Accueil » Les réductions guaranίes de la Compagnie de Jésus aux XVIIème et XVIIIème siècles ou la formation d’une chrétienté (1ère partie)

Par Bertrand Labouche Abbé

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Résumé : Les « réductions » guaranίes ont été récemment signalées à l’attention par le succès du film « Mission ». Cette évangélisation originale, conçue et réalisée par les jésuites, mérite d’être mieux connue et comprise : le christianisme n’atteint pas que l’esprit et le cœur; il implique un mode de vie adéquat, on le verra dans une deuxième partie. L’auteur, depuis plusieurs années au Brésil et en Argentine, décrit dans cette première partie l’histoire des débuts de cette prédication qui fut en même temps une exploration.

L’expression « Réductions guaranίes » désigne les Missions d’évangélisation des indiens guaranis organisées par les missionnaires jésuites au XVIIème siècle au Paraguay et qui s’étendront jusqu’à l’actuel Rio Grande du Sud brésilien ; ces religieux ne se contentèrent pas d’un apostolat ponctuel en se déplaçant d’une région à l’autre, mais réunirent les indigènes en de « mini‑chrétientés », se dévouant à une évangélisation en profondeur et à l’abri des malveillances.

Hélas, la cupidité, les conflits politiques européens et l’influence de la franc‑maçonnerie, provoquèrent la tragique disparition de ces Missions admirables ; mais la bonne semence, aux fruits connus de Dieu, fut plantée et l’exemple des missionnaires témoigne pour toujours de la charité apostolique de l’Eglise.

Parcourons un peu cette page de son histoire…

I‑ Origine des Réductions

En 1603, le gouverneur Hernandarias réunit en un synode les prélats du territoire d’Asunción (actuelle capitale du Paraguay) et leur fit part de son désir de :

‑ demander au Conseil des Indes et au Roi d’Espagne la venue de missionnaires jésuites pour évangéliser les 150.000 indigènes guaranis.

‑ promulguer des lois interdisant l’esclavage des indigènes, pratiqué par les commanderies espagnoles.

Son vœu fut exaucé car, en 1608, le Roi fit venir treize jésuites européens décidés à mettre leur foi et leurs forces au service de ce noble idéal : la conquête spirituelle des guaranis. De plus, un visiteur, Francisco de Alfaro, fut envoyé afin d’enquêter sur la situation pénible des aborigènes dans les commanderies ; cette visite eut pour fruit la promulgation d’Ordonnances visant à améliorer leur situation.

Les missionnaires étrangers apprirent le guaranί et réunirent les indigènes dans des missions ou « réductions » pour mieux assurer leur évangélisation. Ils eurent en outre à affronter les ressentiments des chefs des commanderies, et plus tard les incursions des bandeirantes de São Paulo, qui versèrent dans la calomnie et l’intrigue sous le fallacieux prétexte que les missionnaires exerçaient un protectorat excessif. Le film bien connu « Mission » donne, sur ce point, une idée exacte de ce conflit où les religieux se firent les avocats courageux des guaranis.

II – Les Indiens Guaranίs

A l’époque de la découverte de l’Amérique, les peuplades guaranίes s’étendaient de manière discontinue dans pratiquement toute la partie sud du continent américain. Ce sont des descendants des indiens caraïbes qui vivaient dans le nord de l’Amérique du Sud.

Des chercheurs pensent que les Caraïbes sont d’origine phénicienne, d’autres affirment qu’ils sont de race jaune, et plusieurs placent leurs ancêtres en Polynésie. Il semble certain qu’ils proviennent de pays lointains.

Au cours de leurs migrations, les guaranis se scindèrent en divers groupes qui adoptèrent le nom d’une caractéristique de leur territoire ou de leur chef (« cacique »).

Par exemple, ceux qui vivaient dans la région d’Asunción, les indiens carios, tiraient leur nom de Caracará, leur chef.

Certains étaient vêtus d’un manteau en peau de jaguar ou d’un tablier de coton bordé de plumes, mais la plupart vivaient quasiment nus. Les hommes s’ornaient de panaches (illustration n°4) et les femmes de colliers et bracelets de griffes et de dents de singes. Tous marchaient pieds nus.

Le mot guaranί signifie « guerrier » ; de caractère belli­queux, ils étaient perpétuellement en guerre les uns contre les autres, pour des rivalités de chasse ou de pêche. Et pourtant, l’historien Werner Hoffman affirme que « le peuple guarani fut le plus do­cile et éducable des indiens sud‑américains » !

Bien proportionnés, ils étaient robustes, de taille moyenne et le visage rond. Leurs yeux étaient très foncés, leur cheveu noir et lisse et leur peau brune (illustrations n°1,2,3). Ils n’extériori­saient pas leurs souffrances par des cris ou des plaintes; leurs sen­timents intérieurs n’apparaissaient jamais sur leur visage.

C’est à coup de poings, jamais avec une arme, qu’ils ré­solvaient leurs litiges entre parents et amis. Les hommes s’occu­paient de la guerre et de la chasse, les femmes du tissage, de la culture, de la cuisine.

A la guerre, ils étaient fidèles à leur chef et se montraient féroces, valeureux et infatigables au combat.

Pour s’orienter, ils se laissaient guider par la Nandứ-Pisá, la Croix du Sud. Ce peuple, nomade, n’était pas attaché à un sol et ignorait le patriotisme et l’économie. Fils d’une forêt riche en fruits et animaux qui leur servaient d’aliments, ils étaient indolents, jouissant du moment présent, sans crainte de l’avenir ni méfiance vis à vis de l’étranger.

Les Guaranίs vivaient dans la pauvreté, en dépendance des semailles, de la chasse (illustration n° 5) et de la pêche. Avant de semer, ils prenaient les étoiles pour guides ; après avoir abattu des arbres, ils attendaient la pluie pour qu’elle humidifie la terre. Ils plantaient ensuite la se­mence, et obtenaient d’abondantes récoltes de maïs, de manioc et d’arachide.

Leur alimentation était complète et équilibrée, suffi­sante pour leur assurer une bonne santé. Connaissant à la perfection le monde animal et végétal qui les entourait, ils appréciaient particulièrement l’infusion de maté.

Le sentiment religieux du guarani était intérieur, ignorant les idoles. Son temple était la nature. Il croyait en Tupá, le dieu bon, l’Etre suprême de l’univers qui se rencontrait dans la brise et dans les sons de la forêt. Spirituel, il ne pouvait être représenté. Ce dieu créa d’abord les animaux et les bois ; après de très nombreu­ses lunes, il créa l’homme auquel il donna l’intelligence afin qu’il puisse s’approprier la nature et vaincre les bêtes féroces. Puis, un jour, il se retira pour vivre dans le soleil qui annonce la joie, la force et la santé.

L’ Etre mauvais est Aňá et son astre, la lune décroissante, est présage de malheurs et de maladies.

Les Guaranίs croyaient en l’immortalité de l’âme et espé­raient leur passage vers une vie plus heureuse, parmi les étoiles du ciel. Ils étaient très superstitieux, portant toujours à l’épaule un sac de cuir contenant les trois amulettes, données par le sorcier, qui devait leur porter bonheur : quelques griffes, dents et morceaux de peau de jaguar pour obtenir une chasse abondante, des arêtes de poisson pour une bonne pêche et le payé pour l’amour : des plumes de caburé au pouvoir irrésistible.

Leurs mythes provenaient de la nature environnante : dieux de la foudre, du tonnerre, de la tempête, des plaines, des eaux et autres génies tropicaux : le Caáyary, esprit de l’herbe, le Caagüiporá, seigneur de la forêt, le Chochί, oiseau‑boussole dans l’im­mensité de la nature. Ils se répétaient des contes simples dont les personnages étaient le singe, le perroquet, le renard, la tortue, le jaguar…et la légende du pèlerin blanc qui parcourut ces régions, enseignant la culture du maïs, transformé avec le temps en la lé­gende chrétienne de Pai‑Zumé, saint Thomas, dont les pas restè­rent gravés sur le coteau de Paraguary.

Le Guaranί mesurait le temps en lunes qui équivalaient aux mois, et en hivers, qui représentaient les années. Il connaissait les saisons et des étoiles comme la Croix du Sud et les Sept Chèvres.

Il avait de bonnes connaissances en botanique, zoologie et médecine. Le médecin, en réalité, était le sorcier, un homme qui se consacrait au soin des malades, et transmettait sa science de géné­ration en génération. Les plus expérimentés étaient respectés comme des sages. Le sorcier employait des analgésiques et pratiquait la chirurgie, ouvrait les abcès, appliquait des cataplasmes, des ven­touses, utilisait de l’argile pour les fractures. La flore de la région lui offrait de nombreux remèdes naturels pour toutes sortes de maladies. Respecté, il recevait facilement des présents de choix : peaux de jaguar et aliments variés. Riche, il pouvait avoir plusieurs femmes, à l’exemple du chef de la tribu.

Les Guaranίs ne savaient ni lire ni écrire ; mais leur langue était leur meilleur patrimoine culturel, et ils s’en montraient fiers, s’efforçant de parler avec finesse et éloquence. Le Padre Lozano écrivit en 1754 : « Cette langue est une des plus riches et élé­gantes du monde. Elle fut le français de l’ancienne Amérique, la langue de référence comprise par toutes les tribus ». Le Gua­ranί disait que son langage faisait murmurer les eaux et les forêts, car il avait été créé par les vents. La langue guaranίe, de fait, a survécu aux contingences historiques postérieures au descubrimiento et s’est perpétuée jusqu’à nos jours, au Para­guay et au nord‑est argentin.

Les Guaranίs aimaient la danse et la musique. Ils dansaient depuis les temps les plus anciens ; par la danse, ils espéraient chasser les fléaux, la tempête, l’ennemi et triompher du mal.

Ils aimaient beaucoup chanter. Ils chantaient en l’honneur de Tupá, pour lui demander longue vie ; ils fredonnaient aussi une sorte de prière avant de quitter la maison, pour rencontrer de nom­breux sangliers. Ils chantaient pour que Tupá diminue la fureur des vents qui arrachaient les arbres où les abeilles gardent le miel. Leur seul instrument était une simple flûte de roseau, avec laquelle ils reproduisaient les sons de la forêt.

Plus tard, les missionnaires trouveront dans la musique un allié précieux pour attirer et conquérir les Guaranίs (illustration n°6).

Certes, il leur faudra aussi et surtout, des trésors de patience, bonté et abnégation, pour civiliser et christianiser ces âmes païennes. Les Réductions constitueront le champ fertile et privilégié de leur action.

III ‑ LES PREMIERES REDUCTIONS GUARANIES

Les premiers jésuites arrivèrent au Paraguay en 1609. Les R.P. Roque Gonzáles de Santa Cruz et Vicente Griffi furent desti­nés à travailler parmi les guaycurứes, les R.P. Marcial Lorenzana et Francisco San Martin parmi les paranáes et les R.P. José Cataldino et Simon Masseta au Guayrá. Le gouverneur Hernandarias fit tout pour faciliter l’installation des missionnaires, leur fournissant des guides guaranis pour s’orienter et le matériel nécessaire ; il leur offrit même une somme d’argent correspondant à ce que pouvait recevoir un « Curé aux Indes ».

La première réduction jésuite fut celle de San Ignacio-­Guazứ (« St‑Ignace‑la‑grande »), fondée au Paraguay en 1609 par les Pères Lorenzana et San Martin. Les aborigènes paranáes se montrèrent très réceptifs à l’action des missionnaires qui réussi­rent à leur montrer les avantages d’avoir une famille et un lieu sta­ble pour vivre. Leurs passions sauvages furent vaincues par la force de conviction, la patience, la bonté et l’exemple des jésuites.

Hélas, ce ne fut pas le cas des indigènes guaycurứes : après deux ans d’efforts intenses, le zèle du Padre Roque, pour­tant futur martyr, pour les civiliser s’avérèrent vains. Même la musique ne parvint à les émouvoir. Le missionnaire rejoignit alors la réduction de San Ignacio‑Guazứ, où il remplaça le Padre Lorenzana à la tête de la mission.

Au Guayrá, les Pères Cataldino et Masseta fondèrent, en 1610, les réductions de Loreto et San Ignacio-Minί qui réunirent plusieurs tribus.

Le Père Montoya, élu ensuite supérieur de la Mission, fondera plus tard les réductions de San Javier de Tayatί, Encarnacion de Nantinquίn, San José de Tucutί, Concepciόn et San Pedro de Gualacόs, Siete Angeles de Tayaobá, Santo Tomás, San Pablo, San Antonio et Jesứs y Maria.

Les efforts surhumains des missionnaires furent récompensés spirituellement et même matériellement : les missions étaient si prospères que des tribus avoisinantes se risquèrent à les attaquer pour les dépouiller ; les jésuites constituèrent alors une petite armée de Guaranίs commandés par le cacique Maracaná qui s’illustra en de fameux combats.

Le Bienheureux Roque González de Santa Cruz

Né à Asunción en 1576, ce prêtre se dévoua au Paraguay, au Brésil, en Argentine et en Uruguay, spécialement auprès des indigènes les plus démunis. Jésuite énergique et cultivé, surnommé le « Démosthène paraguayen », il composa plusieurs écrits en guaranί ainsi que de nombreuses prières approuvées par toutes les réductions (auparavant, le Père Bolaňos, franciscain, avait composé un catéchisme en guarani. Ignorant le repos, il parcourut des distances considérables, affrontant les sorciers et les chefs de commanderies espagnoles. Vénéré par les indigènes, il fut laboureur, éleveur de bétail, mineur, maçon, bûcheron, médecin, artisan … Il enseigna le chant, la peinture et le commerce, édifia des églises et des demeures pour le bien-être de ses guaranίs. La réduction de San Ignacio-Guazứ sortit de ses mains. Ses habitants vivaient heureux sous sa paternelle direction. Il fonda la mission de Itapuá en 1615, puis celle de Yaguapứa en 1618 où les Guaranίs formèrent une grande communauté ; face à une peste, le Père Roque parvint à la conjurer en préparant une liqueur à base de plantes de la région.

Par ordre de son supérieur, il explora en pirogue le Paraná, puis fonda, en 1620, la réduction de Concepciόn sur un affluent de l’Uruguay. Les habitants de la région étaient réputés pour leur férocité.

Le Père Roque ne craignait pas la mort, emportant avec lui un tableau de la Vierge Marie, la Conquistadora, auquel il attribuait ses succès apostoliques.

Puis il traversa l’Uruguay en 1626 et fonda la mission de San Nicolás, en terre brésilienne.

Plus tard, il ouvrira la mission de Yapeyứ, destinée à faire le lien entre les réductions et Buenos Aires, puis celle de Santa Maria del Iguazứ, à proximité du magnifique spectacle naturel des cataractes. Il fondera ensuite, près de l’embouchure du fleuve Ibicuy, le village de Purificación. Les indigènes de la région, nomades, n’aimaient pas travailler la terre ; profitant d’une absence de leur père spirituel, ils s’enfuirent vers le nord. Le missionnaire partit les chercher et explora en leur compagnie la région actuelle des états brésiliens du Rio Grande et de Santa Catarina, fameuse pour ses forêts luxuriantes et ses terres riches en pierres précieuses. Le Père Roque fonda alors la réduction de Candelaria, où les indigènes trouvèrent leur épanouissement.

Dans les dernières années de sa vie, le Père Roque eut pour collaborateurs deux jeunes jésuites : les Pères Alonso Rodrίguez et Juan del Castillo. Il pénétra avec eux dans les forêts du Caarό, riches en fleurs aux parfums exotiques, peuplées d’oiseaux splendides mais aussi de bêtes féroces. Régnait en cette région Ñezứ, cacique puissant, chef de 500 familles. Le Père Roque les catéchisa et les réunit en un village, avant de les confier au Père Juan del Castillo qui construisit sa cabane près de celle de Ñezứ. Le cacique était rebelle et orgueilleux. Se repentant d’avoir promis de quitter ses nombreuses épouses, il renia la religion chrétienne et résolut d’éliminer les jésuites.

Les Pères Roque et Alonso, loin de suspecter les intentions du cacique, s’étaient éloignés du quartier de Ñezứ pour construire, avec l’aide d’indigènes, un nouveau village. Ñezứ, le coeur habité par la haine, cherchait à se délivrer des jésuites qu’il considérait comme des rivaux. Il chargea les caciques Cuniaracuá, Carupé et Caaburé de tuer les religieux, d’incendier la chapelle et de jeter au feu les corps pour qu’aucune trace de christianisme ne demeure dans son village. Ñezứ, en personne, se chargerait de faire disparaître le Père Juan del Castillo.

Son plan se réalisa : le 15 novembre 1628, alors que le Père Roque installait la cloche de la nouvelle chapelle, un aborigène le frappa violemment à la tête ; le Père Rodriguez fut tué de la même façon alors qu’il récitait son bréviaire.

Les indigènes traînèrent les corps jusqu’à la chapelle qu’ils incendièrent ; ils détruirent aussi l’image de Notre Dame Conquistadora, le calice et le crucifix. Un cacique, catéchumène, ayant repris les assassins, fut tué sur le champ.

Le jour suivant, ils constatèrent que les corps des missionnaires avaient été épargnés par les flammes ; et du coeur du Père Roque s’éleva subitement une voix : « Vous avez tué celui qui vous aimait et qui voulait votre bien ; mais vous n’avez tué que mon corps, car mon âme est au Ciel. Le châtiment ne tardera pas, mes fils viendront vous punir pour avoir maltraité l’image de la Mère de Dieu. Mais je reviendrai vous aider, car vous aurez beaucoup à souffrir à cause de ma mort ». Trente trois témoins assistèrent à ce prodige. En entendant cette voix, les assassins, enragés, arrachèrent le cœur, le transpercèrent d’une flèche et jetèrent de nouveau les restes mortels des martyrs au feu. Le cœur du Père Roque demeura encore intact.

Le vendredi 17 novembre, à 15h00, commença le martyre du Père Juan de Castillo ; il venait de réciter vêpres. Les émissaires de Ñezứ lui ligotèrent les bras, des indigènes le couvrirent de coups en le poussant vers la forêt. Le missionnaire, surpris, leur demanda : « Mes enfants, que faites-vous ? » Ils lui répondirent qu’ils allaient tuer tous les missionnaires et que les Pères Roque et Alonso étaient déjà morts. « Alors, conduisez-moi auprès d’eux et tuez-moi en leur compagnie », répondit le religieux. Il fut aussitôt traîné sur le sol ; son corps, meurtri par les pierres et les épines, ne fut bien vite qu’une plaie. Le martyr répétait : « Tupanrehê », « que ce soit pour l’amour de Dieu » en guarani, et « Jesứs, Maria » ; un témoin l’entendit dire aussi : « Prenez-moi. Vous tuerez mon corps, mais j’irai au Ciel ». Après avoir percé son corps de flèches, ils le lapidèrent sur les rives de l’Ijui et l’abandonnèrent en disant : « Que les tigres le dévorent » ! Ceux-ci, nombreux dans cette région, furent moins cruels que les hommes et respectèrent son corps.

Plus tard, des indigènes brûlèrent son corps. Ils entrèrent ensuite dans la cabane du jésuite, détruisirent son calice et ses ornements.

Ñezứ, triomphant, se vêtit de l’aube et de la chasuble du martyr et, orné de plumes, s’adressa au peuple : « Désormais, vous serez heureux, vos cultures prospéreront et vous vivrez selon les coutumes de vos ancêtres. Maintenant, c’est moi qui baptiserai vos fils ». Il fit venir alors quelques baptisés, leur racla la langue pour lui enlever la saveur du sel béni, leur racla aussi la tête pour éliminer l’onction du saint chrême et, enfin, leur lava la tête, prétendant leur arracher ainsi toutes les grâces baptismales.

Le Supérieur des religieux, le Père Romero, rapidement informé, envoya deux cents guerriers à Caaró qui recueillirent les restes mortels des martyrs, combattirent et vainquirent les indigènes rebelles…Ñezứ trouva une fin tragique, ses complices (douze des principaux assassins, dont onze se convertirent) furent condamnés à mort par la justice espagnole, bien que les religieux eussent réclamés l’indulgence. La prophétie du coeur du Père Roque se réalisa à la lettre ; cette insigne relique fut placée par la suite dans un reliquaire et se trouve de nos jours au Paraguay, à Asunción en l’église du Christ-Roi, où de nombreux miracles lui sont attribués.

Le 28 janvier 1934, le Pape Pie XI déclara bienheureux les « Trois Martyrs des Missions » (illustration n° 7) ; le P. Roque fut canonisé en1988 (fête le 16 novembre). Le lieu du martyre, proche de la Mission de São Miguel, devint rapidement un lieu de pèlerinage, inauguré par les propres guerriers du Père Romero.

(Suite au prochain numéro : L’organisation et la vie des réductions)

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