L’origine du langage

Par Dominique Tassot

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Résumé : L’origine du langage reste une énigme pour les évolutionnistes. A ne considérer que ce rapport, nous devrions descendre du perroquet, le seul animal capable d’émettre des sons articulés. Des petits chimpanzés élevés dans une famille humaine, à sept reprises (entre 1931 et 1977), n’ont jamais su ni parler ni manier un langage symbolique. D’une part les cordes vocales du singe sont inaptes à former nos voyelles, d’autre part les « langages » animaux – les linguistes en conviennent –  n’engagent pas les procédés conceptuels qui caractérisent l’expression de nos pensées. De plus, les enfants sauvages n’ont jamais su parler. Ainsi nous avons reçu le langage de nos parents, et nos parents de leurs parents, etc… si bien qu’il faut qu’Adam l’ait reçu directement de Dieu, son Créateur et son premier interlocuteur.

Parmi les créatures visibles, l’homme est seul à parler. Et le langage est indissociable de la pensée. La question de l’origine du langage s’avère donc une question anthropologique majeure : y répondre, c’est répondre à la question de l’origine de l’homme, c’est orienter la vision que nous avons de nous-mêmes, c’est poser le fondement de toutes les sciences humaines, à commencer par la psychologie et la linguistique, en passant par la sociologie, les lettres et la médecine. Trois réponses ont été données à cette question : l’émergence naturelle à partir des modes de communication entre animaux; la construction par l’homme lui­-même, une fois parvenu à un degré suffisant d’intelligence; la création divine.

Nous allons discuter tour à tour ces trois thèses :

1. L’émergence naturelle du langage :

Pour les partisans de cette hypothèse, il n’y a pas une différence de nature mais une simple différence de degré entre le langage humain et les « langages » animaux. On sait depuis Karl von Frisch que la danse d’une abeille fait connaître à toute la ruche l’orientation, la distance et la richesse d’une source de pollen.

Dans les années soixante-dix, le naturaliste Emil Mengel a observé la transmission des informations dans une troupe de chimpanzés.

De la nourriture et des faux serpents étaient cachés dans un champ, en présence du chef de la troupe. Puis celui-ci revenait avec les autres et les informait par des signes.

Tous alors devançaient le chef pour aller s’emparer des aliments en évitant les serpents (1,p.144).

Mais de tels modes d’information, toujours utilitaires, sous-entendent-ils les opérations mentales qui font du langage humain le substrat où se déploie la pensée, autant et plus qu’un outil pour communiquer ? Les partisans de l’émergence naturelle imaginèrent donc de montrer que de jeunes singes, à condition d’être élevés parmi les hommes, pourraient acquérir les rudiments du langage humain.

Il y eut deux séries d’essai : avant et après 1960. En 1933, le Dr J.Kellog et sa femme élevèrent une jeune chimpanzé, Gua, avec leur propre enfant. Gua finit par réagir à 166 mots, mais ne parla jamais.

En 1951, les Hayese prirent avec eux la jeune Viki durant 6 ans et demi et prétendirent qu’elle parvenait à énoncer quelque chose ressemblant à « papa », « mama », et « cup » (tasse), très déformés. Ces essais infructueux ne furent pas renouvelés car le phonéticien Philip Lieberman expliqua que, même si le larynx du singe comporte des cordes vocales, la conformation de son appareil sonore (cavité nasale, velum et épiglotte, en particulier) ne lui permet pas d’émettre les voyelles fondamentales des langues humaines : a, i, ou (1, p.20‑21).

On aurait pu en rester là. Mais la volonté de prouver l’origine animale de l’homme est si forte que cinq psychologues américains, entre 1966 et 1977, tentèrent d’initier des singes à une forme muette de langage. Trois essais portèrent sur l’Ameslan (American Sign Language, signes alphabétiques tracés dans la paume de la main, à l’usage des sourds ­muets) : ce furent les Gardener avec Washoe, à partir de 1966, Herbert Terrace avec Nim (de 1973 à 1977) et Francine Patterson avec le gorille Koko, à partir de 1972 à l’Université de Stanford.

En 1966, à l’Université de Santa Barbara (Californie), les Premack tentèrent d’initier Sarah à un langage composé d’objets symboliques (un carré pour une banane, un triangle pour une pomme, une silhouette de singe pour Sarah, etc … )

Enfin, à partir de 1970, au Centre Régional d’Etude des Primates de Yerkes, Duane Rumbaugh apprit à Lana à utiliser un ordinateur dont les touches étaient garnies de dessins géométriques symbolisant des mots (1, p.21 ‑ 40).

Dans un premier temps, tous ces chercheurs publièrent des comptes-rendus encourageants. Les singes surent très vite tracer eux-mêmes des signes d’Ameslan pour obtenir les récompenses correspondantes. Ils surent même reconnaître et produire des séquences de 2 et parfois même 3 signes …. Se posa alors la question : ces signes correspondaient-ils, pour le singe, à des « mots », et ces séquences à des « phrases ». Fallait-il y voir l’embryon d’une grammaire ? Alors survinrent les critiques.

La question est en effet de savoir si, lorsque Sarah aligne 3 signes pour former la séquence : « donne Sarah banane », elle a forgé une  phrase grammaticale similaire au style « télégraphique » d’un enfant de deux ans, ou si elle ne fait qu’adopter un comportement conditionné en vue d’obtenir une récompense, comme le font tous les animaux passés par un dressage. Pour le linguiste, il est clair qu’on ne peut parler « d’apprentissage » du langage chez le jeune enfant qu’en raison de l’acquisition complète qui fait suite au « stade télégraphique ». Sinon on pourrait comparer l’enfant qui sautille à un oiseau et déclarer qu’il vole, mais encore imparfaitement (1,p.125).

Tout récemment, en collaboration avec deux chercheurs de Harvard, Chomsky est revenu sur ce point en distinguant « faculté du langage au sens étroit » (FLN), propre à l’homme, et « faculté du langage au sens large » (FLB) laquelle inclut les langages utilitaires rencontrés chez les animaux.1

En 1975, Lenneberg se livra à une contre-expérience.

Il soumit des lycéens à ce même apprentissage de symboles que les Premack avaient fait subir à Sarah. Les lycéens surclassèrent rapidement le chimpanzé mais aucun n’imagina que les éléments graphiques pouvaient correspondre à des mots, et les séquences à des phrases; tous crurent qu’on leur demandait de résoudre une sorte de puzzle. Dès 1969, Terrace lui-même avait reconnu : « ces phrases que des singes forment peuvent, dans chaque cas, s’expliquer en référence à des procédés plus simples, de nature non linguistique. » (1,p.149)

Et en 1978, Premack écrivait: »les chimpanzés ne possèdent à aucun degré le langage humain, et quand, dans 2 à 5 ans, ce fait sera suffisamment ébruité, il conviendra de se demander ; pourquoi : fûmes-nous si facilement induits à croire qu’ils en étaient capables ? » (1, p.154).

Pour nous, la réponse est claire : c’est leur préjugé évolutionniste qui induisit en erreur ces chercheurs en sciences humaines.

Ainsi les expériences répétées entreprises à grands frais durant plusieurs années par des psychologues partisans de cette thèse permettent-elles de conclure à l’impossibilité de l’émergence naturelle du langage à partir de l’animal. Il était facile de s’en douter : les animaux les plus proches de nous sont les primates, pour les évolutionnistes, c’est par eux que doit passer le chemin évolutif aboutissant à l’homme. Or les seuls animaux ayant un appareil vocal capable de reproduire nos mots sont des oiseaux : le perroquet et le mainate. Comment donc pourrions-nous descendre du singe, mais hériter de l’oiseau ?

2. La construction humaine du langage :

La thèse se trouvait déjà chez Herder, en 1770, dans son « Origine du langage« ; elle se rencontre aujourd’hui chez Piaget, le célèbre spécialiste de la psychologie de l’enfant. Il suppose que toute connaissance résulte d’une capacité à agir sur les choses et que le langage est lié à un certain stade du développement sensori-moteur (acquis vers 18 mois), lorsque la représentation des choses devient possible dans l’esprit de l’enfant.

Le langage ne serait donc pas une aptitude innée, mais une acquisition gestuelle comme la danse ou le tricot, un outil intellectuel au service des besoins spécifiques de l’homme.

On peut objecter l’universalité du langage. A part les débiles profonds, tous les enfants finissent par posséder les règles intuitives du langage et la capacité de s’exprimer par des phrases intelligibles. Il n’en va pas de même des autres exercices intellectuels, ainsi des mathématiques. L’universalité prêche donc pour l’innéité.

Il est d’ailleurs étrange de faire dépendre le langage du développement sensori-moteur général de l’enfant : les enfants parlent d’autant plus tôt qu’ils apprennent tard à marcher, et l’enfant de 3 ans qui fait mouvoir avec précision les quelques cent muscles coordonnés nécessaires à une bonne articulation, renverse encore son verre de lait, tombe en courant, et ne maîtrise pas toujours les sphincters propres aux fonctions les plus élémentaires de la vie.

Ces faits d’expérience trouvent leur explication dans la physiologie du cerveau. Deux zones cérébrales y sont liées au langage : la deuxième circonvolution frontale gauche, découverte par Broca en 1865, et dont l’ablation provoque l’aphasie (2, p.108); une zone adjacente à la partie du cortex qui reçoit les stimulis auditifs, découverte par Carl Wernicke en 1874. Une lésion de l’aire de Wernicke affecte la compréhension : le sujet prononce des phrases   grammaticalement correctes mais insensées. Ces deux zones sont reliées par un faisceau de fibres nerveuses. Un tel développement asymétrique du cerveau (la « latéralisation ») accompagne l’acquisition du langage.

Il s’achève avec la puberté, si bien qu’il devient alors impossible d’apprendre à parler (cas des « enfants sauvages ») ou beaucoup plus difficile d’acquérir une seconde    langue (d’où l’intérêt des écoles bilingues).

Or le Dr John C. Eccles (honoré depuis par un Prix Nobel) a montré en 1973 que l’enfant naît avec cette asymétrie cérébrale qui manque tout à fait chez les primates. En outre, l’élargissement de la zone du langage dans l’hémisphère gauche anticipe de beaucoup tout usage éventuel de la parole puisqu’il apparaît déjà chez un foetus de 5 mois (l, p.72,)

C’est dire que le langage est programmé chez l’enfant dès la conception, même s’il ne se réalise qu’à la faveur d’un milieu humain où l’enfant exerce cette faculté innée (en la restreignant d’ailleurs aux limites de la langue  » maternelle »).

Les langages artificiels, créés par l’homme pour ses propres besoins (mathématiques, langages informatiques, etc … ), s’avèrent fort différents des langages naturels. Appropriés aux opérations de l’intelligence, ils sont incapables d’exprimer les sentiments.

Ils visent l’univocité des sens (on connaît la rigueur des définitions mathématiques) alors que les langues usuelles fonctionnent grâce à l’ambiguïté relative des mots : il serait impossible de se comprendre, s’il existait un mot pour chaque chose particulière; les mots usuels correspondent à des classes approximatives et se définissent les uns par les autres, sans qu’il soit possible (ou simplement utile) d’en préciser exactement les contours.

Enfin, si le langage était un outil, on le verrait se perfectionner avec la civilisation : or c’est le contraire qui se passe.

Les peuples dits « sauvages » ont des langues étonnamment riches et subtiles, qui laissent pantois les grammairiens ; tandis que nos langues écrites ont mis en évidence l’appauvrissement progressif des grammaires (compensé, il est vrai, par l’extension du vocabulaire savant) : le cas oblique a depuis longtemps disparu du français, et une forme verbale aussi bien attestée que l’imparfait du subjonctif dépérit peu à peu sous nos yeux. Si donc les systèmes linguistiques s’appauvrissent avec le temps, alors que l’éventail des techniques s’étend prodigieusement, il est clair que le langage ne peut être une fabrication volontaire de l’intelligence humaine.

3. La création divine du langage :

L’humanité ne construit pas le langage : elle le trouve. Nous venons de le voir, les particularités physiologiques appropriées au langage (appareil vocal, spécialisation cérébrale) sont inscrites dans le patrimoine génétique.

Et la mise en oeuvre du langage est transmise à chaque enfant par ses parents, preuve que l’humanité n’est pas un agrégat d’individus mais une collection de familles.

L’origine du langage se laisse ainsi entrevoir d’elle­-même : si nos parents l’ont reçu de leurs parents, la chaîne remonte inévitablement au père commun de toute l’humanité, Adam, ce qui explique l’universalité héréditaire des opérations mentales propres au langage (et donc la capacité des hommes à se comprendre entre eux malgré la diversité des langues particulières issues de Babel). La question devient alors la suivante : de qui Adam a-t-il reçu le langage ?

La Genèse précise qu’Adam ne sut trouver parmi les animaux un seul être qui pût être son interlocuteur : elle nous montre au contraire en Dieu Lui-même l’interlocuteur immédiat et privilégié d’Adam. C’est donc de Dieu que vinrent les deux éléments du langage : le patrimoine génétique (conçu par Dieu-Créateur), la mise en oeuvre orale (reçue de Dieu ‑ premier interlocuteur).

Ainsi le langage n’avait pas à émerger progressivement d’une création aphone; il n’avait pas à être inventé en vue des besoins matériels des premiers humains; il était là dès le commencement …

Il était au commencement : le Verbe, réponse unique à la question sur l’origine de toutes choses. Et la relation à Dieu, la prière, fut le mode premier et reste la forme achevée du langage humain. L’homme fut créé à l’image du Verbe, préparé génétiquement pour le recevoir et le transmettre non comme une chose extérieure et qu’on puisse acquérir ou dédaigner mais comme le caractère de son essence propre, comme la différence innée qui le distingue des autres vivants, la pointe ultime de son être par laquelle il communique avec l’Etre lui-même, comme la ressemblance spécifique qui lui permet de penser au Créateur comme à la Création, de connaître Dieu et de l’aimer.

L’homme, serviteur du Verbe, ne saurait que régresser si, au lieu de cultiver amoureusement le langage reçu de ses pères, il songe à l’asservir à des fins terrestres. On le voit avec l’affaiblissement de la raison sous l’influence de la télévision (ce locuteur qui n’est plus un interlocuteur) ; on le voit aussi dans les sociétés idéocratiques qui suscitent l’autocensure et la restriction mentale.

C’est pourquoi, confiait Joseph Brodsky, le poète n’a pas sa place dans ces sociétés : même si ses oeuvres ne comportent aucune allusion politique, sa seule présence de serviteur du langage est insupportable aux idéologues qui, eux, se servent du langage comme d’un outil de domination et de manipulation des esprits.

Or la poésie est la forme pleine du langage, celle qui suscite l’émotion autant qu’elle la transmet ; elle est la plus universelle car elle traverse l’intelligence pour atteindre le coeur, la plus dense car elle joue de tous les registres de la voix, de tous les niveaux sémantiques et de toutes les finesses des langues naturelles. On n’aurait rien expliqué du langage si on n’aboutissait pas à elle, à sa faculté créatrice, à son pouvoir à donner vie à nos pensées et force à nos sentiments. Cette faculté créatrice, comment l’homme pourrait-il la détenir, s’il ne l’avait reçue de Celui-là même qui est le Créateur. Cette source de vie affective, comment pourrait-il s’y abreuver, si elle ne provenait de Celui qui est la Vie. Cette faculté inséparable de la vie de l’esprit, comment serait­-elle apparue si elle ne jaillissait de l’Esprit lui-même ?

C’est pourquoi nos mots atteignent la réalité malgré notre finitude : parce que l’univers est christocentrique, « tout ayant été fait par Lui et pour Lui« , et que toute parole participe du Verbe de Dieu.

Bibliographie :

Clifford A. Wilson et Donald W. Mckeon, The language Gap, Zondervan, Grand Rapids, 1984.

H. Hecaen et J. Dubois, La Naissance de la Neuropsychologie du langage (1825-1865), Flammarion, 1969.

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1 Marc D. Hauser, Noam Chomsky, W. tecumsch Fitch, The Faculty of Language : What it is, who has it, and how dit it evolve ? Science, vol. 298, novembre 2002.

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