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Par Cannone Fabrizio
BIBLE
« Avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota, pas un menu trait ne passera de la Loi, que tout ne soit accompli. »
(Mt5, 18)
La Libre-pensée et l’évolutionnisme selon Mgr Orazio Mazzella (1860-1939)1
Résumé : Mgr Mazzella (1860-1939) fut un combatif et savant évêque italien dont l’analyse des maux rencontrés par nos sociétés n’a rien perdu de son actualité. En particulier son ouvrage publié en 1913 contre la Libre-pensée, s’applique presque mot à mot aux menaces que le laïcisme fait peser aujourd’hui sur les derniers vestiges de la civilisation chrétienne (et peut-être même sur toute civilisation). Outre la critique de cette prétention à récuser toute autorité supérieure à la raison individuelle, Mgr Mazzella, qui avait enseigné les sciences et considérait Darwin comme « le Christophe Colomb du matérialisme athée », réfute en passant la théorie de l’évolution, tant d’un point de vue théologique que du point de vue de sa validité scientifique.
Introduction
L’éminente figure de Mgr Orazio Mazzella serait restée probablement ensevelie pour on ne sait combien de temps encore, si le professeur Roberto de Mattei ne l’avait fait ressurgir des archives de l’Histoire de l’Église, alors qu’il parlait sur Radio-Maria du tremblement de terre au Japon, considéré comme une possible, sinon probable « punition divine » pour les péchés des hommes2.
De Mattei, excellent théologien, se sert des arguments classiques de la théologie catholique pour répondre aux impondérables événements de l’actualité, et non des catégories philosophiques – toujours changeantes – de la modernité et de la « pensée faible »3.Ainsi, pour raisonner à propos de ce si triste et dévastateur tremblement de terre japonais, il utilise les réflexions que développa le théologien Mazzella au lendemain du non moins catastrophique tremblement de terre qui en 1908 détruisit Messine.4
Voici l’argumentation centrale de Mazzella, citée par de Mattei: « Toute catastrophe est un phénomène naturel, que Dieu a pu introduire dans son dessein de création pour de multiples fins dignes de sa Sagesse et Bonté. Il a pu le faire pour atteindre une finalité de la nature, obtenant par le moyen d’une catastrophe un bien physique plus général, comme quand l’air est purifié par une violente tempête qui fait de nombreux dégâts; Il aura pu le faire pour une finalité d’ordre moral, comme par exemple exercer le génie humain, le stimuler à étudier la nature pour se défendre de sa puissance destructrice, et ainsi entraîner un progrès de la science. Il a pu aussi le faire pour une des finalités dont la Foi nous dit que quelquefois Il l’a fait, comme par exemple celle d’infliger à une ville un châtiment exemplaire; Il a pu le faire aussi en vue d’une fin inconnue de nous […]. Il est possible d’émettre des conjectures ; il n’est pas possible en ce domaine d’affirmer quelque chose avec certitude.
En ce qui nous concerne, pour notre objectif, qu’il nous suffise d’être certains que les catastrophes peuvent être, et sont même quelquefois des exigences de la Justice de Dieu5. »
Mais qui était donc cet illustre autant qu’inconnu Successeur des Apôtres ? L’Enciclopedia cattolica le présente ainsi: « Théologien, archevêque, né à Vitulano le 30 juillet 1860, mort à Bénévent le 22 septembre 1939. Ordonné prêtre le 22 septembre 1883, il enseigna la philosophie, les sciences physiques et la théologie au Séminaire de Bénévent, tout en déployant en même temps une ardente activité pastorale dans la fondation et la direction d’instituts de charité, d’assistance et de culture (Collège Achéropite). Élu évêque titulaire de Cume le 11 février 1896, il exerça la fonction d’auxiliaire de l’archevêque de Bari jusqu’au 24 mars 1898. Il fut cette année-là transféré au siège archiépiscopal de Rossano Calabro. Le 14 avril 1917 il devient archevêque de Tarente, et le 1er novembre 1934 archevêque titulaire de Laodicée de Syrie6. »
Il rédigea de nombreux ouvrages, en sus de celui cité par de Mattei. Parmi ceux-ci, l’Enciclopedia Cattolica mentionne: La question ouvrière (1898); Le divorce dans l’ordre social (1902); La Libre-pensée (1913); Saint Thomas et la philosophie d’Aristote (1924); Les dogmes de l’Église catholique et le protestantisme (1933) ; La guerre dans le dogme, dans la morale et dans l’histoire de l’Église (1936), etc. Son ouvrage théologique le plus important s’intitule Prælectiones scholastico-dogmaticæ (1921, en 4 vol.).
Par « hasard »7 nous avons trouvé chez un vendeur de livres d’occasion le texte de 19138, que nous aimerions rapidement commenter, au vu de l’actualité bouleversante de la vigoureuse apologétique développée contre les ennemis de l’Église par Mgr Mazzella. Ce volume rassemble le texte de 10 longues conférences – pour un total de 370 pages – toutes tenues, comme l’explique l’auteur dans sa Préface, en 1912 dans l’église de Saint-Bernardin, à Rossano (cf. p. V). Et voici la raison de cette publication: « À l’heure actuelle, le plus grand nombre et surtout ceux à qui ne fait pas défaut une culture littéraire et scientifique, respirent une atmosphère saturée d’incrédulité, c’est-à-dire d’erreurs, de préjugés, de mensonges, de calomnies contre la Foi catholique » (p. V).
Mais pourquoi un tel titre (La Libre-pensée) qui se focalisait sur une erreur parmi tant d’autres qui circulaient à cette époque ? « Parce que la « Libre-pensée » est l’ennemi que nous avons aujourd’hui en face de nous. Il y a certains mots qui ont un formidable pouvoir et décident du mouvement des esprits à une époque donnée. Quand Luther voulut se rebeller contre l’Église, il trouva un mot qui lui fut plus utile que son impétueuse éloquence et la protection des Princes: « la Réforme ». Sous ce mot se dissimula la destruction la plus formidable jamais enregistrée dans toute l’histoire des hérésies. Quand Voltaire entreprit de se rebeller contre le Christ, il trouva un autre mot très fort: « la Philosophie ». Avec ce mot, lesdits philosophes armèrent le bras des révolutionnaires qui profana les autels, assassina les prêtres, détruisit les églises. Aujourd’hui, ceux qui se révoltent, non seulement contre l’Église et contre le Christ, mais aussi contre Dieu, ont créé un autre mot: « La Libre-pensée » » (p. VI).
Un raisonnement très actuel et très utile. Aujourd’hui, on pourrait y ajouter de nouveaux slogans de combat, forgés par l’anticléricalisme le plus récent, comme par exemple: Laïcité, Évolution, Démocratie, Mariage pour tous, etc.
La Libre-pensée
Mgr Mazzella dessine, au premier chapitre de ce remarquable ouvrage, tant les caractéristiques de la Libre-pensée que sa genèse historique.
Il commence par cette dernière, en faisant allusion, en tant qu’événement-symbole de la nouvelle ère de la Libre-pensée, à l’érection blasphématoire de la statue de Giordano Bruno, à Rome, piazza Campo dei Fiori (la seule place du centre historique de la chrétienté où il n’y ait pas d’églises…) le 9 juin 1889. Le Pontife de l’époque, Léon XIII, éleva de vibrantes protestations contre cette érection d’une imposante statue en l’honneur d’un dominicain apostat condamné à juste titre par l’Église. L’évêque écrit à ce sujet: « La statue de Giordano Bruno fut élevée au Campo dei Fiori, pour être le symbole d’une nouvelle religion, la religion de la Pensée, ou, comme d’autres disent, la religion de la Libre-pensée » (p. 2). Lors de l’inauguration, rappelle le prélat, « flottèrent au vent 1 970 bannières d’autant d’associations laïques, et la seule Franc-maçonnerie hissa 60 bannières, étendards et autres drapeaux de toutes formes et de toutes couleurs » (p. 2).
Le conflit entre la Religion divine révélée par le Christ et la religiosité panthéiste de G. Bruno « est le cœur des controverses les plus violentes qui agitent le monde. Dans les champs où peine le paysan, dans les ateliers où s’exténuent les ouvriers, on entend le tintamarre des discussions entre le capital et le travail; cherchez le fond de la question, et vous vous rendrez compte qu’il s’agit de choisir entre la solution de Léon XIII et celle de Karl Marx. Dans les laboratoires de nos savants, on entend les noms de Laplace, de Buchner, de Haeckel, de Darwin, tantôt avec respect, tantôt avec mépris; mais cherchez encore, et vous vous rendrez compte une fois encore que la question la plus brûlante, c’est de savoir si la Foi est ennemie de la Science. Passez maintenant le seuil du sanctuaire familial et voici les questions qu’on y débat: la famille doit-elle commencer avec la bénédiction du prêtre, ou avec un simple acte civil ? La famille peut-elle cesser avec le divorce ? Le petit enfant doit-il être baptisé ? La maman doit-elle lui murmurer le nom de Dieu et de Jésus-Christ ? Dans les assemblées où sont élaborées les lois des nations, la parole se ranime, elle devient vibrante, violente même, quand on y débat de l’école laïque, des congrégations religieuses, de la propriété ecclésiastique, de la séparation de l’État d’avec l’Église.
Oui, aujourd’hui, la Libre-pensée contrôle le domaine des idées et régente celui de l’action » (pp. 2-3).
Magnifique fresque d’un panorama désolant qui, dans ses grandes lignes, est encore le nôtre. Seulement, en un siècle la situation s’est beaucoup aggravée, soit parce que la laïcité est devenue un dogme constitutif et constitutionnel des États démocratiques occidentaux, soit parce que nombre de hauts prélats, aujourd’hui, se scandaliseraient de ce qu’écrivait Mgr Mazzella: ils sont en effet les premiers à se féliciter de la séparation entre l’État et l’Église, à vanter les mérites de la légitimité civile du divorce, à encenser les théories de Darwin et de Giordano Bruno…
Mais qu’entend-on par Libre-pensée ? Si l’on voulait dire par là que la pensée humaine « doit être libre de la violence, de la force externe (…), il n’y aurait pas de conflit » avec la religion: « L’Église a toujours revendiqué la liberté de pensée comprise en ce sens bien précis – qui fut son enseignement depuis le début [et pas seulement à partir de 1965] – que la foi ne doit jamais s’imposer par la violence » (p. 4).
La Libre-pensée n’a pas davantage à voir avec la liberté de la raison humaine « par rapport aux influences du sentiment et des tendances affectives »; en fait, c’est de « doctrine catholique que la foi doit être précédée d’un jugement de crédibilité, et que ce dernier doit se former non par l’influence de suggestions, d’impressions, de sentimentalismes, mais comme le résultat d’un examen serein et objectif des motifs sur lesquels repose la crédibilité de la foi » (p. 5).
En somme, en quoi finalement consiste la Libre-pensée qui se présente, selon Mazzella, comme l’antithèse la plus parfaite de la foi chrétienne et de la métaphysique classique ? « Par Libre-pensée, on entend cette pensée qui s’est libérée, ou mieux, qui croit s’être libérée de toute croyance, de toute foi au surnaturel et au divin.
La Libre-pensée, aujourd’hui, est une mentalité spéciale qui admet comme principe absolu, comme axiome, que la foi catholique est une illusion, un fanatisme, une superstition contraire à la raison et à la science, et que – pour cette raison – toute intelligence droite doit s’en libérer.
En d’autres termes, la Libre-pensée équivaut à ce que nous appelons autrement, incrédulité, incroyance, naturalisme, rationalisme, etc. » (p. 6).
Bref, le lecteur l’aura compris: la Libre-pensée condamnée par l’évêque de Rossano coïncide à 99% avec notre actuelle Laïcité. Elle en a toutes les caractéristiques et connotations, et présente même, nous allons le voir, des origines intellectuelles identiques.
Selon notre prélat, les prémices de la Libre-pensée se trouvent en réalité chez Abélard, Guillaume de La Porrée, Pomponazzi et Bruno. Puis, à partir du XVIIe siècle, chez Grotius, Toland, Hume et Voltaire. Une de ses composantes consiste dans l’orientation criticiste des études bibliques qui démythisèrent les Évangiles : Paulus, Strauss, de Baur. Puis la Libre-pensée explosa avec Comte, d’Holbach, Diderot. Enfin Darwin « apparut comme le Christophe Colomb du matérialisme athée » (p. 9).
Tels sont, selon Mazzella, les dogmes de la Libre-pensée (que celle-ci soit de caractère déiste ou athée, tout comme il est possible de distinguer, mais non de séparer Laïcité et Laïcisme): elle « nie la divinité de la religion chrétienne. Qu’elle prenne la forme du déisme, du panthéisme, du matérialisme, ou d’un nouvel idéalisme, la Libre-pensée repose sur cette négation fondamentale. Qu’elle soit plus proche ou plus éloignée de nous, la Libre-pensée est toujours l’ennemie du Christianisme » (pp. 12-13).
Et la morale de la Libre-pensée ? Cent ans après les déclarations de l’évêque, cette morale est chaque jour plus diffusée, promue, ouvertement imposée par les États démocratiques et par les diverses organisations internationales (Onu, Otan, Unicef, Amnesty, Grand-Orient, etc.). C’est « la soi-disant morale indépendante ou laïque, dans laquelle au Dieu législateur on a substitué – en tant que source de la loi morale – la conscience individuelle ou collective » (p. 14).
Aujourd’hui, tout comme hier, il est impossible de faire une reductio ad unum de la pensée laïco-libérale, tant y est grande la diversité des courants, des affluents et des ruisseaux. Mais elle se résume en une formule toujours valable: la négation du surnaturel ; le reste en est la conséquence.
Comme le fit Mazzella en 1913 en nous en laissant un lumineux exemple, pareillement un siècle plus tard tous les vrais catholiques, adorateurs du surnaturel, doivent lancer une sainte croisade culturelle pour diffuser la vérité, réfuter les erreurs, créer une nouvelle civilisation, ni laïque, ni matérialiste, ni de la Libre-pensée, ni évolutionniste, mais bien catholique, apostolique, romaine.
Intéressantes et toujours actuelles nous apparaîtront également certaines réflexions de notre prélat à propos de la décadence des mœurs qui fait suite, nécessairement, au dépérissement de la foi en Dieu (Créateur et Juge) et à la diffusion de la soi-disant Libre-pensée. Après avoir montré qu’un grand nombre des auteurs qui proposent la Libre-pensée en admettent le caractère intrinsèquement contradictoire et l’inefficacité, l’évêque ne laisse pas de remarquer: « Mais à quoi bon rassembler témoignages et confessions, quand les faits qu’on observe dans les milieux où domine la morale de la Libre-pensée parlent d’eux-mêmes avec leur langage muet autant qu’éloquent ? Et les faits, les voici: [1] la progression de la délinquance, [2] l’effroyable corruption des mœurs, [3] la dissolution de la famille, [4] l’anarchie dans la société, en un mot, la désintégration de tout l’ordre moral au souffle d’un égoïsme impitoyable » (p. 27).
On croirait la description de notre société européenne en ce début du XXIe siècle…
Voyons cela. 1/ « La progression de la délinquance »: dans les dernières décennies (grosso modo 1945-2013), l’augmentation de la délinquance a été ahurissante et omniprésente. Qu’on pense à la criminalité organisée (Mafia et terrorisme, particulièrement le phénomène des Brigades rouges), à la violence sur les routes (vandalisme, vol à la tire, viols, conduite en état d’ébriété, dégradation des édifices publics, etc.), aux violences liées à l’immigration-invasion (prostitution, commerce de la drogue et de marchandises volées, contrebande, traite des blanches, etc.) et à beaucoup d’autres choses encore.
2/ « L’effroyable corruption des mœurs »: sur ce point, il est tout à fait inutile de faire une énumération… Qu’on pense seulement à la politique démocratico-démagogique qui s’est imposée un peu partout, spécialement de 1968 à nos jours.
L’homme politique démocratique (moyen) de droite, du centre ou de gauche, vole, ment, soustrait l’argent public aux citoyens pour s’enrichir, enfreint les lois de toutes les manières, utilise le pouvoir à des fins personnelles, de carrière ou de caste. Est-il besoin de parler maintenant des actes qui tombent sous le sixième Commandement ? Nous en sommes arrivés à discriminer l’hétérosexuel (défini comme « homophobe » au lieu de normal), afin de ne pas discriminer l’homosexuel (vraiment et proprement a-normal). On en est désormais à la naissance de partis démocratiques pro-homosexualité, pro-euthanasie, pro-drogue et pro-pédophilie; on trouve des gens pour se vanter d’avoir une « love story » avec un animal.
3/ « La dissolution de la famille »: dans un tel contexte, rien d’étonnant à ce que la famille s’effondre plus ou moins rapidement. Ce que pressentait prophétiquement Mgr Mazzella, il y a un siècle, est maintenant sous les yeux de tous. Le mariage, pour un grand nombre de couples qui vivent ensemble, est parfaitement facultatif; l’abandon d’un enfant, n’aurait-il que trois ou quatre ans, sera considéré comme un signe de liberté, face au « lien » insupportable du mariage chrétien. Avec l’avortement libre (et financé par l’État), la mère, si elle le veut, peut décider de supprimer l’enfant qu’elle porte en son sein, et cela en dépit de l’opposition éventuelle du père, de ses propres parents et des autres enfants qui attendent leur petit frère ! Dans beaucoup d’États européens, les enfants qui naissent hors mariage sont plus nombreux que les enfants légitimes: la probabilité est grande que leur éducation soit empreinte des “valeurs” incarnées par leurs parents: instabilité, incohérence, sentimentalisme, fuite de la réalité, infantilisme, recherche du plaisir et de l’argent, mythe de la carrière et de la vie entendues comme expérience-voyage-transgression.
4) « L’anarchie dans la société »: au fond, cette dernière plaie entrevue par le Prélat comme conséquence de la suprématie de la Libre-pensée est la synthèse de tout ce qu’on vient de voir.
Si rien n’est bien (abolition de la morale qui distingue le vrai du faux), rien n’est mal non plus (et donc tout est permis).
Arrivé à ce point, on mettra en discussion toute autorité, qu’elle soit de l’Église, de l’État, de la Police, du Chef de bureau, du Directeur, du Magistrat, et rien ne tiendra plus. L’anarchie, au fond, c’est l’instinct et le sentiment aveugle qui l’emportent sur la raison, et cette vision du monde est celle qui est prêchée chaque jour par les mass médias et les pouvoirs forts. En effet, il est impossible de respecter une loi quelconque si n’existent ni loi naturelle, ni Législateur divin dont reçoivent leur autorité les législateurs humains.
« Au chaos de l’esprit, la Libre-pensée a joint l’abrutissement du cœur. C’est chose fatale et logique inexorable: enlevez l’idée de Dieu, et le bouillonnement vertigineux de l’abrutissement moral engloutira l’Humanité. Ôtez-lui Dieu, et l’homme n’aura plus de maître dont il reconnaisse l’autorité, de législateur envers qui il se sente dans l’obligation d’obéir, de juge inflexible devant qui il devra se présenter un jour pour rendre compte de sa vie. Le bien absolu, la loi éternelle, le devoir éternel, le ciel et l’enfer ne seront que des songes. Sous le ciel vide, dans l’immense vacuité, il n’existe plus que ce monde de la matière, emporté par des forces aveugles, à travers les espaces désolés. L’homme, apparu aujourd’hui mystérieusement à la surface des abîmes, demain disparaîtra dans l’éternel silence d’une nuit impénétrable: il aura été un caprice momentané du hasard, un petit rouage du mécanisme universel qui bientôt s’use, une apparition qui, pour un instant, prend conscience de soi, et bientôt se dissipe dans l’obscurité sans nom du grand tout » (pp. 41-42)9.
Notes à propos de l’évolutionnisme
Comme signalé au début de cet article, Don Mazzella, en plus d’être expert en sciences théologiques, fut aussi professeur de sciences physiques.
Son ouvrage de 1913 montre abondamment à quel point notre prélat était bien informé des controverses qui agitaient les esprits dans la querelle création-évolution.
Tout le texte de Mazzella est au fond une critique de l’évolutionnisme de son temps, effectuée surtout sur une base philosophique et théologique. Par moments, on y trouve également une appréciation scientifique et biologique. Il consacre justement à cette évaluation les sixième et septième Conférences reportées dans son livre (pp. 117-186).
Voyons-en maintenant quelques traits saillants: ils nous feront entrevoir comment un catholique du début du XXème siècle pouvait faire front à la croisade évolutionniste.
Selon l’évêque, la maxime « la science condamne la foi » « a été répétée par la foule des demi-savants, elle a pénétré dans les masses populaires, et a fait ainsi un long chemin » (p. 118). Un homme politique italien de l’époque, Quintino Sella, avait déclaré publiquement: « Nous élèverons les autels de la science contre l’autel de la foi: avec la foi en la raison, nous pénétrerons les autels du temple; nous dissiperons comme brume les dogmes vénérés par le peuple. Les prêtres de la science feront disparaître les prêtres de l’Église » (cité p. 118).
Dans cette vision de la science, l’évolutionnisme avait (et conserve) une place centrale.
Ainsi, le Livre de la Genèse fut attaqué par la science moderne, soit là où il parle de la création de l’univers, soit là où il parle de la création de l’homme et de la femme. « L’assaut vint d’une hypothèse présentée timidement d’abord par De Maillet, puis plus franchement par Lamarck, et enfin développée, revêtue d’apparence scientifique par Darwin, hypothèse qui pour cette raison prit le nom de darwinisme » (p. 134). Pour Mgr Mazzella, « aucune hypothèse scientifique n’a eu autant de succès et autant de popularité: enseignée dans les écoles [déjà à l’époque!], diffusée dans la Presse, vulgarisée par de nombreuses conférences » (p. 134). Cette théorie, qui estimait que l’homme dérive du singe par sélection naturelle, fut exaltée au plus haut par la Libre-pensée et considérée comme « l’hymne de triomphe contre Dieu chassé de l’univers » (p. 135).
Mazzella distingue dans l’évolutionnisme divers aspects et examine trois questions: « [1] l’origine des espèces vivantes inférieures, c’est-à-dire plantes et animaux; [2] l’origine de l’homme quant au corps; [3] l’origine de l’homme quant à l’âme » (p. 136) et sur ces trois points, il ne voit pas la moindre incompatibilité entre science et foi, soit parce que le conflit n’est que de façade, soit parce que les sciences de la nature n’ont pas encore prouvé ce qu’elles affirment être vrai.
Quant à la question numéro 1, « le Darwinisme, jusque là n’a jamais apporté la moindre preuve directe, ou quasi directe, de ses affirmations. Sur deux sujets le Darwinisme pourrait donner la preuve directe ou quasi directe de ses affirmations, à savoir: soit en démontrant, au moyen de l’expérience, que du croisement d’espèces différentes naissent de nouvelles espèces; soit en démontrant, au moyen de la paléontologie, l’existence d’un enchaînement généalogique de types intermédiaires […]. À l’heure actuelle, les efforts réalisés pour transformer les types au moyen de croisements, ont été multiples et énergiques; mais l’on n’a obtenu que de nouvelles races, jamais de nouvelles espèces » (p.137). D’autre part, « ce n’est point dogme de foi que les espèces soient fixes et que toutes aient été créées immédiatement par Dieu » (p. 136). Même absence de preuves paléontologiques qui indiqueraient les passages d’espèce à espèce. Bien plus, selon l’évêque, l’évidence est en faveur de la permanence des espèces animales ; il suffit de comparer les animaux et végétaux actuels avec la flore et la faune « que nous trouvons dans les ruines de Pompéi, ensevelies depuis 18 siècles » (p. 141), ou avec les descriptions qu’en fait Aristote, jusqu’aux documents qui nous sont parvenus de l’antique Égypte, Thèbes et Memphis: il n’y a pas « la moindre trace de transformation » (p. 142).
Ensuite, quant à l’origine du corps humain (autrement dit, la question numéro 2), Mgr Mazzella la formule ainsi: c’est « dogme de foi que l’homme a son origine en Dieu, et que, par conséquent, l’homme n’est pas l’ultime résultat d’une évolution fatale de la matière, incréée, éternelle […]. Mais l’homme, quant à son corps, tire-t-il son origine de Dieu par une action immédiate, ou de manière médiate par le truchement de causes secondes ? » (p. 145).
Tout d’abord, pour notre prélat : « la doctrine qui exclut l’évolution en ce qui concerne l’origine du corps de l’homme, est certainement une doctrine traditionnelle, que nous estimons vraie, au point de considérer comme téméraire et fausse la doctrine opposée, mais elle ne peut être présentée comme dogme de foi » (p. 146). Ici l’illustre auteur peut apparaître comme excessivement prudent, mais il est tout aussi vrai qu’aujourd’hui, après plus d’un siècle, nous savons mieux que l’évolutionnisme est une théorie encore toute à démontrer. Et la dérivation du corps humain à partir d’un corps animal apparaît à l’heure actuelle, tant au point de vue scientifique que théologique, comme une hypothèse encore plus bizarre qu’en 1913. Déjà à l’époque pourtant, on pouvait dire sans crainte de démenti, que « la science n’a point démontré que le corps de l’homme est le résultat de l’évolution des espèces inférieures » (p. 146). « Maintenant, au moins dans l’état actuel de la science, tout concourt à démontrer que le Protoanthropos [mi-homme mi-singe, ou grand singe en évolution] a existé seulement dans l’imagination des transformistes » (p. 149).
À la troisième question, c’est-à-dire au sujet de l’origine de l’âme, Mazzella est très clair: « l’âme de l’homme est spirituelle, immortelle, elle n’est pas le terme ultime de la transformation d’une forme animale inférieure, elle trouve son origine dans une action immédiate de Dieu » (p. 152).
Quand les évolutionnistes nient Dieu et nient l’âme humaine, ces réalités n’étant pas visibles au microscope, « ils ne parlent plus comme des scientifiques, mais comme des philosophes » (p. 153). Dans un petit récapitulatif, l’évêque de Rossano parle de « banqueroute du darwinisme » (p. 155), citant des auteurs des tendances les plus diverses (même laïques et socialistes) qui déclaraient déjà à l’époque que « les faits ont prouvé que cette doctrine est erronée » (p.155).
Les mêmes conclusions se dégagent en ce qui concerne le monogénisme, le Déluge universel et la préhistoire: la Bible ne trompe pas. C’est l’évolutionnisme qui trompe, car « l’indéterminé n’est point scientifique » (p. 172), et ce qui ne peut être ni reproduit, ni visionné par les experts, comme le Big-bang, le Primate en auto-évolution et le polygénisme, demeure indéterminé et abstrait.
Et par conséquent : « l’athéisme matérialiste moderne a abusé du nom de science quand, en son nom, il a proposé la conception matérialiste de l’univers » (p. 175). Selon Mgr Mazzella, Notre-Dame de Paris est le symbole de la foi, et la Tour Eiffel celui de la science moderne: même en gravissant les sommets fascinants de la seconde, nous ne devons pas renier la lumière « plus resplendissante que la lumière électrique » représentée par la première.
Notre auteur conclut, en citant Joseph de Maistre: « La science est un acide qui dissout tous les métaux, excepté la Parole de Dieu. »
Conclusion
En 1913, un éminent prélat catholique, un savant évêque de l’Italie méridionale combattait tant l’évolutionnisme philosophique, sous forme de mythe du Progrès et de Libre-pensée, que l’évolutionnisme scientifique, en niant, à la lumière de la foi et de la raison, la réalité du passage d’une espèce à l’autre, et surtout des espèces inférieures à l’homme. « Mais pourquoi ne pas ajouter que, tandis que la foi de trois mille ans – c’est-à-dire depuis que Moïse écrivait ces pages de la Genèse10 – reste intacte, telles ces colonnes de granit dont l’aile du temps ne réussit pas à arracher un éclat, au contraire les hypothèses darwiniennes, après quelques années de succès et de délire, se penchent déjà vers la poussière de l’abandon et de l’oubli ? » (p. 154).
Si aujourd’hui de nombreux prélats se font plus courageux devant la plus récente et la plus extrémiste Libre-pensée, en rejetant les délires proposés sous la forme du Mariage pour tous, se trouvera-t-il demain des théologiens et des pasteurs ayant le courage de remonter aux racines pseudo-philosophiques et semi-scientifiques de ces énièmes provocations athées ?
1 Aimablement traduit par Alsadi MAJORANA.
2 La conférence de l’historien romain dans sa version intégrale, et une autre – d’une merveilleuse clarté – prononcée après les polémiques surgies entre-temps, se trouvent dans R. DE MATTEI, Le mystère du Mal et les châtiments de Dieu, Fede & Cultura, 2011, pp. 6-40. Les deux expositions, particulièrement éclairantes à propos de la possibilité et de la légitimité ex parte Dei de la punition, furent prononcées respectivement le 16.3 et le 20.4.2011.
3 Ce courant philosophique (en italien Pensiero debole) fait référence à Gianni Vattimo, penseur italien qui se déclare spiritualiste, « gay », de gauche et libéral. Il s’agit d’un refus de la tradition bimillénaire de la pensée, jugée fixiste et métaphysique, au nom de la modernité et de la relativité des cultures et des approches.
4 Le texte utilisé par R. de Mattei était : Mgr Orazio MAZZELLA, La Providence de Dieu, l’efficacité de la prière, la charité catholique et le tremblement de terre du 28 décembre 1908: notes apologétiques, Rome, 1909.
5 Cité dans R. DE MATTEI, op. cit., p. 10. Pour une reconstitution de la polémique de Mattei (providentialiste) vs « certains théologiens modernes » (scientistes), cf. F. CANNONE, « L’Année de Mattei et son affaire« , in Le Cep n° 58 (2012), pp. 63-76.
6 Enciclopedia Cattolica, Firenze, 1954, vol. VIII, col. 527 (article de Goffredo MARIANI).
7 À propos de l’existence du hasard, un catholique ne peut en douter, cf. saint Thomas, Somme Contre les Gentils, lib. 2, c. 39 et lib. 3, c. 74. Évidemment, ledit hasard n’échappe pas à la connaissance de Dieu, mais il le fait à la connaissance limitée de l’homme, spécialement en ce qui concerne les choses contingentes. Naturellement, ce « hasard » n’a rien à voir avec le Destin, ou avec « Le Hasard et la Nécessité » de l’anti-créationnisme contemporain.
8 Dont le titre complet est: Mgr Orazio MAZZELLA, La Libre-pensée. Ce qu’elle est, ce qu’elle fait, ce qu’elle dit, Rossano, 1913.
9 NdT : Qu’on se souvienne de la formule du célèbre mathématicien français Henri Poincaré (1854 -1912) : « L’homme est un éclair entre deux néants ».
10 Que le Pentateuque doive être attribué à Moïse fut spécifiquement enseigné par un Décret de la Commission Biblique Pontificale en 1909, durant le Pontificat de saint Pie X. Et pourtant, aujourd’hui, il n’existe pratiquement pas un seul ouvrage de théologie biblique qui n’enseigne le contraire: un cas d’école pour l' »herméneutique de la discontinuité »…