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Par P. Louis Bouyer
De la magie technologique aux mystiques cosmiques1
Résumé : Une approche simpliste du développement technologique le reçoit comme un progrès puisqu’il soumet aux besoins de l’homme une nature de mieux en mieux maîtrisée. Cette vision optimiste de l’évolution cosmique a été systématisée par Teilhard de Chardin qui en fait comme un substitut au règne de Dieu sur sa Création. Mais cette « eschatologie rose » méconnaît le retournement de la technologie contre l’homme, dont l’existence devient de plus en plus factice et décentrée de sa véritable finalité. Même la réaction « écologiste », en déifiant une nature dont l’homme serait exclu, participe à cette entreprise déshumanisante. L’homme ne retrouvera les vraies dimensions de sa propre humanité qu’en reconnaissant humblement l’Amour transcendant qui l’a suscité dès le Commencement.
La science et la technologie :
Quoi qu’on dise, ni Francis Bacon ni Descartes n’a posé les bases de la science moderne. Mais ce sont des hommes comme Galilée ou Newton, animés d’un tout autre esprit, qui l’ont fait2. On peut les considérer comme les héritiers légitimes de cette cosmologie foncièrement biblique et chrétienne dont les grands scolastiques du XIIIème siècle étaient eux-mêmes les plus scientifiques présentateurs, si par là on entend des penseurs à la fois effectivement soumis à la réalité dans toute sa contingence, en même temps que persuadés de sa rationalité profonde, parce que dominés dans leur vision des choses par l’idée pleinement élaborée d’un dieu tout-puissant et tout-sage, créant toutes choses par la pure libéralité de son amour. Mais, ce dont Bacon et Descartes sont sinon les premiers auteurs au moins les premiers porte-parole, c’est de l’orientation décisive du développement technologique moderne qui allait assujettir étroitement au moins les premiers progrès de la science physico-chimique à ses propres orientations.
Et celles-ci, on doit le dire sans hésiter, sont nettement non pas religieuses, et surtout pas dans le sens biblique et chrétien, mais magiques, si la magie est l’effort pour soumettre à l’égocentrisme d’une humanité orgueilleuse et sensuelle même, s’il se peut, les réalités où l’on reconnaît pourtant le doigt de Dieu.
La religion dont font grand bruit Bacon et Descartes ne doit point tromper. Celle de Descartes, complexe et curieuse figure que l’on n’a pas fini d’élucider, est sans doute plus sincère. Mais il est typique de son Dieu qu’il ne le fait intervenir que pour donner la chiquenaude initiale qui mettra le monde en branle, puis, si sa mécanique en venait à se gripper, pour la remettre en marche. Comme on l’a dit drôlement, son Dieu, le Dieu de sa cosmologie, n’est qu’un dieu-plombier, bon tout juste à faire l’installation et à en réparer les fuites éventuelles.
Quant à Bacon, malgré ou à cause de la sagacité pratique d’un esprit tout tourné vers l’acquisition, ses protestations onctueuses de religiosité s’entendent d’une religion qui n’est plus guère que le rempart de l’Etat, ou plutôt de ceux qui l’ayant parasité à leur profit ne voient pas pourquoi ils ne feraient pas de même du monde. C’est donc une simple volonté de puissance et de lucre qui meut la technologie baconienne et c’est dans le sens qui lui sera favorable que devra jouer cet Advance of Learning, ce progrès dans la connaissance qu’il invoque, mais qui ne fût jamais sur les bases qu’il suggère.
L’un comme l’autre, Bacon et Descartes manifestent, hypocritement voilé chez le premier, inefficacement freiné chez le second, ce culte de l’argent, de la puissance qu’il confère, jamais assez grande aux yeux de ses détenteurs, des possibilités qu’il semble offrir de jouissance matérielle illimitées – toutes choses que nous avons déjà relevées comme caractéristiques de la civilisation bourgeoise qui, à la fin du Moyen Age, commence de s’affirmer.
Elle triomphera en Angleterre dans la révolution industrielle du milieu du XVIIIème siècle, et en France quand la Révolution tout court, puis l’Empire s’engageront dans la réalisation des idéaux de l’Encyclopédie.
La philosophie nominaliste lui avait fourni à point nommé ses justifications.
Et le marxisme, en prétendant remettre sur ses pieds l’idéalisme dont ce nominalisme avait été le germe, conservera intacte, voire colmatera cette civilisation mammonienne en avouant explicitement ne plus reconnaître d’autre réalité qu’économique.
De la technique à la civilisation technologique :
Ceci devait faire une civilisation non seulement matérialisée, mais dévitalisant la matière elle‑même dans un mécanisme sans âme. Il importe de voir comment on devait en arriver là ‑ comment, en d’autres termes, concentrant l’attention de plus en plus exclusivement sur le progrès des techniques, destinées en principe à assurer le bien (mais quel bien ?) de l’humanité, on en viendrait à une civilisation où l’absorption de toute la vie de l’homme comme du cosmos lui‑même dans la technique, devient le but suprême, sinon unique.
On constate ici un phénomène psychologique et sociologique analogue à celui que présente l’argent et qu’on a bien des fois décrit à propos de ce dernier. Mais les deux se produisant ensemble n’ont pas seulement un effet cumulatif : il va en résulter comme une élévation à la seconde puissance. Déjà les anciens avaient bien observé que les hommes recherchent l’argent comme une forme particulière de pouvoir, en tant que moyen soit de se procurer les plaisirs sensuels, soit de tonifier leur volonté de domination. Puis ils en viendront à rechercher l’argent pour lui‑même, et se priveront pour cela de tout autre plaisir. Ils en arriveront finalement à devenir les esclaves de ce qu’ils avaient commencé par poursuivre comme le simple instrument de leur puissance.
Le développement de la technique auquel nous avons assisté dans la société moderne présente une analogie supérieure de cette aliénation. Il révèle, peut‑être mieux que tout, comment le dessein d’autonomie radicale, chez l’homme, de recentrement universel de la réalité sur soi, n’a d’autre effet que de le réduire à un esclavage finalement démoniaque, lequel fait de lui non plus un homme mais une chose.
Ceci ne signifie pas que la technique ait rien en soi de mauvais.
L’homme naît en ce monde, de par la volonté de son Créateur, nous dit la Genèse, pour le cultiver. C’est dire qu’il naît technicien, la technique n’étant qu’un art de comprendre la nature de manière à la faire servir à une fin consciemment poursuivie. Mais cette fin, dans la visée de la création, devait être de glorifier le Créateur en développant son oeuvre dans le sens d’un service mutuel des hommes, qui les amène tous ensemble à vivre pleinement son dessein. C’est ce qu’Irénée a parfaitement exprimé dans une formule qu’on cite malheureusement presque toujours incomplètement : « la gloire de Dieu, c’est que l’homme vive… mais, pour l’homme, vivre, c’est connaître Dieu » ‑ entendons au sens biblique : connaître Dieu comme on en a été connu depuis toujours, c’est‑à‑dire reconnaître son amour en l’aimant en retour et en aimant tout ce que Dieu aime comme lui‑même l’aime.
L’Apologie Chrétienne de la Civilisation technologique : Teilhard de Chardin
Certains auteurs modernes, théologiens catholiques, au moins d’intention, dans leur désir de justifier le progrès, et spécialement le progrès technique, à une époque où il ne soulevait guère encore d’inquiétude ou de critique, en tout cas qui eussent quelque chance d’être largement écoutées, ont proposé de voir dans le développement et l’expansion des techniques, au sein d’une civilisation chrétienne, au moins dans ses origines, un effort pour récupérer les dons préternaturels qui, d’après les théologiens médiévaux, auraient distingué l’homme d’avant la chute de ce qu’il est devenu à la suite et par l’effet de celle‑ci. Retombé de sa vocation surnaturelle d’adoption, d’abord au niveau de sa simple nature, et celle‑ci encore se trouvant troublée, obscurcie, diminuée du fait de cet éloignement volontaire de l’homme par rapport à son Dieu, l’homme relevé par le Christ serait appelé à recouvrer, dans son retour au Père, tout ce qu’il avait perdu du fait de son égarement.
La systématisation la plus optimiste, chez nous, de cette théologie des réalités terrestres est évidemment celle que Teilhard de Chardin a proposée3. Le développement des techniques allant de pair, comme il l’observe justement, avec une socialisation croissante de l’existence humaine, dont le terme dernier devrait être ce qu’il appelle sa « planétisation », même s’il n’entraîne pas de lui‑même l’avènement du règne de Dieu, devrait aller à sa rencontre.
Or, derrière tous les efforts pour faire coïncider le progrès simplement humain, et spécialement le progrès technique, avec l’épanouissement sans heurt de la vocation surnaturelle de l’homme et de l’univers, il y a une double erreur, portant à la fois sur cette vocation et sur l’état concret de l’homme tombé, aussi bien après l’intervention salvatrice du Christ qu’auparavant.
Certes, la vocation d’adoption filiale, dans le Fils unique, adressée à toute l’humanité, à la nature humaine concrète dans l’ensemble de ses individus, englobant toute leur relation au cosmos, ne suppose point une quelconque mutilation, de rien de ce qui s’y trouve engagé, mais une transfiguration. Il n’empêche, comme saint Maxime le Confesseur l’a peut‑être vu et exprimé mieux que personne4, qu’il ne saurait être question, pour quelque créature que ce soit, d’être associée à la vie divine, d’être prise et emportée dans l’agapè paternelle sans qu’elle doive passer par une métamorphose. En tout état de cause, celle‑ci, même si elle ne comporte pas la mort telle que nous la connaissons, supposera toujours une refonte héroïque, « an agonizing reappraisal » comme diraient les Américains. Notre Dieu est un feu consumant, dit le Deutéronome, et Job de son côté nous prévient que les Anges mêmes ne peuvent soutenir le regard divin sans en être décapés dans toute la profondeur de leur être5.
A bien plus forte raison, l’idée d’une eschatologie rose, où l’homme pécheur pourrait être ramené au Père par le Christ sans avoir à porter sa croix à sa suite, apparaîtra comme totalement chimérique. Le Christ, nous ne devons jamais l’oublier, n’est pas mort, n’a pas souffert pour nous dispenser de souffrir et de mourir, mais bien pour nous mettre à même de souffrir d’une manière qui soit réparatrice, et de mourir comme lui-même l’a fait, de cette mort qui seule peut tuer la mort et rendre la vie à ceux qui gisaient dans les tombeaux, comme dit le tropaire pascal byzantin.
Mais surtout, si la technique et son développement sain appartiennent en propre au développement de la nature humaine, il ne peut en être dit autant de ce biais très particulier qu’a pris le développement technique dans cette société moderne qu’on a pu appeler la société technologique par excellence. Car ce progrès, dès l’origine, y a été infléchi dans le sens d’une satisfaction sans contrôle de la sensualité égoïste de l’homme et sourdement dominé par un dessein prométhéen : s’élever, par la seule force de l’industrie humaine, jusqu’à ravir à Dieu sa maîtrise de l’univers6.
Encore n’est‑ce pas tout. Ce dessein de reprendre la construction de la tour de Babel, réapparaissant dans une société chrétienne, au moins d’intention, et au moment où celle‑ci paraissait arrivée au plus haut point de sa conscience d’elle-même, le projet technicien des modernes est clairement, dès l’origine, en dépit de ses camouflages conscients ou inconscients, un projet non pas chrétien mais pré et post‑chrétien. Comme il en avait été du gnosticisme hérétique, en effet, aux premiers siècles, lequel n’avait fait que s’emparer des termes et des notions bibliques et chrétiens pour en raviver et renforcer l’antique vision cosmique et anthropologique des mythes où se reflétait la chute primitive, on peut dire que la technologie moderne, dès le début et de plus en plus décidément, semble s’être appliquée à tourner en une entreprise néo‑magique les espérances les plus typiquement chrétiennes.
Retournement de la technologie contre l’homme :
Ce qui peut être considéré comme le test de cet emballement littéralement démoniaque de la technique, bonne en soi, dans le sens d’un idéal exclusivement technologique, c’est quand nous la voyons, comme cela se produit sous nos yeux, tendre de plus en plus évidemment à substituer une économie de gaspillage destructeur des ressources naturelles à toutes ces économies jugées dépassées qui avaient ceci de commun quelles respectaient, voire favorisaient positivement le renouvellement de ces ressources, en se pliant aux rythmes de la vie végétale et animale. Notre monde exagérément urbanisé atteste au contraire une volonté non pas tant de s’en affranchir que de les ignorer.
De pair avec cela, on doit relever l’altération croissante de la qualité des produits manufacturés, à commencer par les aliments, au seul profit d’une productivité galopante, faisant voisiner une abondance quantitative, souvent inutilisable, avec la disette des produits essentiels. Mais de cette altération de ce qu’on appelle les biens de consommation, ‑ d’une consommation artificiellement excitée par la suggestion de besoins factices ‑ nous voici en train de passer à une manipulation de l’homme lui‑même, où, sous le fallacieux prétexte de lui offrir, des possibilités inouïes de jouissances, dans le domaine sexuel en particulier, on détourne de leur finalité foncière les voies mêmes de la propagation de l’espèce. Ainsi en arrive‑t‑on à combiner, par un paradoxe catastrophique, ce qu’on appelle l’explosion de la population chez les sous‑développés avec une stérilité, volontaire à l’origine, mais qui paraît deplus en plus insurmontable chez ceux qui se croient et se veulent le moteur de la civilisation.
C’est vraiment ici que nous touchons le fond de cette détérioration de toute la création vers laquelle une civilisation comme la nôtre, absorbée et s’absorbant dans la technologie, penche inévitablement. Non seulement elle tend à substituer à la vitalité originelle du cosmos une accumulation de machines, à faire du cosmos tout entier, comme de la société humaine tout entière, une monstrueuse machine, tournant à vide.
Mais, quoique en principe celle‑ci ait été conçue pour être toute au service de l’homme, lorsqu’il s’est laissé prendre dans l’engrenage de son développement, elle en vient à le résorber lui‑même, à le réduire à l’état de simple pièce dans son mécanisme envahissant. Ainsi, finalement, non seulement le monde se réduit à n’être plus qu’un entassement de rebuts irrécupérables, mais l’homme n’y fait plus figure que d’une chose morte parmi les autres.
Un symptôme particulièrement révélateur de cette évolution est l’importance disproportionnée, véritablement idolâtrique, que les moyens de transport, la mobilité incessante, le vertige de la vitesse ont prise dans l’humanité contemporaine. On n’y bouge plus tellement pour se rendre d’un lieu à un autre en vue d’une fin définie, mais simplement pour se mouvoir, et se mouvoir toujours plus vite. Ce refus de toute fixation n’est pas l’indice d’une véritable liberté créatrice, mais d’une incapacité d’enracinement, qui équivaut à un épuisement stérile des ressources de la race, à une fuite de toute qualité possible dans un quantitatif proliférant.
Le maintien, la survie de ces communautés de vie qui sont les matrices physiques et les mères morales de tout développement personnel en devient impossible. D’où un avortement uniforme de tous les individus, s’entassant dans une sempiternelle reproduction du même homme sans qualité pour reprendre l’expression de Musil7. Celui‑ci peut bien alors multiplier ses sociétés factices, de plus en plus et de plus en plus artificiellement spécialisées, elles ne seront pour lui qu’autant de lits de Procuste où il s’étendra successivement pour y voir rogner tout ce qui pouvait lui rester d’humanité.
Au terme, on ne peut prévoir que la constitution, totalement sclérosée dans son accomplissement même, d’un univers concentrationnaire, caricaturant le corps mystique du Christ dans un colossal corpus diaboli,tout entier pris dans la glace, comme le Satan de Dante.
La réaction écologique :
La réaction affolée était inévitable, quand une conscience sourde de ce vers quoi nous tendons aurait commencé de se généraliser. C’est ce qui semble s’être produit au cours des dernières générations. Il était à prévoir qu’elle se formulerait d’abord où le processus était le plus avancé, apparemment le moins critiquable par une société sans racines qui s’y livrait à corps perdu, c’est‑à‑dire en Amérique du Nord8. C’est là, et d’abord dans les milieux scientifiques, puis parmi des techniciens brusquement éveillés eux‑mêmes de leur songe optimiste dans un cauchemar lucide, que la persuasion s’est donc brusquement imposée : nous n’en sommes pas, comme le vieux monde cherche encore, sans plus trop y croire, à s’en persuader, à une crise de croissance dans notre développement, mais à un goulot d’engorgement, qui ne débouche sur rien.
D’où, non seulement chez les hippies et autres marginaux, mais, ce qui est bien plus grave et autrement significatif, chez un nombre croissant d’artisans naguère les plus convaincus de l’avance technologique, le surgissement d’une véritable mystique naturiste, d’un refus passionné de toute technique et de la société technologique. Il ne s’agit plus simplement en effet d’un souci rationnel de l’écologie : de la sauvegarde des ressources naturelles en voie de dilapidation précipitée, ni du maintien d’un environnement naturel faute duquel toute vie humaine se sent menacée d’étouffement. Dans une espèce de néo‑rousseauisme exacerbé on veut rompre avec la civilisation comme telle, sans se rendre compte qu’à prétendre retrouver une nature non marquée par l’homme, celui‑ci, pût‑il encore y parvenir, ce qui est bien entendu chimérique, ne le pourrait par une autre voie que de se désagréger de plus en plus dans le non‑humain.
D’ailleurs, en voulant échapper aux séquelles qu’on commence à toucher du doigt de cette fausse humanisation du cosmos, laquelle en est seulement la matérialisation, la mécanisation mortelle, du fait d’une humanité qui a perdu la foi en sa propre spiritualité, on se cramponne généralement à toutes les options aberrantes qui l’ont projetée dans ce qu’on veut maintenant fuir à tout prix. Rien de plus caractéristique de ces contradictions que ces écologistes illogiques, adorateurs d’une nature non polluée, mais qui n’en persistent pas moins à batailler pour une sexualité contraceptive et abortive.
En fait, le changement d’idoles est tout apparent : qu’on s’adore soi‑même comme le faisait l’homme encore béatement technocrate, ou qu’on adore à la place une nature acclamée, réclamée dans son inhumanité, c’est toujours, et comme toujours sous un masque, le même démon qu’on adore, d’une sensualité enclose sur elle‑même, respirant, ou plutôt étouffant dans le solipsisme de son orgueil infantile. Le monde auquel on veut faire retour n’est pas vraiment le cosmos de la création divine, mais la projection sur les choses d’un homme déraciné, qui, en leur refusant leur mystère, leur interdit de le régénérer lui‑même dans son être véritable de créature, et de créature appelée à la filiation. Le monde auquel on croit revenir, au sein duquel on voudrait replonger pour revivre, n’est que le miroir de Narcisse. L’homme ne s’y retrouve que dans une illusoire image de soi‑même, dont la seule réalité est celle de son néant néantisant tous choses.
L’homme ne peut revivre, le cosmos ne peut l’arracher à son autodestruction que si le premier redécouvre dans une certaine pauvreté volontaire la condition d’une possession du monde qui ne le réduise pas en cendres dans ses mains trop brutalement avides. Et c’est dans un respect recouvré, une admiration rajeunie de ce qu’il y a dans les choses qui dépasse le monde, qu’il retrouvera les vraies dimensions de sa propre humanité. Reconnaître dans le monde la présence et les signes oubliés d’un amour transcendant, se reconnaître soi‑même comme personne suscitée, appelée par la Personne de qui tout procède et à qui tout doit se rapporter, cela va et ne peut qu’aller d’un même pas.
1 Repris de Louis Bouyer, Cosmos, Paris, Cerf, 1982, pp.251-262.
2 Stanley Jaki, The Road of Science and the Ways to God, pp.349 ss.
3 On lira avec profit la série des ouvrages que le Père de Lubac a rédigés sur cette figure et cette oeuvre controversées, spécialement La Pensée religieuse du Père Teilhard de Chardin, Paris, 1962.
4 On trouvera les textes de Maxime discutés dans Hans Urs von Balthasar, Liturgie cosmique, pp. 100 ss
5 Deutéronome, 4, 24 (cf. Ezéchiel, 1) et Job, 4, 18.
6 Ceci est flagrant chez Francis Bacon, tout autant et plus encore que chez Descartes.
7 Le roman de Musil, L’Homme sans qualité, à travers une description peut‑être poussée au noir de la fin de l’empire austro‑hongrois, a retracé de façon saisissante la dépersonnalisation générale à laquelle aboutit ce qu’on devait appeler plus récemment la société de consommation.
8 Voir l’essai de Raymond Ruyer, La Gnose de Princeton.