La frise du Parthénon déchiffrée

Par Claude Eon

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« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. »
(Marcel François)

Résumé : Après la façade est du Parthénon, l’auteur présente maintenant le déchiffrement de la frise qui court sur 159 mètres autour du temple de l’Acropole. Cette frise figure les cérémonies annuelles en l’honneur d’Athéna, les Panathénées. Tous les quatre ans, un manteau, le peplos, était présenté à la déesse de la cité. Depuis les travaux de Robert B. Jonhson et de Jenifer Neils, on voit clairement que ce peplos n’est autre que le manteau de Noé, signe de son autorité, et dont Cham (le centaure Chiron pour le Grecs) voulut se saisir. Son fils Chus (Hermès) et son petit-fils Nemrod (Héraclès) reprirent la civilisation matérielle suscitée par Caïn avant le Déluge et toute à la gloire d’un homme rebelle à Dieu.

Connue sous le nom de frise des Panathénées, la frise du Parthénon est un bandeau sculpté en très bas relief (de 5,6 cm au plus) courant le long du mur du naos du temple. Partant de l’angle sud-ouest, la composition, longue de 159 mètres, se divisait en deux suites se rejoignant sur la façade Est, au-dessous du fronton représentant la naissance d’Athéna1. Elle représentait les différents participants du festival annuel honorant la patronne de la cité. Célébrée depuis au moins l’an 566 A.C., elle revêtait une pompe spéciale tous les quatre ans lorsqu’un vêtement spécial, le peplos, destiné à Athéna, était porté en procession jusqu’à son temple.

Comportant 378 personnages accompagnés de 245 animaux, la frise constitue un tour de force de conception et d’exécution. Véritable bande dessinée sculptée, le trait le plus remarquable de cette frise est l’unité de son sujet, alors que les autres frises à quatre côtés connues traitent un sujet différent sur chaque face.

« Bien que les sculptures soient réparties en 114 blocs rectangulaires, le dessin présente aux spectateurs un ensemble sans couture glissant sans effort et inexorablement vers l’Est. »2 Jenifer Neils décrit longuement les différents participants de la double procession se rejoignant sur le côté Est: cavaliers, chariots, anciens, musiciens, porteurs d’eau, animaux destinés aux sacrifices, femmes, héros éponymes et dieux. Il est évident, écrit Mme Neils, que d’après sa position au centre de la frise Est, la cérémonie du peplos avec ses cinq personnages était le point culminant du récit. Elle est parfaitement encadrée par les colonnes centrales de la façade et se place au foyer du  demi-cercle des dieux  que suggère la présentation plane de ceux-ci. Les personnages debout sont nettement séparés des dieux qui les entourent. Manifestement, cette scène est la clef de l’interprétation de la totalité du récit. Or malgré de très nombreuses tentatives, jusqu’à présent personne n’avait livré la clef de l’énigme.


Figure 1 : Cérémonie du peplos. Centre de la frise Est. (British Museum)

Pour comprendre la signification de cette scène, Robert B. Johnson3 nous invite à relire le chapitre 9 de la Genèse, versets 18 à 25.

« Les fils de Noé qui sortirent de l’arche furent Sem, Cham et Japhet ; et Cham était le père de Chanaan. Ces trois sont les fils de Noé, et c’est par eux que fut peuplée toute la terre.

Noé, qui était cultivateur, commença à planter de la vigne. Ayant bu du vin, il s’enivra, et il se découvrit au milieu de sa tente. Cham, père de Chanaan, vit la nudité de son père, et il alla le rapporter dehors à ses deux frères. Alors Sem avec Japhet prit le manteau de Noé et, l’ayant mis sur leurs épaules, ils marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père. Comme leur visage était tourné en arrière, ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son plus jeune fils, et il dit: <Maudit soit Chanaan! Il sera pour ses frères le serviteur des serviteurs>. »

A première lecture ce passage laisse assez perplexe. Que Noé ait quelque peu abusé du fruit de sa vigne, qu’il se soit endormi nu sous sa tente et que son fils Cham l’ait surpris – sans mauvaise intention apparente – dans cet état, ne semble pas constituer une faute particulièrement grave pour Cham. Et pourtant, Noé apprenant ce qui s’était passé, proféra une terrible malédiction à l’encontre de Chanaan, son petit fils. C’est qu’en réalité le centre d’intérêt de ce récit n’est ni l’ivresse, ni la nudité de Noé, mais son manteau.

Le manteau, « ce vêtement qui enveloppe le corps a pour effet de concentrer la silhouette humaine, lui donnant ainsi une apparence de puissance. Des manteaux somptueux et richement ornés font partie des attributs impériaux (manteaux de couronnement). On a longtemps pensé qu’une partie de l’aura d’un homme passait dans son manteau, ce qui explique pourquoi il était l’attribut de nombreux prophètes qui se le transmettaient à tour de rôle. »4

Le manteau  représente donc la position et l’autorité d’une personne. Le manteau de Noé représente l’autorité de Noé, une autorité immense, celle du Patriarche ayant seul survécu au Déluge et père de toute l’humanité qui allait suivre.

Ce qui s’est passé, d’après ce passage de la Genèse, c’est que Cham ayant vu son père séparé du manteau de son autorité, il lui vint à l’idée que le moment était venu pour son père de renoncer à son pouvoir et de le transmettre à ses trois fils.

Mais Sem et Japhet ne furent pas d’accord et c’est pourquoi ils prirent tant de précautions pour revêtir leur père de son manteau afin de ne pas le voir séparé de son autorité. On comprend dès lors pourquoi Noé fut tellement courroucé contre Cham.

La malédiction visait spécifiquement Chanaan, mais on peut supposer que d’autres fils de Cham, et notamment Chus, partagèrent le désir de leur père de s’emparer de l’autorité de Noé. La suite de l’histoire montre Chus et surtout son fils Nemrod faire preuve de volonté de puissance et d’esprit de rébellion comme en témoigne l’épisode de Babel. Or, nous savons que dans la mythologie grecque Chus fut déifié sous le nom d’Hermès, alors que Nemrod fut Héraclès5. Quant à Noé, il est représenté par Nérée également appelé « le Vieil Homme de la Mer. » « Un dieu doux et loyal qui n’a que des idées justes et bienveillantes et ne ment jamais« , dit Hésiode. Il avait épousé Doris qui lui donna 50 filles ravissantes, les Néréides, dont l’une, Thétis, fut la mère d’Achille alors qu’une autre, Amphitrite, épousa Poséidon. Il existe de nombreux vases grecs montrant Héraclès arrachant le manteau de Nérée / Noé, ou simplement l’écartant de la scène.


Figure 2.  Naissance d’Erichtonios.

La plupart du temps le manteau de Nérée est reconnaissable par les étoiles dont il est semé, signe de son autorité venant des cieux. Le destin du manteau de Nérée / Noé est parfaitement exprimé par un vase représentant la naissance d’Erichtonios, fils de Gaïa (la Terre) et d’Héphaïstos / Caïn.

Les bras de Gaïa ornés de serpents présentent l’enfant, symbolisant l’humanité grecque, à Athéna sous le regard attendri de son père. Athéna est revêtue du manteau étoilé de Nérée / Noé montrant par là qu’elle détient désormais l’autorité qui fut celle de Noé. Remarquer aussi les serpents dans le dos d’Athéna, signe d’allégeance au véritable inspirateur de la nouvelle religion.

Le peplos était un tissu de laine carré de 2,40 m de côté environ et il était recouvert de broderies que les dieux inspectaient avec satisfaction lors de la présentation quadriennale à Athéna. Ces broderies devaient sans doute rappeler la victoire des Grecs sur les Géants que les 14 métopes de la façade Est célébraient déjà5.

Très brièvement, les Géants étaient les fils de Noé restés fidèles à Dieu que les promoteurs de la nouvelle religion, les dieux grecs, durent vaincre pour s’imposer. Cette victoire des dieux marquait le triomphe, après le Déluge, de la lignée de Caïn ressuscitée en celle de Cham, Chus et Nemrod. On comprend pourquoi les dieux se réjouissaient de la vue du peplos, symbolisant le transfert définitif du manteau de Noé et de son autorité à Athéna, la reine de la nouvelle religion qui affranchissait l’humanité de la soumission au Seigneur.

Alors que les représentations sur les vases de Chus / Hermès et de Nemrod / Héraclès sont très nombreuses, ce qui n’est pas surprenant en raison de leur rôle décisif pour assurer la victoire de la nouvelle religion sur celle de Noé, la figure de Cham leur père et grand-père, est beaucoup moins fréquente, bien qu’il fût le premier à avoir voulu s’emparer de l’autorité de son père, Noé. Pour les Grecs, Cham parait sous le nom de Chiron, Kειρον  signifiant la main. Parce que Cham / Chiron était à l’origine de la transmission à ses fils de l’autorité usurpée de Noé, les artistes grecs le représentent habituellement revêtu du manteau de Noé. Il est le plus souvent peint sous la forme d’un centaure amical.

Ceci est étrange dans la mesure où, pour les Grecs, les centaures représentaient la lignée de Seth, ennemie irréductible de la lignée de Caïn, dont la religion nouvelle se voulait l’héritière.

« Alors que les autres centaures étaient des créatures sauvages et féroces,  Chiron, tout au contraire, était connu partout pour sa bonté et sa sagesse, à tel point qu’on lui confiait et donnait pour disciples tous les jeunes fils des héros. Achille fut ainsi son élève, ainsi qu’Esculape [Asclépios] le grand médecin, et Actéon le chasseur fameux, et bien d’autres encore. »6

Si les Grecs, malgré leur haine des centaures, avaient tant de respect pour Chiron / Cham c’est qu’ils savaient  que la seule lignée survivante du Déluge était celle de Seth, celle des centaures, et qu’il fallait bien passer par un centaure pour recueillir l’héritage intellectuel et technique de la période pré-diluvienne. Chiron / Cham se trouvait ainsi, peut-être involontairement, à l’origine de la résurrection (par son fils Chus et son petit-fils Nemrod) de la lignée de Caïn, d’où son air résigné lorsqu’il assistait à une manifestation de la nouvelle religion. Mais alors que les centaures sont toujours représentés avec un torse d’homme et un corps de cheval, Chiron est peint en homme complet devant, avec seulement l’arrière train d’un cheval, marquant ainsi son statut privilégié parmi les centaures.

Il porte aussi souvent une branche, signature de la lignée de Seth, d’où pendent deux lièvres. Ceci pour exprimer le nouveau régime alimentaire prescrit par Dieu après le Déluge: « Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture; je vous donne tout cela comme je vous avais donné l’herbe verte. » (Gn 9,3). Chiron / Cham était donc le premier, avec sa famille, à bénéficier du nouveau régime alimentaire. Bel exemple, entre parenthèses, de la reconnaissance par l’iconographie de la véritable source de la mythologie grecque: le récit biblique.

Chiron / Cham est presque toujours représenté vêtu du manteau de Noé. La sympathie de la nouvelle religion grecque pour Chiron venait de ce qu’il avait tenté de s’emparer de l’autorité de son père, qu’il était donc rebelle, comme Caïn, et qu’il méritait donc bien de porter le fameux manteau.

Lorsque la religion sera affermie, ce manteau passera à Athéna, dont l’autorité, sous celle de Zeus, alias le Serpent, règnera sur l’âge grec.


Figure 3. Pélée enlève Thétis, la fille de Noé/Nérée. Chiron (à gauche) portant la branche indiquant son appartenance à la lignée de Seth, avec les deux lièvres. Chiron porte le manteau étoilé de Noé et pose un lion sur le dos de Pélée, fidèle de Zeus, pour signifier que le pouvoir temporel passe à la nouvelle religion.

La nouvelle religion ne s’est imposée que progressivement et l’iconographie des vases grecs montre plusieurs exemples de cette progression. Par exemple, un vase montre Hermès (Chus) portant son fils Héraclès (Nemrod) enfant, s’éloignant en courant de Chiron (Cham) portant le manteau de Noé7. Hermès et son fils fuient en réalité l’autorité de Cham qui, certes, voulait s’emparer de l’autorité de Noé, mais en restant fidèle à la lignée de Seth et non pas  fonder une nouvelle religion.

Ce que veulent, au contraire, Hermès (Chus) et Héraclès (Nemrod) c’est rétablir la lignée de Caïn et fonder une religion centrée sur l’homme: le projet de Babel. Le principal artisan de la victoire de cette religion nouvelle sera Héraclès et c’est ce que montre un autre vase où l’on voit Hermès accueillir avec joie son fils Héraclès sur le char de la victoire conduit par Nikè. C’est de cette victoire qu’Hermès rêvait en s’enfuyant d’auprès de son père Chiron (Cham).

Maintenant que nous connaissons la signification du peplos, le manteau de Noé, nous pouvons revenir à la scène centrale et finale de la frise du Parthénon (Fig.1).

Tous les quatre ans, donc, on présentait à Athéna le vêtement couvrant ensuite non pas la statue géante de la déesse dans le Parthénon, mais une autre statue en bois, plus ancienne et plus petite, tombée du ciel selon la légende. Mais avant de rejoindre les épaules d’Athéna, les dieux devaient examiner les scènes brodées du peplos et donner leur approbation. La scène finale montre le vêtement en train d’être plié, tandis que les dieux heureux bavardent aimablement. Jenifer Neils fait justement remarquer qu’en choisissant le moment suivant la présentation du peplos aux dieux, les sculpteurs montrent que le rituel a réussi et que le bien-être de la société athénienne est assuré.

Un prêtre et son jeune assistant tiennent le peplos. Leur tournant le dos, une prêtresse donne ses instructions à deux jeunes filles portant un tabouret sur la tête. Tout à l’heure, le prêtre et la prêtresse, debout sur ces tabourets, avaient tenu le peplos déployé devant les dieux assis en demi-cercle autour d’eux. La fête est terminée.

Alors que la Pâque juive célèbre la libération de son peuple par Dieu, les Panathénées célébrant la naissance d’Athéna, en sont l’exact contraire.

Le Dieu Créateur est rejeté avec son prophète Nérée / Noé. L’humanité peut se sauver seule. Les cieux appartiennent aux ancêtres déifiés de l’humanité, les surhommes traités comme des dieux. Et la terre appartient à la lignée reconstituée de Caïn. Erichtonios, « le né de la terre », était le fondateur légendaire des Panathénées, le festival de tous les Athéniens. Pourquoi ? Parce qu’il représente la nouvelle descendance d’Héphaïstos, Caïn déifié.

Nous avons vu qu’il est fait allusion à Nérée / Noé sur le fronton Ouest, sur les métopes Sud et Est et sur la frise. Nous verrons que les autres thèmes sculptés (métopes Nord et Ouest) font également des allusions significatives à Nérée / Noé.

L’Acropole est le lieu où l’autorité spirituelle de Noé et le souvenir du Dieu de Noé ont été enterrés sous la marée montante des aspirations de l’humanité centrée sur elle-même.

Voilà essentiellement ce que la cérémonie du peplos et toutes les Panathénées célébraient.

L’esprit de la religion grecque  est l’esprit de Babel:<Allons, bâtissons-nous  une ville et une tour dont le sommet soit dans le ciel…> (Gen.11:4) Dans les Panathénées et sur la frise qui en faisait mémoire, les Grecs se définissaient eux-mêmes comme ceux qui s’étaient emparés du manteau de Noé et l’avaient transmis à une humanité empressée de reprendre le flambeau de Caïn après le Déluge. Le manteau volé de Noé, brodé de scènes des dieux vainquant les  fidèles de YHWH, est le cadeau suprême aux surhommes assemblés au sommet de la cité. C’est l’humanité se célébrant elle-même. C’est la religion de l’humanisme et le rite de ceux <qui ont adoré et servi la créature de préférence au Créateur> (Rm.1,25)8.


1 Cf. Le Cep N° 29

2 Neils, Jenifer, The Parthenon Frieze, Cambridge U.P., 2001, p. 33. La plupart des informations du présent article sont tirées de ce remarquable ouvrage. 

3 Johnson, Robert Bowie Jr., The Parthenon Code, Solving Light Books, Annapolis, 2004

4 Encyclopédie des Symboles, article manteau, Livre de Poche, p. 393

5 Cf. Le Cep n° 29 : Athéna et Eden

5 Un prochain article présentera ces métopes et leur signification.

6 Hamilton, Edith, La Mythologie, Marabout, p. 380

7 Les lecteurs ayant accès à Internet pourront admirer ce vase (et bien d’autres) sur le site www.perseus.tufts.edu La référence du vase décrit ici est: Munich 1615 A

8 Johnson, Robert B., op.cit. pp. 118-119.

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