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Par le Dr Patrick Theillier
Une étonnante suite de grâces1
Dr Patrick Theillier2
Résumé : L’idée qu’un conte fantastique procède d’une inspiration chrétienne a de quoi surpendre. C’est pourtant le cas avec l’œuvre de Tolkien, traversée par l’idée d’une création originellement bonne, puis maléficiée par l’Adversaire, et enfin transfigurée par une « eu-catastrophe » analogue à un miracle. Or cette démarche est devenue consciente chez Tolkien au sortir d’un prêche sur un miracle survenu à Lourdes en 1927. L’auteur, Directeur du Bureau Médical de Lourdes, est allé chercher dans les archives les circonstances de ce double miracle et nous fait ainsi mieux comprendre les voies étonnantes qui ont fait d’un discret linguiste d’Oxford le créateur d’un univers littéraire où plusieurs ont déjà trouvé la grâce de leur conversion.
Tout le monde connaît John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) ! Beaucoup d’entre vous ont certainement lu certains de ses livres comme Bilbo le Hobbit, ou son best-seller (plus de 50 millions d’exemplaires) Le Seigneur des Anneaux. Ce dernier livre, premier d’une trilogie magistrale, a été récemment porté à l’écran (sorti en France au début de l’année 2002).
Comme d’autres, je croyais Tolkien sulfureux, ésotérique. Or à l’occasion de ce film, je viens de découvrir dans un article très documenté3, que ce créateur était un homme et un écrivain profondément catholique, qui allait à la messe tous les jours, et avait une grande dévotion envers la Vierge Marie. D’autre part, un livre crée, paraît-il, en ce moment, l’événement aux Etats-Unis : « Finding God in the Lord of the Rings » (Trouver Dieu dans le Seigneur des Anneaux) où les auteurs, Kurt Bruner et Jim Ware, s’attachent à étudier le thème de la foi, de l’espérance, de la rédemption dans ces « contes fantastiques » de Tolkien.
Didier Rance4, démontre que l’objectif de Tolkien en écrivant ses livres était religieux. « Le Seigneur des Anneaux traite des questions religieuses fondamentales de l’humanité réelle : la création, la chute, la mort, l’éternité et le destin de l’homme et ce livre le fait , j’ose l’affirmer , dans un esprit fondamentalement chrétien, catholique et même apologétique et missionnaire, quoique d’une grande originalité et subtilité (tout le malentendu venant peut-être de celle-ci) ».
Il est certain que le genre littéraire de ce livre est difficile à définir : en anglais, on dit fairy-tales ou heroic-fantasy , traduit en français par conte. Quoiqu’il en soit, Tolkien estime que tout conte doit se terminer par une « eu-catastrophe » finale (à rapprocher de « eu-stress » : stress heureux). Le sens de ce néologisme créé par Tolkien est facile à saisir à partir de son étymologie : l’histoire qui est racontée dans le conte doit se terminer de façon soudaine par un retournement qui procure au lecteur de la joie. Il ne s’agit pas d’un simple « happy end ». Ce retournement soudain et inattendu doit constituer une sorte de restauration de la situation originelle bonne au départ. Autrement dit, être comme un miracle.
« La naissance du Christ est l’eu-catastrophe de l’histoire du monde… la Résurrection est l’eu-catastrophe de l’histoire de l’Incarnation »… « L’eu-catastrophe… donne un aperçu fugitif de la joie, une joie qui est au-delà de ce monde, aussi poignante que la douleur ».
La Joie que nous donne la Résurrection ou, sur un plan inférieur, les miracles, écrit-il, est fondamentalement le résultat de ce qu’un rayon de la Vérité suprême vient frapper notre conscience.
Je ne peux développer plus avant son argumentation, mais voudrais en venir à une information découverte dans ce passionnant article : Tolkien, dans une lettre à son fils Christopher, raconte que son souci de provoquer chez le lecteur un sentiment de joie ouvrant à la « grande joie » de la Révélation, lui est apparu après avoir écrit Le Seigneur des Anneaux, alors qu’il écoutait un sermon dans lequel le prédicateur évoquait un miracle survenu à Lourdes en 1927, dans le train d’un pèlerinage, comme celui-ci passait à hauteur de la Grotte. Un petit garçon atteint d’une péritonite tuberculeuse et que l’on avait monté mourant dans le même wagon qu’une fillette, apprit la guérison soudaine de celle-ci dans le même train ; il se leva alors et dit : « Je veux aller parler avec la petite fille ». Il descendit de sa couche et partit jouer avec elle, totalement et subitement guéri lui aussi.
Intrigué par ce récit, vous imaginez bien que je n’ai pas tardé à rechercher cette histoire dans les archives du Bureau. Et j’ai trouvé les deux dossiers, étiquetés 28018 et 28024.
Voyons le premier : voici une partie du compte-rendu.
« Le 23 août 1927, dans le train qui la ramenait chez elle à la fin du pèlerinage National, Marie-Louise Saget, 12 ans, de la Mayenne, se dit soudainement guérie d’un mal de Pott dorsal vérifié par la radiographie, ayant nécessité la pose d’un plâtre le 3 mai précédent . Couchée depuis cinq mois, elle était fébrile et souffrait beaucoup de plaies suppurées et infectées qui s’étaient formées sur chaque apophyse épineuse sous son plâtre, et que sa mère avait du mal à soigner car l’enfant ne pouvait bouger sans douleur. Elle avait également une sub-occlusion. Elle fut conduite à Lourdes sur un matelas. Le 22 août, veille du retour, pendant la procession, elle sentit un craquement entre les épaules et une certaine force lui revint, mais elle n’en dit rien sur le moment. Le soir, ramenée à l’hôpital, elle s’aperçut qu’elle pouvait se tourner seule sur son lit, ce qu’elle avait été incapable de faire depuis le mois d’avril.
Elle eut alors l’idée de s’asseoir seule, ce qu’elle fit facilement. Cependant, se sentant encore faible, elle ne chercha pas plus loin, le lendemain non plus.
Le 23 août, vers 15 heures, on la monta dans le train sur son matelas et elle se laissa faire. On remarqua cependant qu’elle avait une figure toute rayonnante, et les yeux comme des voiles, disait sa mère ; des yeux de miraculée, disait une autre personne.
Après avoir salué une dernière fois la Grotte au passage, on commence dans le wagon des malades la récitation du chapelet. A la fin de celui-ci, la mère annonce à la directrice du wagon, Mme de Vaujuas : « Marie dit qu’elle est guérie et elle veut s’asseoir.»
– « Très bien, elle n’a qu’à essayer. » Et voilà la petite debout, riant, disant qu’elle n’a plus mal nulle part, qu’il faut lui ôter son matelas. On le retire et la voilà assise, ravie de tout ce qu’elle voit par la fenêtre. « O maman, regarde quelle petite vache… et celles-là qui sont attelées… et du maïs… c’est-y amusant ! » L’enfant avait retrouvé instantanément sa nature. Une infirmière, prévenue de ce qui se passait, s’approche et frappe à coups de poing sur le plâtre : l’enfant ne sent rien. Elle va et vient ; elle marche pour se soulager d’avoir été couchée cinq mois.
Le lendemain matin, 24 août, la malade alla à la selle pour la première fois depuis le commencement de sa maladie. La mère s’aperçut aussi que la plaie de l’épaule gauche était cicatrisée. L’enfant, d’ailleurs, ne la ressentait plus depuis la procession du 22 août.
Le 9 septembre, le médecin traitant conduit l’enfant et sa mère de Laval à Château-Gonthier, consulter le Dr Oliveri, chirurgien, (qui devint médecin permanent du Bureau des Constatations) : il considéra l’enfant guérie, retira le plâtre, fit une radio, et délivra un certificat attestant sa guérison, tout en recommandant un temps de convalescence. Mais la famille convaincue de la guérison, refusa de suivre ses conseils, et, au bout de trois jours, fatiguée de la chaise longue, Marie la quitta pour travailler à la ferme.
Le 19 septembre, le Dr Oliveri revit l’enfant, lui fit encore deux radios et maintint ses conseils de prudence. De 73 livres, l’enfant était passée à 89. »
Et voici le second dossier (Dr A. Vallet).
Il s’agit de l’enfant Henri Mieuzet, né le 12 mai 1920, demeurant en Ille-et-Vilaine. Il n’a pas encore 8 ans. D’aspect chétif, il est malade depuis l’âge de 9 mois : bronchite chronique, puis entérocolite (6 à 12 selles sanglantes par jour), avec signes généraux : asthénie générale, anorexie, fièvre, sueurs, maigreur squelettique (il ne pèse que 14 kg 250 pour 1m17), évoquant une origine bacillaire (sans confirmation bactériologique). C’est ce qu’affirme le certificat de son médecin, le Dr Vannier, en raison des antécédents maternels (7 oncles et tantes morts de phtysie, ainsi que sa petite sœur) et de l’évolution de la maladie.
Le départ de Laval a lieu le jeudi 18 août. Le voyage s’opère dans de mauvaises conditions, l’enfant restant comme anéanti sur son matelas, sans s’alimenter et presque sans dormir. Arrivé à Lourdes, le lendemain 19, il est hospitalisé à l’Asile Notre-Dame.
Pendant le séjour qu’il y fait jusqu’au mardi 23, son état, loin de s’améliorer, semble plutôt s’aggraver. Le samedi, sa mère croit qu’il va mourir. La nuit du lundi est franchement mauvaise. Cependant l’enfant ne se plaint jamais.
Au départ, à la gare de Lourdes, sa mère dit : « Cela ne va pas mieux. Je n’ai pas eu la joie de pouvoir écrire à son père que le petit était guéri. »
Mais voici ce qu’écrit une dame hospitalière de son wagon sur ce qui suivit :
« Le train partit. Après avoir jeté un dernier regard sur la Vierge en passant devant la grotte, les hospitalières et les malades se mirent à réciter le chapelet. Ils ne purent pas le dire sans émotion, car ce fut pendant ce chapelet que la petite Saget, atteinte d’un mal de Pott très grave, se déclara guérie.
« Dès que la récitation du chapelet fut finie, le petit Henri, qui était resté immobile sur son matelas, dit qu’il voulait se lever et aller voir la miraculée, et, sans plus tarder, il s’assit sur son matelas. La mère stupéfaite, ne sachant que penser, se mit à rire et à pleurer en même temps. « Je veux aller voir la miraculée », répéta-t-il à Mme Vaujuas, directrice du wagon, prévenue. « Eh bien, viens ! ». Et le voilà debout qui se met à marcher jusqu’à la petite fille : les deux enfants s’embrassent alors avec effusion.
« Quand le calme fut revenu, Henri rentra dans son compartiment et, pour la première fois depuis plusieurs années, il dit qu’il avait faim ! Et il se met à manger du pain, du pâté, des bananes, du chocolat…
Henri est guéri. Le 30 août, le Dr Vannier écrit : « J’ai vu le petit Mieuzet depuis son retour de Lourdes. Actuellement il s’alimente comme tout le monde, n’a plus de douleurs ni de diarrhée, passe la journée debout et joue avec ses frères. C’est une amélioration, ou plutôt une guérison qui déroute le médecin. »
Pour information, Henri, venu se déclarer au Bureau des Constatations le 18 août 1928, sera reconnu par les médecins le 25 août 1928, mais jamais par l’Eglise. Pour Marie-Louise, son cas fut classé sans suite, en raison de certificats médicaux contradictoires…
En tout cas, ces faits ébranlèrent suffisamment Tolkien. En écoutant ce récit, il ressentit une profonde émotion d’un type tout à fait spécifique, « cette émotion particulière que nous avons tous – quoique rarement ». Il comprit tout à coup ce que c’était : « Cela même que j’avais essayé d’écrire et d’expliquer dans cet essai sur le conte… Pour cela j’ai créé le terme « eu-catastrophe », le soudain retournement heureux d’une histoire qui vous transperce d’une joie qui apporte des larmes (ce que j’ai déclaré être la fonction la plus haute que le conte doit produire). Et je fus conduit à cette idée qu’elle produit cet effet particulier parce que c’est un rayon soudain de la Vérité… »
Il faut encore savoir que Tolkien fut l’instrument de la grâce pour la conversion ou le retour à la foi de plusieurs, et non des moindres. Par exemple pour John Murray qui, devenu jésuite, fut un des meilleurs spécialistes de saint Ephrem et des Pères syriaques, mais aussi C.S. Lewis5, professeur, écrivain, défenseur de la foi chrétienne très connu dans le monde anglo-saxon, auteur des fameuses Chroniques de Narnia.
Curieuse suite de grâces obtenues par deux guérisons d’enfants devant la Grotte de Lourdes…
P.S. : J’avais écrit cet article fin janvier. Et voilà que, pour le 11 février, vient me voir au Bureau Médical sœur Maryvonne Cochet, qui a vécu une surprenante expérience de guérison à la messe du 15 août 1987 à Lourdes. Elle habite actuellement Rennes, et, en entrant dans mon bureau, me met dans les mains un dossier concernant, me dit-elle, un de ses voisins de Bretagne, l’abbé Henri Mieuzet… Mon sang ne fait qu’un tour : « Henri Mieuzet ? Celui qui a guéri à l’âge de 7 ans dans le train de retour de Lourdes ? » – « Oui » dit-elle, surprise de me voir si interloqué. « Il est curé près de chez moi à Saulnières en Ille-et-Vilaine. Voici la photocopie de l’histoire de sa guérison par le Dr Vallet dans son livre « La vérité sur Lourdes et ses guérisons miraculeuses », son adresse et son numéro de téléphone ».
Vous imaginez bien que je ne traînai pas pour l’appeler. Je tombai sur la voix encore assurée et tonique d’un homme de 82 ans, lui-même bien étonné qu’on l’appelle de Lourdes. J’appris qu’il est revenu 32 ou 33 fois à Lourdes, seul ou en accompagnant des groupes, la dernière fois en 95. Il va prendre sa retraite définitive et espère revenir en pèlerinage à Lourdes pour ses noces de diamant (60 ans de sacerdoce). Il fut en effet, ordonné prêtre en 1943.
Comme je lui demandais s’il se souvenait de l’épisode de sa guérison, il me dit qu’il avait dévoré un petit pain trouvé près de lui à son réveil après une nuit de train, laissé là par l’évêque de Rennes qui n’avait pas voulu le réveiller.
Il m’apprend aussi que Marie Saget n’est plus de ce monde, et qu’il ne l’a pas revue sauf à Lourdes l’année 1928, quand ils étaient venus se déclarer au Bureau des Constatations.
Je lui demandai une photographie un peu plus récente… et formai le vœu de le voir en effet l’an prochain, et aussi pour les 80 ans de sa guérison en 2007 !
1 Repris du bulletin de l’AMIL (Association médicale internationale de Lourdes), (n°278, Avril 2002).Ce bulletin trimestriel, envoyé en 5 langues (Français, Italien, Anglais, Espagnol, Allemand) à 10.000 abonnés dans plus de 70 pays, aborde les questions des guérisons miraculeuses de manière à la fois pratique (observations médico-spirituelles) et théorique (réflexions sur le rapport de la science et de la foi), à partir d’une anthropologie de la personne dans toutes ses dimensions : corps, âme, esprit. Tous les professionnels de santé peuvent s’inscrire à l’AMIL et recevoir l’insigne distinctif (8€) : médecin/pharmacien/dentiste/auxiliaire médical (contre copie du diplôme). Sans faire partie de l’AMIL, vous pouvez souscrire un abonnement au bulletin (10€). Il est possible aussi de recevoir une documentation complète (7€) avec la liste des miraculés de Lourdes, les actes du dernier Congrès, les rapports de guérisons, les numéros de l’A.M.I.L. restants, à : Bureau Médical, Sanctuaire Notre-Dame de Lourdes, 1 av. Mgr. Théas, 65108 Lourdes Cedex, Tél. (33) 05.62.42.79.08, Fax (33) 05.62.42.79.77, email : bmedical@lourdes-France.com.
2 Le Dr Theillier est le Directeur du Bureau Médical de Lourdes.
3 De Didier Rance dans L’Homme Nouveau du 6 janvier 2002 (4 pages centrales)
4 Directeur en France de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED-France).
5 C.S. Lewis enseignait à Oxford tout comme Tolkien (professeur de littérature nordique, puis de littérature anglaise).