Partager la publication "La crise financière internationale"
Par le Pr Roberto de Mattei
« Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant. » (P. Le Prévost)
Résumé : La crise financière, et notamment le paradoxe de voir de grandes banques à court d’argent, a du moins le mérite de nous faire réfléchir. Car s’il s’git d’une crise en réalité plus large, les solutions proposées n’auront aucun effet durable. Il faut remonter à la finalité de l’homme, de nature « surnaturelle » précisément, pour comprendre que l’économie n’est qu’une activité subordonnée, qui ne saurait se régir de manière autonome. Le chiffre qui mesure la production ne doit pas faire oublier l’utilité de la chose produite au regard du bien commun, ni sa valeur morale. En prétendant se passer de la morale, la science économique a montré son insuffisance: ce sont les illégitimes spéculations de l’économie virtuelle, qui ont fragilisé le système bancaire. Mais en montrant que la monnaie fiduciaire n’a pas de consistance propre, la crise nous invite à mieux hiérarchiser l’ordre des réalités, comme le rappelait Benoît XVI : « Nous devons donc changer notre conception du réalisme. Le réaliste est celui qui reconnaît dans la Parole de Dieu, en cette réalité apparemment si faible, le fondement de tout. »
L’onde de la crise financière frappe l’Europe et se trouve à l’origine de discussions sur l’avenir de l’économie planétaire. Certains y voient l’échec de l’idéologie du marché et la vérification des prévisions relatives à la fin du capitalisme. D’autres, confiant dans la capacité des marchés à s’autoréguler, la considèrent comme une crise ‘physiologique’ qui portera à un réajustement naturel des prix.
Les portes de sortie, dans un cas comme dans l’autre, sont indiquées à l’intérieur du système économique en vigueur, basé sur une philosophie de l’économie qui oscille de manière cyclique entre deux modèles : le libéralisme pur et l’interventionnisme étatique.
Mais, puisque ni l’individu, ni l’État, ni le secteur privé, ni le secteur public n’ont de capacités salvifiques, afin de porter remède aux inadaptations des deux systèmes, voilà que sont suggérées des « troisièmes voies » caractérisées par la présence des deux éléments – État et marché – et au sein desquelles seul varie le dosage des ingrédients.
L’idée de dépasser la crise grâce à une juste combinaison entre économie publique et économie privée, entre règles économiques et liberté individuelle, est illusoire dans la mesure où cela ne permet pas de saisir le fond du problème.
On prétend rester à l’intérieur d’un système vicié à la racine alors qu’il s’agit de sortir du mécanisme et de comprendre la nécessité de refonder l’économie sur un facteur différent de l’économie elle-même. L’économie, en effet, comme la politique, ou toute autre prétendue science humaine, ne peut se considérer comme autonome et autoréférentielle. L’homme n’a pas une pluralité de fins et la société, qui est au service du bien commun de l’homme, ne peut avoir une multiplicité de « sciences » séparées entre elles et privées d’un but commun. L’homme et la société, dans toutes ses expressions, ont une finalité unique, de nature surnaturelle, Dieu lui-même, dont dépend non seulement le bonheur éternel et absolu dans le ciel mais également celui relatif et imparfait sur la terre.
Lorsque la science se rend indépendante de la morale et de la philosophie, elle se fait elle-même morale, philosophie et, souvent, religion. La science devient scientisme et le scientisme a ses dogmes, son culte, ses prêtres. Cela survient non seulement pour les sciences biologiques et naturelles mais également pour les sciences politiques et économiques. Lord Keynes a été indubitablement un « grand prêtre » de l’économie moderne mais ses détracteurs se sont souvent inspirés d’une religion du marché non moins absolue que celle de l’économiste britannique.
La production de biens au sein de la société contemporaine, inspirée par un hédonisme radical, est orientée vers la consommation de biens éminemment matériels, éphémères, à bon marché.
Ce qui comporte la perte du sens du sacrifice entendu comme capacité de renoncement à un bien immédiat et/ou apparent afin d’obtenir un vrai bien, même plus lointain. L’hédonisme s’associe à un relativisme moral fondé sur l’idée d’une liberté en dehors de toute règle. La liberté, en effet, est, par définition, relative c’est-à-dire qu’elle est toujours liberté d’un sujet limité dans le temps et dans l’espace pour atteindre un objectif spécifique, relatif à sa propre perfection.
La liberté n’est donc pas la possibilité de choisir entre le bien ou le mal mais la capacité de nous ordonner à des biens que la raison nous indique comme plus parfaits. Autrement, on confond la liberté psychologique avec la liberté morale. D’un point de vue psychologique, l’homme peut faire ce qu’il veut, alors que d’un point de vue moral l’homme est libre seulement lorsqu’il choisit le bien.
La liberté est relative, même lorsqu’elle a besoin de limites pour s’orienter vers son but et l’atteindre de manière plus efficace. La véritable liberté humaine a sa propre nature, un objet défini, des règles à suivre. L’idée selon laquelle limiter la liberté signifie la comprimer, présuppose une idée fausse de la liberté : une liberté absolue pour laquelle toute limite, en tant que telle, constitue un élément négatif.
En réalité, si la liberté n’est pas absolue, la limite doit être entendue comme le facteur positif qui en permet le développement et la perfection. La limite, donc, n’est pas l’obstacle mais le moyen pour atteindre la fin. Dans le domaine économique, cependant, ce n’est pas l’État qui doit mettre des limites et des règles, mais la loi naturelle et divine avec ses principes qui règlent tous les domaines de l’activité humaine. La vraie liberté morale de l’homme ou la seule limite à sa liberté psychologique consiste à ne pas violer les Dix Commandements.
La science économique n’est pas en mesure, à elle seule, de résoudre les problèmes économiques parce qu’elle se fonde sur une conception irréaliste de l’homme, ce dernier réduit à n’être qu’un simple homo œconomicus, privé de toute destinée surnaturelle.
« Seule la Parole de Dieu est le fondement de toute la réalité » a affirmé Benoît XVI le 6 octobre dernier, parlant au début de la première Congrégation générale de la XIIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques. « Et pour être réalistes – a ajouté le Pape – nous devons justement compter sur cette réalité. Nous devons changer notre idée selon laquelle la matière, les choses solides au toucher constitueraient la réalité la plus solide et la plus sûre. À la fin du Sermon sur la Montagne, le Seigneur nous parle des deux possibilités de construire la maison de notre propre vie : sur le sable ou sur le roc. Celui qui construit sur le sable est celui qui édifie seulement sur les choses visibles et tangibles, sur le succès, sur la carrière, sur l’argent. Apparemment, ces choses constituent les vraies réalités. Mais tout cela passera un jour. Nous le voyons aujourd’hui au travers de l’effondrement des grandes banques : ces fonds disparaissent, ils ne sont rien. »
« C’est ainsi que toutes ces choses, qui semblent être la vraie réalité sur laquelle compter, sont des réalités de second ordre. Celui qui construit sa vie sur ces réalités, sur la matière, sur le succès, sur tout ce qui apparaît, construit sur le sable. Seule la Parole de Dieu est le fondement de toute la réalité, elle est stable comme le ciel et même plus que le ciel, elle est la réalité. Nous devons donc changer notre conception du réalisme. Le réaliste est celui qui reconnaît dans la Parole de Dieu, en cette réalité apparemment si faible, le fondement de tout. Le réaliste est celui qui construit sa vie sur ce fondement qui demeure en permanence. »
Le retour à la réalité, naturelle et surnaturelle, est le premier pas pour sortir de la crise que nous traversons. Cette crise n’est pas seulement économique. Elle est politique, culturelle, morale et, sur le fond, essentiellement religieuse. Le comprendre et agir en conséquence, représente l’unique chemin pour éviter que la tourmente présente ne se transforme bientôt en ouragan dévastateur. Dieu demeure le fondement de toute la réalité. Les grandes banques peuvent s’écrouler, mais la Divine Providence, Elle, ainsi que l’affirmait saint Joseph Cottolengo, n’a jamais fait ni ne fera jamais banqueroute.