Jeanne d’Arc, une Sainte sans icône

Par Adrien Bonnet de Viller

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HISTOIRE   «Si l’homme est libre de choisir ses idées, ii n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. » (Marcel François)

 

Résumé : Il est peu d’églises, même de simple village, qui n’aient leur statue ou leur tableau de l’héroïne nationale. L’artiste, cependant, n’a pu s’inspirer d’aucune représentation d’époque : nous ne savons même pas si elle fut blonde ou brune ! Et le bûcher à Rouen ne nous en a laissé aucune relique. Quelques témoignages, notamment ceux recueillis lors du procès en réhabilitation en 1455-1456, nous donnent d’intéressants éléments sur son apparence et son comportement : sa force physique, son endurance, ses pleurs. Deux traits sont à noter, que seule peut expliquer sa mission providentielle : qu’elle n’ait jamais inspiré de désir charnel à son écuyer, Jean d’Aulon ; qu’elle n’était pas sujette à la menstruation. C’est donc bien à nos âmes seules que s’adresse encore celle qui recevait directement ses « conseils » d’En-Haut.

            À peu près tous les saints nous ont laissé des reliques, des souvenirs, images, portraits, statues, dont l’unité générale nous permet une connaissance sensible de ce qu’était leur physique. À cette règle commune dans notre hagiographie, une exception : sainte Jeanne d’Arc.

            Mon lecteur sera peut-être surpris par cette affirmation, car les représentations de notre Sainte de la Patrie sont si innombrables que de faire l’inventaire des images, portraits, statues qui tentent de la représenter, serait pratiquement impossible. Plusieurs thèses de doctorat n’y suffiraient pas.

            Mais toutes sont œuvres pieuses, certes, mais de pure imagination, car il n’existe aucun portrait authentique de Jeanne ; on ne sait même pas si elle fut blonde ou brune !

miniature

            Et pour cause ! La carrière aventureuse de cette jeune fille se termina sur un bûcher, construit avec une particulière cruauté, et ses cendres furent jetées à la Seine, depuis le pont qui porte encore son nom.

            Son cœur, pourtant, ne put être détruit malgré les efforts du bourreau, qui en conçut une telle terreur, qu’il courut au couvent le plus proche en criant : « J’ai brûlé une sainte ! »

Selon une vieille légende, le cœur de Jeanne bat toujours quelque part dans l’estuaire de la Seine. En tout cas, il n’existe aucune relique connue de « la Bonne Lorraine ».

            Il n’en existe donc aucun portrait ni sculpture de l’époque, qui puisse permettre de fixer ses traits et sa constitution physique. Par contre, les textes des procès, surtout les témoignages nombreux, recueillis lors de la réhabilitation en 1455-1456 peuvent nous apporter nombre de détails, mais parfois contradictoires.

Sculpture

            L’un des plus fiables parmi ces témoignages est celui de Jean d’Aulon, qui fut maître d’hôtel de Jeanne. Il dit qu’elle était « belle et bien formée ». Cousinot rapporte « qu’elle était bien « compassée de membres et forte ».

            Quant à Perceval de Boulainvilliers, il en donne la description suivante dans une lettre au duc de Milan : «  Cette Pucelle a la beauté qui convient, elle a une attitude virile (…) l’on ne vit jamais pareille force à supporter la fatigue et le poids des armes ; c’est au point qu’elle peut rester six jours et six nuits sans détacher une seule pièce de son armure. »

            Or c’était une jeune fille de 17 à 19 ans ! Et l’on sait la complexité de ces armures de plaques qui pesaient sur elle de 25 à 30 kilogrammes !

            Mais différents témoignages sont contradictoires, notamment sur la couleur de ses cheveux. Philippe de Bergame nous dit « qu’elle avait une grande force musculaire », et qu’elle « avait des cheveux noirs ». Tandis que le moine Augustin, le greffier de La Rochelle, et Sabadino sont d’accord pour dire que Jeanne « était blonde ». On peut penser, par ses ascendances lorraines, que cette dernière affirmation semble probable ; mais ce n’est pas une certitude.

            Jeanne avait le don des larmes, qui est celui de la plupart des saints, comme le fait remarquer le père jésuite Jean-Baptiste Ayroles. « Lacrymis manat » dit Perceval de Boulainvilliers, et il ajoute aussitôt : « Hilarem gerit vultum ». Ses yeux laissent échapper des larmes, mais sa figure reflète la joie !

            Ces larmes de la Pucelle méritent notre attention, bien qu’il n’existe, à ma connaissance, que peu d’écrits sur ce sujet. C’est pourquoi, à la demande d’une communauté de religieuses, je me suis décidé à écrire une série de méditations sur les larmes de cette sainte, à partir des innombrables témoignages qui s’y rapportent[1]

            Jeanne pleurait devant les Sacrements ; elle pleurait sur les soldats morts, amis ou ennemis ; elle pleurait sur les insultes à sa virginité ; elle pleurait dans ses blessures, puis retournait au combat ; elle pleurait surtout en priant, mais son visage « reflétait la joie » !

            Le père Ayroles nous dit quelque part que « nous sommes riches pour tout ce qui a trait à l’âme de la Pucelle, pauvres pour ce qui regarde son extérieur ». Il ajoute aussi que « l’attention des modernes se porte beaucoup sur les infiniment petits de la Divine Histoire ».

            C’est vrai, mais il est des détails qui portent un éclairage extraordinaire sur l’âme de la sainte, tout en notant des faits quasi miraculeux sur son extérieur même physique. Ici, je crois devoir citer le témoignage de Jean d’Aulon, tant il est surprenant par certains aspects :

            « Encore qu’elle fût jeune fille, belle et bien formée, et que par plusieurs fois, soit en l’aidant à s’armer, soit autrement, je lui aie vu l’extrémité des seins, et quelquefois, en la faisant appareiller de ses plaies, les jambes toutes nues ; encore que souvent je l’aie approchée, et que je fusse fort jeune, et dans l’ardeur de l’âge, toutefois jamais ni sa vue, ni le service de sa personne, n’ont provoqué en moi ni la moindre émotion, ni le moindre désir sensuel à son endroit. Il n’en était pas autrement de qui que ce fût de ses gens et écuyers, ainsi que je leur ai ouï dire et affirmer par plusieurs fois. À mon avis, elle était très bonne chrétienne et devait être inspirée ; car elle aimait tout ce que bon chrétien doit aimer ; et par spécial elle aimait fort un bon prud’homme qu’elle savait être de vie chaste.

J’ai ouï dire à plusieurs femmes, qui par plusieurs fois avaient vu la Pucelle déshabillée, et su de ses secrets, que jamais elle n’avait eu la secrète maladie des femmes, et que jamais nul n’en put rien connaître ou apercevoir par ses vêtements, ni autrement

            Ce témoignage étonnant fut recueilli plus de vingt ans après la douloureuse disparition de notre héroïne nationale. C’est dire à quel point elle avait marqué ce chevalier qui l’avait connue de si près.

            L’exemption « miraculeuse » dont jouissait cette extraordinaire jeune fille, lui fut sans nul doute accordée par la Divine Providence en raison de la mission que le Ciel lui avait confiée ! Non seulement pour endurer les peines et les fatigues de la guerre, mais aussi les souffrances de la prison, où elle était enchaînée, et entourée de soudards, sans même pouvoir s’isoler pour les simples besoins d’hygiène la plus ordinaire !

            Le témoignage de Jean d’Aulon se termine, après ce qu’on vient de lire, par un propos qui lui confère un caractère d’humilité, et le rend plus fiable encore, s’il est possible. Comme elle confiait à son écuyer qu’elle voyait souvent les « conseils » qui la guidaient dans ses actions, il lui demanda qu’elle voulût bien lui montrer ce « conseil ».

            « Elle me répondit que je n’étais pas assez digne, ni vertueux pour le voir ; et sur ce, je me désistai de lui en parler plus avant, et de m’en enquérir. »

            Devant de tels témoignages, et devant cette carrière fulgurante ; après tout qu’importe de savoir si elle était brune ou blonde, ou quels étaient les traits de son visage ? Elle était forte, mais d’une Force qui lui venait d’En-Haut, et des conseils que lui prodiguaient ses « voix », ses « conseils », qui l’ont assistée dans sa mission jusqu’à son bûcher !

            Quelle que soit la valeur imaginative des images ou statues que lui ont dédié pieusement les innombrables artistes qui l’ont représentée, il nous faut bien conclure qu’il n’existe d’elle aucun portrait authentique ; mais qu’importe après tout ! Car les centaines de témoignages qui nous sont parvenus suffisent à ce qui est essentiel : ils nous permettent de contempler son âme et de nourrir notre piété envers celle que certains hagiographes n’hésitent pas à placer au Ciel tout près de la Très Sainte Vierge Marie elle-même.

Sainte Jeanne d’Arc,

Priez pour la France !


[1] Cf. Sous la Bannière, n°157 à 162.

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