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Par Ceruti-Cendrier Marie-Christine
L’Évangile et le Beau1
Résumé : Le Beau n’est-il pas subjectif, comme on croit pouvoir le dire familièrement « des goûts et des couleurs » ? Marie-Christine Ceruti-Cendrier, accompagnant son époux au long de sa carrière diplomatique, a souvent vécu loin du « vieux continent », notamment en Afrique australe. Elle nous narre ici – dans le cas de la musique et de la peinture – comment la conscience intime du Beau transcende les conditionnements culturels et sociaux, lorsque du moins les hommes reçoivent les moyens et l’occasion d’accéder à d’authentiques œuvres d’art.
Le Vrai et le Bien sont liés de façon immuable avec les Évangiles. Aucun chrétien – je ne parle pas de ceux qui se disent tels et ne le sont pas ou plus – ne le niera. Mais le Beau ? Le Beau est-il lié d’une façon aussi viscérale, radicale avec eux ? Les cathédrales gothiques, le Gloria de Vivaldi, la Pietà de Michel-Ange, les Madones de Léonard de Vinci et la Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres de Péguy, ces bouleversants sommets de l’art sont tout de même reconnus comme faisant partie du patrimoine lié aux Évangiles. Mais bien des critiques et même des chrétiens, dont je faisais partie, avaient l’impression que les critères du beau étaient subjectifs, provenaient des habitudes d’une culture et n’avaient rien d’universel. La preuve en était que ces chefs-d’œuvre étaient tous européens. Et c’est sur ce point que je désire faire part à tous mes amis de l’Association d’une expérience personnelle qui m’a stupéfiée et que je veux crier sur les toits.
J’ai passé trois ans en Zambie (en Afrique méridionale) là où la musique, à mes yeux, ressemble plus à des hurlements, les danses à des rituels plus ou moins sexuels, et où la peinture et la sculpture sont encore loin – à mon humble avis – de Léonard de Vinci et de Michel-Ange.
Il y avait là-bas, devant notre maison, un gardien qui – m’avait-on dit – jouait de la flûte et composait de la musique. Je lui ai proposé de lui prêter un magnétophone et des cassettes de musique pour flûte de Vivaldi.
Dès le lendemain et toute la journée et les jours suivants, la dite musique résonnait à tue-tête attirant la sympathie d’autres Africains qui s’en disaient ravis.
De fil en aiguille toute la maisonnée est devenue « accro » de musique classique. Je savais que le cuisinier était là quand des flots de Verdi, de Bach ou de Mozart arrivaient à mes oreilles. Nous étions à Lusaka, la capitale, c’est vrai. Mais en visite dans une mission italienne perdue en pleine brousse, le Père missionnaire nous a montré un tourne-disque et nous a déclaré que « ses » Africains aimaient énormément la musique mais par-dessus tout – et il se demandait pourquoi – la musique baroque. Cela rappellera sans doute ici l’expérience, à l’époque de cette musique, que firent les jésuites auprès des Guaranis du Paraguay2.
Quant à la peinture, je montrai à différents Africains habitant Lusaka mais provenant de campagnes perdues sans électricité, ni rien, ou de banlieues misérables, un tableau du Caravage, un de De Nittis (un impressionniste italien) et un de peinture européenne dite « contemporaine » (tout le monde imaginera ce que je veux dire), en leur demandant ce qu’ils préféraient. Deux tiers des voix ont été au Caravage, un tiers à De Nittis, aucune au « contemporain». Et que ce même « jury » a éprouvé de joie et d’admiration devant les photos de places Renaissance de l’Italie !
Pour la danse – autre révélation ! – j’avais organisé la projection d’une représentation du Lac des Cygnes à la Scala de Milan avec Svetlana Zakharova, pour un groupe de dames étrangères de toutes nationalités. La jeune femme qui aidait à servir les petits gâteaux et qui semblait n’avoir aucun intérêt pour ce genre de performance (elle provenait de la campagne la plus retirée, sans eau ni électricité, que j’ai vue de mes yeux) en est restée médusée, oubliant les petits gâteaux elle regardait fascinée et, à la fin du spectacle, elle a exprimé avec transports, je n’exagère pas, son admiration devant tant de beauté.
Que voulez-vous, j’ai changé d’avis et j’ai donné raison à une amie très chère, Cecilia Gatto Trocchi, une anthropologue bien connue en Italie, qui m’avait affirmé un jour que la beauté est universelle, que quelque chose est beau ou ne l’est pas avec toutes les nuances intermédiaires, et de même pour le Bien ou le Vrai.
Mais que ce Beau se fût développé particulièrement, bien que je ne nie pas qu’on le trouve ailleurs aussi, là où l’Évangile s’était le plus répandu, et je suis désolée d’employer ce plus-que-parfait, est-ce un miracle ou une simple conséquence logique?
Addendum.
Sur ce même thème du caractère objectif du Beau, on lira avec intérêt que les plantes elles-mêmes y sont sensibles. Des expériences analogues ont d’ailleurs été faites sur les animaux domestiques.
« Des expériences récentes ont démontré que la musique augmente la croissance des plantes de 25 % à 60 %. Mais est-ce le cas pour tous les genres de musique ? Par exemple, en 1969, Dorothy Retallack, auteur du livre The sound of Music and Plants, fit des essais avec différentes plantes comme du maïs, des pétunias et des courges. Elle sépara les plantes en deux groupes : le premier écouta de la musique classique et le second de la musique du type “rock”. Les plantes exposées au rock poussèrent rapidement au début, puis devinrent anormalement hautes, leur consommation d’eau augmenta, certains plants furent paralysés au bout de quinze jours, d’autres moururent. Les plantes exposées à la musique classique fleurirent et développèrent de longues et grosses racines. » (Caroline MOREL, « Se soigner avec la musique des protéines », Alternative Santé n°26, 2015).
1 Repris des Nouvelles de l’Association Jean Carmignac, n° 61, mars 2014, éditorial. associationjeancarmignac@hotmail.com.abbe-carmignac.org
2 Cf. abbé Bertrand LABOUCHE, « Les réductions guaranitiques de la Compagnie de Jésus aux XVIIe et XVIIIe siècles », in Le Cep n°33 (p. 27) & 34 (p. 45).