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Par Tassot Dominique

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L’Église et la science1

Résumé : Il est courant – c’est même un thème de propagande constant chez les « humanistes » comme chez les marxistes – d’opposer la science à l’Église, l’ouverture d’esprit nécessaire à l’innovation et la fermeture d’une pensée contrainte par le dogme. L’histoire de la science européenne démontre exactement l’inverse. La chrétienté médiévale si souvent décriée a développé une foule d’inventions techniques devenues si banales (le bouton ou la cheminée, par exemple) que nous ne mesurons plus les apports gigantesques qui firent de la civilisation européenne un phare pour les autres continents. Il en fut de même pour les outils intellectuels de la pensée scientifique. Une confirmation a contrario nous est fournie par les deux grands adversaires contemporains du christianisme, les deux grands persécuteurs : la société marxiste et la société islamique. Toutes deux se sont condamnées à importer le progrès technique.

Bien des jeunes âmes (et des moins jeunes), hypnotisées par le progrès technique, associant ce progrès à la modernité laïcisée, aperçoivent mal la place de l’Église dans un univers qui semble désormais se construire sans cette dernière, réduite au statut d’une ONG internationale. On veut bien reconnaître à l’Église sa place dans les grandes opérations humanitaires (les camps de réfugiés, les dispensaires, etc.), son utilité d’intermédiaire diplomatique pour régler certains conflits (entre le Chili et l’Argentine en 1978, par exemple), et – bien sûr – son rôle de « psy » : donner aux esprits faibles qui en ressentent le besoin un peu de paix intérieure pour affronter les émois intimes de leur existence. Mais, dans le domaine de la pensée, quand il s’agit de connaître la vérité objective sur les choses ou les êtres, c’est désormais à la science que l’on s’adresse.

Sur quelque sujet que ce soit, le reporter ira interroger le spécialiste concerné et, s’il s’agit d’un prix Nobel, ses mots seront recueillis avec dévotion et reconnaissance, comme jadis ceux de la pythie de Delphes au sortir d’une transe.

L’autorité intellectuelle a bien changé de mains et, à qui en douterait, on rappellera gentiment l’affaire Galilée, ce fâcheux épisode où l’Église – mal lui en prit ! – s’était encore permis d’interférer dans une question scientifique. Galilée lui-même avait d’ailleurs pris le soin d’expliquer dans un écrit dit Lettre à la Grande-Duchesse Christine de Lorraine, « la différence qui existe entre les doctrines opinables et les doctrines démonstratives », en clair : entre les raisonnements juridiques ou théologiques et les affirmations de la nouvelle science mathématisée. « Il faut bien apercevoir – écrit-il – toute la différence qui existe entre commander à un mathématicien ou à un philosophe2, et donner des instructions à un marchand ou à un légiste. On ne peut changer les conclusionsdémontrées, concernant les choses de la nature et du ciel, avec la même facilité que les opinions relatives à ce qui est permis ou non dans un contrat, dans l’évolution fiscale de la valeur d’un bien ou dans une opération de change. »

Galilée ne contestait donc pas le rôle des hommes d’Église dans l’organisation de la vie sociale3, mais il revendiquait pour la science en général et pour sa théorie en particulier une qualité de certitude qui était jusqu’alors réservée aux mathématiques. Dès lors, donc, que l’homme de science ne fait que relever des chiffres sur un cadran et opérer des calculs, on voit mal en effet ce que l’Église aurait à redire sur ses conclusions. Telle est bien l’opinion courante à ce sujet chez nos contemporains : hommes d’Église et scientifiques agissent dans des domaines bien distincts et, ne se rencontrant jamais, n’ont aucune raison de se contredire4.

Ceux qui tiennent un tel langage démontrent qu’ils ignorent l’origine de la science européenne, la contribution majeure que l’Église et les croyants ont apportée aux découvertes, et aussi les freins que constituent les idéologies antichrétiennes.

I. Aux origines de la science

Quand nous prononçons le mot « science », quand nous disons La science (comme s’il n’en existait qu’une), nous avons en vue la science européenne, édifice toujours inachevé qui s’est construit ici et non ailleurs, alors que de grandes intelligences et des tempéraments spéculatifs fleurissaient aux mêmes moments dans bien d’autres sociétés. La raison en est la convergence unique de deux apports majeurs : la logique grecque et la notion biblique de création.

Le principe du tiers exclu, hérité de Parménide, permet d’atteindre très vite (trop vite, parfois) des conclusions certaines. Il affirme que si une proposition est vraie, sa négation est fausse : c’est un outil décisif d’assurance intellectuelle et de productivité de la pensée.

La notion biblique de Création apporte, quant à elle, l’idée qu’il existe des « lois » de la nature. Chez les Anciens, le concept de loi n’était que juridique et concernait la Cité. Mais Y H W H – nous dit en maints lieux la Bible – a créé « le ciel et la Terre et tout ce qu’ils contiennent » (Ex 20, 11, etc.). En considérant tous les êtres, du plus grand au plus petit, du ciel étoilé au vermisseau, comme autant de créatures divines, posées par une Pensée intelligente, donc munies d’une raison d’être, la Bible enseigne que le monde est intelligible. D’où l’extension du concept de « loi » au-delà du Droit : « C’est Dieu qui a établi ces lis en la nature, ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume », écrit Descartes au père Mersenne le 15 avril 1630. Et l’homme, créé à l’image de Dieu, peut donc – fût-ce analogiquement et partiellement – découvrir par son intelligence ces lois existant depuis la Création.

Le grand spécialiste de la science chinoise, Joseph Needham, explique ainsi le retard de la Chine : « L’idée d’une puissance créatrice fit si nettement défaut que cela rendit impossible le développement d’une doctrine des lois données dès le commencement par un législateur céleste, et s’appliquant à la nature non humaine5. » En revanche, Kepler écrit : « La géométrie est co-éternelle avec l’esprit de Dieu. […] Elle fut implantée en l’homme en même temps que la ressemblance de Dieu6. »

II. Une science et une technologie chrétiennes ?

On serait donc en droitde parler d’une science chrétienne, ce que confirme un trait qui distingue clairement le savoir technico-scientifique européen : le souci d’atténuer la pénibilité physique du travail et de faciliter la vie matérielle de tous. Ce n’était pas une motivation forte pour la société antique : les dirigeants s’y entouraient d’esclaves. Or comment est-on passé d’une société à l’autre ? Par l’activité inventive de ce Moyen Âge si méconnu, activité largement due aux monastères.

Les moines, astreints chaque jour à la récitation des offices, ne disposaient que de peu de temps pour leur travail journalier. Tout ce qui augmentait la productivité fut dès lors accueilli avec ferveur. Si les moulins hydrauliques étaient connus dès l’Antiquité, ils demeuraient très rares. Les fouilles de Venafro, à l’Est du Mont Cassin, ont mis au jour un moulin romain dont la meule mesurait 2,1 m de diamètre. À raison de 46 tours par minute, ce moulin pouvait écraser 150 kg de blé à l’heure, tandis que deux esclaves, dans le même temps, avec un moulin à bras, n’en écrasaient que 7 kg ! Mais le moulin hydraulique coûtait fort cher et demandait une source d’énergie, tandis que les esclaves ne prélevaient, pour leur nourriture, que 20 % de la farine produite (soit l’équivalent de notre moderne TVA).

Les abbayes s’équipèrent de moulins à eau, non seulement pour moudre, mais aussi pour broyer, scier, tamiser, fouler, tanner, façonner et pomper.

Sur les seules terres de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à Paris (détruite à la Révolution), on comptait au IXe siècle 59 moulins !7 Les inventions médiévales furent très nombreuses. Leur seule énumération fait immédiatement comprendre les bienfaits qui en résultèrent sur toute la société. En voici quelques-unes :

  • VIIIe s. : Étrier (en Europe), assolement triennal, collier d’épaule à monture rigide.
  • IXe s. : Ferrure à clous, tour à aiguiser.
  • Xe s. : Arbre à cames, charrue à avant-train.
  • XIe s. : Premier vol aérien, système des neumes sur portée à lignes et notes de la gamme (ut, ré, mi, etc.), herse, cheval dans l’agriculture, cheminée adossée au mur.
  • XIIe s. : Alcool à 60° (par distillation), moulin-à-vent, acide nitrique, moulins sous les ponts, barrages sur les rivières, arc-boutant, pain de savon dur, fermes modèles (cisterciennes).
  • XIIIe s. : Boutons, tour à poulie à 2 pédales, scie hydraulique avec avance automatique de la pièce à scier, vérin, gouvernail d’étambot, brouette, écluse à sas, lunettes à lentilles convergentes pour presbytes, impression à la planche, emploi du charbon dans l’industrie, emploi du verre dans l’appareillage scientifique, miroirs de verre.
  • XIVe s. : Soufflets hydrauliques, ponts préfabriqués et articulés, aiguilles en fer, rouet à pédales, fonte, avant-train mobile, sablier, fourchette.

La part des moines dans ces inventions fut déterminante, car la même personne pouvait cumuler intelligence spéculative, habileté opératoire et motivation de celui qui va profiter immédiatement de la découverte. On pourrait objecter à cette idée d’une science et d’une technique « chrétiennes » que tous étant alors chrétiens, il était naturel que les inventeurs le fussent : savants donc, certes, mais « bien que chrétiens » et non « parce que chrétiens » ! Le prodigieux développement du savoir au XIXe siècle va nous donner la réponse.

III. La contribution des croyants aux découvertes scientifiques.

Ce que nous appelons « enseignement supérieur » naquit à l’ombre de l’Église. Le IIIe concile du Latran (1179) demandait à chaque église cathédrale d’entretenir un maître chargé d’instruire gratis les clercs de l’église et les écoliers pauvres.

Puis se forma à Paris l’Universitas, divisée en 4 facultés (théologie, droit, médecine et arts libéraux), ouverte à toutes les nations. Elle fut bientôt imitée dans toute l’Europe et même à Beyrouth. Les savants sont alors soit des clercs, soit des hommes fortunés qui se forment eux-mêmes. Les sciences étaient enseignées dans les écoles professionnelles, et il faudra attendre le XIXe siècle pour qu’apparaisse en France une faculté des sciences. À cette époque, l’Église se remet à peine de la tourmente révolutionnaire ; les esprits forts, à la Voltaire, tiennent le haut du pavé et la Franc-maçonnerie, déçue par la résistance des hommes pieux et du clergé non-jureur devant ses idéaux, comprend que les abbés de Cour qui fréquentaient les loges avant 1789 n’étaient pas représentatifs : elle devient clairement anticléricale.

Ainsi, au XIXe siècle, époque de progrès scientifiques décisifs dans tous les domaines, l’incroyance est à la mode et les hommes, alors seuls adonnés aux sciences, y résistent beaucoup moins que les femmes.

Vers 1915, Antonin Eymieu s’est livré à une étude statistique détaillée portant sur les croyances des savants8. Son enquête, classée par grandes disciplines, portait sur 432 noms qui ont illustré les sciences exactes et les sciences de la nature. Outre 34 dont l’attitude religieuse reste inconnue, il en reste 398 qui se répartissent ainsi : 15 indifférents ou agnostiques, 16 athées et 367 croyants (92 %). Et si l’on restreint l’étude aux initiateurs, à ceux qui ont produit les innovations essentielles, la proportion augmente encore. Eymieu en retient un total de 150 se partageant ainsi : 13 dont les sentiments religieux sont inconnus, 9 indifférents ou agnostiques ; et sur les 128 qui ont pris position, 5 seulement (soit 4%) sont athées et 123 croyants (soit 96%).

Quand Eymieu évoque ici la “croyance religieuse”, il s’agit sans aucune exception du christianisme, c’est-à-dire de la religion de la Révélation biblique complète, achevée, et qui reçoit l’Ancien et le Nouveau Testament comme Parole de Dieu.

Il est donc difficile de nier que les grands scientifiques de ce XIXe siècle ont été, de beaucoup, plus chrétiens que la moyenne de leurs contemporains, qu’ils ont mieux résisté à la pression sociale, et donc que la vision biblique du monde qui orientait leurs convictions et leurs personnes eut un effet positif sur les progrès de la science.

La contribution des chrétiens, et parmi eux des chrétiens convaincus, aux progrès décisifs et fondateurs dans les sciences, est massive. Qui plus est, elle porte sur des découvertes dotées d’applications immédiates, qui se révèlent ainsi, a posteriori, comme les plus utiles à l’humanité. Ainsi les techniques du XXe siècle, dont l’ordinateur, ont surtout consisté à développer trois grandes découvertes du siècle précédent : l’électromagnétisme, les ondes radio et la cinématographie. Toutes trois sont dues à des chrétiens qui eurent à s’imposer malgré le climat anticlérical dominant l’Université et les sociétés savantes : Ampère, Branly et les frères Lumière.

André-Marie Ampère (1775-1836), autodidacte comme le sera Edison, connut des débuts difficiles, son père étant mort sur l’échafaud en 1793. Il réussit à se faire remarquer par des travaux de mathématique probabiliste et devint enseignant. Sa fécondité inventive est prodigieuse. Il produit la théorie de l’électromagnétisme (1820), invente le galvanomètre, le télégraphe électrique et (avec le républicain Arago) l’électro-aimant. Mais on sait moins son influence sur Frédéric Ozanam, lorsqu’il logea chez lui le jeune futur bienheureux lyonnais monté à Paris en 1831 pour étudier à la Sorbonne. Le simple fait de voir la piété personnelle du grand savant, sa rectitude de vie, aidèrent Ozanam à résister aux esprits forts qui agitaient l’Université française.

Édouard Branly (1844-1940), ancien major de l’École Normale Supérieure, dut longtemps se battre pour abriter son laboratoire dans les murs de l’Institut catholique de Paris ; il y fut aidé par Albert de Mun.

Il y avait là tout un symbole : la simple existence de ce petit local démentait la propagande cherchant à lier, dans l’esprit des contemporains, la science avec l’athéisme. C’est là qu’eut lieu, en 1890, entre deux dispositifs séparés par trois salles, la première expérience d’action radio à distance (à l’origine de la T.S.F.). Branly inventera par la suite la télémécanique et la télécommande (1905). Il fut enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris ; on y remarque sur sa tombe, au sommet de la stèle, un symbole sans équivoque : le globe terrestre surmonté d’une croix.

Les frères Auguste et Louis Lumière, fabricants de plaques photographiques, sont, eux, les inventeurs du cinéma. En 1895, Louis Lumière (1864-1948) rêve d’une machine à coudre et va en adapter le système pour fabriquer la première caméra. Notons que l’ingénieux dispositif permettant de faire avancer la bobine par saccades, ce qui lui laisse le temps d’être impressionnée, sera nommé par lui “croix de Malte”, en raison de sa forme. Auguste Lumière (1862-1954) étudiera la biologie des colloïdes, avançant des idées qui en font un précurseur de l’immunologie. Il inventera le tulle gras pour soigner les brûlés.

Ces deux frères, acculés un jour au fond d’une grotte à marée montante, avaient fait le vœu, s’ils survivaient, de rester ensemble dans tout ce qu’ils feraient. Ils déposèrent – toujours sous leurs deux noms – près de deux cents brevets.

On notera que tous ces chrétiens ont fait des découvertes fondamentales mais immédiatement utiles, grosses d’applications pratiques, bien différentes de ces pures théories mathématisées qui, de nos jours, établissent la réputation des savants, la Relativité en est un exemple. Faudrait-il distinguer une science chrétienne, discrète tout en aidant à soulager le labeur des humbles, d’avec une science théorique mue par l’orgueil humain et l’esprit de domination, dont le XXe siècle nous a offert plusieurs exemples ?

IV. Le contre-exemple donné par les adversaires de l’Église.

Les grandes religions et philosophies nées avant Jésus-Christ, ne sont pas antichrétiennes par nature.

Tandis que l’islam et l’athéisme bolchévique, courants postchrétiens, sont officiellement antichrétiens.

L’Union soviétique, malgré les hautes qualifications des élites intellectuelles russes, n’a pu l’emporter dans la course au développement industriel. Nonobstant quelques Prix Nobel, l’empire ne retrouva qu’en 1953 sa production de 1917 et son retard technologique fut flagrant malgré tout l’espionnage industriel. Encore faut-il ajouter que les savants bénéficiaient de conditions de vie spéciales, ce qui prouve – si la chose était nécessaire ! – que la liberté intellectuelle et la liberté civile vont de pair.

L’affaire Lyssenko en donne l’exemple type : la biologie soviétique s’est trouvée bloquée par la contradiction entre l’idée évolutionniste d’un « progrès » dans la Nature et les lois de la génétique : il fallait que l’Homo sovieticus pût devenir un surhomme ! Certes, Lyssenko fit emprisonner son opposant Vavilov et déporter ses collaborateurs, mais ce fut la meilleure manière de paralyser la recherche.

L’esprit de soumission, constitutif de l’islam (c’est l’étymologie du mot), avait eu les mêmes effets stérilisants, à la longue, sur les populations conquises par les Arabes, puis par les Turcs. En 1377, Ibn Khaldoun écrit dans sa Muqqadima : « Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb et l’Andalous9, et que le déclin de la civilisation entraîna celui des sciences, les sciences rationnelles disparurent, à l’exception de quelques vestiges qu’on peut rencontrer encore chez un petit nombre de personnes isolées, soumises à la surveillance des autorités de la Sunna10. »

Un universitaire algérien, Nadji Safir, chargé de cours de sociologie, s’est appuyé sur la dernière édition du Rapport de l’Unesco sur la Science, Vers 2030, pour produire des statistiques comparant les pays de l’OCI (organisation de la Coopération Islamique) avec le reste du monde11.

Les pays de l’OCI regroupaient en 2014 1,677 milliards d’habitants, soit plus du quart de la population mondiale. Ils bénéficient de la manne pétrolière depuis plus d’un demi-siècle.

Sur l’année 2014, les 57 pays membres de l’OCI ont produit un peu plus de publications scientifiques que l’Allemagne (et le tiers de la production américaine). Encore ne parle-t-on ici que du nombre des publications et non de leur qualité (on sait que seulement 10% des articles scientifiques sont cités par d’autres, c’est-à-dire ont vraiment apporté à la science plus qu’une ligne sur le CV des auteurs). Plus significatif est donc le nombre des brevets déposés entre 1977 et 2014. Pour l’OCI, on en compte 6 084. Ce nombre est inférieur à celui de 8 097 pour la seule Norvège ou de 8 996 pour Singapour et très éloigné des 1 014 977 pour le Japon et de 146 153 pour la Corée du Sud (51 millions d’habitants).

Dans le classement dit de Shanghaï des Universités, on en trouve 10 de pays membres de l’OCI, la première apparaissant à la 150e place, alors qu’on y trouve 12 Universités sud-coréennes et 11 suédoises (dont 3 parmi les 100 premières). L’étouffoir bolchévique n’a pesé que 72 ans sur les savants russes, tandis que l’islam règne depuis des siècles sur les pays de l’OCI. Or, au début du Moyen Âge, les pays du Proche-Orient étaient plus développés que ceux d’Europe. Byzance, Antioche ou Alexandrie furent des phares de la pensée : les Pères grecs sont là pour en témoigner.

Si donc l’islam était par lui-même un facteur favorisant la connaissance en général et la science en particulier, ces pays auraient connu un développement « musulman » parallèle au développement « chrétien » survenu en Europe avec la participation directe des hommes d’Église et indirecte des institutions politiques inspirées par l’Église. Il n’en fut rien : les canons qui abattirent les murs de Constantinople, en 1453, étaient coulés, construits et servis par des chrétiens, comme aujourd’hui les personnels techniques dans les émirats sont souvent étrangers.


On peut donc conclure, armé du diagnostic de l’Histoire. Ce que l’on nomme aujourd’hui la science est la diffusion universelle d’une science née en Europe par héritage du logos grec et par décantation de la vision biblique du monde diffusée par les évangélisateurs envoyés par l’Église. Jusqu’au XVIIe siècle, presque tous les savants et inventeurs furent des clercs.

Puis surgissent à leurs côtés des hommes de science laïcs : mais, au moins jusqu’en 1900, très largement chrétiens. Rappelons que c’est par ses qualités d’astronome que Matteo Ricci se fit accepter parmi les mandarins à la Cour de Pékin. Rappelons que l’Église, ne jouissant pourtant plus des États pontificaux, continue d’entretenir une Académie Pontificale des Sciences qui est, au monde, celle qui comporte le plus grand nombre de prix Nobel.

Certes, la majorité des membres y sont aujourd’hui des incroyants, mais ce fait déplorable n’en démontre que mieux la considération pour la science elle-même des Papes qui se sont succédés depuis Pie IX12. Une question demeure toutefois : cette science contemporaine, désormais portée par des esprits religieusement souvent incultes, parfois mus par des considérations de vanité et d’influence, dépendant pour leurs recherches de financiers intéressés, cette science donc continue-t-elle d’apporter les mêmes fruits libérateurs au service des humbles ?


1 Une version abrégée de cet article a été publiée dans la revue Civitas n°66, décembre 2017.

2 C’est-à-dire à un savant, dans le langage de l’époque.

3 Sa fille était religieuse. C’est d’ailleurs elle qui fut chargée d’exécuter l’effroyable peine à laquelle il avait été condamné : lire une fois par semaine les sept Psaumes de la pénitence !

4 C’est ce que le célèbre paléontologiste américain Stephen Jay Gould a théorisé en 1997 comme constituant le « principe des NOMA », de l’anglais « Non Overlapping Magisteria » : « pas de recouvrement entre le magistère de la science et le magistère de la religion. »

5 J. NEEDHAM, La Science chinoise et l’Occident. Misères et succès de la tradition scientifique chinoise, Paris, Seuil, 1973, p. 37.

6 Cité par A. KŒSTLER, Les Somnambules. Essai sur l’histoire des conceptions de l’univers, Paris, Calmann-Lévy, 1960, cité dans la rééd. 1985, p. 276.

7 Toutes ces indications historiques sont tirées de J. GUIMPEL, La Révolution industrielle du Moyen Âge, Paris, Seuil, 1975, p. 13 sq.

8 A. EYMIEU, La Part des croyants dans les progrès de la science au XIXe siècle, Paris, Perrin, 1920, t. II, p. 274-279.

9 En clair : lorsque le reflux des Sarrazins ne leur permit plus d’avoir à leur disposition les peuples chrétiens, leurs connaissances et leurs savoir-faire…

10 I. KHALDOUN, Le Livre des exemples. Autobiographie, Muqqadima, Paris, coll. « La Pléiade », Gallimard, t. Ier, p. 2 002.

11 N. SAFIR, « La science en marge des sociétés musulmanes », in Le Cep n°78, mars 2017, p. 24-27.

12 Par comparaison, on notera que sur le site officiel de l’OCI, « La voix collective du monde musulman », apparaît un « Département des Sciences et de la Technologie (y compris l’Environnement, la Santé et l’Enseignement supérieur) ». Mais, pour ce Département, le site n’offre que la mention : « Aucune activité encore publiée » (consulté le 7/3/17 puis le 28/7/18).

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