Accueil » Les USA : quelle religion ?

Par Eon Claude

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Résumé : La nation américaine, si elle existe, voit généralement sa paternité attribuée aux fameux Pèlerins, Pilgrim, surnommés de ce fait « Pères », Fathers, donc aux protestants anglo-saxons. Or les Pèlerins de 1620 n’étaient pas les premiers Européens à s’installer sur le territoire américain actuel. Le comte écossais catholique Henry Sinclair (ou St. Clair) fit une expédition en Amérique du Nord en 1398. Il débarqua au Canada puis descendit le long de la côte, au moins jusqu’à Newport. Le XVIe siècle vit de vastes missions espagnoles en Caroline du Sud et en Floride, tandis que les jésuites français du Canada débordaient largement sur le Maine et le Vermont. Qu’en est-il alors du christianisme de l’État fédéral moderne fondé au XVIIe siècle ? Nombre d’arguments sont avancés pour justifier ce « christianisme » : arguments historiques, philosophiques et théologiques. On sera surpris de découvrir qu’ils ne sont pas déterminants et que le nouvel État adhère plus au déisme maçonnique qu’à la divinité de Jésus-Christ.

Le commentaire judicieux de Hugh Owen (cf. ci-dessus, p. 48) fait penser à un vif débat depuis une quarantaine d’années entre historiens américains : l’origine des États-Unis est-elle chrétienne ?

L’histoire religieuse des USAprésente un intérêt dépassant largement le cadre de ce pays, car « l’américanisme » condamné par Léon XIII en 1899, par la Lettre Testem benevolentiæ adressée au cardinal Gibbons, devait finir par s’imposer à l’Église catholique avec le concile de Vatican II.

Il n’est, bien sûr, pas question de traiter ici ce sujet passionnant, mais seulement d’esquisser une réponse à la question des origines chrétiennes des États-Unis.

Rappelons d’abord le fait peu connu que des catholiques occupèrent l’Amérique bien avant les protestants. La première expédition européenne fut celle d’un noble écossais, Henry Saint- Clair, comte des Orcades et seigneur des Shetlands, qui débarqua en 1398 à ce qui est aujourd’hui Newport, Rhode Island. L’étonnante « Tour de Newport », Newport Tower, est ainsi la plus ancienne structure européenne en Amérique (voir Annexe ci-après).

Il y eut plus tard l’arrivée des Espagnols en Caroline du sud, en 1526, et en Floride à Saint Augustine, en 1565.

Depuis leur première expédition jusqu’en 1820, les Espagnols envoyèrent quelque 16 000 missionnaires et déjà avant l’arrivée du Mayflower en 1620, ils avaient converti plus de 50 000 indigènes.

Au moment de la première expédition anglaise, en 1607 à Jamestown en Virginie, les Espagnols avaient plus de trente missions catholiques en Floride, en Géorgie et dans les deux Carolines. Il ne faut pas oublier non plus le rôle des jésuites français au Canada et leurs avancées sur ce qui deviendra les USA.

Les catholiques français revendiquèrent la région de la « Nouvelle-Angleterre », New England, bien avant l’arrivée des Pèlerins anglais. En 1570, une colonie française était établie le long de la rivière Kennebec, dans le Maine. En 1604 la « Mission de la sainte Croix » était installée sur la rivière Sainte-Croix, et en 1611 la « Mission du Saint Sauveur » du père jésuite Biard était sur les rives de la rivière Penobscot. Champlain explorait le Vermont en 1609 et, en 1615, des missionnaires franciscains œuvraient dans cette même région.

Les auteurs voulant démontrer l’origine chrétienne des États-Unis s’appuient sur des arguments historiques, philosophiques et théologiques. Dans le cadre de cet article, il n’est pas possible de développer et discuter ces arguments et nous devrons nous contenter d’une simple énumération.

Arguments historiques : 1) Les fondateurs étaient chrétiens. En réalité il faut ici distinguer entre la période coloniale, pendant laquelle chacun des 13 États était libre de définir sa politique religieuse, et la période des auteurs des documents fédéraux : Déclaration d’Indépendance et Constitution. Le « christianisme » des uns et des autres était fort différent. 2) Les sources citées par les fondateurs : la Bible, Calvin, Locke, Montesquieu. 3) Le caractère chrétien des premières Constitutions coloniales : les puritains au Massachussetts, les quakers en Pennsylvanie, les anglicans en Virginie, etc. 4) Les premiers collèges qui étaient en fait des séminaires pour les pasteurs : Harvard (1636), William & Mary (1692), Yale (1701), Princeton (1746), King’s college – devenu Columbia – (1754) et Dartmouth (1754).

Arguments philosophiques : 1) Tout ce qu’ont écrit les fondateurs a la même autorité que la Bible ; il faut leur appliquer les mêmes règles herméneutiques. Toute citation prouve leur intention initiale et doit persuader les Américains que ce sont les principes du christianisme qui ont donné naissance à la nouvelle nation. 2) L’intention originelle des fondateurs était d’établir une nation chrétienne, « une cité sur la colline ». 3) Les idées des Lumières n’ont pas eu d’influence sur la fondation des USA. La Révolution française est le fruit des Lumières ; la Révolution américaine, elle, doit tout à la Bible. [La seconde partie de cette affirmation implique une acrobatie intellectuelle exceptionnelle.]

Arguments théologiques : 1) L’Histoire est providentielle ; les États-Unis accomplissent la volonté de Dieu. 2) « L’exception américaine » : les USAjouissent de la première Constitution démocratique au monde ; ils sont la plus grande puissance militaire, la plus grande économie, religieusement la plus libre, bref la meilleure en tout. C’est bien la preuve de la bénédiction divine. 3) D’ailleurs, l’Amérique est le Nouvel Israël dont il assume le messianisme. 4) La liberté américaine est une notion biblique ainsi que celle des droits de l’homme. Une pluie de citations bibliques confirme ces affirmations. 5) La source première de la doctrine des fondateurs a été la Bible et non les Lumières. D’ailleurs, les penseurs des Lumières furent inspirés par… la Bible. [Encore une démonstration acrobatique].

Tous les auteurs qui défendent ces thèses reconnaissent que l’Amérique a dévié de sa vocation initiale et qu’il faut donc un sursaut de volonté pour revenir à sa « destinée manifeste ».

D’autres historiens ont réfuté sans peine les allégations des partisans de l’Amérique chrétienne. Laissant de côté la période coloniale où chaque État était maître de sa politique religieuse, les documents fondateurs des États-Unis : la Déclaration d’Indépendance de 1776, la Constitution fédérale de 1787, la Déclaration des Droits (les dix premiers amendements) de 1791, sont autant de textes nettement inspirés par les « Lumières » et la Franc-Maçonnerie. Tous les « Pères fondateurs » : Jefferson, Franklin, Adams, Madison, Washington… étaient de purs déistes.1

Ils étaient également francs-maçons de l’une ou l’autre obédience. Il y avait, en effet, la maçonnerie anglaise de Bacon (New Atlantis) et la maçonnerie écossaise héritière des Templiers. Le concept même de « fédéralisme » vient des Constitutions d’Anderson (1723). À Boston, quartier général de la Révolution, il y avait la loge Saint-John (1733), baconienne, et la loge écossaise Saint-André (1756), qui s’immortalisa en jetant à la mer une cargaison de thé le 17 décembre 1773.

Les pères fondateurs se sont aussi inspirés de Locke et de son libéralisme, surtout en matière religieuse.

Il existe un document officiel prouvant que les USAn’ont jamais été un État chrétien, c’est le Traité avec Tripoli signé en 1796. L’article XI déclare : « Le gouvernement des États-Unis d’Amérique n’est d’aucune manière fondé sur la religion chrétienne » (not in any sense founded on the Christian religion). La réalité est donc que les États-Unis sont le premier État du monde occidental fondé sur une Constitution sans la moindre mention de Dieu dans son préambule2 et le premier État maçonnique.

Annexe

La Tour de Newport, Rhode Island

Les documents courants sur cette tour la donnent comme construite au début du XVIIe siècle. Pourtant certains archéologues pensent que la Tour dans le parc Touro de Newport, Rhode Island, fut construite dans les années 1400. Est-il possible que les compagnons du comte Henry Saint Clair (ou Sinclair) l’aient construite ? Certains le croient. Son architecture romane est certainement celle de l’Europe du Nord au Moyen Âge.

La Tour de Newport (Rhode Island)

Fig. 1 La Tour de Newport (Rhode Island)

Toutes les mesures sont exprimées en « aune » écossaise (et non en pieds anglais) qui était l’étalon de mesure dans l’ancienne Écosse. L’aune équivaut à 114,30 centimètres environ (45 pouces). La Tour de Newport comporte huit arches dans une tour ronde et présente une ressemblance frappante avec l’église du Saint-Sépulcre d’Orphir, dans les Orcades, dont Saint Clair était le seigneur. Il était certainement au courant de sa forme et de son plan. C’est également le plan de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem, qui existait lorsque les chevaliers du Temple vivaient à Jérusalem (1118-1244). Or des Templiers accompagnèrent Henry Saint Clair dans son expédition en Amérique du Nord.

La source la plus proche pour le gypse utilisé au cimentage des pierres de la Tour de Newport était en Nouvelle- Écosse, au Canada, où le comte Henry débarqua d’abord. L’édifice servait de tour de guet et de tour de signalisation. Un feu était maintenu constamment allumé dans un foyer à l’intérieur, au second étage. Par une fenêtre, le feu était visible de la Baie de Naragansett, si bien que les navires arrivants savaient où habitait le comte Henry. Ce dernier pouvait envoyer des signaux aux campements situés plus bas sur la côte. Les archéologues ont étudié les restes du foyer et dit que ce genre d’âtre ne fut plus construit après 1400.

Église ronde d'Orphir (Orcades)

Fig. 2. Église ronde d’Orphir (Orcades)


1 Cf. David HOLMES, The Faiths of the Founding Fathers, Oxford UP, 2006.

2 La seule référence à Dieu dans tout le document (préambule + 7 articles) est tout à la fin, dans la formule classique donnant le jour auquel la Convention réunie à Philadelphie s’est accordée sur le texte de la Constitution : le 17 septembre de l’année 1787 de Notre-Seigneur. « Done in Convention… the Seventeenth Day of September in the Year of our Lord one thousand seven hundred and eighty seven… » Quant au préambule, il dit ceci : « We the people of the United States, in order to form a more perfect Union, establish Justice, insure domestic Tranquillity, provide for the common defence, promote the general Welfare, and secure the blessings of Liberty to ourselves and our posterity, do ordain and establish this Constitution for the United States of America. » (Nous, le peuple des États-Unis, en vue de former une union plus parfaite, d’établir la Justice, d’assurer la tranquillité domestique, de pourvoir à la défense commune, de promouvoir le bien-être général et d’obtenir les bienfaits de la Liberté sur nous-mêmes et nos descendants, ordonnons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d’Amérique). Les bienfaits… de la Liberté : belle déesse en vérité ! Le préambule était pourtant l’endroit où on devait s’attendre à une allusion quelconque à Dieu, non ? Rappelons qu’en France, la Constitution de 1958 fut la première à ne plus mentionner Dieu, fût-il le dieu peu compromettant des déistes. 

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