Accueil » Le génocide arménien

Par Monnot Jacques

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HISTOIRE
« Si l’homme est libre de choisir ses idées,il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. »
(Marcel François)

Résumé : Un siècle a passé depuis l’épisode final du génocide arménien, génocide que l’État turc refuse toujours de reconnaître alors qu’il s’agit d’une page hautement signifiante de l’Histoire, où se conjuguent l’exclusivisme national turc et la nature volontiers violente de l’islam. Sur deux millions d’Arméniens présents sur le territoire ottoman, les trois quarts furent exterminés, et ce alors même que l’État turc était engagé dans la Première Guerre mondiale. Ce sont là des faits qu’il faut savoir garder en mémoire.

L’Arménie subit des raids dévastateurs, de la part des Arabes mahométans, dès les années 640, 642/643 et 650, soit une vingtaine d’années après l’apparition du mahométisme.

L’Arménie et la Géorgie furent les bastions avancés de la Chrétienté. Hélas, les Turcs envahirent l’Arménie en 1065. De nombreux Arméniens se réfugièrent en Cilicie, qui prit le nom de Petite Arménie, et ils accueillirent les croisés en libérateurs. Le royaume de Cilicie fut détruit par les Turcs en 1375, et le dernier roi, Léon V de Lusignan, se réfugia à Paris.1

En 1788, l’historien Edward Gibbon, dans son Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, écrit fort justement : « Sous la verge de l’oppression, le zèle des Arméniens est fervent et intrépide : ils ont souvent préféré la couronne du martyre au turban de Mahomet » (t. II, ch. 47, p. 361).

Un siècle plus tard, M. Billot, ambassadeur de France en Italie, écrit : « L’année 1895 avait vu se poursuivre en Asie Mineure les abominables violences commencées en 1894 sur les Arméniens par les Turcs. Devant l’indignation du monde civilisé, les puissances avaient dû intervenir, pour rappeler à ses devoirs le gouvernement ottoman, complice ou tout au moins responsable des horreurs commises au nom d’une politique qui se proposait l’extermination d’une race2. »

Avec toute la réserve et la circonspection caractéristiques du corps diplomatique, M. Billot parle donc déjà, en 1905, d’une politique « qui se proposait l’extermination d’une race ». Le terme de « génocide » n’est pas employé, parce qu’il n’était pas encore en usage, mais, à défaut du mot lui-même, la notion s’y trouve bien définie : « l’extermination d’une race. »

Midhat Pacha, le ministre le plus libéral de l’Empire ottoman, auteur de la Constitution de 1876, déclarait souvent : « Nos ancêtres ont eu tort de ne pas imposer l’islamisme à nos sujets d’Europe. Il faudrait user de toutes les circonstances pour modifier à notre profit la proportion numérique des deux religions. »

Le sens de ces derniers mots n’est que trop transparent.

En juillet 1908, quelques officiers du parti Jeune-Turc « Union et Progrès » amenèrent une armée de Salonique à Constantinople. Le 11 juillet 1908, le tyrannique sultan Abdul Hamid rétablit la Constitution de 1876, suspendue par lui deux ans après son accession au trône, en 1878.

Le parti « Union et Progrès » avait été fondé à Paris, sous la direction d’Ahmed Riza, par des étudiants turcs exilés. Ils s’appelèrent « Jeunes Turcs », sans doute par référence à la « Jeune Italie », mouvement fondé par Mazzini, le chef du carbonarisme et haut gradé de la franc-maçonnerie. Dans le cas des Jeunes Turcs aussi, les loges maçonniques, notamment la grande loge de Salonique, contribuèrent à fournir les cadres3. En outre, une bonne part des jeunes officiers du 3e Corps d’armée basé à Salonique, et qui constituaient le comité « Union et Progrès », étaient des dönméhs – « pseudo-convertis » en turc ottoman –, c’est-à-dire des Juifs faussement convertis au mahométisme. Les Jeunes Turcs furent les jacobins de l’Empire ottoman. Après avoir déposé le sultan Abdul-Hamid, en avril 1909, les Jeunes Turcs parvinrent à contrôler le gouvernement en 1913. Un régime de terreur, par arrestations, déportations, pendaisons, concentra le pouvoir entre les mains d’un triumvirat tyrannique : Talaat, Enver et Djémal. L’homme indispensable, l’arbitre des conflits au sein du comité central, le véritable chef du parti « Union et Progrès », fut Talaat Pacha, ancien petit fonctionnaire des Postes, qui était passé du judaïsme à l’islam. Aucune décision fondamentale n’était prise sans son accord.

Devenus maîtres absolus de l’Empire ottoman, les Jeunes Turcs jetèrent le masque. Ils commencèrent par massacrer les chrétiens de Thrace. Le 2 novembre 1914, la Turquie déclara la guerre aux puissances de l’Entente.

Le parti Jeune Turc pensa que c’était le moment opportun pour mettre à exécution les décisions prises à son Congrès réuni à Salonique en 1910 et 1911 : destruction des peuples non-turcs de l’Empire, en commençant par les Arméniens, peuple particulièrement intelligent et actif. Comme l’écrit le P. Jean Mécérian : « La décision d’anéantir le peuple arménien était inspirée par la haine de race, ou par la crainte de la supériorité des victimes, comme le prouvent amplement les aveux de Talaat et d’Enver à l’ambassadeur Morgenthau ; toujours et partout cependant, elle fut rendue plus acharnée par la haine portée au christianisme de la part du peuple ignorant et fanatique que l’on excitait. La preuve la plus tangible en est dans les propositions faites partout pour la conversion à l’islam, et plus encore dans l’acharnement mis partout à souiller les sanctuaires, et à mettre une animosité diabolique dans la torture des prêtres, des évêques. Les mémoires de Mgr Naslian abondent en faits dignes de la plus belle, de la plus véridique Légende dorée du Christianisme. Le peuple arménien, pris dans son ensemble, fut fidèle au Christ, jusqu’aux tortures, jusqu’à la Croix4 ! »

M. Yves Ternon note avec justesse : « Les dirigeants du comité « Union et Progrès » organisèrent le génocide des Arméniens au nom d’un idéal panturc mais, sur place, les massacreurs furent les mêmes qu’en 1895. Kurdes, gendarmes et populace tuaient le giavour [« infidèle » en turc, c’est-à-dire le « chrétien »], animés par la vieille haine du musulman contre l’infidèle5. »

Lorsque le ministre de la Guerre, Enver, rentra du Caucase en février 1915, il exprima au Patriarche arménien de Constantinople sa satisfaction particulière au sujet de la tenue et de la vaillance des troupes arméniennes. Néanmoins, deux mois plus tard, le 24 avril 1915, 235 Arméniens sont arrêtés à Constantinople. Il s’agit des membres dirigeants de la nation. La plupart furent torturés, puis mis à mort.

C’est pourquoi, le 24 avril de chaque année, les Arméniens du monde entier commémorent l’horrible tragédie destinée à anéantir leur peuple.

Les soldats arméniens de l’armée turque furent désarmés et tués. Les hommes étaient emprisonnés, mis aux travaux forcés, puis exécutés. D’abord ceux de 15 à 50 ans, puis de 13 à 60 ans et plus. Les femmes et les enfants furent déportés ensuite, ainsi que les vieillards, dans des conditions de famine et de fatigue telles que plus des deux tiers succombèrent en route. Aux bords de la mer Noire, les Turcs reprirent le procédé révolutionnaire des noyades de Nantes : les Arméniens furent embarqués sur des barques ou des radeaux, poussés au large et engloutis par les eaux. Sur 2 millions d’Arméniens, 1 500 000 périrent, mais le nombre des personnes massacrées se monte à plus de 2 000 000 si l’on compte les autres chrétiens exterminés : plus de 300 000 Grecs et 250 000 Assyro-Chaldéens.

Lors du procès des quatre jeunes Arméniens qui avaient pris d’assaut le consulat de Turquie à Paris en 1981, un de leurs défenseurs, Me Aslanian, cita la célèbre phrase de l’archevêque de Rouen en 1917 :

« Si après cette guerre les Arméniens n’obtenaient pas leur indépendance, s’ils faisaient sauter Ankara, moi, serviteur de Dieu, je leur donnerais l’absolution. »

M. Coûtant de Sezeval, éminent spécialiste du Moyen Âge et passionné par l’histoire de l’Arménie, déclara à la barre du tribunal :

« Mon cœur de Français ne peut qu’éprouver de l’amitié envers ce peuple qui fut aussi martyr de sa foi chrétienne pour nous chrétiens. »

Les Arméniens réclament du gouvernement turc :

1°) la reconnaissance du génocide ;

2°) des réparations analogues à celles qui sont versées aux Juifs par le budget de la RFA6.

3°) les territoires arméniens occupés par la Turquie, afin d’y rétablir un État arménien indépendant7.

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Voici quelques livres qui traitent du génocide arménien, pour qui désire en savoir plus :

CHALIAND Gérard & TERNON Yves, Le Génocide des Arméniens, Bruxelles, Éd. Complexe, 1984, ouvrage du format poche ; nouv. édit. en 2006.

Tribunal Permanent des peuples : Le Crime du silence – Le génocide arménien, coll. « Champs », Paris, Flammarion, 1985.

VIERBUCHER Heinrich, Arménie 1915-Un peuple civilisé massacré par les Turcs, publié pour la première fois en langue française en 1987 par M. Gessarentz, 21 rue du Dauphiné, 26 200 Montélimar. Il s’agit du témoignage d’un officier allemand.

MORGENTHAU Henry, Mémoires. Vingt-six mois en Turquie, princeps en 1919, réédit. en 1984 par la revue Arménia, BP. 2 116, 13 014 Marseille cedex 1. Morgenthau était ambassadeur des États-Unis à Constantinople au moment du génocide.

WERFEL Franz, Les 40 jours du Musa Dagh [Mont Moïse], Paris, Albin Michel, (1986) 2015 ; roman historique très documenté.

LEPSIUS Johannes (Dr), Rapport secret sur les massacres d’Arménie, 1915-1916, Paris, Payot, 1918.

– LEPSIUS J., Archives du génocide des Arméniens, Recueil des documents diplomatiques allemands, princeps en 1919, Paris, Fayard, 1986.

– TOYNBEE Arnold, Le Massacre des Arméniens : 1915-1916, Paris, Payot, 2004.

Le journal Hay Baykar [Lutte arménienne], organe du Mouvement National Arménien, informe chaque mois de l’actualité arménienne et publie parfois des documents d’histoire. Hay Baykar, B P. 215-3, rue de l’Arrivée, 75 749 Paris cedex 15.

Livre bleu du Gouvernement britannique concernant le traitement des Arméniens dans l’Empire ottoman, Paris, Payot, 1987.

Le Génocide arménien, CSPPA, même adresse que le journal Hay Baykar.

MÉCÉRIAN Jean, sj., Histoire et Institutions de l’Église arménienne, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1965.

1 Cf. Jean RICHARD, La Papauté et les missions d’Orient au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles), Rome, École Française de Rome, 1977.

2 Dans son livre La France et l’Italie : histoire des années troubles, 1881-1899, (Paris, Plon, 1905, t. II, p. 383), Albert BILLOT note ensuite : « En février 1896, le monde civilisé apprenait, avec horreur, que plus de 200 000 Arméniens étaient tombés sous les coups des musulmans. Tous les renseignements concordaient, d’ailleurs, pour établir qu’ils étaient victimes d’une persécution féroce et méthodique, tolérée et peut-être encouragée par les autorités turques. Sous la poussée de l’indignation, les grandes puissances intervenaient pour presser le rétablissement de l’ordre et provoquer des réformes administratives. » 

3 Les chefs du Comité Union et Progrès se retranchaient derrière les voiles du rituel maçonnique. Ils se réunissaient chez des Juifs de Salonique pour y discuter en secret.

4 MÉCÉRIAN Jean, sj., Le Génocide du peuple arménien. Le sort dela population arménienne de l’Empire ottoman, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1965.

5 Gérard CHALIAND & Yves TERNON, 1915. Le Génocide des Arméniens, Bruxelles, Éd. Complexe, nouv. édit. 2006.

6 Ndlr. Réparations qui ne furent jamais réclamées à la RDA.

7 Le 18 juin 1987, le Parlement européen adoptait une résolution reconnaissant le génocide arménien et demandant à la Turquie la reconnaissance de l’Holocauste. Le refus du gouvernement turc, la prolongation de l’occupation, par la Turquie, du Nord de 1’île de Chypre, la négation du peuple kurde, l’absence d’une véritable démocratie et le non-respect des libertés individuelles et collectives, notamment religieuses, constituaient alors, pour le Parlement européen, « des obstacles incontournables à l’examen d’une éventuelle adhésion de la Turquie à la Communauté européenne ». On sait ce qu’il advint de ces belles déclarations. D’ailleurs, outre les motifs invoqués par le Parlement européen, les Turcs occupent l’Asie Mineure – prolongement, comme son nom l’indique, du continent asiatique – et ne sont donc pas situés en Europe. D’autre part, l’Europe est formée de nations chrétiennes. L’entrée d’un État explicitement mahométan altérerait le caractère chrétien de l’Europe, déjà combattu par la laïcité. Mais c’est peut-être là, pour certains, un objectif et non une menace.

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