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Par Tassot Dominique
Qu’est-ce que le « concordisme » ?
Dominique Tassot
Résumé : Alors que la concorde paraît à tous un bien éminemment désirable, le « concordisme », en revanche, est donné, dans les milieux chrétiens, comme l’erreur abominable dans laquelle il serait suicidaire de tomber : surtout ne jamais chercher à montrer l’accord qui existe pourtant entre la science et la foi ! Il s’agit vraiment d’un paradoxe, puisque la règle multiséculaire de la pensée chrétienne, fides quærens intellectum (« la foi cherchant l’intelligence »), avait toujours été de montrer la cohérence entre les vérités sues et les vérités crues, entre la démarche de la raison et celle de la foi. Mais survint au XIXe siècle une théorie, le « périodisme », qui faisait correspondre les six Jours de la Création avec les ères géologiques. On crut un peu trop vite avoir ainsi terrassé le rationalisme.
Or ce « système concordiste » s’est avéré erroné. Mais au lieu de patienter et d’approfondir les raisons de l’échec, les exégètes choisirent de récuser le sens littéral de l’Écriture sainte. De nos jours, cette volonté d’accepter sans discuter les théories scientifiques en vogue (c’était précisément l’erreur des concordistes en leur temps) fait qu’aujourd’hui les adversaires de tout « concordisme » pratiquent en réalité le concordisme le plus servile : la réinterprétation des antiques croyances pour les adapter à la « vision scientifique du monde » (qui prévaut actuellement, mais pour combien de temps encore ?). La certitude, dont on dote abusivement toutes les productions de la science, fait qu’il semble ne plus y avoir de vérités ni de doctrines intangibles en matière de foi ou de religion.
S’il est une objection verbale qui nous est souvent assénée, c’est bien celle-ci : « Vous faites du concordisme ! » Et, comme tant d’autres termes en « -ismes », il s’agit d’une étiquette dévalorisante et réductrice, qui disqualifie aussitôt, interdisant ainsi toute poursuite de débat : comment pourrait-on discuter sérieusement et posément avec un « -iste », quel qu’il soit ? Peut-être, de manière inconsciente ou inavouée, cette parade dialectique a-t-elle pour but de mettre notre interlocuteur à l’abri, dans la tour d’ivoire de ses convictions… Si ce n’en est le but, c’en est du moins le résultat constant. Il convient donc d’examiner plus en détail cette notion de « concordisme ».
Comme le nom l’indique, il s’agit de faire concorder deux choses, à savoir – dans le présent contexte – la science et la foi.
Mais le silence des dictionnaires de sciences religieuses sur ce mot – qui ne s’y trouve jamais défini – nous signale aussitôt une difficulté. Laquelle ? L’usage du terme est péjoratif, alors que le mot « concorde » est positif : qui donc, en effet, oserait se prononcer publiquement en faveur de la discorde1 ?
Un peu d’histoire s’avère ici nécessaire. Il fut une époque où le mot « concordisme » eut un sens précis. À la fin du XIXe siècle, la géologie ayant alors rang de science dominante, enseignée dès le lycée et réputée certaine, beaucoup eurent l’idée de faire correspondre les six « Jours » de la Création de la Genèse avec les ères géologiques2.

De là le tableau ci-dessus, tiré du Dictionnaire de la Bible3. Le directeur du Dictionnaire, le sulpicien Fulcran Vigouroux, enseigne alors l’Écriture Sainte à l’Institut catholique de Paris ; il sera bientôt appelé à Rome pour y devenir secrétaire de la Commission biblique pontificale. Il s’agit donc d’une autorité influente dans l’Église, qui donnera son nom à La Sainte Bible Polyglotte, œuvre inspirée des Hexaples d’Origène et de La Polyglotte de Paris (1645), offrant sur 4 colonnes parallèles toute la Bible en hébreu, grec, latin et français.
On peut donc dire, en ce sens précis, que l’énorme Dictionnaire de la Bible, publié en 1912, est bien « concordiste », même si n’y figure aucun article « Concordisme ». Pareille absence concerne tant les autres dictionnaires savants de l’époque (Dictionnaire de théologie catholique, Dictionnaire apologétique de la foi catholique d’Alès), que les éditeurs chrétiens postérieurs4, et il faudra attendre le très laïc Larousse du XXe siècle (1929) pour trouver cette brève définition, largement reprise par les autres dictionnaires : « Système d’exégèse visant à établir une concordance entre les textes bibliques et les données scientifiques. »
Dans le contexte scientiste et anticlérical des années 1880-1910, les intellectuels chrétiens s’étant mis sur la défensive, nombre d’entre eux virent une planche de salut dans la « théorie des jours-époques ». Qui pourrait nier le caractère inspiré d’un texte qui, depuis des milliers d’années, décrivait l’histoire de la terre à la manière des géologues de notre temps ? Voici ce que nous pouvons lire dans le Dictionnaire biblique, non pas à l’article « Concordisme » – il n’existe pas ! – mais à celui intitulé « Cosmogonie mosaïque » : « La plupart des rationalistes ont reconnu que [la cosmogonie mosaïque] l’emportait immensément sur les autres cosmogonies que nous a léguées l’antiquité. Elle ne comporte pas un mot, a dit l’un d’eux, Dillman, Genesis, 1875, p. 9, qui puisse paraître indigne de la pensée de Dieu […].
Un naturaliste célèbre, devenu depuis la mort de Darwin le principal représentant de l’école transformiste avancée, Haeckel, professeur à Iéna, accorde les mêmes éloges à l’histoire mosaïque de la création.
Il vante en particulier “la disposition simple et naturelle des idées qui y sont exposées, et qui contrastent avantageusement avec la confusion des cosmogonies mythologiques chez la plupart des peuples anciens” […]. L’illustre naturaliste5 va jusqu’à retrouver l’application de ses idées transformistes dans ces créations successives en progrès les unes sur les autres. “Bien que – dit-il – ces grandes lois de l’évolution organique soient regardées par Moïse comme l’expression de l’activité d’un créateur façonnant le monde, partout on y découvre la belle idée d’une évolution progressive, d’une différenciation graduelle de la matière primitivement simple. Nous pouvons donc payer à la grandiose idée renfermée dans la cosmogonie… du législateur juif un juste et sincère tribut d’admiration”, in Histoire de la création, trad. Letourneaux, 3e édit., in-8o, Paris, 1884, p. 246. »
Un peu plus loin, le rédacteur de l’article, le chanoine Pierre Hamard, expose « ce que la science nous enseigne » sur l’origine du système solaire, à savoir la théorie de Laplace et Herschel sur la condensation progressive des corps célestes à partir d’une « nébuleuse primitive » gazeuse7.
Et de conclure triomphalement : « L’accord si remarquable que nous venons de constater entre la cosmogonie biblique et l’enseignement de la science a frappé, nous l’avons déjà dit, beaucoup de savants8. »
Le rédacteur de l’article reconnaît toutefois que cette « théorie des jours-époque » (qui constitue le « système concordiste »), s’écarte du sens littéral de l’Écriture : « Il est d’usage d’évoquer la Tradition à l’encontre du système concordiste. Les Pères et docteurs de l’Église ont toujours, nous dit-on, pris le mot “jour” de la Genèse dans son sens littéral. Nous répondons qu’il y a à cette règle de nombreuses et imposantes exceptions. Saint Augustin, saint Thomas et bien d’autres sont du nombre9. »
En 1917, dans la quatorzième édition de son Manuel biblique, M. Vigouroux écrit : « Le système [concordiste] est appelé souvent la théorie des jours-époque, parce que le trait principal qui le distingue, c’est que les jours génésiaques sont des époques d’une durée indéterminée et non des jours de 24 heures. Pendant les périodes que Moïse a appelées “jours”, se sont produites les révolutions lentes dont la géologie constate l’existence10. »
Malheureusement, la théorie des Jours-époques vint au monde mort-née. Vue de loin, certes, la Genèse fait apparaître les créatures dans cet ordre : roches inertes, végétaux, poissons, puis mammifères.
Mais les oiseaux y apparaissent dans les airs au moment où les eaux voient s’agiter les poissons, et les reptiles sont produits en même temps que les mammifères terrestres, tandis que les évolutionnistes tirent les oiseaux de reptiles ou de dinosaures théropodes associés au sixième Jour. De ce fait, dès 1896, le P. Lagrange prit position contre le concordisme :
« Ce système est jugé, parce que l’accord des jours et des périodes n’existe pas. Dans la Bible, chaque jour voit le commencement et le terme d’une œuvre ; dans l’évolution naturelle du globe, il n’existe pas de périodes terminées de cette manière. Les étoiles n’ont pas été formées à une époque spéciale, la formation de la terre s’est continuée longtemps après l’apparition de la vie, les plantes et les bêtes se sont développées parallèlement. Mais il demeure acquis que la terre a mis un temps considérable à se former11. »
Le triomphe pressé des concordistes se mua bientôt en cruelle déconfiture, et les imprudents qui avaient clamé trop vite à la préscience inspirée de Moïse furent stigmatisés comme ayant permis de ridiculiser la religion. Une fois de plus, dira-ton, le pot de terre (la foi) avait voulu se mesurer avec le pot de fer (la science), pour le résultat pitoyable que l’on sait. Cet épisode douloureux resta dans les mémoires et enfonça dans les esprits un réflexe conditionné : tout faire pour limiter les points de contact entre foi et science. Nous comprenons de ce pas pourquoi les rédacteurs des dictionnaires chrétiens ont prudemment préféré passer sous silence le concordisme, ses pompes et ses œuvres !
Avec le recul du temps, tout le monde voit bien qu’un tel concordisme était voué à l’échec.
Parce que, d’une part, les ères géologiques n’existent pas. Il n’y eut pas de longues époques où, sur la terre entière, se déposait uniquement du calcaire, ou du sable ou de l’argile : les faciès lithologiques ne peuvent avoir la connotation chronologique qu’on s’est habitué à leur attribuer ; leur étagement répond à des causes mécaniques où interviennent la densité, la granulométrie et les variations du courant lors des transgressions et régressions marines dont ils témoignent12. De sorte que les fossiles dits « caractéristiques », qui leur sont associés, ne donnent l’impression de confirmer « l’arbre généalogique de la vie » que parce qu’on ne retient à ce titre que les « bons » fossiles ; les autres sont déclarés « ne pas être à leur place ».
Et parce que, d’autre part, les événements relatés dans le premier chapitre de la Genèse sont hors d’atteinte de notre science. Cette dernière, certes, se fonde sur l’observation, l’expérimentation et le calcul, mais le monde observable n’est autre que l’univers complet, achevé, tel que Dieu l’a délégué aux causes secondes depuis le 7e Jour, lorsqu’il « cessa » de créer. Lorsque Dieu seul agit, comme durant les 6 Jours de la Création, les lois de la nature n’ont pas encore lieu de s’exercer. Selon le mot de saint Pierre Damien : « La nature elle-même a sa propre nature, à savoir la volonté de Dieu : ainsi, de même que toutes les créatures gardent ses lois, elle-même, lorsqu’elle en reçoit l’ordre, oublie ses droits pour obéir avec déférence à la volonté divine13. »
Le « système concordiste », ou « périodisme », était donc sans objet, les sciences n’ayant rien à dire sur la période proprement créatrice du Commencement, laquelle, du fait même que les lois des causes secondes n’étaient pas encore opérationnelles, sort de leur champ de vision (et plus encore d’expérimentation).
C’est une caractéristique des vérités, dit Platon, que de s’accorder entre elles : elles constituent en effet autant de fenêtres par lesquelles notre esprit limité fait converger ses différentes approches vers la cohérence de l’Être. Condition nécessaire certes, mais non suffisante ; car la rencontre occasionnelle de deux thèses indépendantes n’est pas une preuve de leur véracité, tout au plus un indice. Le drame, dans ce naufrage du concordisme, fut d’avoir cru en la science moderne comme s’il s’agissait encore d’un savoir empirique où la part d’interprétation demeure faible. Ce fut une erreur épistémologique : accorder à la géologie et à l’astrophysique une capacité à extrapoler vers le passé qui ne leur appartient pas.
Ainsi, le Dictionnaire de la Bible décrit complaisamment la « nébuleuse primitive » qui se serait progressivement contractée et condensée pour former les planètes que nous connaissons14. Modèle devenu caduc comme l’est déjà celui du Big bang, si bien inculqué fût-il (il est presque impossible de s’en défaire, tant les gens y croient comme s’il s’agissait d’un fait historique !). Notons au passage que ce second modèle astrophysique n’est nullement un perfectionnement du premier : il s’agit presque de deux thèses inverses, puisque la contraction de la « nébuleuse » est devenue une expansion explosive.
Faut-il alors renoncer à tout accord entre la science et la foi ? Faut-il considérer que les deux domaines sont à ce point séparés qu’ils ne se rencontrent jamais ? Ce « discordisme » fut longtemps le combat des rationalistes : présenter la Bible et toutes les cosmogonies dites « primitives » comme des « contes orientaux » tirés de l’imagination de peuples rustres et ignares15 , dont la science moderne a depuis longtemps montré l’inanité. Notre science, qui se présente comme l’extrême pointe d’une intelligence humaine en progrès constant, devrait-elle donc remplacer les croyances fumeuses des anciens temps ?
La réponse généralement donnée par les penseurs chrétiens depuis un siècle a consisté à se retirer du terrain scientifique ou historique, l’abandonnant à des savants souvent aveuglés par leur suffisance, pour se retrancher prudemment sur le terrain du psychisme, des perceptions subjectives, des émois de l’âme auxquels la religion répondra en donnant un sens à notre existence : Dieu n’est plus alors le Créateur tout-puissant de tout ce qui remplit l’univers, mais un gentil accompagnateur venant calmer nos inquiétudes métaphysiques, du moins pour ceux qui en éprouvent le besoin. Il est piquant de voir un marxiste patenté16, je veux parler du célèbre paléontologiste Stephen Jay Gould (1941-2002), communier ici avec l’intelligentsia chrétienne sur sa doctrine du « non-empiètement des magistères », en anglais NOMA (non-overlapping magisteria). Car cette fausse paix entre savants et théologiens aboutit en pratique à un nouveau concordisme, plus dommageable encore que le premier. Parler de « magistère » de la science est au mieux un abus de langage, mais surtout, au pire, une erreur radicale.
Il n’y a aucune symétrie de valeur entre des énoncés scientifiques, toujours partiels et toujours révisables, et des vérités entées sur la Révélation divine. Il n’y a pas séparation des domaines entre les théories infondées, qui prétendent savoir quelque chose de nos origines, et le cadre biblique inspiré forgeant notre vision du monde, cadre dont l’homme de science a le même besoin que l’homme de la rue pour se situer dans l’espace et dans le temps.
Les concordistes à la manière de M. Vigouroux partaient d’une intuition juste : la nécessaire cohérence positive et active entre vérités de tous ordres. Ils ne renonçaient pas à poser l’intelligibilité globale d’un univers dans lequel les pensées ne sont pas un simple épiphénomène d’une matière considérée comme seule à relever d’une science véritable. Tandis que le concordisme actuel, en dotant les sciences d’une qualité de certitude qu’elles ne comportent pas, en acceptant leur part de magistère17, a pour effet de dénaturer et de reformuler presque tous les dogmes chrétiens. Le P. Teilhard de Chardin semble un peu oublié aujourd’hui, mais cet oubli verbal est le plus sûr indice d’un triomphe complet : ses idées sont devenues si banales qu’on ne sait même plus d’où elles proviennent. L’émergence progressive de l’homme, la complexité croissante de l’univers, l’organisation de l’humanité en grands ensembles politiques, etc., font que les récits bibliques sur nos origines sont reçus comme de simples mythes dénués de toute portée historique. Que devient alors le Christ, nouvel Adam, si le premier n’a jamais existé ? Que devient la Rédemption, si la faute originelle n’est qu’un mythe renvoyant à la désorganisation initiale d’un univers en formation progressive ?
Etc. On voit, sur cet exemple de Teilhard, que les nouveaux concordistes ont conservé l’erreur foncière qui entraîna la déconvenue du périodisme : la volonté d’accorder l’exégèse et la théologie avec les thèses scientifiques du jour, sans la nécessaire prudence épistémologique, sans recul critique sur le degré de certitude des énoncés scientifiques. Un accord durable ne pourra se faire qu’entre des vérités durables.
Tant qu’on méconnaîtra la part d’interprétation dans les sciences, tant qu’on les créditera d’une qualité de certitude réservée aux seules mathématiques, les louables efforts pour montrer l’absence de contradictions entre science et foi se révéleront contre-productifs. Certes, le principe d’un tel accord est une évidence. Dans l’encyclique Qui pluribus, en 1846, Pie IX écrivait :
« Car même si la foi est au-dessus de la raison, il ne peut jamais exister entre elles aucun dissentiment réel, aucune discorde, puisque toutes deux découlent d’une seule et même source de vérité immuable et éternelle, Dieu très bon et très grand, et qu’elles s’aident mutuellement […]. Qui donc ignore ou peut ignorer qu’il faut avoir une confiance totale en Dieu quand il parle, et que rien n’est plus conforme à la raison elle-même que d’acquiescer et d’adhérer fermement à ce qu’elle aura reconnu comme révélé par Dieu, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper ? » (Cf. DENZINGER H., Symboles & définitions de la foi catholique, § 1 635-1 638).
Et Léon XIII remarquait dans Providentissismus Deus, en 1893 :
« Bien que l’exégète doive montrer que les points affirmés par les savants comme certains ne contredisent nullement les Écritures bien interprétées, il ne faut pas oublier cependant qu’il est arrivé quelques fois que des assertions données d’abord comme certaines par ces savants ont été ensuite révoquées en doute et finalement rejetées. »
L’erreur du concordisme n’était donc pas de rechercher un accord entre l’intelligence croyante et l’intelligence savante ; elle fut de crier victoire au vu d’un parallélisme superficiel entre deux erreurs.
Le drame, qui dure encore, fut de faire rejaillir sur toutes les démarches apologétiques faisant usage de la science, le discrédit légitime retombé sur des exégètes trop pressés et trop confiants dans la géologie. La foi aura fait tous les frais de cet échec : suspicion jetée sur le sens littéral de l’Écriture, perte de leur autorité intellectuelle par les théologiens et, par-là, abandon de nos sociétés au règne sans partage d’idéologies déguisées en productions de la science : marxisme, nazisme, écologisme, libéralisme, Nouvel Âge, théorie du genre, etc.
Ce n’est plus la Bible qui trace le cadre où s’abritent nos pensées et où s’épanouissent nos théories, c’est pour le moment une vision prétendument scientifique du monde qui indique à la religion sa place résiduelle dans notre univers. Alors un quelconque concordisme ne peut avoir pour effet que de dénaturer la foi. Il ne s’agit pas d’un accord, mais d’un alignement à sens unique. Ce fut le cas au temps de M. Vigouroux (à son corps défendant), comme ce l’est encore chez les émules de Teilhard (fiers, eux, de mettre à jour et au goût du jour la pensée théologique).
Mais ne voyons là aucune fatalité. L’accord profond des vérités vraies demeure comme une donnée intrinsèque et constitutive de la Création. Il faut simplement reconnaître que la vérité est une maîtresse exigeante et qu’il est bien difficile d’être sûr et certain d’une affirmation scientifique comme d’une interprétation de l’Écriture. Selon le mot d’Hippocrate : « savoir, c’est la science ; croire savoir, c’est l’ignorance. » De là cette sage évidence lancée par Pie XII aux étudiants catholiques de la Sorbonne en 1953 et dans laquelle le poids principal revient aux adjectifs : « Entre des vérités de foi certaines et des faits scientifiques établis, la contradiction est impossible. »
1Notons que l’on a baptisé « Place de la Concorde » le lieu même où fut décapité celui dont la mission divine était justement d’accorder entre eux les différents corps constituants de la France. La « novlangue » ne date pas de 1948 !
2Ce système, également appelé « périodisme », remonte au géologue chrétien Marcel de Serres, en 1841, dans De la Cosmogonie de Moïse comparée aux faits géologiques (Paris, Lagny, 1841).Mais lui avait conscience des limites de son idée. Page 2 du tome second de son livre, il avertit en effet : « Il ne faut pas en inférer que l’on puisse attacher les dépôts de ces différentes couches à chacune des époques dont il est parlé dans la Genèse. Essayer d’établir une pareille concordance, c’est méconnaître le but qui a porté Moïse à nous donner le court récit de la Création. »
3Dirigé par Fulcran VIGOUROUX, pss, Paris, Letouzey & Ané, 1899, t. 2, art. « Cosmogonie mosaïque », col. 1 051.
4Cette absence de définition se vérifie dans les autres langues européennes : allemand, anglais et italien du moins.
5L’ « illustre naturaliste », Haeckel, avait cependant été convaincu de fraude par un jury formé de cinq de ses pairs de l’université d’Iéna, sur dénonciation de L. Rutimeyer, professeur de zoologie et d’anatomie comparée à Bâle. En effet, il avait produit de faux dessins d’embryons à l’appui de sa fameuse « loi de la récapitulation » selon laquelle l’embryogenèse (le développement de l’embryon) reproduit la phylogenèse (les étapes franchies par les supposés ancêtres au cours de l’évolution). Ainsi chaque fœtus de mammifère serait passé par un stade « poisson » puis « reptile ». On mesure ici tout l’intérêt qu’il y a, pour les partisans de l’avortement, à maintenir l’idée qu’il s’agirait d’une simple « loi » scientifique. Sur cette question, se reporter à « Haeckel démasqué », in Le Cep n° 6, 1999, p. 1-12. Nous voyons ici, dans le Dictionnaire de la Bible, à quel point l’intelligence chrétienne a déjà accepté sans réticence les thèses des rationalistes, ne soupçonnant même pas chez eux un biais anticlérical pourtant flagrant : Hæckel fut d’ailleurs l’inventeur d’une religion : le « monisme » (de la matière). Mais pourquoi l’objectivité serait-elle un privilège de l’intelligence athée ?
6Dictionnaire biblique, art. « Cosmogonie mosaïque », col. 1 035-1 036.
7Id., col. 1 038.
8Id., col. 1 051.
9Id., col. 1 052. L’auteur oublie ici de dire que les Pères qui s’écartent du sens littéral – saint Augustin étant en réalité presque le seul d’entre eux – considèrent que Dieu crée instantanément (puisque ex nihilo), et donc sans avoir besoin de temps. Il a créé le temps, Il ne crée pas dans le temps. Aucun Père n’aurait imaginé que Dieu eût besoin d’attendre des milliers d’années entre ses différentes créations. Le concile de Latran IV, en 1225, repris par Vatican I en 1870, établit que Dieu a créé toutes choses au commencement (in principio), ex nihilo et tout ensemble (simul). Ces trois données irréformables de la foi catholique sont incompatibles avec une « création » éparpillée sur des millions d’années.
10F. VIGOUROUX, pss., Manuel biblique ou Cours d’Écriture sainte à l’usage des séminaires, Paris, Roger & Chernoviz, 14e éd., t. I, 1917, p. 369.
11Marie-Joseph LAGRANGE op., art. « Hexaemeron », in Revue biblique, 1896, p. 390-391.
12Cf. Guy BERTHAULT, « Vers une sédimentologie fondée sur l’expérimentation », in Le Cep n° 4, juillet 1998, p. 9-25, ainsi que les développements récents donnés sur le site sedimentology.fr.
13Lettre sur la toute-puissance divine, coll. « Sources chrétiennes, 191 », Paris, Cerf, 1972.
14Op. cit., art. « Cosmogonie mosaïque », col. 1 038.
15Sur ce point, se reporter à l’art. « Les sauvages sont-ils des “primitifs” ? », in Le Cep n° 70, février 2015, p. 1-7.
16Il était connu pour suspendre un portrait de Marx dans son salon à Harvard.
17Le mot est trompeur : le professeur de science exerce bien un magistère lorsqu’il enseigne, mais il ne peut exister de symétrie entre l’autorité des connaissances péniblement acquises par l’homme et celle des vérités reçues par révélation divine, même s’il reste à les bien interpréter et comprendre.