise de réponse, contre la personne de R. de Mattei et contre ses deux derniers ouvrages, ce qui, a contrario, démontre la cohérence et la pertinence de la vision biblique et chrétienne du monde.
Prémisses
On peut affirmer sans crainte d’erreur que l’année 2011 fut, en un sens … l’année de Mattei. De fait, il est étonnant de voir l’ampleur et la qualité des événements, positifs ou négatifs, voire glorieux, qui eurent pour protagoniste solitaire l’historien catholique et romain Roberto de Mattei : de l’attribution d’un prix et de l’exaltation publique, à la moquerie, à la menace et à la condamnation féroce. Mais procédons par ordre.
L’année de Mattei anticipe en réalité sur le calendrier, puisqu’elle commence en novembre 2010 avec la publication de sa désormais célèbre Histoire du Concile et de la période postconciliaire[1]..En un an à peine, l’ouvrage connut plusieurs éditions et réimpressions chez Lindau, et les traductions s’achèvent maintenant pour les principales langues européennes.
Seules les prochaines années, ou peut-être les décennies à venir, nous diront toute l’importance de cet ouvrage, unique jusqu’à présent, contenant une synthèse accessible mais érudissime sur l’ubi consistam[2]conciliaire. Attaqué par ceux qui aiment peu l’Église (ceux là ne voient pas sa souffrance aujourd’hui), l’ouvrage a été salué par les catholiques plus sensibles à l’orthodoxie et à l’orthopraxie (parmi eux se détachent les cardinaux Brandmüller, Piacenza et Burke, Mgr Luigi Negri, Mgr Brunero Gherardini, Mgr Augustin Di Noia, don Ennio Innocenti et beaucoup d’autres).
La deuxième phase de l’année de Mattei se plaça sous le signe de la croix et de l’humiliation. Suite à une impeccable catéchèse donnée sur Radio Maria le 16 mars, lors d’une émission dont le thème était l’idée toute théologique et biblique d’un châtiment divin pour nos péchés, une campagne de presse fut déclenchée par l’Union des Athées, avec pour objectif déclaré d’évincer de Mattei de la vice-présidence du Conseil National des Recherches (CNR). Ne s’étant même pas senti égratigné par l’arrogance et la suffisance de ceux qui, ne craignant pas Dieu, l’avaient insulté, des semaines durant, dans les principaux journaux italiens (La Repubblica, La Stampa, le Corriere della Sera, Avvenire…), l’intellectuel catholique resta alors stupéfait devant l’absence (presque) totale d’une défense, non pas de sa personne mais de la vision chrétienne de Dieu comme le juste Juge, vision alors ridiculisée dans les médias. Sans commentaire ! Le fait est que des éléments de pointe de l’herméneutique de la discontinuité ou, mieux, du modernisme catholique, ont uni leurs voix, non pour secourir celui qui croulait sous les rigueurs de l’Inquisition athée, mais pour appuyer les penseurs mondains qui se moquaient de l’enfer et du debitum peccati.[3]
Alors que l’Union des Athées collectait des signatures contre la vision catholique traditionnelle représentée par de Mattei, une petite phalange de théologiens et de militants chrétiens descendirent dans l’arène pour défendre l’existence de Dieu et de sa Providence, le châtiment des méchants, bref le christianisme.
Leurs interventions, ainsi qu’une nouvelle clarification faite par de Mattei, toujours sur Radio Maria, le 20 avril, furent rassemblées dans un opuscule publié en octobre 2011[4]. Ici encore, le cas de de Mattei a permis de sonder les cœurs et a révélé le taux d’hétérodoxie parmi les intellectuels catholiques.
Comme le dit un adage italien, le démon (bien représenté dans cette affaire par les sans-Dieu) prépare la marmite (ou ici : organise les recueils de signatures et la campagne de presse), mais ne met pas le couvercle (c’est-à-dire qu’il finit toujours par perdre !). C’est ainsi qu’en ce même mois d’octobre 2011, l’intellectuel romain, alors victime d’attaques convergentes de laïcistes cohérents et de catholiques pédants, reçut le prix Aqui Storia, la plus haute distinction nationale pour un livre de recherche historique. Mais ici encore ne manquèrent ni les polémiques ni de nouvelles croix à porter pour le professeur et pour ceux qui l’estiment. En effet, le président du jury, donnant un monumental exemple d’hypocrisie libérale, refusa de remettre le Prix au lauréat, au motif que son livre serait « partisan »… Et refuser de remettre un Prix dûment attribué, ce ne serait pas se montrer partisan ?
Pour finir, la dernière victoire de l’historien fut la sortie d’un nouvel ouvrage, apologétique et très clair, dans lequel il répond aux critiques sur sa lecture du Concile. Ces pages montrent non tant le caractère fondé de son analyse (qu’on pourra toujours compléter et qui ne jouit certainement pas d’une infaillibilité ex cathedra) que sa légitimité absolue, légitimité à la fois historique et théologique[5]. Ce dernier texte, comparé au “livre-événement” sur le concile Vatican II, est plus simple, plus facile à lire et peut aussi être lu avec fruit indépendamment du premier.
Il est à noter que de Mattei a produit une nouvelle reconstitution du Concile, fondée sur une documentation historique irréprochable, et c’est bien pour cette raison qu’il n’a pas reçu de contestations proprement historiques, mais seulement idéologiques, à savoir dictées par des étiologies révolues.
À la fin, incapables de réfuter les documents produits – et certes nullement inventés – par de Mattei, certains critiques, comme Melloni et Mgr Marchetto, ont tronqué sa lecture du Concile, affirmant que tout ou partie ne serait pas en conformité avec celle donnée par Benoît XVI. Mais cela ne prouve rien, car le même Benoît XVI, par son grand amour du sens critique et de l’herméneutique du Magistère, a plusieurs fois, au moins en tant que Cardinal, mis en lumière les insuffisances de tel ou tel Pasteur de l’Église, tant dans ses actes de gouvernement que dans les aspects « pastoraux » de son Magistère lui-même. De Mattei, par conséquent, dans cette Apologie de la Tradition, se fondant sur d’éminents historiens catholiques, comme Pastor (1854-1928), le cardinal Hergenröther (1824-1890), et sur des théologiens renommés (Cano, Scheeben, Billot, Journet, etc.), montre qu’une certaine critique historico-théologique de l’Église est un devoir plus que légitime. Selon Léon XIII, par exemple, « l’historien de l’Église sera d’autant plus efficace pour faire reconnaître son origine divine [de l’Église], supérieure à tout concept d’ordre purement terrestre et naturel, qu’il sera plus loyal en ne dissimulant aucune des souffrances que les erreurs de ses fils, et parfois même de ses ministres, ont provoquées au fil des siècles à cette Épouse du Christ» (citation de l’encyclique Diuturnum illud de 1899, qui s’y trouve p. 12. Souligné par nous).
Pour certains catholiques, auxquels il arrive de vouloir réformer l’Église dans le sens d’un relativisme mondain, tout en elle serait discutable (dogmes, doctrine définie, sacrements, Tradition, Écritures, Magistère), mais jamais les choix pastoraux, pourtant liés à des opinions, choix simplement indicatifs et certainement pas de fide.
En réalité, de Mattei, pour sa part, contribue à réveiller un monde catholique qui semblait blasé et ennuyé de la tournure prise par le « peuple de Dieu » depuis le Concile.
Pour cette raison, ceux qui veulent une Église du silence éternel, soumise non à Dieu mais au monde et à l’homme, se sont mis à l’attaquer comme le bouc émissaire de la Tradition biblique.
Mais précisément, les croix que le savant historien a portées en 2011, avec la foi et l’humilité qui furent les siennes, montrent encore mieux où se trouvent la vérité et le véritable amour du Christ et de sa Sainte Église…
“L’affaire” de Mattei
Il ne sera nul besoin de retracer tout le brouhaha qui a été déclenché suite à l’émission radiodiffusée donnée par le professeur Roberto de Mattei sur la possibilité et la légitimité théologique d’une punition divine. Les profondes réflexions de l’historien romain étaient occasionnées par le tsunami qui venait de frapper le Japon (en mars 2011) quelques jours avant l’émission, mais – on le verra par les quelques extraits cités – elles portaient bien au-delà de ce tragique événement.
Les attaques contre de Mattei provenaient de deux fronts différents : d’une part, le front laïque, dont l’expression la plus radicale et la plus célèbre fut la collecte de signatures promue par l’Union des Athées en vue d’éloigner l’intellectuel catholique du CNR. L’autre front contre de Mattei fut formé par certains milieux catholiques dissidents ou de la discontinuité (Avvenire, Adista, etc.) qui attaquèrent de Mattei sur un ton peut-être moins virulent, mais avec encore plus d’absence de scrupules. Les premiers avaient prétendu, en substance, qu’un catholique déclarant publiquement que « Dieu punit » était incompatible avec la démocratie, la modernité et la laïcité, et devrait donc être exclu par les Institutions publiques (avec lancement d’une nouvelle chasse à l’hérétique où, cette fois-ci, ce sont des hérétiques qui persécutent des croyants orthodoxes).
Le deuxième front, « catholique-moderne », a porté à de Mattei une critique différente mais comme “en miroir” : à l’entendre, les positions exprimées sur Radio Maria seraient erronées et incompatibles avec la foi catholique (du moins la foi mise au goût du jour ou, ce qui est implicite dans ce discours, « post-conciliaire »).
Pour les laïcistes, de Mattei et – peut-on le supposer – tous ceux qui pensent comme lui, doivent être bannis de l’État (pour leur opposition au faux dogme de la tolérance de toutes les différences) ; pour les « catholiques-modernes » quiconque affirme que « Dieu punit » doit être, sinon banni de l’Église, du moins réduit au silence et relégué dans un coin (comme celui qui va à l’encontre des idées de la communauté religieuse à laquelle il appartient) ; en tout cas, il doit être réprimandé publiquement pour avoir trahi le message chrétien de l’Évangile.
Parmi toutes les voix du front « catholique moderne », la plus autorisée fut celle du P. Giandomenico Mucci, exprimée dans la revue des jésuites, La Civiltà Cattolica, le 21 mai 2011[6].
Je dois préciser ici, qu’étant abonné à cette revue depuis plusieurs années, j’y ai lu de nombreux articles du P. Mucci et les ai généralement trouvés utiles et intéressants. Toujours bien informés sur les controverses journalistiques que le père suit avec passion – on le voit aux fréquentes citations des quotidiens laïques de diverses tendances –, ses articles sont souvent marqués par un sain anticonformisme, refusant par exemple l’emprise de cette laïcité nouvelle toujours plus invasive et oppressante. J’aime encore le fait que le père traite souvent de spiritualité, sans pour cela suivre à n’importe quel prix le mythe de la théologie dite »scientifique ». Lui et moi avons aussi un ami commun et, lors de mes fréquentes consultations à la bibliothèque de la Villa Malta, à Rome, là où résident les rédacteurs de la Civiltà, j’eus également plusieurs occasions de m’entretenir avec le père. Tout cela date maintenant de quelques années… Mais je tenais à le préciser pour prévenir cette critique absurde selon laquelle je serais nourri de préjugés envers cet auteur, ce prêtre, ce jésuite, alors qu’en réalité, pour toutes les raisons susdites, et en tant que catholique, je le regarde a priori d’unœil favorable et sans suspicion.
Malheureusement, son article sur le cas de Mattei représente admirablement le pire de cette “herméneutique de la discontinuité” qui, malgré les critiques bien connues de Benoît XVI, non seulement persiste dans ses déclarations ambiguës et contradictoires, mais se montre plus vivante et florissante que jamais, en particulier au sein d’un certain catholicisme savant (revues théologiques, Académies, Universités pontificales, etc.).
Cet article du P. Mucci, de par le simplisme, le réductionnisme, l’imprécision et la théologie déformée sur la Tradition qu’il contient et reflète, restera exemplaire de cette herméneutique qui ne lit pas le concile Vatican II à la lumière de la Tradition, mais fait l’inverse, et qui, au fond, au lieu de lire le monde à la lumière de l’Évangile du Christ, relit l’Évangile à la lumière de la pensée humaine et mondaine.
L’article que nous examinons ici est composé de 6 pages et de 12 notes de peu de valeur probante. Il n’est pas particulièrement long, même pour la Civiltà qui accueille souvent des textes deux ou trois fois plus étendus, et ressemble davantage à un »papier » journalistique qu’à un essai théologique. Pour plus de clarté, nous en résumerons les thèses et l’analyserons, après avoir fait la synthèse de ce qu’a vraiment exposé le Pr de Mattei.
Qu’a donc dit de si grave le Pr de Mattei, ce 16 mars 2011 sur Radio Maria ?
La conférence de de Mattei sur le problème du mal dans le monde fut[7], nous pouvons maintenant mieux la saisir au-delà des controverses engendrées, une véritable lectio magistralis donnée par un intellectuel véritablement catholique et, oserai-je dire, profondément enraciné dans la Bible. Elle fut complétée par l’historien lors d’une nouvelle intervention donnée sur Radio Maria le 20 avril suivant[8].
Vraisemblablement, l’article du P. Mucci était déjà rédigé avant que de Mattei ne participe à cette seconde émission radio, mais cela n’exonère pas le père jésuite de s’être gravement trompé dans l’interprétation des propos tenus lors de la première. L’historien catholique était parti de deux faits d’actualité : le séisme au Japon, entraînant le tsunami, et l’assassinat, le 2 mars 2011, du ministre pakistanais Shahbaz Bhatti, un catholique.
« Dans les deux cas, nous sommes confrontés au problème de la souffrance et du mal.Mais avec une différence fondamentale : la souffrance qui suit les catastrophes naturelles, comme au Japon, est indépendante de la volonté de l’homme ; celui-ci la subit et ne la choisit pas. La souffrance de ceux qui sont persécutés, en revanche, ne vient pas de maux physiques provenant des forces de la nature, mais résulte d’actes posés par d’autres hommes » (p. 6). Si dans l’assassinat du ministre, il y a un acte gravement immoral, ce n’est pas le cas dans le tremblement de terre « parce que le séisme vient de la nature, qui est bonne en soi[9], créée par Dieu ; et si Dieu permet les tremblements de terre et autres malheurs, il en existe des raisons que Lui connaît et que nous ignorons » (p. 6).
Nous devons donc éviter le mal qui dépend de nous – et pour cela il suffit de suivre la loi divine – et accepter le mal qui ne dépend pas de nous : ce dernier pourrait évidemment être empêché par Dieu, mais il ne l’est pas toujours. Pourquoi donc ? Apparaît ici toute la vision catholique de la Providence, de l’inexistence du hasard (par rapport à la prescience divine) et la possibilité que Dieu tire le bien du mal. Et pas n’importe quel bien, mais un bien plus grand que celui qui serait advenu si n’avait pas été permis un mal imputable à celui qui en est l’artisan. Selon la splendide formule de de Mattei: « La grandeur de la divine Providence se manifeste surtout dans la capacité de Dieu à tirer le bien du mal physique et moral dans l’univers, d’un mal qu’il n’a pas causé, mais qu’il permet dans un but plus élevé. » (p. 7)
Ici, l’historien passe en revue certains événements historiques importants, tels que le tremblement de terre de Lisbonne et celui de Messine, qui eurent lieu au XVIIIe et au XIXe siècles, et ce, pour montrer en parallèle l’attitude propre de qui a la foi et de qui ne l’a pas. « Le 1er Novembre 1755, un séisme de degré 9 sur l’échelle de Richter frappa Lisbonne, capitale du grand Empire portugais, et la rasa au sol. Lisbonne était alors l’un des centres les plus influents des Lumières européennes : on parla de châtiment divin et le grand esprit des Lumières, Voltaire, lança aussitôt un poème sur le désastre de Lisbonne, plein d’invectives contre l’idée d’une Providence divine.» (p. 8-9)
Suite au séisme qui détruisit Messine en 1908, l’évêque Horace Mazzella[10] (1860-1939), archevêque de Rossano Calabro, sut défendre l’idée catholique de la Providence. Suivant les paroles du prélat : «La catastrophe est un phénomène naturel, que Dieu était capable d’introduire dans son plan sur la création à des fins multiples, dignes de sa sagesse et sa bonté. Il a pu le faire pour atteindre une fin de même nature, obtenant par le moyen d’un cataclysme un bien physique plus général, comme lorsqu’une tempête, avec les dommages produits par le vent, purifie l’air ; il a pu le faire pour une fin d’ordre moral, comme par exemple aiguiser le génie de l’homme, le stimuler à l’étude de la nature pour mieux se défendre contre son pouvoir destructeur, et ainsi déterminer les progrès de la science ; il a pu le faire pour l’une de ces raisons pour lesquelles la foi nous dit qu’il l’a parfois fait, comme pour infliger une punition exemplaire à une ville ; il a pu le faire pour un but inconnu de nous » (p. 10). Ces réflexions de l’évêque, comme chacun peut le voir, sont pleines de calme, de bon sens, de foi…
De Mattei, en poursuivant, donne cette interprétation : « Maintenant, cette idée que Dieu, parfois, peut faire usage de grandes catastrophes pour atteindre une fin à la hauteur de sa justice, se retrouve à toutes les pages de la Bible. Que furent le Déluge, le feu tombé sur Sodome et Gomorrhe, et qu’est-ce qui ne s’est pas abattu sur Ninive, si ce n’est la punition divine ? » (p. 11)
La conclusion de de Mattei, qui cite encore Mgr Mazzella puis abondamment la Bible (par ex. Tobie 3,13 ; Nahum 1,7 ; Romains 5,12), est la suivante : «Une façon de rendre témoignage à la vérité consiste aussi à se rappeler que, derrière les grandes catastrophes naturelles dans l’histoire, se trouve toujours la Main sage et providentielle de Dieu. » (p. 19)
La seconde émission sur Radio Maria eut lieu après le déchaînement des vrais athées et des faux-frères dans la foi. De Mattei l’avait conçue comme une réponse organique aux accusations portées contre lui. Mais du fait que le P. Mucci n’en a pas tenu compte dans sa réplique, nous n’en rapporterons ici que les grands traits. De Mattei, historien mais aussi profond connaisseur de la théologie catholique classique, du Magistère et des Pères de l’Église, utilise le meilleur de la tradition catholique pour souligner la valeur de la Providence et la possibilité du châtiment, non seulement dans l’au-delà, avec l’enfer, mais même sur cette terre, appelée à bon droit une »vallée de larmes ». Les citations bibliques à l’appui sont notables et importantes, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament. Furent cités également saint Thomas d’Aquin et saint Augustin, docteurs de l’Église, le concile Vatican I et le Catéchisme de l’Église catholique (1992). Cités égalementJean XXIII (qui avait interprété le tremblement de terre de Messine en 1908 comme une punition), Jean-Paul II et Benoît XVI, saint Hannibal-Marie Di Francia, saint Louis Orione et sainte Faustine Kowalska. Ces trois derniers saints, canonisés par le bienheureux Jean-Paul II, ont admis, dans leurs différents écrits et sermons, la légitimité de la punition divine. Saint Hannibal-Marie avait prophétisé la destruction de Messine, qualifiant le tremblement de terre de «grand missionnaire» pour sa capacité à convertir les cœurs les plus endurcis.
Saint Louis Orione vit dans la catastrophe de 1908 une punition pour les péchés des impies. Dans son Journal, sainte Faustine, sœur apôtre de la divine Miséricorde, rappelle avec force les rigueurs de la Justice divine.
D’autre part, « Jean-Paul II nous rappelle qu’il y a des péchés qui crient vengeance à la face de Dieu, et le nouveau Catéchisme de l’Église catholique réaffirme quels sont ces péchés» (p. 37). La conclusion de de Mattei fut encore une fois à la hauteur (théologique) de toute l’affaire : « Qui n’a pas peur des punitions de Dieu est stupide, car il est privé de la crainte de Dieu qui est le commencement de la sagesse. Aujourd’hui, c’est la peur du monde ; nous nous plions aux lois du monde, mais il n’y a plus aucune crainte de Dieu, dont la loi est niée ou ignorée. » (p. 40)
Le point de vue d’un jésuite du XXIe siècle
Le P. Mucci s’est proposé de répondre aux « opinions personnelles d’un intellectuel catholique auxquelles la presse laïque a réagi avec une emphase excessive, comme s’il s’agissait de la pensée de l’Église» (p. 351)[11]. Sa volonté était de se limiter « à reprendre les termes essentiels du débat, avec l’intention d’exposer ce que l’Église enseigne vraiment sur cette question difficile et controversée» (p. 351). Selon le P. Mucci, la voix du Pr de Mattei ne représenterait pas, au moins dans ce cas précis, celle de l’Église, cette voix que, lui-même, au contraire, voudrait faire entendre. Il est dès lors étrange que dans son introduction, faisant un résumé des pour et des contre suscités par la (première) conférence sur Radio Maria, le père jésuite affirme que «les réactions au discours de de Mattei furent positives, surtout chez les catholiques attentifs aux éléments doctrinaux certains qui forment le substrat de ce discours : le péché originel dont les conséquences pénètrent toute l’histoire de l’humanité, la Rédemption, fruit du sacrifice du Christ, les souffrances des “innocents” mystérieusement assimilées à celles du divin Martyr du Calvaire. » (pp. 352-353)
Mais si de Mattei, dans son discours, a défendu ces dogmes aujourd’hui si négligés, alors il aurait plutôt fallu l’en louer, et non l’attaquer comme l’ont fait, selon le jésuite, Marco Tarquinio (directeur de L’Avvenire), Gianni Gennari (rédacteur régulier de ce quotidien) et d’autres auteurs que le P. Mucci ne nomme pas, ainsi le P. Raniero Cantalamessa ofm et le Fr. Enzo Bianchi.
Le P. Mucci est pourtant catégorique : « Sur chaque question ou problème, les croyances des savants catholiques [comme de Mattei] sont toujours et uniquement des opinions personnelles et privées. L’enseignement authentique du Magistère de l’Église est contenu dans sa documentation officielle. » (pp. 353-354)
En disant cela, il a parfaitement raison. Mais de Mattei, comme on l’a vu plus haut, a cité ad abundantiam la Bible, les Papes, les catéchismes approuvés et des saints canonisés (dont les écrits sont approuvés par les Pontifes eux-mêmes) ; il n’a jamais exprimé d’opinions personnelles.
Alors, que penser des nombreux maux physiques surgissant dans cet univers ayant pour Créateur et Pourvoyeur le Dieu très-Haut et très Bon ? Le P. Mucci, citant le Catéchisme, dit justement : «La foi nous donne la certitude que Dieu ne permettrait pas le mal [Il pourrait donc décider, s’Il le voulait, de ne pas l’empêcher ?] si de ce même mal ne survenait un bien, par des chemins que nous ne connaîtrons pleinement [on pourrait donc, en partie, en être déjà instruits ici-bas, comme le fut par ex. Mgr Mazzella ?] que dans la vie éternelle » (p. 355). Et qu’aurait donc dit de Mattei à l’encontre de ce principe ? Rien ! Mieux encore, il l’a lui-même réitéré à plusieurs reprises au cours des deux émissions radio et leur texte intégral – pour qui voudrait se le procurer – le montre sans aucun doute possible. Seulement, ce qui est clair chez de Mattei devient obscur chez Mucci : le professeur a parlé de »châtiment divin » (ce qui est un dogme de foi) ; le jésuite seulement de « permission du mal ». La différence est que Mucci veut cacher, semble-t-il, cette partie de la vérité qui blesse le plus nos contemporains, mais aussi celle qui pourrait peut-être le plus facilement, en les corrigeant, les convertir.
En outre, Mucci veux aller plus avant pour bien montrer au monde son total désaccord avec de Mattei et, par le fait même, en profiter pour rompre nettement avec tous ceux qui, durant les siècles chrétiens, ont admis la licéité de châtiments divins dès cette vie terrestre. En dresser ici la liste serait trop long, il suffira de rappeler les noms cités par Mattei : Augustin – et par lui les Pères de l’Église, Thomas – et à travers lui toute l’École, Jean XXIII, Jean-Paul II (qui, dans Evangelium Vitæ 8, rappelleque Dieu « venge celui qu’on a tué ») et Benoît XVI – et en eux tous les Papes, et enfin Grégoire le Grand, Hannibal-Marie Di Francia, don Orion et sœur Faustine – et, à travers eux, tous les saints…
Le P. Mucci trouve étrange l’idée d’une punition divine au Japon, et plus crédible (une fois admis le châtiment, qu’il récuse pourtant) une punition pour l’Europe « qui a oublié et méconnu sa vocation chrétienne. » (p. 355)
Thèse soutenable certes, mais qui ne porte pas atteinte à la légitimité de l’argumentation en béton de l’historien romain. Citant pour finir Mgr Lambiasi, dont l’autorité épiscopale pèse peu comparée aux autorités citées par de Mattei, le P. Mucci veut enlever toute idée de punition puisque, selon le prélat, «la souffrance n’a pas le sens d’une punition pour le péché (…). Le malheur n’a pas sa place dans le plan de Dieu, mais tout est grâce. » (p. 356)
Dans ce cas, comment faire lors des nouvelles éditions de la Bible? Adoptera-t-on un texte censuré ad usum Delphini ?
Conclusion
Le langage ambigu ou équivoque de tel ou tel texte du Magistère post-conciliaire a fourni prétexte à de nombreux théologiens pour bouleverser certains points déjà définis de la doctrine catholique, comme celui de la légitimité de la punition divine pour le péché. Combien en ce sens, ces dernières décennies, n’avons-nous pas vu d’abus d’interprétation et d’herméneutique ! Parfois, cependant, comme ce fut le cas ici, les partisans d’une relecture du message chrétien à la lumière des signes des temps entrent en collision avec ce passé qui ne passe pas, ou avec ces vérités de foi et de morale que Dieu lui-même ne changera jamais (et moins encore les autorités humaines).
Pour conclure brièvement, nous avons choisi, parmi tant de possibles, un unique passage du Magistère récent, et même post-Vatican II, tant il est clair, limpide et donne légitimation absolue au discours de de Mattei quand il plonge ses ennemis dans la honte absolue. Nous nous référons à la Constitution apostolique Indulgentiarum doctrina du pape Paul VI, datée du 1er janvier 1967[12]. Au n° 2, on peut lire textuellement ceci : « C’est une vérité divinement révélée que les péchés entraînent des peines infligées par la sainteté et la justice de Dieu, devant être expiées soit sur cette terre par les douleurs, les misères et les calamités de cette vie et surtout la mort[13], soit encore dans l’au-delà par le feu et les tourments ou par les souffrances purificatrices. »
[1] R. de MATTEI, Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta, Turin, Lindau, nov. 2010, 630 p., 38 €.
[2] L’essence, la substance du Concile.
[3] La dette contractée de par le péché.
[4] R. de MATTEI et alii, Il mistero del Male e i castighi di Dio, Vérone, Fede e Cultura, octobre 2011, 98 p., 10 €.
[5] R. de MATTEI, Apologia della Tradizione. Poscritto a il Concilio Vaticano II. Une storia mai, scritta, Turin, Lindau, novembre 2011, 170 p., 16 €.
[6] MUCCI sj., art. « La verità e lo scandalo », in CC, 2011 II, pp. 351-356. D’habitude, les titres de couverture de La Civiltà Cattolica sont différents des titres internes, mais, dans ce cas précis, le titre externe mis en évidence fut encore plus explicite et très sévère : « Le tsunami au Japon est-il un châtiment divin ? »
[7] Voir dans MATTEI, Il mistero del male e i castighi di Dio, Vérone, Fede e Cultura, 2011, pp. 6-19. L’ouvrage contient d’autres doctes interventions en défense de de Mattei : celles de Mgr Antonio LIVI, du P. Serafino LANZETTA FI, du P. Giovanni CAVALCOLI op, etc.
[8] Ibid. pp. 20-40.
[9] Ndlr. Certes la nature est bonne en soi, mais elle fut perturbée par le péché originel : cf. Gn 3, 17-18 ; heureusement, il y a la réalité théologique de la ‘réversibilité des mérites’.
[10] L’Enciclopedia Cattolica, Roma, 1952, vol. VIII, col. 527, en présente un bref portrait sous la plume de Goffredo MARIANI. Mgr Mazzella, outre archevêque, fut aussi un grand théologien. « Il enseigna la philosophie, les sciences et la théologie au séminaire du Bénévent, déployant de front une fervente activité pastorale avec la fondation et la direction d’instituts de charité, d’assistance et de culture. » Il écrivit de nombreuses œuvres apologétiques et théologiques.
[11] Pour ne pas appesantir ce bref commentaire par des notes, et comme nous l’avons fait pour le texte de de Mattei, nous indiquons ici entre-parenthèses le numéro des pages de La Civiltà Cattolica où se trouve l’article du P. Mucci.
[12] AAS 59 (1967), pp. 5-24.
[13] Cf. Gn 3,16-19 ; cf. etiam Lc 19,41-44 ; Rm 2,9 ; Co 11,30. Cf. S. AUGUSTIN, Enarr. in Ps 58,1 & 13 ; CChr 39, 739, PL 36, col. 701. Cf. S. THOMAS, Summa theol. I-II, q. 87, a. 1.