Hitler : « Enlevez Pie XII ! »

Par Salvatore Mazza

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Hitler : « Enlevez Pie XII ! »[1]

Salvatore Mazza[2]

Résumé : Le futur Pie XII avait déjà été menacé par les nazis (et aussi par les communistes, d’ailleurs) durant son orageuse nonciature à Munich (1917-1925), puis à Berlin (1925-1929), au milieu des remous de l’Allemagne de Weimar, de laquelle il désapprouvait la coalition socio-démocrate-libérale. Devenu Pape, sa volonté de rester au-dessus de la mêlée, dans une guerre qui voyait des catholiques s’affronter dans les deux camps, ne pouvait manquer d’irriter tant Roosevelt qu’Hitler. On ne sera donc pas surpris d’un projet d’enlèvement qui vient d’être confirmé par une enquête menée par l’auteur pour le journal d’orientation catholique L’Avvenire, où il est chargé de couvrir les affaires du Vatican. Malgré les ordres reçus directement d’Hitler, le commandant des SS de Rome rencontra personnellement Pie XII afin de l’informer du danger qu’il courait et l’inviter à prendre des mesures de précaution.

Comme souvent en Histoire, la réalité dépasse la fiction !

    « J’ai reçu d’Hitler en personne l’ordre d’enlever Pie XII », c’est ce qu’a affirmé, explique l’auteur, Karl Friedrich Otto Wolff, Obergruppenführer d’État major des SS et général des Waffen SS, ancien chef du secrétariat personnel d’Heinrich Himmler puis Höchster SS und Polizei-Führer (c’est-à-dire chef suprême des SS) en Italie, dans un mémoire écrit déposé le 24 mars 1972, sur les événements qui ont risqué de modifier le cadre des dernières années de la guerre. Ce mémoire confirme l’idée hitlérienne peut-être la plus délirante : enlever Pie XII et  »effacer » le Vatican, sinon le christianisme.

Seulement du délire ? Plus que cela : un projet médité pendant des années et minutieusement mis au point, et auquel le témoignage de Wolff ajoute la pièce manquante, utile pour définir un chapitre de la Seconde Guerre mondiale qui jusqu’ici n’avait pas vraiment été mis au clair, révélant une fois de plus la haine vouée par Hitler au pape Pacelli qu’il considérait comme « anti-national-socialiste » et « ami des juifs ».

Le témoignage de Wolff, qui se trouve aujourd’hui dans les dossiers de la cause de béatification, a été recueilli en Bavière, à Munich, où s’est déroulé l’un des sept procès rogatoires pour la cause de Pacelli, (les autres, à côté du procès principal de Rome, ont enregistré des témoignages à Gênes, Varsovie, Lisbonne, Montevideo, Berlin et Madrid).

Depuis quelques années déjà, au mépris de l’histoire et des reconnaissances qui étaient parvenues de partout en raison de l’action de Pie XII en faveur des juifs, l’ombre diffamatrice du   »Vicaire », la pièce de Rolf Hochhuth (1963) s’était projetée sur la figure du Pape. Wolff avait déjà déposé au procès de Nuremberg, contre les criminels de guerre nazis, sur différents aspects du conflit en Italie. Il avait mentionné le fait qu’Hitler, au printemps 1943, avait déjà donné l’ordre de séquestrer le pape Pacelli, mais qu’à cette occasion, il avait réussi à détourner le Führer de ses intentions.

Étrangement, comme le regrettait, en 1972, l’historien jésuite Robert Graham, à Nuremberg, justement, la question du projet d’enlèvement du Pape ne fut pas approfondie. Wolff l’a pour sa part souligné en 1972 à Munich, en révélant qu’après le 8 septembre, l’insistance d’Hitler pour exécuter le plan devint chaque jour plus paroxystique. Dans les premiers jours de mai 1944, au quartier général d’Hitler, Wolff reçut probablement une forme d’ultimatum. En Italie, les événements se précipitaient et Hitler n’admettait plus de renvois ni de prétextes. Rentré à Rome, cependant, le commandant des SS demanda – peut-être par l’intermédiaire de l’ambassadeur Weizäcker qui était au courant du projet – de pouvoir rencontrer le Pontife « pour le mettre au courant de questions graves et très urgentes concernant sa personne » selon la communication qu’il avait fait parvenir au Pape. L’audience eut lieu le soir du 10 mai, à moins d’un mois de ce qui devait être la fuite des Allemands de Rome, dans la nuit du 4 au 5 juin suivant. Le général, en civil, fut accompagné au Vatican par le Supérieur des salvatoriens, le P. Pancrazio Pfeiffer (qui, pendant toute la guerre a été la lunga manus de Pacelli dans son œuvre d’assistance aux juifs).

En présence de Pie XII, Wolff rapporta les intentions d’Hitler et il exhorta le Pontife à être sur ses gardes parce que, si lui-même n’avait en aucun cas l’intention d’exécuter de tels ordres, la situation était de toute façon confuse et hérissée de risques.

Le Pape demanda alors à Wolff, pour preuve de sa sincérité, de libérer deux condamnés à mort, ce que le général fit, le 3 juin (l’un d’eux était Giuliano Vasalli). Selon la reconstruction de Graham (qui n’était pas au courant du témoignage de Wolff à Munich), pour enlever Pie XII, on aurait mobilisé les SS, tandis que pour « mettre en lieu sûr », les archives du Vatican, ce sont les Kunsberg-Kommando, une organisation de ces mêmes SS spécialisée dans la classification de documents, qui en auraient été chargés. Le Pape « devait être emmené au Nord et installé au château de Lichtenstein, dans le Würtemberg » (une localité dont les  »rumeurs » de l’époque auraient estropié le nom, en confondant le « Château » avec la « Principauté du Lichtenstein ». Dans son roman semi-autobiographique Monte Cassino, l’écrivain danois Sven Hassel, ancien combattant du 27e bataillon disciplinaire de l’armée allemande, la Wehrmacht, raconte que l’opération  »Rabat » (son nom de code selon Hassel) aurait été conduite par un bataillon des SS, qui auraient « sauvé » le Pontife d’une attaque lancée contre le Vatican « par une bande de  »partisans »  ( »résistants » italiens, ndlr) conduite par des juifs et des communistes », qui auraient été en réalité un bataillon disciplinaire allemand. Toujours selon Hassel, la nouvelle de  »Rabat » avait suscité un tel trouble dans l’armée allemande que la Wehrmacht aurait immédiatement préparé un contre-plan pour défendre le Pape.

Du point de vue historique, Hassel est sujet à controverse. Mais il faut cependant souligner que Monte Cassino a été écrit en 1968, c’est-à-dire avant que le rare matériel historique sur cet épisode ait été disponible. Et la coïncidence de nombreux détails de son récit avec ce qui a été ensuite publié est pour le moins singulière, peut-être assez pour faire considérer comme plausible au moins les détails relatifs au déroulement de l’action. Ils confirment en outre et de toute façon, comment, en dépit des démentis officiels – directs ou indirects – la  »rumeur » quant à l’éventuelle séquestration du Pape était bien vivante, et jour après jour partout plus forte.

Si bien que l’ambassadeur du Brésil près le Saint-Siège, Ildebrando Accioly, rappelle Graham, « avait réellement pris l’initiative auprès des diplomates alliés résidant au Vatican, pour leur engagement à suivre le Pape en exil, si jamais on en était arrivé là ».

Du reste, dans la reconstruction de Graham, les premières traces documentées de craintes concernant l’intention des nazis d’intervenir contre la papauté remontent déjà à 1941. En effet, le 6 mai de cette année-là, le secrétaire de la Congrégation pour les Affaires ecclésiastiques extraordinaires, Mgr Domenico Tardini, notait ce qui avait été précisément rapporté au Pape le 25 avril, quelques jours après la rencontre à Vienne entre les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne et d’Italie, Joachim von Ribbentrop et Galeazzo Ciano. Selon les informations reçues, le Reich « avait demandé à l’Italie de faire en sorte que le Pape quitte Rome  »parce que dans la nouvelle Europe, il n’y aurait pas de place pour la papauté » ». Et le cardinal Vagnozzi a raconté que « depuis 1941, certains documents importants, qui se référaient aux relations entre le Vatican et le Troisième Reich, avaient été  »microfilmés » et envoyés au délégué apostolique à Washington, Mgr Amleto Cicognani », et que « Pie XII avait fait cacher ses papiers personnels dans des doubles pavements près de ses appartements privés, et d’autres documents de la Secrétairerie d’État avaient été cachés dans des coins discrets des archives historiques ». Parce que, « objectivement, on craignait le pire ».

En somme, le Vatican avait toujours pris la menace au sérieux. Du reste, la haine d’Hitler envers Eugenio Pacelli, le diplomate raffiné qui n’avait jamais caché son aversion pour le national-socialisme, dès sa naissance, était tristement connue. Certes, dès son élection, toute la formidable machine de la propagande nazie s’était déchaînée contre le Pontife : « L’élection du cardinal Pacelli n’est pas acceptée avec faveur par l’Allemagne parce qu’il s’est toujours opposé au nazisme », écrivait, le 3 mars 1939, le Berliner Morgenpost, organe du mouvement nazi. Dès lors, des articles méprisants, des vignettes vulgaires, des caricatures le visaient quasi quotidiennement. Il y avait là quelque chose d’enraciné, de maladif.

Ce qui explique peut-être mieux la volonté rageuse d’Hitler d’enlever le Pape et de « faire déloger toute la «masnada » de p. » du Vatican, comme, selon Galeazzo Ciano, le répétait  »ouvertement » le chef du Troisième Reich.

En 1941, les armées germaniques déferlaient sur l’Europe. Le nazisme semblait irréfrénable et la gloire du Reich très proche. Et au mois de septembre, dans une lettre au délégué apostolique à Washington, Mgr Amleto Cicognani, Tardini mentionnait que quelques mois auparavant, en assistant aux célébrations de la Semaine Sainte dans la chapelle Sixtine, un fonctionnaire allemand lui avait dit : « Les cérémonies ont été intéressantes. Mais c’est la dernière fois. L’année prochaine, on ne les célébrera plus. »

En janvier de l’année suivante, le cardinal Maglione se plaignit d’une menace analogue de la part du prince Otto von Bismark, ministre plénipotentiaire de l’ambassade allemande. Qu’est-ce qu’il y avait derrière ?

On a toujours dit que le nazisme tendait à se présenter comme une nouvelle religion. Mais il est intéressant à ce sujet de noter ce qu’a raconté dans ses mémoires, recueillies par Joseph Kessel, le Finlandais Félix Kersten, le masseur  »aux mains miraculeuses » qui fut, tout au long de la guerre, l’ombre de Heinrich Himmler : « En mai 1940, pour fuir ce paysage de destructions, Kersten chercha refuge dans la bibliothèque de campagne d’Himmler. C’est ainsi qu’il fit une découverte surprenante : tous les volumes étaient des ouvrages de religion. Le Véda, l’Ancien Testament, les Évangiles, le Coran. « Mais ne m’avez-vous pas dit qu’un nazi ne doit avoir aucune religion ? », demandai-je un jour à Himmler. « Certes !», répondit ce dernier. « Et alors ? », demanda Kersten en désignant les volumes. Voici la réponse d’un Himmler  »souriant » et  »inspiré », rapportée par Kersten : « Non, je ne me suis pas converti. Ces volumes sont nécessaires à mon travail. Hitler m’a confié la tâche de préparer l’évangile de la nouvelle religion nazie. Après la victoire du Troisième Reich, le Führer abolira le christianisme et fondera sur ses ruines la religion germanique. Nous conserverons l’idée de Dieu, mais ce sera une idée vague. Le Führer se substituera au Christ comme sauveur de l’humanité.

Ainsi des millions et des millions de personnes ne prononceront que le nom d’Hitler dans leurs prières, et d’ici cent ans on ne connaîtra rien d’autre que la nouvelle religion. Vous comprendrez que, pour ce nouvel évangile, j’ai besoin de documentation. »


[1] Enquête publiée dans L’Avvenire, reprise et traduite dans Zenit le 19 janvier 2005.

[2] Journaliste « vaticaniste » au quotidien L’Avvenire.

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