Partager la publication "Le troisième symposium international sur le Linceul de Turin (Nice 12-13 mai 1997)"
Par Dominique Tassot
Résumé : Le symposium du CIELT à Nice fut l’occasion d’un tour d’horizon sur les dernières recherches entreprises autour du Linceul de Turin. Cette fois l’accent était mis sur les travaux d’optiques faits depuis 3 ans à la Faculté des Sciences d’Orsay. A noter l’importance de Nice dans l’histoire des pérégrinations du Saint-Suaire, ainsi qu’une nouvelle hypothèse sur le « trou historique » entre la présence du Linceul à Constantinople (1204) et son apparition en Champagne en 1353.
A la veille du centenaire de la « révélation » photographique du Saint-Suaire par Secundo Pia, le 10 mai 1898, le CIELT (Centre International d’Etudes sur le Linceul de Turin) se devait de réunir la communauté scientifique afin de préparer efficacement l’ostension prévue à Turin du 18 avril au 14 juin 1998. On sait que le Linceul vient d’échapper à un incendie, le 11 avril dernier, incendie qui détruisit également une partie du palais royal (du Piémont) jouxtant la cathédrale. Après celui de Chambéry, en 1532, c’est le deuxième incendie majeur que le Linceul traverse miraculeusement : en 1532, le reliquaire en argent avait pu être porté au travers des flammes mais la température du Linceul avait atteint 200 degrés, et les coins du linge plié s’étaient carbonisés. Notons en passant que cette température de 200° degrés aurait suffit à altérer les pigments, s’il s’était agi d’une peinture. Cette année, un pompier s’est senti poussé par une voix intérieure à détruire au marteau l’épaisse vitre pare-balles qui enclôt la relique. Le bras animé d’une force surhumaine, cet homme courageux, désormais converti, aura donc sauvé une fois de plus l’objet unique le plus étonnant de la chrétienté.
Nice et le Saint-Suaire
Pourquoi tenir ce symposium à Nice ? Certes l’activité du Docteur Jean Solas, Professeur à l’école dentaire de Paris mais aussi délégué du CIELT pour la Côte d’Azur, suffirait à expliquer le choix.
Ce serait toutefois méconnaître la présence du Linceul à Nice de 1537 à 1543. Après sa restauration par les soeurs clarisses de Chambéry, en 1535, le Saint-Suaire entrait derechef dans la tourmente : le duc de Savoie Charles XI, s’était rangé aux côtés de Charles-Quint contre François 1er. Les Français envahissent alors le duché et contraignent Charles XI à fuir, ce qu’il fait en emportant son trésor, avec le Linceul. Le Pape Paul III tenta de réconcilier les belligérants, en vain. Mais durant les tractations, le duc put refuser de livrer le château de Nice en invoquant la présence du Linceul du Christ, confié personnellement à sa famille. Ce point d’histoire suffit à montrer l’importance politique autant que religieuse d’une telle relique que certains intervenants américains, le Pr. Daniel Scavone et Jack Markwardt, n’hésitent pas à identifier au « graal » des contes de chevalerie. J. Markwardt voudrait même en déduire que le Linceul était le palladium des cathares à Montségur !… Inutile de dire que cette dernière thèse, entièrement fondée sur un enchaînement de suppositions, ne fit pas forte impression sur les congressistes, mais le simple fait qu’elle ait été soutenue, l’important travail de recherche qu’elle révèle, fait voir l’intensité des passions qui, aujourd’hui encore, entourent le Saint-Suaire.
Les organisateurs du Symposium avaient prévu les cérémonies qu’appelait la nature religieuse du Linceul, tout en gardant l’objectivité et la neutralité scientifique des deux journées de conférences. Ce fut, le dimanche 10 mai, une grand- messe d’ouverture dite à l’église du Jésus par Mgr Wach, Supérieur de l’Institut du Christ-Roi et délégué du CIELT auprès du Vatican, en lieu et place de Mgr Pereira, archevêque émérite de Lourenço-Marquès, empêché. Il existe en effet une « messe du Saint-Suaire », au propre des vieux missels. Ceci montre assez que l’Eglise avait depuis longtemps officialisé l’authenticité de cette relique, même si elle semble s’en détourner aujourd’hui, sans doute parce que la piété envers les reliques apporte au christianisme une dimension et une force concrète qui répugnent aux théologiens intellectualistes.
La messe d’ouverture du Symposium fut précédée par une procession solennelle des Pénitents rouges depuis la chapelle du Saint-Suaire jusqu’à l’église du Jésus.
Depuis 1620, en effet, Nice s’honore d’une confrérie des Pénitents du Saint-Suaire. Leur chapelle fut ruinée lors de l’invasion française de 1792 (décidément ces Français en font trop à Nice !…), puis restaurée à partir de 1824 à l’initiative du roi de Sardaigne. On y célèbre chaque année la messe du Saint-Suaire et c’est, avec le tableau de Jean-Gaspard Baudouin (1660) qui y figure, comme avec la fresque représentant le Linceul dans le cloître du monastère de Cimiez, ou avec la rue du Saint-Suaire, l’un des signes tangibles de la marque laissée par le Saint-Suaire sur la ville de Nice.
Les communications scientifiques
Comme aux précédents symposiums, les interventions eurent trait à la science puis à l’histoire du Linceul. Autant le symposium de Paris, en 1989, constituait une réaction « à chaud » devant la datation médiévale du Saint-Suaire par trois laboratoires de radiocarbone, autant le symposium de Nice procède d’un exposé paisible des recherches faites depuis les dernières années. Et pour une fois, les Français étaient à l’honneur, avec les travaux d’optique et d’imagerie réalisés depuis 3 ans sur les traces d’écritures que certains avaient cru lire sur le Linceul. Ces inscriptions, en grec, en latin et en hébreu, constituent un puissant indice d’authenticité puisqu’elles pointent sur l’Homme du Linceul (IESHOUA, (I) esou, Nazaren(o)s, IC, ADAM) ou sur son temps (Tiberius, Kaisaros, etc…).
Toutefois leur déchiffrement restait largement subjectif et nombre de sindonologues refusaient de s’embarquer sur ces fragiles indices. Mais l’ordinateur et l’optique numérique sont venus à la rescousse : à partir des clichés réalisés en 1978 sous diverses longueurs d’ondes et angles de lumière, le traitement numérique de l’image permet d’effacer les « parasites » dus aux fils de lin et de restituer le contour objectif des lettres. La communication d’Eric de Bazelaire (Université de Pau) sur l’encodage de l’image, et surtout celle d’André Marion (CNRS, Institut d’Optique d’Orsay) en collaboration avec Madame Anne-Laure Courage sur le décryptage de fantômes d’écriture sur le Linceul, firent sensation1 . Il s’agit en effet d’une contribution décisive : des instruments optiques, opérant certes sur les instructions intelligentes d’un programme, rendent objectives et lisibles des lettres disposées régulièrement et dont la graphie est conforme à ce qu’attendent les paléographes pour une inscription des premiers siècles de notre ère. C’est assez pour relancer bien des études que leurs opposants écartaient comme insuffisamment fondées.
C’est aussi un argument décisif pour demander au custode du Saint-Suaire, Mgr Saldarini, de laisser observer l’autre face du Linceul. Cette face, recouverte par une toile de Hollande depuis l’incendie de 1535, a reçu en effet directement ces écritures que le décodage permet de lire par transparence ou par suite d’une déformation du lin : les ménagères le savent bien, le lin reste froissé lorsqu’on le plie. Nul doute qu’une cartographie colorimétrique en haute résolution, proposée par le Pr Julio Fanti (Padoue), apporterait bien des informations cruciales.
Parmi les exposés médicaux, signalons celui du Dr Pierre Mérat qui, en collaboration avec le Frère Bruno Bonnet-Eymart, a repris des expériences sur l’enclouage des pieds. Il conclut, après 18 répétitions sur des cadavres récents, qu’un seul clou a traversé les deux pieds du Crucifié, mais au centre du tarse, entre l’os scaphoïde et les 2 os cunéiformes, et non dans le métatarse comme l’avait pensé le Dr Barbet.
Un exposé très attendu était celui de John Jackson (Université du Colorado), ce physicien qui, en 1978, avait dirigé l’équipe scientifique américaine autorisée à examiner directement le Linceul (STURP). Que pensait-il des travaux russes qui, depuis 1993, contestaient la datation par le radiocarbone ?… Sur une suggestion de Marie-Claire van Oosterwyck, Dimitri Kouznetsov avait simulé dans un four les conditions de température et d’humidité de l’incendie de Chambéry (200°, atmosphère saturée d’eau, présence d’argent à titre de catalyseur) : un tissu de lin de l’émirat de Boukhara, daté archéologiquement de l’an 800, avait rajeuni de 200 ans par le seul effet du chauffage durant 90 minutes. Et Kouznetsov concluait : même sans contester la mesure de radiocarbone faite en 1988, le Linceul peut bien être du premier siècle. Son travail avait été publié par le Journal of Archaelogical Science en 1995 ; puis l’Académie des Sciences de Russie, en 1996, avait reproduit cette expérience de rajeunissement apparent suite au chauffage. De tels résultats ne pouvaient que réjouir les partisans de l’authenticité.
Mais on croit trop volontiers ce qu’on souhaite ; une prudente réserve restait donc de mise devant des résultats isolés, d’autant qu’un mathématicien, Georges Salet, membre du Conseil Scientifique du CIELT, en avait contesté la possibilité théorique. De plus le laboratoire de Tucson (Arizona), un des trois laboratoires compromis dans la datation de 1988, avait reproduit l’essai de Kouznetsov (mais sans catalyseur), sans en retrouver le résultat. John Jackson reprit donc les conditions expérimentales précises de Moscou et d’Arizona pour en déduire un modèle physico-mathématique des échanges isotopiques possibles dans la cellulose à haute température. Sans détailler ici cet important et savant travail, on en résumera la portée et les conclusions par ces deux affirmations du Pr. Jackson : « (en raison de l’incendie), on ne peut pas donner l’âge du Linceul par une datation par le carbone 14 » ; (…) « si nous l’avions su auparavant, la datation n’aurait jamais eu lieu ». Souhaitons que le congrès prévu à Turin l’an prochain, dix ans après la mesure C14 de 1988, revienne sur ce dossier pour y mettre un point final et, surtout, libérer l’Eglise de sa crainte révérencielle à l’égard des autorités scientifiques du British Museum ou d’ailleurs.
Les communications historiques
Elles remplirent la seconde journée du symposium, le mardi 13 mai. Outre la communication de Daniel Scavone déjà citée, signalons un exposé contesté du P. Dubarle sur la présence d’un éventuel morceau de Saint-Suaire parmi les reliques de la Sainte-Chapelle, et la thèse du Dr Tarquinio Ladu sur les « leptons » : ces monnaies à l’effigie de Tibère auraient été posées par les soldats romains pour outrager celui qui s’était dit « roi » des Juifs. Or on a retrouvé de telles monnaies dans ou près des crânes de certains cimetières juifs des premiers siècles. Signalons aussi l’intéressant exposé de Rébecca Jackson (née dans une famille juive orthodoxe) sur les rites des funérailles dans la diaspora juive du 1er siècle, confirmant l’interdiction talmudique de mélanger lin et laine dans un vêtement. S’explique ainsi l’absence de tout brin de laine dans le Linceul, ce qui serait impossible s’il avait été tissé sur un métier médiéval en occident.
Il existe aussi une ressemblance entre le Linceul et la robe du grand-prêtre, sorte de chasuble rectangulaire à deux pans, avant et arrière, séparés par le trou destiné au passage de la tête. Puis Daniel Raffard de Brienne proposait une hypothèse logique pour combler le « trou » historique entre 1204 (disparition du Linceul hors de Constantinople) et 1353 (son apparition à Lirey, en Champagne). Il note que Geoffroy de Charny, fondateur de la collégiale de Lirey, combattit avec Gauthier VI de Brienne durant la guerre de Cent Ans. Or le père Gautier VI, Gautier V, avait hérité du duché d’Athènes.
Il le tenait de son cousin Guy II de la Roche, descendant en droite ligne d’Othon de la Roche, lequel était devenu en 1205 duc d’Athènes (où il résidait encore en 1225). Pascuale Grimaldi a découvert en 1981 une lettre de Théodore Ange au Pape Innocent III, signalant le Linceul à Athènes. En joignant tous ces éléments, et sous réserve de confirmation, on disposerait ainsi d’une explication crédible : la famille d’Othon de Roche a conservé le duché d’Athènes jusqu’en 1311, date à laquelle, Gautier V étant tué par des Catalans, son fils Gauthier VI, enfant, s’enfuit en Italie ou il commandera la place de Florence jusqu’en 1344. Cette explication s’avère de beaucoup plus crédible qu’un recel du Linceul par les templiers ou les cathares. Gautier VI, titré Duc d’Athènes, seigneur de Florence de 1342 à 1343, deviendra connétable de France. On conçoit qu’il ait conservé le Linceul figurant dans le trésor de son père. Lui-même sans enfants, on conçoit encore qu’il ait légué ce précieux dépôt avant sa mort (à la bataille de Poitiers, en 1356) à un compagnon d’arme ayant comme lui son fief en champagne2 .
Les reliques soeurs du Saint-Suaire
A ces exposés historiques, vinrent se joindre plusieurs communications sur d’autres reliques analogues. En effet le Linceul de Turin n’est pas seul à nous rattacher directement à Jésus-Christ. Le Suaire d’Oviedo, en Espagne, fut présenté par le Pr. Mark Guscin.
Il s’agit sans nul doute du « suaire », au sens propre, ayant servi à recueillir le sang et la sueur du visage à la descente de la Croix. Le sang est du groupe AB comme celui du Linceul (ou celui de Lanciano). L’analyse des pollens a montré la présence de deux espèces de plantes qui ne poussent qu’en Palestine. Et, à la différence du Linceul, son histoire est documentée sans lacunes depuis Jérusalem jusqu’à Alexandrie (lors de l’invasion de Chosroès II en 614), puis jusqu’en Espagne, d’abord à Séville, puis à Oviedo.
De même la Tunique d’Argenteuil, présentée à Nice par Winfried Würmeling : Charlemagne la tenait de l’impératrice Irène (qui avait imaginé de l’épouser pour reconstituer l’unité de l’Empire romain), et l’apporta lui-même à Argenteuil pour la confier au couvent dont sa soeur Théodrade était l’abbesse. Il s’agit bien d’un vêtement « sans couture », comme le précise la tradition, et les traces de sang analysées en 1930 sont du groupe AB. En l’an 2000 ce sera le 1200 ème anniversaire de l’arrivée de la Tunique à Argenteuil et quelques âmes zélées ont fondé un comité afin de préparer dignement cet événement (COSTA : Cercle Oecuménique Sainte Tunique d’Argenteuil, dirigé par Didier Huguet 23 rue de Verdun, 92290 Chatenay-Malabry, tél : 01 43 50 17 10).
Quant au voile conservé à Manopello (Italie), la Soeur Blandina Schlömer cistercienne, montra son influence sur des crucifix des Xème et XIème siècle. Il s’agirait de la « Véronique » (Vera Icon) longtemps vénérée à Rome. Ce visage non peint, étonnamment proche de celui du Linceul et de nature aussi mystérieuse, évoque indiciblement le visage de l’Homme-Dieu.Après trente trois communications savantes, le symposium se poursuivait le soir du 13 mai par une réunion publique au Centre Universitaire méditerranéen.
A cette occasion, Daniel Raffard de Brienne et Marcel Alonso, respectivement Président et Secrétaire du Conseil Scientifique du CIELT, présentaient un programme d’étude pour l’ostension prévue à Turin dans un an. Une délégation de congressistes devait rencontrer le lendemain Mgr Saldarini, Archevêque de Turin, afin de lui présenter les conclusions du symposium.
Nul doute que le centenaire de 1998 apportera sa moisson de découvertes et rendra justice à l’authenticité de cette relique inimitable dont la seule existence reste un défi à l’athéisme contemporain.
(Les Actes du symposium sont en souscription. Prix 145 FF (+ port 30 FF). S’adresser au CIELT : 50 avenue des Ternes 75017 PARIS ).
1 Lire leurs « Nouvelles Découvertes sur le Suaire de Turin » (Albin Michel, 1997).
2 Lire à ce sujet : D.Raffard de Brienne. Dictionnaire du Linceul de Turin, Editions de Paris 1997, p.14.
Bonjour, pour compléter cet article et, plus particulièrement l’épisode de la présence du linceul de notre Seigneur dans le Comté de Nice ( à l’époque, c’est encore le Comté de Nice ), il faut noter que la cité, peuplée d’environ 10 000 âmes, disposent d’une pléthore de « maisons religieuses » et pas moins de 7 clochers pointent dans le ciel azuré pour le bon plaisir des yeux du pieu nissart qui cultive son potager sur les pentes du château. Parmi les monastères, celui des Pères Franciscains de l’Observance pourrait attiser plus particulièrement la curiosité. Fondé avec l’autorisation de Pie II et sous l’oeil d’Anne de Lusignan (alors Duchesse régente de Savoie), cette communauté va accueillir, en 1538, le pape Paul III Farnèse pour la tentative de réconciliation entre François 1er et Charles-Quint. En 1543, les Turcs de Soliman assiègent la cité et détruise le couvent. Les Observantins trouvent refuge chez les moines de Saint-Pons, et trouvent refuge en l’église de Sainte-Marie-de-Cimiez… En 1546, les fils de Saint-François prennent possession de Cimiez pour y construire un vaste couvent.