Ô France, tête hexagonale !

Par Jean-Marie Mathieu

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Regard sur la création :

« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Romains 1, 20)

Résumé : La figure hexagonale que traçait jadis sa main malhabile sur une feuille d’écolier, sous la férule d’une Sœur lorraine, peut ressurgir un jour à la mémoire de l’homme fait. C’est alors un regard chargé de culture qui discerne, sous l’harmonie géométrique, le formidable atout des fleuves unifiant pour l’Histoire la vie des peuples parvenus en Gaule au terme de leur migration. Strabon l’avait déjà entrevu, il y a 2000 ans, y discernant un dessein providentiel. Qui plus est, aux cinq fleuves répondent les cinq sens, témoignant de la complétude d’une mission divine à laquelle la France peut encore se réveiller et s’atteler un jour.

C’est en classe de huitième, à l’Institution Notre-Dame de Valence, que j’ai appris pour la première fois à dessiner la carte de note chère patrie, la France. L’institutrice, une Sœur lorraine pas toujours commode, tenait lieu de professeur de géographie. Sous sa férule, il fallait d’abord prendre son cahier d’écolier enfoui quelque part dans le cartable, le poser sur le pupitre devant soi, l’ouvrir à une page blanche, s’armer d’une règle dans la main gauche et d’un crayon à papier dans la main droite, puis attendre en silence la suite des opérations : tout était alors prêt pour la grande leçon.


Premier travail : tracer au crayon un  carré qui devait tenir toute la page, puis le diviser soigneusement en quatre fois quatre = seize petits carrés tous égaux. Une nouvelle opération, plus compliquée cette fois – et tous les sages garnements de tirer la langue avec application – consistait à pointer la mine de plomb sur le centre de la figure géométrique obtenue (centre probablement situé ‘pour de vrai’ vers Neuvy-Saint-Sépulchre1 au cœur du Berry), à reporter ensuite la longueur de deux petits carrés dans quatre directions diagonales opposées, puis à tracer un hexagone en reliant les sommets de la figure. Restait enfin à crayonner les quinze et vingt contours terraqués de notre pays, lesquels, ô miracle ! venaient s’inscrire tant bien que mal dans le polygone aux six côtés.

Heureusement, la Sœur nous en dessinait le modèle, traits vifs à la craie bleue, blanche et rouge sur tableau noir. Avec un peu d’imagination, on pouvait alors voir  naître, sous l’ouvrage de nos doigts malhabiles, la Tête hexagonale de la France. Amusements sur les bancs : « Hé, t’as vu ce pif ! » etc. Vite calmés par la Sœur lorraine qui avait conscience de nous avoir ‘révélé’ là un savoir hautement sacré…

À cette époque  j’ignorais, bien sûr, l’œuvre et jusqu’au nom de Strabon (57 av. J-C – 24 ap. J-C), ce géographe grec qui s’enthousiasma devant la ‘carte’ du pays de nos ancêtres :

« Il y a, écrivait-il,  une correspondance en quelque sorte symétrique qui existe entre les différents fleuves de la Gaule et par suite entre les deux mers Intérieure [mer Méditerranée] et Extérieure [océan Atlantique ]. On trouve en effet, pour peu qu’on y réfléchisse, que cette circonstance constitue le principal élément de prospérité du pays, en ce qu’elle facilite entre les différents peuples qui l’habitent l’échange des denrées et des autres produits nécessaires à la vie et qu’elle établit entre eux une communauté d’intérêts d’autant plus profitables qu’aujourd’hui, libres de toute guerre, ces peuples s’appliquent avec plus de soin à l’agriculture et se façonnent davantage au genre de vie des nations civilisées. On serait même tenté de croire ici à une action directe de la Providence2, en voyant les lieux disposés non pas au hasard, mais d’après un plan en quelque sorte raisonné. »3 

Il ne croyait pas si bien… croire !

Passèrent les décennies.

Quand subitement, cet émouvant dessin d’écolier ressurgit dans ma mémoire, mais enrichi cette fois par un regard nouveau, naïf, original.

A-t-on assez remarqué, en effet, que notre magnifique patrie charnelle, tel un Chef à la proue des nations, est sillonnée par quatre fleuves et effleurée par un cinquième, cinq fleuves donc au total, symbolisant nos cinq sens ?

  • Vue, avec la Seine traversant Paris, capitale depuis Clovis, la ville lumière chantournée en forme d’œil ovale gauche avec Notre-Dame en la l’île de la Cité pour pupille.
  • Odorat, avec la Loire se prélassant, sous le nez de la Bretagne pointé vers l’Ouest, en ce val de Loire inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, en cette vallée des rois, ce jardin de la France ‘à la française’  émaillé de fleurs de lys aux mille senteurs.
  • Goût, avec la Garonne bordée de ces fameux cépages plantés par les guerriers celtes devenus vignerons astucieux. Depuis, que de vins aux noms prestigieux, élevés en tonneaux de chêne, qui ont fait tourner bien des têtes! J’en ai déjà l’eau à la bouche !
  • Ouïe, avec le Rhône passant à Lyon, capitale des trois Gaules, siège de la primatiale Saint-Jean, cité qui vit la naissance du catholicisme dans notre pays grâce à des missionnaires venus de Rome. Comme l’écrit saint Paul « Fides ex auditu », « la foi naît de la prédication, de l’écoute, de l’ouï-dire. »4 Nombre d’icônes byzantines représentent la silhouette de Marie à la Nativité, en forme d’oreille, signe de sa toute obéissance féconde à la Parole de Dieu.
  • Toucher, enfin, avec le Rhin, seul fleuve servant de frontière rive à rive entre la France et un autre pays européen, en l’occurrence l’Allemagne.

L’imposition des mains, organe majeur du toucher, se fait sur le sommet du crâne, lors d’une ordination par exemple.

Réécoutons un peu pour voir la forte expression employée par Jean-Paul II lors de son passage au Bourget, le 1er juin 1980: « France, Fille aînée de l’Église et éducatrice des peuples… »

La mission de chacune de nos patries est ce que Dieu Trinité pense d’elle dans l’éternité.


1 Il me plaît énormément que cette orthographe bizarre soit due à un clerc malicieux du Moyen Âge ébloui par la splendeur des lieux : pulchrum sepulcrum !

2 ‘Providence’ en grec  πρόνοία, ‘pronoïa’ = prescience, pré-conception;  mot employé  pour la première fois  par l’historien Hérodote (484-425 av. J-C) voulant indiquer la prédisposition et la sollicitude divines envers le monde, donc que le Ciel s’occupait vraiment de notre terre.

3 Géographie, Livre IV, § 14.

4 Rm 10, 17.  Le Dr Hubert Larcher a remarqué que l’ouïe symbolise avec trois voûtes: « Voûte céleste où joue la musique des sphères, éternelle et puissante à l’Image du Père, et voûte du palais, où vibre la parole, modulée dans la chair à l’Image du Verbe. Et, répondant aux deux, une voûte de pierre qui réfléchit le verbe et féconde l’oreille, comme le Saint Esprit celle de Notre Dame. » (in L’écoute cistercienne et l’unité sonore, Éd. DésIris, 2003, p. 9)

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