Partager la publication "Etre prêtre-ouvrier (3ème partie)"
Par Abbé Jean Boyer
Résumé : En conclusion de son témoignage l’Abbé Boyer s’élève aux considérations générales qui font voir, dans l’expérience des prêtres-ouvriers de 1955, un prototype des changements à venir dans le clergé catholique. C’est bien la finalité de l’aventure humaine qui est en jeu.
Réflexions sur l’expérience des prêtres-ouvriers
J’ai vu à la télévision, en Novembre ou Décembre 1965, l’interview d’une équipe de prêtres-ouvriers de Lille. Celui qui parla le dernier et semblait être le responsable, déclara : « Actuellement nous ne travaillons que de façon artisanale. Mais quand nous entrerons en usine et donc dans le grand mouvement ouvrier, tous les problèmes qui se posaient aux prêtres-ouvriers en 1955 se poseront automatiquement à nous« .
Il est évident que, dans les mêmes conditions, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Essayons donc de voir de plus près dans un premier temps les conditions puis les causes de l’échec.
Les conditions appartiennent au milieu ambiant. Elles sont d’ordre intellectuel, philosophico-théologique. Il s’agit d’un sens de l’histoire. Oui ou non, croit-on que la fin de l’histoire humaine est une apothéose de la science et de la fraternité humaine, telle qu’un paradis terrestre fait d’unanimité dans la pensée et dans l’amour, et que cette toute-puissance de l’homme sur le monde est le but ultime et possible?
Ou bien, croit-on que l’homme n’est qu’un voyageur sur cette terre et qu’il doit arriver en Dieu dans son royaume purement spirituel et supra-terrestre, et que l’histoire humaine doit se terminer en catastrophes avant le Jugement dernier et la Résurrection pour une Eternité de bonheur ou de malheur ?
Si l’on n’y croit plus, il faut le proclamer hautement et quitter l’Eglise Catholique. Malheureusement il existe une thèse, doublée d’une technique, aux termes desquelles il faut rester dans l’Eglise pour la faire évoluer – avec habileté et prudence –
de la foi au Royaume de Dieu vers la Foi au royaume de l’homme. Il faut obtenir que l’homme devienne le Dieu de l’homme et que la terre indéfiniment améliorée soit son paradis définitif.
Il faut faire se dissoudre petit à petit la vision claire donnée par Jésus d’un monde qui passera et d’une Eternité qui viendra le remplacer. Certes, il y a des « correspondances » voire même des ressemblances entres ces deux mondes, mais pour l’essentiel la différence est radicale. Telle est la Foi de l’Eglise catholique depuis presque deux mille ans. Voilà ce que l’on veut abolir et, je le répète, selon la méthode chinoise pour changer un objet de place dans une pièce : on pousse l’objet d’un millimètre par jour et on y met un an, s’il le faut, pour que personne ne s’aperçoive de rien.
Il va de soi que l’essentiel de la Foi étant changé, tout le reste disparaît petit à petit pour laisser place à une sorte de « morale de situation », d’efficacité politique.
Voilà le problème du conditionnement de l’ambiance générale du groupe.
Le deuxième problème est celui de la cause immédiate, efficiente, c’est-à-dire, des hommes qui seront chargés de l’opération.
Ces hommes sont bien entendu bien conscients de ce qu’ils veulent imposer. Leur caractéristique est d’être complètement détachés intérieurement du Pape et des évêques. Je dis bien « intérieurement », car leur attitude extérieure demeure parfaitement correcte vis à vis de la hiérarchie catholique. Leur art suprême est le mensonge. Ils donnent à l’Autorité une information parfaitement rassurante sur ce qui se passe dans le groupe qu’ils contrôlent ; c’est la science dite de l’intoxication. Quant à ceux qu’ils dirigent, il s’agit de les diviser constamment de sorte qu’il ne puisse jamais se produire de réaction collective devant telle ou telle de leurs propositions. Diviser pour régner. Le moyen principal est de multiplier à l’infini les contacts personnels entre les meneurs et les membres du troupeau.
On procède par petites rencontres chez l’un ou l’autre, dans une atmosphère chaudement fraternelle. On y boit, mange et raconte sa vie jusque dans les détails les plus intimes. Chacun en sort persuadé qu’il est au courant des secrets de l’entreprise et qu’on lui a confié une mission importante.
Le morcellement est comparable à celui des ouvriers qui dans une entreprise, par le jeu des enveloppes de fin d’année, ignorent ce que touche le voisin, ce qui stoppe au départ toute possibilité d’action unie contre le patron. Cette méthode est employée pour tous les cadres et fonctionnaires un peu importants dans les régimes politisés.
Elle triomphait de notre temps chez les prêtres-ouvriers, du fait de l’équipe Barreau-Marzio. Elle est en usage dans l’Eglise de France depuis la mort de S.S. Pie XII et ce, d’une façon régulièrement croissante ; rien ne permet de penser et d’espérer que la nouvelle organisation des prêtres-ouvriers en sera dégagée. Bien au contraire, il semble que l’on veuille réussir cette fois-ci, ce qui a été manqué lors de la première tentative.
La première fois, en effet, la majorité a abandonné l’expérience en quittant officiellement l’Eglise. Ces prêtres étaient encore trop honnêtes pour affirmer publiquement une Foi qu’ils n’avaient plus ou presque. Leur formation première, au séminaire, ne leur avait pas rendu possible l’hypocrisie foncière que l’on veut obtenir aujourd’hui de leurs successeurs. De plus, Pie XII régnant, il ne semblait guère possible de faire évoluer l’Eglise à une telle vitesse, et dans cette direction où nous étions très avancés ; il ne semblait pas que le gros de la troupe pût nous rattraper avant longtemps. Maintenant, malgré Paul VI et le Concile, on a pu faire croire aux jeunes prêtres que l’évolution est presque achevée, qu’il ne suffit plus que de l’ultime « mutation » qui fera tout basculer en avant (l’en-avant du Père Teilhard), et que cette mutation sera accomplie d’abord parmi les troupes d’élite du nouveau corps de prêtres-ouvriers. On va même jusqu’à dire que ceux de la première expérience n’étaient pas valables, pas assez préparés à leur tâche nouvelle. Je témoigne qu’au contraire mes confrères étaient lucides et équilibrés. Toutes leurs erreurs leur ont été imposées sous le couvert de l’autorité hiérarchique. Jusqu’au bout, ils ont vu où ils allaient et c’est leur honneur d’avoir refusé de mentir à l’Eglise, en disant tout et tout haut.
Il n’y a aucune raison d’espérer qu’une fois de plus on ne va pas, au nom de la solidarité du combat ouvrier, obliger le prêtre-ouvrier à militer dans la CGT et, petit à petit, à s’imprégner de la formation donnée à travers la CGT par les experts du parti communiste pour lesquels le prêtre avec son dévouement et son aptitude au mysticisme représente un élève de choix, merveilleusement perméable à l’idéologie marxiste, d’autant plus que la formation théologique de ces prêtres-ouvriers d’aujourd’hui est forcément plus faible, plus ouverte à tous les vents des doctrines modernes, que celle que nous avions reçue nous-mêmes.
Il n’y a d’ailleurs aucune raison d’espérer que ce modeste écrit puisse changer quoi que ce soit au mécanisme que nous avons brièvement décrit ; tel n’est pas notre but. Mais ce témoignage pourra servir un jour lorsque les désastreux résultats deviendront patents. La première fois, l’échec n’a concerné que la seule organisation de prêtres-ouvriers. La seconde fois, il concernera toute l’entreprise progressiste et moderniste actuelle, qui se camoufle derrière un Pape et un Concile peu conscients du danger imminent. Mais alors les fruits se seront enfin démasqués eux-mêmes, au travers des cataclysmes qu’ils provoqueront dans le monde, conformément aux prophéties de Fatima et de la Salette.