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Par Paley, William

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REGARD SUR LA CREATION
« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages.« 
(Romains, 1 : 20)

Résumé : Les mouvements du corps résultent de contractions musculaires transmises aux os par des tendons. Cette belle mécanique se laisse voir dans les moindres détails par la dissection, ce qui en fait un argument irrésistible pour faire comprendre que tout y est habilement conçu en vue d’une fin, preuve irrécusable d’une intelligence ouvrière. Le hasard ne peut expliquer l’existence du muscle antagoniste permettant l’extension du membre après sa flexion, ni la grande longueur de certains tendons afin d’alléger l’organe mû en éloignant le muscle moteur (sur l’avant-bras pour les muscles des doigts) ; ni la multitude des fonctions assumées par un seul organe (la langue par exemple) ; ni le libre jeu simultané de muscles voisins qui parfois s’emboîtent les uns dans les autres, etc.. Et nulle connaissance savante n’est nécessaire pour comprendre que cette harmonie, cette précision et cette force de nos gestes sont une preuve merveilleuse, toujours présente à nos yeux, de l’Intelligence créatrice.

Les muscles et les tendons sont les instruments immédiats des divers mouvements que font les animaux. Je vais indiquer les cas dans lesquels la disposition de ces instruments et leur application sont aussi mécaniques que peuvent l’être la disposition et l’application des fils qui font mouvoir une marionnette.

Nous pouvons d’abord observer un rapport invariable entre chacun de nos membres et les muscles qui le font mouvoir : c’est-à-dire, que les muscles sont toujours disposés de manière à faire exécuter à un membre quelconque les mouvements auxquels ce membre paraît destiné, et dont il est capable.

Par exemple : lorsque l’articulation est de nature à faire mouvoir un de nos membres par flexion et extension dans le même plan, comme l’avant-bras et la jambe, les tendons (ou les parties qui terminent chaque muscle) sont attachés aux os de manière que la contraction et le relâchement des muscles produisent ces mouvements de flexion et d’extension, et aucun autre. Si ces deux articulations du genou et du coude pouvaient se prêter à un autre mouvement, il n’y aurait point de muscle pour le produire. Mais à la hanche et à l’épaule, où l’articulation admet un mouvement rotatoire, les tendons sont attachés aux os de manière à produire le mouvement que l’articulation permet. Par exemple, le muscle nommé le grand oblique ou le muscle du tailleur, s’attache à l’épine du dos, croise diagonalement par-dessus le fémur (ou l’os de la cuisse) et s’attache au tibia (ou gros os de la jambe) un peu au dessous de la rotule. Il permet ainsi, tout à la fois, le mouvement de rotation du fémur et le mouvement de flexion du tibia. Nous avons vu qu’il existait une disposition particulière dans les articulations de la tête et de la main : les muscles ont été attachés dans une direction oblique, afin que la disposition pût avoir son effet. L’articulation aurait été inutile sans les muscles obliques : les muscles obliques auraient été inutiles sans cette disposition particulière de l’articulation. On peut observer, par rapport à la tête, que son inclinaison et ses mouvements obliques sont souvent le résultat de la combinaison des mouvements directs de plusieurs muscles qui agissent ensemble.

Les muscles obliques attachés à la tête ont aussi pour fonction de la maintenir droite entre les épaules. La tête d’un petit enfant a besoin d’être soutenue pour rester également entre les épaules ; et la tête d’un homme mort tombe à droite et à gauche par son propre poids. C’est donc par l’équilibre de l’action des muscles, que la tête conserve sa position. Les muscles, dans ce cas, suppléent à ce qui manque en force à l’articulation de la tête et du col.

La destination particulière des muscles et des os à un certain but déterminé, est encore évidente dans le rapport exact que les anatomistes ont remarqué entre la longueur des apophyses de la colonne vertébrale et la quantité de mouvements que les os voisins permettent, et que les muscles respectifs peuvent produire.

Un muscle n’exerce sa force que par la contraction. Lorsque sa contraction cesse, il revient dans son premier état, c’est-à-dire, qu’il se relâche ; mais dans ce relâchement il n’y a aucun emploi de force. La nature de la fibre musculaire étant telle, il est évident que nous ne pouvons opérer des mouvements contraires et vigoureux, que par l’action opposée des muscles antagonistes, c’est-à-dire, de fléchisseurs et d’extenseurs, qui se correspondent. Par exemple : deux grands muscles, le biceps et le brachial interne sont placés sur la partie interne du bras ; et leur contraction fait plier l’avant-bras avec le degré de force qui se trouve nécessaire, et que le sujet comporte. Le relâchement de ces deux muscles laisserait simplement retomber l’avant-bras sans force ; mais pour que le bras, après s’être ployé, puisse se déployer avec force et donner ce que l’on appelle un coup de revers, d’autres muscles, savoir, le long extenseur, le brachial externe et l’anconœus, ont été attachés en dehors du bras, pour pouvoir, en se contractant, ramener l’avant-bras sur la même ligne que le bras, et cela avec le même degré de force précisément, que l’on en avait employé dans la flexion. Jamais on ne plie et étend un doigt que par la contraction de deux muscles opposés, que l’on nomme antagonistes. Chaque muscle a son adversaire ; et les deux ensemble travaillent comme des scieurs qui tirent et lâchent alternativement pour que leur travail se fasse. Il est difficile de citer une preuve plus évidente d’un dessein que cette position respective, et ce balancement d’action des divers muscles du corps humain. La nature des muscles étant telle, les animaux ne pouvaient exécuter les divers mouvements dont ils ont besoin que par la disposition qui a été adoptée. Or, cette disposition est faite de manière que les formes et la symétrie du corps humain sont conservées dans les différents mouvements musculaires.

Une autre propriété très remarquable dans l’arrangement des muscles, c’est qu’ils ne se nuisent pas réciproquement dans l’action qu’ils exercent. Je ne connais qu’un exemple dans lequel l’action de certains muscles nuise à l’action d’autres muscles : nous ne pouvons pas avaler en bâillant. Il n’était probablement pas nécessaire que les deux choses pussent avoir lieu à la fois : il y aurait peut-être eu de l’inconvénient à ce que la déglutition pût se faire en même temps que le bâillement avait lieu : quoiqu’il en soit, cet exemple prouve quelle perte, quels retards, quel embarras il y aurait dans l’emploi des facultés musculaires, si le cas était plus fréquent. Or, ce n’était assurément pas une chose facile que de placer les uns à côté des autres, ou dans des directions croisées de diverses manières, quatre cent quarante six muscles, que nous comptons dans le corps humain. Ces muscles, non seulement se croisent, mais s’emboîtent les uns dans les autres, et se traversent même quelquefois, afin que chacun ait sa liberté toute entière, et son jeu parfait. L’ensemble de cet arrangement demandait, il faut l’avouer, de l’intelligence et de la méditation.

En certains cas, dans l’arrangement des muscles, leur volume aurait été embarrassant, là où leur action était pourtant nécessaire. Qu’a fait l’Ouvrier ? Il a placé le muscle à une distance plus considérable, et il l’a fait communiquer, par des fils déliés, avec l’endroit où il fallait que son action fût sentie. Si les muscles qui mettent les doigts en mouvement avaient été placés dans la paume ou sur le dos de la main, celle-ci aurait été d’une grosseur embarrassante et désagréable ; la beauté, et les proportions de cette partie eussent été manquées. En conséquence, ces muscles sont placés sur l’avant-bras et jusqu’au dessus du coude. Ils agissent par des tendons très longs, assujettis au poignet, et passant sous un ligament jusqu’aux doigts, qu’ils sont destinés à mettre en mouvement. Il en est de même des muscles qui mettent en mouvement les orteils. Ils sont disposés d’une manière symétrique, et gracieuse, pour former le gras de jambe, au lieu de se trouver placés sur le pied même, où ils auraient fait un effet déplaisant, et auraient gêné la marche.

Les muscles de la main et leurs tendons.

Fig.1 : Les muscles de la main et leurs tendons.

J’ai déjà cité un exemple frappant de la manière judicieuse dont le distributeur des muscles et de leurs fonction les a arrangés, je veux dire l’emplacement du muscle de la membrane clignotante des oiseaux : il est placé au fond de l’œil, où il n’est point en obstacle à la vision, tandis qu’un tendon extrêmement délié passe sans inconvénient devant la cornée pour tirer le rideau, quand cela est nécessaire.

Il paraît que c’est une loi invariable dans le système musculaire, que la contraction du muscle se fasse vers son centre. Il a donc fallu modifier la forme et la position des muscles, de manière à produire, dans tous les cas donnés, l’effet à obtenir. En conséquence, la configuration, et la situation des muscles sont infiniment variées : quelquefois un muscle a plusieurs tendons, ou n’en a point du tout ; quelquefois un tendon appartient à plusieurs muscles ; mais l’unité du principe d’action est constamment la même, et d’une simplicité parfaite. L’Ouvrier qui a disposé le système musculaire paraît avoir agi précisément comme un artiste qui emploie à produire certains effets dont il a besoin, les matériaux qui ont certaines propriétés inhérentes à leur nature : il se plie à ces propriétés, et règle son travail en conséquence.

Quels concours de différentes choses ne faut-il pas pour que nous soyions une heure entière en bonne santé ! Quel concours plus grand, plus étonnant encore, ne faut-il point pour que toutes nos facultés soient en vigueur, et que notre activité se déploie ! Cependant, la très grande pluralité des individus jouit de l’exercice de toutes ses facultés ; et le dérangement d’un seul muscle, sur quatre cent quarante six, suffit à rendre la vie misérable. L’auteur du Philosophe religieux dit : « J’ai vu avec l’attendrissement de la pitié, mais aussi avec un retour de reconnaissance envers le conservateur de la nature, l’état d’un homme qui se portait bien à tous égards, mais qui avait une faiblesse dans les muscles releveurs de la paupière. Il était obligé, pendant tout le temps que dura cette incommodité, d’employer ses mains pour lever ses paupières ». Ceux qui jouissent de tous leurs organes ne se doutent guère de la complication des moyens continuellement employés pour maintenir intact l’exercice de leurs facultés.

Arrêtons-nous quelques moments à considérer la variété, et la miraculeuse promptitude des divers mouvements de certains muscles. Par exemple, il vaut la peine d’observer comment la langue exécute les divers mouvements dont elle est chargée. Chaque syllabe que nous articulons exige un mouvement particulier de la langue, des joues, des lèvres, et de la gorge. La disposition de la bouche, pour l’articulation de chaque syllabe déterminée, est sensible même à la vue, quand celle-ci y a été suffisamment exercée. On sait que les sourds viennent à comprendre en voyant parler. Pour la même personne, lorsqu’elle a appris à articuler correctement, il n’y a qu’une seule position de la langue, et des parties dont elle est entourée, qui puisse produire un certain son dans le discours. Avec quelle incompréhensible promptitude les diverses positions de la langue et du reste de la bouche ne se succèdent-elles pas ! Quelle variété, et pourtant quelle sûreté dans tous ces changements si rapides ! Ce qu’il y a de plus admirable ce n’est pas la faculté imitative, ou la faculté d’un changement arbitraire et rapide : c’est la variété infinie soumise à une règle fixe, conduisant à un effet certain, et en rapports avec des objets pour lesquels elle a été calculée. L’anatomie de la langue nous donne l’idée de l’extrême activité de cet organe. Ses muscles sont si nombreux, tellement entrelacés, que la dissection ne saurait s’en faire complètement ; et cependant le nombre et l’entrelacement de ces muscles ne nuit en aucune manière à la précision des diverses opérations de l’organe : il est même probable que ce nombre et cette disposition compliquée sont absolument nécessaires à l’entier accomplissement des fonctions de la langue.

Je désire de faire ici une petite digression sur les autres facultés de la bouche. On a dit que quand la nature essayait de remplir deux objets différents avec le même instrument, elle n’y réussissait qu’imparfaitement pour chacun des deux. Je demande si cette assertion se trouve vraie en l’appliquant aux différentes fonctions de la bouche. Cela est-il vrai de la langue, considérée comme l’instrument de la parole, l’organe du goût, et l’un des principaux moyens de la déglutition ?

Assurément non : car sur mille individus, il y en a peut-être neuf cent quatre vingt dix neuf chez lesquels la langue remplit très bien ces trois fonctions à la fois. La chaleur et l’humidité constantes de la langue, la finesse de sa peau, et les papilles nerveuses dont sa surface est parsemée la rendent tout aussi propre à être l’instrument du goût, que la multitude inextricable de ses fibres musculaires la rendent propre à l’innombrable variété des mouvements rapides que la parole nécessite. Les animaux qui sont destinés à paître l’herbe ont la langue recouverte d’une peau percée d’un nombre infini de trous déliés, lesquels répondent à des houpes nerveuses qui transmettent la sensation de la saveur, mais qui sous cette couverture, sont à l’abri des accidents que les pointes ou les barbes des graines ou de l’herbe pourraient leur occasionner.

La cavité de la bouche renferme une plus grande variété d’instruments destinés à différents objets qu’aucune autre partie du corps. Elle renferme premièrement les dents, de trois formes différentes ; c’est-à-dire, pour couper, pour casser, et pour triturer ou moudre ; des muscles artistement disposés pour le mouvement composé de la mâchoire inférieure, lequel est à demi vertical, et à demi latéral, afin que la trituration des aliments sous les dents molaires soit plus complète ; des jets de salive destinés à se mêler aux aliments pendant que la mastication a lieu ; des glandes, qui fournissent continuellement à ces jets ; une contraction musculaire d’un genre tout à fait particulier, laquelle a lieu dans l’arrière bouche, pour guider vers l’estomac les aliments broyés, contraction qui se propage dans le gosier et le conduit de l’œsophage, et force, s’il le faut, les aliments à remonter, ainsi que nous l’observons chez un animal qui broute l’herbe.

La bouche renferme, en second lieu, un appareil absolument distinct de tout ce que je viens de dire, et dont le jeu va continuellement, sans se laisser déranger par l’action simultanée de la mastication : cet appareil est celui de la respiration et de la parole. La bouche sert d’entrée à un conduit du larynx, qui est principalement destiné à faire passer l’air dans le poumon.

Le larynx est garni de certains muscles qui doivent produire, avec le concours de l’air, et l’action de la langue, des sons modulés à l’infini, et avec une précision, et des nuances dont aucun instrument de musique n’est susceptible.

Ce qui me semble caractériser spécialement la bouche de l’homme comme un chef-d’œuvre parmi les machines, c’est que la partie mécanique y est maintenue tout à fait distincte de la partie pneumatique : nous respirons et nous parlons, tout en mangeant. Ces deux merveilleux appareils, associés sans confusion, occupent peu d’espace ; leurs fonctions cheminent sans aucun embarras, et ce magasin de tant de parties diverses, de tant d’organes importants, n’est qu’une simple cavité !

L’action de sucer ne peut pas avoir lieu en même temps que la respiration, par la bouche seule. L’enfant nouveau-né n’aurait pas pu téter et respirer tout à la fois, si l’inventeur des organes n’eût pourvu à un autre conduit pour l’air. Le nez était indispensable, lors même qu’il n’aurait point été destiné à être le siège de l’odorat. L’inventeur a employé à des fonctions utiles un organe qui d’ailleurs se trouvait nécessaire.

Je reviens à l’objet qui doit principalement nous occuper dans ce chapitre, savoir, la précision et la célérité des mouvements musculaires. Observons ce phénomène chez un homme qui joue des passages difficiles sur le violon.

L’obéissance instantanée de ce nombre de muscles qui concourent avec une précision rigoureuse de temps et d’action à la formation des sons variés à l’infini, semble tenir du prodige.

Faites une observation qui est encore mieux à votre portée : contemplez les mouvements de votre main pendant que vous écrivez. Arrêtez-vous à considérer le nombre des muscles qui concourent au résultat tracé sur le papier. Cinq cents traits, sont façonnés dans une minute, et cependant il n’y a pas une lettre qui n’exige deux ou trois contractions distinctes de certains tendons déterminés, lesquelles contractions doivent être d’une justesse minutieuse, afin que le bout de la plume, où le mouvement se trouve multiplié, ne parcoure que précisément l’espace qu’il faut. La preuve de cette obéissance prompte et exacte se trouve dans la parfaite ressemblance des caractères tracés par la même main.

M. Home a observé que les fonctions les plus délicates et les plus importantes dans le corps humain, étaient remplies par des muscles d’une petitesse microscopique. Ainsi les muscles du tympan, et ceux qui servent à contracter la pupille, sont si déliés qu’on ne peut les découvrir qu’à la loupe ; et cependant l’exercice de deux de nos facultés les plus précieuses dépend de leur jeu et de leur conservation.

Il est à remarquer que les muscles agissent sur les articulations avec désavantage sous les rapports mécaniques ; c’est-à-dire qu’ils sont souvent attachés si près de l’articulation qu’il en résulte que la force musculaire a à vaincre une résistance très considérable, occasionnée par la longueur du levier contre lequel elle agit. La mécanique a toujours en vue l’un ou l’autre des deux résultats suivants : ou mouvoir lentement un poids considérable dans un petit espace ; ou mettre en mouvement avec rapidité un poids peu considérable, dans un grand espace. Pour accomplir le premier objet, il faudrait un autre emploi des leviers, et une autre disposition des muscles ; mais leur disposition, et l’emploi des leviers tels qu’ils existent étaient également convenables pour accomplir le but des mouvements que nous sommes appelés à faire.

N’est-il pas bien plus nécessaire que nous puissions porter la main vivement à notre tête, qu’il ne nous est utile de pouvoir soulever lentement un poids de plusieurs quintaux ? L’usage de cette force extraordinaire et d’un emploi très lent, peut être applicable de temps en temps ; mais nous avons un besoin continuel des mouvements prompts. C’est ainsi qu’un ouvrier fait plus de travail avec un fléau, ou une faux, instruments dans lesquels la vitesse se trouve multipliée, qu’il ne pourrait en faire avec des instruments dont la force serait plus grande mais qui travailleraient dans un plus petit espace. La même observation est applicable à la construction des animaux : en général, il auraient à perdre, s’ils échangeaient la vivacité de leurs mouvements, contre une force plus grande, une structure plus lourde, et des mouvements plus lents.1

Il est difficile de se faire comprendre des lecteurs qui ne sont point de l’art, en décrivant les mouvements de certains muscles spécifiques, surtout si l’on n’a pas le secours des figures. J’essayerai cependant d’expliquer de quelle manière se produit l’action musculaire dont résulte le mouvement de la mâchoire inférieure. J’indiquerai du moins comment agit le muscle principal. L’objet à remplir était d’abord de tirer en bas la mâchoire inférieure, pour faire ouvrir la bouche. L’expédient qui se présente serait d’attacher à la poitrine un muscle qui répondrait au menton, et qui, par sa contraction, ferait ouvrir la bouche.

Mais il est évident que la liberté des mouvements du col en aurait souffert, et que la conservation des formes actuelles ne comportait pas un tel moyen. En conséquence, un certain muscle, nommé digastrique, part d’un os de la face, au-dessus de l’articulation de la mâchoire. En descendant, ce muscle se convertit en un tendon arrondi. La contraction d’un tel muscle, s’il eût conservé sa direction en s’attachant à la mâchoire inférieure, l’aurait tenue soulevée, au lieu de la faire baisser. Il fallait donc changer la direction de la force, en faisant passer le tendon sur une poulie : c’est ce qui a été fait. Ce tendon passe dans un anneau de l’os hyoïde, et vient s’attacher au menton, en sorte que la contraction du muscle fait ouvrir la bouche.

Rien ne saurait être plus véritablement mécanique que l’invention suivante, savoir, une ganse faite au travers d’un tendon pour faire passer un autre tendon par cette ganse : c’est ce que nous voyons dans le mécanisme des doigts des pieds et des mains. Le long tendon qui fait fléchir la première phalange passe au travers du court tendon qui fait fléchir la seconde phalange.

Il en résulte beaucoup plus de liberté dans les mouvements qu’il n’aurait pût y en avoir sans cela.

Il y a une circonstance de l’arrangement des muscles qui manifeste aussi clairement un dessein qu’il soit possible de l’imaginer : c’est la ligature des tendons du pied dans le bas de la jambe. Le pied faisant un angle très considérable avec la jambe, il est évident que des tendons, ou cordes flexibles, passant en dedans de cet angle, se seraient soulevés à chaque contraction des muscles dont ils sont le prolongement. Il fallait donc les lier au bas de la jambe, sans cependant empêcher leur jeu : c’est ce qui a été fait. Ils passent librement sous un ligament très fort qui les retient assujettis. La ressource de l’art humain aurait été exactement semblable.

Je demande comment le système de ceux qui prétendent que toutes les parties de l’animal sont formées par appétence, c’est-à-dire, par une tendance imperceptible dont l’effet a été prolongé dans une suite incalculable de générations, je demande, dis-je, comme ce système peut se concilier avec le fait dont je viens de parler.

Loin d’y avoir appétence ou tendance, il y a résistance et combat dans le cas du ligament qui assujettit les tendons du pied. La pression du ligament agit sur les tendons, et ceux-ci, toutes les fois que le muscle se contracte, réagissent sur les fibres du ligament. Il est impossible que le ligament ait pu être engendré par l’exercice des tendons, car cet exercice a au contraire, une tendance continuelle à en rompre les fibres.

L’Evêque Wilkins a observé, d’après Galien, qu’il y a dans chaque muscle dix circonstances distinctes à considérer, qui toutes sont nécessaires à l’usage complet, de chacun d’eux :

1° la forme du muscle, laquelle est en raison de sa destination ;

2° sa grosseur, qui y est également proportionnée ;

3°son point d’appui ;

4° son point d’action ;

5° le rapport des positions de ses deux extrémités ;

6° la position du muscle considéré dans son ensemble ;

7° sa direction ;

8° l’insertion des nerfs dans ce muscle ;

9° l’introduction et la sortie des artères ;

10° l’introduction et la sortie des veines.

Comment des choses dont l’arrangement est si compliqué, peuvent-elles être faites et disposées sans admettre de l’intelligence dans l’Ouvrier ?

Je me suis étonné quelquefois de ce que le mécanisme des corps des animaux ne nous frappait pas, tandis que nous admirons beaucoup les machines des artistes humains. Une des raisons de cette différence est probablement que les corps des animaux sont formés de substances dans lesquelles nous ne sommes point accoutumés à chercher et suivre un mécanisme quelconque, au lieu que les machines faites de main d’homme sont composées, de bois, de métaux, et d’autres substances, dans lesquelles nous sommes accoutumés à suivre l’intention de l’ouvrier qui a modifié leurs formes pour obtenir un certain résultat.

Mais enfin, il est bien évident, pour celui qui veut y appliquer son attention, que les mêmes lois de mécanique, les mêmes genres d’inventions et de moyens, se retrouvent dans les corps des animaux, et dans les machines que les hommes exécutent.

1 L’auteur aurait pu ajouter deux observations qui justifient l’emploi des leviers tel qu’il est, dans l’attache des muscles aux os de nos charpentes : la première, c’est que la capacité de force musculaire étant indéfinie, c’est-à-dire, dépendante de la volonté du Créateur, la considération de l’épargne de la force doit être mise de côté. La seconde observation, c’est que l’application du levier le plus désavantageux quant à la force, était indispensable pour la conservation des formes : par exemple, si le muscle qui s’attache d’un côté à l’os du bras et de l’autre à un os de l’avant-bras, pour opérer la flexion de cet avant-bras, au lieu d’être attaché près de l’articulation du coude, l’eût été près de poignet, ce muscle, en agissant par contraction, aurait comblé le vide qui existe entre le bras et l’avant-bras après la flexion, et aurait changé la forme actuelle en une masse triangulaire de chair et d’os.

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