La vision biblique de la complémentarité homme-femme

Par Grand rabbin Gilles Bernheim

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BIBLE          

 « Avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota, pas un menu trait ne passera de la Loi, que tout ne soit accompli. » (Mt5, 18)

La vision biblique de la complémentarité homme-femme[1]

Résumé : Le grand rabbin de France a pris position publiquement contre le projet de loi accordant le « mariage » aux homosexuels. À cette occasion, il a formulé des remarques sur la portée anthropologique de la complémentarité homme-femme telle que Dieu l’a voulue dès le Commencement. Il note en particulier que l’affirmation d’une ressemblance entre l’homme et Dieu (Gn 1, 26) est immédiatement suivie de l’affirmation que c’est spécifiquement un couple homme-femme qui a été voulu et créé par Dieu (Gn 1, 27).

              De là découle notre finitude irréductible : aucun d’entre nous n’est le tout de l’humaine nature et aucun ne connaît le tout de l’humain. Cet appel biblique à sortir de soi pour se réaliser dans et par l’altérité méritait d’être lancé à la face d’une classe politique dominée par une « bien-pensance » (on pardonnera à l’auteur ce néologisme) proprement débilitante.

La complémentarité homme-femme est un principe structurant dans le judaïsme, dans d’autres religions, dans des courants de pensée non religieux, dans l’organisation de la société ainsi que dans l’opinion d’une très large majorité de la population. Ce principe trouve, pour moi, son fondement dans la Bible. Il peut, pour d’autres, trouver son fondement ailleurs.

Je vais me concentrer ici sur la vision biblique, non exclusive des autres visions.

Une différence irréductible

« D-ieu créa l’homme à son image, à l’image de D-ieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Le récit biblique fonde la différence sexuelle dans l’acte créateur. La polarité masculin-féminin traverse tout ce qui existe, depuis la glaise jusqu’à D-ieu. Elle fait partie du donné primordial qui oriente la vocation respective – l’être et l’agir – de l’homme et de la femme. La dualité des sexes appartient à la constitution anthropologique de l’humanité.

Ainsi, chaque personne est-elle amenée à reconnaître tôt ou tard qu’elle ne possède qu’une seule des deux variantes fondamentales de l’humanité, et que l’autre lui reste à jamais inaccessible. La différence sexuelle est ainsi une marque de notre finitude. Je ne suis pas tout l’humain. Un être sexué n’est pas la totalité de son espèce, il a besoin d’un être de l’autre sexe pour produire son semblable.

Une différence constitutive sur la transcendance

La Genèse ne voit la ressemblance de l’être humain avec D-ieu que dans l’association de l’homme et de la femme (Gn 1, 27) et non dans chacun d’entre eux pris séparément. Ce qui suggère que la définition de l’être humain n’est perceptible que dans la conjonction des deux sexes. Car chaque personne, du fait de son identité sexuelle, est renvoyée au-delà d’elle-même. Dès qu’elle est consciente de son identité sexuelle, toute personne humaine se voit ainsi confrontée à une sorte de transcendance. Elle est obligée de penser un au-delà d’elle-même et de reconnaître comme tel un autre inaccessible, qui lui est essentiellement apparenté, désirable et jamais totalement compréhensible.

L‘expérience de la différence sexuelle devient ainsi le modèle de toute expérience de la transcendance qui désigne une relation indissoluble avec une réalité absolument inaccessible.

On peut comprendre à partir de là pourquoi la Bible use volontiers de la relation entre homme et femme comme métaphore de la relation entre D-ieu et l’homme : non parce que D-ieu serait masculin et l’homme féminin, mais parce que la dualité sexuelle de l’homme est ce qui manifeste le plus clairement une altérité indépassable dans la relation la plus étroite.

De la solitude à la relation

Il est remarquable que, dans la Bible, la différence sexuelle soit énoncée juste après l’affirmation du fait que l’homme est à l’image de D-ieu. Cela signifie que la différence sexuelle s’inscrit dans cette image, et est bénie de D-ieu.

La différence sexuelle est donc à interpréter comme un fait de nature, pénétré d’intentions spirituelles. Nous en voulons pour preuve que dans la création en sept jours, les animaux ne sont pas présentés comme sexués. Ce qui les caractérise, ce n’est pas la différence des sexes, mais la différence des ordres et, à l’intérieur de chaque ordre, la différence des espèces : il y a les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bêtes de la terre… Tous les êtres vivants sont produits, comme un refrain, « selon leur espèce » (Gn 1, 21).

Dans ce récit, la sexuation n’est mentionnée que pour l’homme, car c’est précisément dans la relation d’amour, qui inclut l’acte sexuel par lequel l’homme et la femme « deviennent une seule chair », que tous deux réalisent leur finalité propre : être à l’image de D-ieu.

Le sexe n’est donc pas un attribut accidentel de la personne. La génitalité est l’expression somatique d’une sexualité qui affecte tout l’être de la personne : corps, âme et esprit. C’est parce que l’homme et la femme se perçoivent différents dans tout leur être sexué, tout en étant l’un et l’autre des personnes, qu’il peut y avoir complémentarité et communion.

« Masculin » et « féminin », « mâle » et « femelle » sont des termes relationnels. Le masculin n’est masculin que dans la mesure où il est tourné vers le féminin ; et par la femme, vers l’enfant – en tout cas vers une paternité, qu’elle soit charnelle ou spirituelle.

Le féminin n’est féminin que dans la mesure où il est tourné vers le masculin ; et par l’homme, vers l’enfant – en tout cas vers une maternité, qu’elle soit charnelle ou spirituelle.

Le second récit de la création approfondit cet enseignement en présentant l’acte de création de la femme sous forme d’une opération chirurgicale par laquelle D-ieu extrait du plus intime d’Adam celle qui deviendra sa compagne (Gn 2, 22). Désormais, ni l’homme ni la femme ne seront le tout de l’humain, et aucun des deux ne saura tout de l’humain.

Est exprimée une double finitude :

Je ne suis pas tout, je ne suis même pas tout l’humain.

Je ne sais pas tout sur l’humain : l’autre sexe me demeure toujours partiellement inconnaissable.

 Ce qui conduit à l’impossible autosuffisance de l’homme. Cette limite n’est pas une privation, mais un don permettant la découverte de l’amour qui naît de l’émerveillement devant la différence.

Le désir fait découvrir à l’homme l’altérité sexuée au sein de la même nature : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn 2, 23), et l’ouverture à cet autre lui permet de se découvrir dans sa différence complémentaire : « elle s’appellera Isha car elle est tirée de Ish» (ibid.).

« L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un – une chair unique » (Gn 2, 24).

En hébreu, « une chair unique » renvoie à l’« Unique », Ehad – le Nom divin par excellence, selon la prière du Shema Israël : « Ecoute Israël, le Seigneur est notre D-ieu, le Seigneur est Un – Adonaï Ehad » (Dt 6, 4).

C’est dans leur union à la fois charnelle et spirituelle, rendue possible par leur différence et leur orientation sexuelle complémentaire, que l’homme et la femme reproduisent, dans l’ordre créé, l’image du D-ieu Un.

            En contre-point, le chapitre trois de la Genèse présente le péché comme le refus de la limite et par là de la différence : « D-ieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gn 3, 5).

« L’arbre de la connaissance du bien et du mal » – « l’arbre du bien connaître et du mal connaître » – symbolise précisément les deux manières d’appréhender la limite :

  – le « bien connaître » respecte l’altérité, accepte de ne pas tout savoir et consent à ne pas être tout ; cette manière de connaître ouvre à l’amour et ainsi à « l’arbre de la vie », planté par D-ieu au centre du Jardin (Gn 2, 9) ;

  – le « mal connaître » refuse la limite, la différence ; il mange l’autre dans l’espoir de reconstituer en soi le tout et d’acquérir l’omniscience. Ce refus de la relation d’altérité conduit à la convoitise, à la violence et ultimement à la mort.

N’est-ce pas ce que propose le gender : le refus de l’altérité, de la différence, et la revendication d’adopter tous les comportements sexuels, indépendamment de la sexuation, le don premier de la nature ? Autrement dit la prétention de « connaître » la femme comme l’homme, de devenir le tout de l’humain, de s’affranchir de tous les conditionnements naturels, et ainsi « d’être comme des dieux » ?

Conclusion

Après l’analyse des arguments, après l’éclairage des théories sous-jacentes, il va falloir trouver une issue au débat qui s’engage. Comme d’autres, j’ai été auditionné par Mme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, et par Mme Dominique Bertinotti, Ministre déléguée chargée de la Famille. Comme d’autres, j’ai été écouté respectueusement, mais seuls le projet de loi et les positions que prendra le Gouvernement permettront de dire si la concertation fut véritable ou de façade, si elle a fait émerger un cheminement de la pensée ou si elle était seulement une procédure conçue par la bien-pensance et à son seul service.

À l’heure de conclure, il ressort que les arguments invoqués d’égalité, d’amour, de protection ou de droit à l’enfant se démontent et ne peuvent, à eux seuls, justifier une loi.

Que les droits en termes d’homoparentalité et d’adoption soient étendus ou limités, il ressort également que les militants LGBT utiliseront le mariage homosexuel comme un cheval de Troie dans leur entreprise, bien plus large, de nier la sexuation, d’effacer les différences sexuelles et de leur substituer des orientations permettant à la fois de sortir du « carcan naturel » et de mieux dynamiter les fondements hétérosexuels de notre société.

Il n’y aurait ni courage, ni gloire à voter une loi en usant davantage de slogans que d’arguments, en se conformant à la bien-pensance dominante par crainte d’anathèmes et en contre-attaquant in extremis par une question du type : « s’il n’y a aucune raison de faire une loi, en quoi est-ce que cela dérange qu’il y en ait une ? ». Ce qui me dérange, c’est le refus du questionnement, le refus de sortir de ses évidences.

Ce qui pose problème dans la loi envisagée, c’est le préjudice qu’elle causerait à l’ensemble de notre société au seul profit d’une infime minorité, une fois que l’on aurait brouillé de façon irréversible trois choses :

1.les généalogies, en substituant la parentalité à la paternité et à la maternité,

2.le statut de l’enfant, passant de sujet à celui d’un objet auquel chacun aurait droit,

3.les identités où la sexuation comme donnée naturelle serait dans l’obligation de s’effacer devant l’orientation exprimée par chacun, au nom d’une lutte contre les inégalités, pervertie en éradication des différences.

Ces enjeux doivent être clairement posés dans le débat sur le mariage homosexuel et l’homoparentalité. Ils renvoient aux fondamentaux de la société dans laquelle chacun d’entre nous a envie de vivre.


[1] Extrait de la déclaration Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : ce que l’on oublie souvent de dire produite par le grand rabbin Gilles BERNHEIM, lors des discussions parlementaires d’octobre-novembre 2012, telle que publiée sur son site personnel, pp. 21-24. Nous avons respecté la notation « D-ieu », utilisée ici à l’intention des non-juifs en lieu et place de l’abréviation juive traditionnelle « D. » pour désigner Dieu (cf. J.-M. MATHIEU, ‘’En nom Dieu !’’, Le Cep n°61, p. 79). Nous avons cru opportun de conserver intégralement la conclusion générale, même si elle fait référence aux pages antérieures de ce document. Notons cependant que l’anthropologie pré-christique du grand rabbin méconnaît le célibat.

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