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Par Jean-Marie Mathieu
La relation « homme-animal » chez les Juifs1
Résumé : L’évolutionnisme a relativisé la barrière que les civilisations (et le bon sens) avaient toujours aperçue entre l’homme et les animaux. Ayant perdu ce repère essentiel, nos contemporains (et en particulier les députés européens) ne savent plus si les animaux sont de simples matières premières ou des êtres à respecter au point de les adorer. La tradition hébraïque, éclairée par la Révélation, a su trouver un juste équilibre entre l’idolâtrie et le mépris : celui-là même que le Créateur a voulu entre ses créatures , toutes dignes d’occuper une place dans l’univers, mais toutes bien distinctes en raison de leur mission propre.
Dès les premiers chapitres de la Genèse, le livre qui ouvre la Thorah – ou bible juive –, Moïse précise que Dieu donna à l’homme : « Autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques, sur toutes les bêtes sauvages et sur tous les reptiles de la terre« .
On remarque que les animaux domestiques sont créés en même temps que les animaux sauvages et avant l’homme, puisque la création d’Adam n’interviendra que deux versets plus loin. Cela nous indique que la domestication, l’entrée dans la « Domus », la maison où règne le maître de céans (l’homme) n’est pas le résultat d’un processus d’apprivoisement de certaines races animales qui auraient été sauvages à l’origine2.
Processus hypothétique qu’aucun savant n’a jamais démontré, du reste. Comment la domestication apparut-elle ? Nous ne le saurons sans doute jamais. Elle est un « don » de Dieu. La tradition peule semble confirmer cette donnée biblique. On pourra se reporter là-dessus à mon article « Les peuls et la création du monde » publié dans le Magazine des Eleveurs (1/99 pages 25-26).
Déjà du temps de Noé, les hommes divisaient les animaux en purs et impurs. La tradition juive poursuivra dans cette voie en interdisant à la consommation tous les poissons sans écaille, les oiseaux rapaces, charognards, aigles, corbeaux, etc., les fauves prédateurs, etc.
En revanche seront considéré comme excellents les ruminants de ces trois genres : bovidé, ovidé, capridé. Non seulement ils peuvent être mangés par l’israélite pieux, mais encore ils forment la « triade sacrée » apte à fournie les animaux offerts en sacrifice à Dieu au temple de Jérusalem.
Les trois ruminants purs servent également de figures emblématiques pour symboliser, aux yeux des Juifs, leurs trois patriarches fondateurs :
– le taureau figure Abraham, père du croyant, et la génisse, sa femme Sarah ;
– le bélier figure Isaac qui se lia lui-même sur l’autel et tendit son cou pour le nom de YHWH.
– le chevreau rappelle Jacob qui revêtit des peaux de chevreaux pour recevoir la bénédiction paternelle à la place de son frère aîné Esaü
Symboliquement, cette triade sacrée des ruminants purs (3: nombre céleste) est opposée à une quaternité impure (4: nombre terrestre) représentée par trois ruminants et un omnivore :
– le chameau,
– le lièvre (ou lapin),
– et le daman (petit rongeur des savanes) ruminent, mais n’ont pas de sabot fendu en deux comme l’ont les ruminants purs. Ce sont donc des « hypocrites » !
– le porc (ou sanglier) quant à lui, a bien le sabot fendu en deux comme les ruminants purs, mais il ne rumine pas. Hypocrite encore !
Notons que le jésuite français Jules Carles a montré en 1977 que le lièvre et le lapin sont bel et bien des ruminants grâce à leur caecum qui abrite les bactéries. Voltaire, qui se moquait de la Bible (réputée sans erreur par les rabbins et par les papes catholiques), en est pour ses frais !
A l’origine, le peuple hébreu était nomade, éleveur de troupeaux, un peu comme les Peuls du Sahel. Aussi connaissaient-ils très bien les animaux domestiques, qu’ils aimaient et appréciaient pour leur intelligence des êtres et des lieux. Un proverbe biblique affirme que « le taureau connaît la maison de son maître« .
Mais avec la sédentarisation et l’urbanisation progressives, l’animal domestique perdit peu à peu de son aura. Si bien que désormais le mot « Béhma » en hébreu – signifiant « animal domestique » – est considéré, adressé à quelqu’un, comme une insulte grave. Il correspond au français « bête ! » c’est-à-dire « idiot » ! On mesure la distance entre un peuple de bergers et un groupe de citadins !
Il n’en reste pas moins qu’en hébreu un berger « rohé » est considéré aussi comme un voyant « ro’é« , mots fort proches. Le pasteur regarde davantage le ciel que la terre. Il est celui qui lit dans les étoiles. Ce qui permet à la tradition juive de diviser les temps de l’humanité en 3 époques, symbolisées encore par trois races animales :
Taureau (terre) = depuis 4.000 ans avant notre ère, époque des patriarches symbolisés par les bovidés (la révélation primitive et noachique, continuée chez les japhétites et les chamites).
Bélier (feu) = à partir de 2.000 ans avant Jésus-Christ (Abraham), époque de la révélation mosaïque, avec le sacrifice de l’agneau pascal rôti au feu.
Poissons (Eau) = de Jésus-Christ à l’an 2.000, époque où le peuple juif vit dispersé parmi les nations comme « poissons dans l’eau ».
On reconnaît ici les 3 signes zodiacaux servant à désigner les constellations célestes.3
L’ère à venir (Verseau – Air) ne sera plus symbolisée par un animal, mais par une onde duelle h, signe de communication aérienne, à l’heure d’Hermès, des informations radio, télévision, Internet, etc. L’humanité ne formant plus qu’un seul grand « village »… On est passé du méga local (bovidé) au micro global (onde + corpuscule = lumière). De moins en moins matériel, de plus en plus spirituel.
Le Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme4 donne quelques précisions sur l’attitude qu’adoptent les Juifs envers les animaux. C’est ainsi que la compassion pour les animaux inspire des lois destinées à protéger ceux-ci des mauvais traitements, de l’abus de travail, de la faim et de la souffrance. Un animal battant le blé ne doit pas être muselé. Les animaux, comme les humains, doivent bénéficier d’une journée de repos par semaine. On ne peut faire labourer ensemble un bœuf et un âne, car le plus faible se trouverait entraîné par le plus fort. On doit aider à se relever un animal tombé. Un animal égaré doit être remis à son propriétaire. On ne peut tuer une vache, une brebis ou une chèvre le même jour que son petit. Il est interdit de prendre des oisillons ou des œufs en présence de la mère. Pendant l’année sabbatique (tous les 50 ans), toute terre doit reposer en friche et les animaux ont accès librement aux champs. « Le sage connaît les besoins de son troupeau« , dit un proverbe hébreu.
Les rabbins ont fait de la cruauté envers les animaux une violation grave de la Bible. Ils ont interdit la castration. L’homme ne doit pas se mettre à table avant d’avoir nourri ses animaux. Il faut tuer un animal en lui causant le moins de souffrance possible (couteau bien aiguisé). Saadiah Gaon – contrairement au philosophe rationnaliste Maïmonide – pensait que les animaux allaient au ciel. La littérature éthique juive insiste sur le devoir de bonté envers toutes les bêtes.
Quelques « dits » de sages et rabbins juifs illustrent la bonté de l’Israélite envers les animaux.
Si la Thorah ne nous avait pas été donnée, les chats nous enseigneraient la modestie, les fourmis le labeur honnête, les colombes la chasteté et les jeunes coqs la vaillance !
Tandis que Moïse paissait le troupeau de son beau-père, un petit agneau s’éloigna et s’égara. Moïse le retrouva et le ramena sur ses épaules. Dieu lui dit alors : « Parce que tu as montré de la compassion pour le petit du troupeau, tu conduiras mon troupeau Israël ».
Un homme de bien ne vendra pas ses animaux à une personne cruelle.
Qui chasse avec des chiens pour le plaisir n’aura pas part au bonheur éternel.
Tandis qu’un rabbin enseignait, un veau vint se réfugier près de lui en meuglant, semblant dire : « Sauve-moi du couteau du boucher ». Le rabbin dit : « Que puis-je faire ? N’es-tu pas créé pour tomber sous le couteau du boucher ? » Aussitôt, il fut puni par une rage de dents qui dura 13 ans ! Un jour une petite fourmi passa près de sa fille ; cette dernière voulut l’écraser, mais le rabbin intervint en disant : « Non ! laisse-la vivre ! N’est-il pas écrit : « Les miséricordes de Dieu sont sur toutes ses créatures ». Alors on décida dans les cieux : « Puisque ce rabbin a eu pitié d’un petit animal, on aura aussi pitié de lui ». Son mal de dent cessa sur-le-champ.
Dans la tradition chrétienne, suite et achèvement de la tradition juive, plus aucun animal n’est considéré comme impur. Tous peuvent être mangés, y compris les porcs. Ne sont-ils pas des créatures du Dieu très bon ? La loi d’impureté fait place à la loi d’amour. On a d’ailleurs remarqué que les mystiques et les saints retrouvent la bonté de la création originelle et peuvent sympathiser avec les animaux les plus cruels : lions, panthères, vipères… L’exemple de plus célèbre en est saint François d’Assise qui amadoua « Frère » loup, pacifiant ainsi la région de Gubbio en Italie, au XIIIème siècle. Il ne voulait faire de mal à aucune créature, si petite fût-elle !
Homme et animal, nous sommes tous de la même « famille », « enfants » d’un même Dieu père, qui nous aime tous d’un amour entier.
1 Exposé donné à la 3ème réunion plénière du Conseil Mondial des Eleveurs à Dori (Burkina Faso) le 25 novembre 1998.
2 Ndlr. Il en va de même pour les espèces végétales. On constate un « syndrome de la domestication » : ainsi les caractères qui différencient le mil cultivé du mil sauvage sont tous portés par le même chromosome, ce qui les rend inséparables au cours de la reproduction. Il a suffi de sélectionner une première plante propre à la cueillette (avec pédicelle long et résistant qui maintînt l’épi mûr sur la tige) pour obtenir instantanément toutes les caractéristiques des variétés cultivées aujourd’hui. Ainsi le mil sauvage comporte: plante en touffe buissonnante, centaine de petits épis, maturité échelonnée, pédicelle des grains courts et fragiles, graines avec de longues soies (transport par le vent), et les graines à maturité sont réparties sur le sol tout au long de l’année, assurant la propagation et la pérennité de l’espèce. Quant au mil domestique : quelques tiges robustes, une dizaine de gros épis, maturité simultanée, pédicelle long et résistant, graines presque sans soies, les graines à maturité attendent sur la tige l’instant de la récolte ; les graines sans soie se prêtent au semis par la main de l’homme. (cf. J. Pernes, La Recherche n°146, Juillet-Août 1983).
3 Pour plus de détails, se reporter à mon essai « Les Bergers du Soleil L’or Peul » (2è édition 1998, Editions Désiris, 04340 Méolans-Revel France)
4 Cerf, 1993, pages 75-76.