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Par Dean H. Kenyon
Réflexions sur la macroévolution
Dean H. Kenyon1
Résumé : Le Pape Benoît XVI semble un des rares théologiens à distinguer les mutations accidentelles à l’intérieur de l’espèce et le passage trans-spécifique (macroévolution). Dans le dernier ouvrage publié par celui qui était encore le cardinal Ratzinger (Foi, Vérité, Tolérance), il signalait même, en citant deux universitaires américains, qu’il n’y avait pas de preuves empiriques pour ces transitions. Trois spécialistes ont donc préparé chacun un bref article à ce sujet, remis à Benoît XVI par l’un d’entre eux, le Pr Maciej Giertych. On trouvera ici le texte rédigé par le biologiste Dean H. Kenyon, expliquant comment et pourquoi lui, qui enseignait précisément la théorie de l’évolution à l’Université, a cessé d’y croire. Et pendant plusieurs années il mit ses étudiants au défi de trouver une seule référence scientifique montrant la formation d’une nouvelle espèce. Aucune ne fut découverte.
Il est important désormais que change le climat intellectuel qui fait barrage à l’idée de Création, et le Vatican pourrait y contribuer.
Introduction
La théorie de la macroévolution est encore la doctrine régnante dans le monde universitaire et chez les intellectuels en général.2 Pour une grande majorité de scientifiques catholiques et non catholiques, c’est la seule vue admissible des origines. Cependant, au cours des cinquante dernières années, les signes d’une formidable contestation de la macroévolution n’ont pas cessé de croître.
Le nombre de savants en désaccord avec le néo-darwinisme3 aux USA, en Europe, en Australie et dans le monde croît constamment et plusieurs centaines d’entre eux ont rendu public leur désaccord.4 Pourquoi cela ? En partie parce que les progrès scientifiques récents en matière de biologie moléculaire, génétique, sédimentologie, théorie de l’information et autres ont jeté le doute sur certains des principes majeurs du darwinisme. Une autre raison est que les affirmations démesurées des macro- évolutionnistes ont dépassé de beaucoup les preuves authentiques. Leurs extrapolations vastes et injustifiées (par ex. dans le saut de la microévolution à la macroévolution) les rendent exceptionnels parmi les naturalistes. La rigueur intellectuelle qui tend à réduire les extrapolations injustifiées à partir des données empiriques, demeure intacte dans la plupart des autres disciplines scientifiques.
L’emprise universelle de la macroévolution sur la pensée scientifique moderne, et tout particulièrement sur celle des biologistes universitaires, a eu le malheureux effet d’étouffer toute discussion franche et ouverte des problèmes de la théorie de l’évolution, notamment dans la littérature spécialisée. Comme ma propre expérience et celle de nombreux autres le démontrent, il existe de puissantes censures dans le monde universitaire qui limitent fortement l’expression des doutes et désaccords sur l’évolution.
Cela va d’une nouvelle affectation d’enseignement malgré la compétence technique et l’expérience, au déni de financement de la recherche et d’accès au laboratoire, au refus de congés sabbatiques, à dissuader les étudiants de travailler avec l’insoumis, à l’ostracisme, au déni de titularisation voire à la perte de l’emploi. Dans un climat aussi étouffant il n’est pas surprenant que beaucoup de professeurs qui ont des doutes privés sur l’évolution choisissent de ne pas rendre publics ces doutes.
Pour un biologiste universitaire imbibé de darwinisme, un passage de l’évolution vers une vision non évolutionniste des origines cosmiques et biologiques, implique souvent un grand effort intellectuel et une rude épreuve. Le processus peut prendre des années de combats intenses avec de nombreuses sortes d’arguments techniques et de preuves empiriques. Dans mon cas, le processus a commencé par la découverte de la littérature créationniste, lors de ma huitième année d’enseignement de l’évolution dans le département de Biologie de l’Université d’État de San Francisco, après avoir rejoint le corps enseignant comme darwinien convaincu et chimiste évolutionniste.
Les munitions me furent gracieusement données par mon étudiant, Solomon Darwin. Elles comprenaient un livre intitulé The Creation of Life: A Cybernetic Approach to Evolution [La création de la vie: une approche cybernétique de l’Évolution] par A.E. Wilder-Smith5. Dans ce livre le professeur Wilder-Smith donnait une longue réfutation de la thèse de Biochemical Predestination6, une monographie sur l’origine de la vie dont j’étais le co-auteur avec le Dr Gary Steinman. J’ai dit à Solomon Darwin que je lirais et réfuterais les arguments de Wilder-Smith pendant les vacances d’été et que j’en discuterais avec lui à la rentrée d’automne. En fait, je découvris que je ne pouvais pas répondre aux arguments du professeur Wilder-Smith contre la théorie de l’évolution chimique.
Comme il le démontrait si clairement, le point crucial du problème de l’origine de la vie était et demeure l’origine spontanée (naturelle) de l’information génétique. Aucune explication naturelle convaincante de l’origine de la première information génétique n’a jamais été donnée, pas plus que pour l’origine de l’information génétique nouvelle, indispensable à la formation macroévolutioniste prétendue de nouveaux types d’organismes7.
Microévolution et Macroévolution.
« Microévolution » désigne des changements génétiques à l’intérieur d’une espèce ; elle peut s’étendre à la formation de quelque nouvelle espèce à l’intérieur d’un genre. « Macroévolution » désigne l’apparition de nouvelles espèces, de nouveaux genres ou de catégories taxinomiques plus complexes. Les journaux de biologie évolutionniste, tels que Evolution, Journal of Evolutionary Biology et Evol.Ecol., contiennent beaucoup d’articles sur des processus observés de microévolution. Mais dans ces journaux il n’y a pratiquement aucun article décrivant une observation directe de changement macroévolutionniste, bien que le journal Evolution ait été créé « …dans le but de réparer la division » [entre micro et macro- évolution]8.
La littérature paléontologique, de son côté, contient d’abondantes discussions de changements évolutionnistes à grande échelle tels qu’on les croit montrés par les fossiles. Cependant, dans ce cas on doit soigneusement distinguer entre la description des fossiles (et des roches dans lesquelles ces fossiles et ceux qui leur ressemblent morphologiquement sont trouvés) et les conclusions sur les filiations hypothétiques de la macroévolution.
Cette question dépasse l’objet de cet article, mais elle a été largement analysée à la fois par les partisans de la macro- évolution9 et par leurs critiques.
Il n’y a pas de contestation sérieuse sur la réalité des processus de microévolution. Ceux-ci sont abondamment confirmés et acceptés par les non-évolutionnistes, mais les manuels universitaires donnent à leurs lecteurs l’impression que tant la micro que la macro évolution ont été démontrées par des preuves empiriques et que les deux échelles d’évolution forment un vêtement sans couture. Dans les manuels, des exemples de populations réelles connaissant des changements microévolutifs, sont décrits en détail et sont généralement référencés dans la littérature spécialisée. Mais l’étudiant tombe rapidement sur des diagrammes d’arbres phylogénétiques montrant, par exemple, la prétendue origine de tous les ordres de mammifères à partir d’un ancêtre commun hypothétique. L’impression créée par de tels diagrammes, avec leurs traits continus en gras reliant l’espèce ancestrale commune aux premiers représentants des ordres des mammifères, est que de nombreux fossiles confirment toutes ces lignées. Or en réalité, les fossiles de transition comblant les vides entre les grands types d’organismes sont systématiquement absents des couches fossilifères, malgré l’existence de quelques fossiles fascinants tels que l’Archaeopteryx, le Basilosaurus isis, ou les reptiles ressemblant à des mammifères. Cette absence de séries de transition est sans doute plus évidente aujourd’hui qu’elle ne l’était du temps de Darwin10.
Je suis devenu conscient pour la première fois de cette disparité entre les affirmations des manuels sur les processus macro évolutionnistes (par ex. la spéciation animale) et la situation réelle des preuves, lorsque j’essayai de fournir à mes étudiants des références crédibles dans la littérature spécialisée. Pendant les années de mon enseignement du principal cours de notre Département sur l’évolution, je ne parvins pas à trouver une seule référence probante montrant la formation d’une nouvelle espèce d’animal, soit en laboratoire, soit dans la nature. C’était un fait étonnant puisqu’une bonne centaine d’années s’étaient écoulées depuis la publication de l’Origine des Espèces de Darwin. Pensant que mes élèves pourraient aider à localiser les références manquantes, pendant plusieurs années je mis au défi chaque classe de m’apporter une référence montrant la formation d’une nouvelle espèce animale. Les étudiants n’apportèrent jamais aucune référence, mais le défi devint connu de mes collègues et, de temps en temps, (environ une fois tous les 2-3 ans), un papier prétendant démontrer un cas de spéciation animale observé directement (par ex. la formation d’une nouvelle espèce de Drosophilia dans une expérience de population en cage) faisait son apparition dans ma boîte aux lettres, parfois signé et parfois anonyme. Dans tous les cas ces quelques articles, après examen attentif, ne démontraient pas ce que leur titre promettait avec assurance. Il y avait toujours un problème, par exemple le manque de preuve que l’isolement reproductif entre deux sous-populations était stable durant les multiples générations dans les conditions de l’expérience.
Pour les raisons évoquées ci-dessus, mes doutes sur la réalité de la macroévolution continuèrent à se développer avec l’aide d’une autre considération. La formation par évolution de nouveaux genres et de taxons plus complexes aurait requis l’addition naturelle de quantités substantielles de l’exact genre de nouvelle information génétique aux génomes de l’organisme évoluant, pour que les nouveaux traits structurels et les mécanismes physiologiques se développent.
Un tel processus évolutionniste aurait supposé l’accumulation peut-être de centaines de mutations favorables et coordonnées dans la même lignée.
Mais l’immense majorité des mutations confirmées sont soit délétères pour l’organisme dans lequel elles surviennent, soit au mieux sélectivement neutres11. Je devins progressivement convaincu qu’on ne trouverait pas de processus naturel d’augmentation de l’information. On ne trouvait absolument pas dans la littérature de processus spontané convaincant pour générer la nouvelle information génétique requise par la macroévolution, malgré des suggestions telles que la duplication des gènes suivie de différentes séries de mutations dans les gènes originaux et dupliqués12.
Il y avait encore une autre considération: le mécanisme darwinien soutenant l’évolution met en œuvre des variations génétiques parmi les individus d’une population d’organismes sur les phénotypes desquels la sélection naturelle agit. La source de l’évolution (à long terme) est les mutations dans le matériel génétique. Ces mutations sont dites « aléatoires » en ce sens qu’elles surviennent d’une manière sans corrélation avec les besoins d’adaptation des organismes à leur environnement. Dans ce sens les mutations qui contribuent positivement au bien-être global des organismes (c’est-à-dire en améliorant leur avantage compétitif) se produisent fortuitement. Mais remarquez qu’il est présumé ici que les mutations couvriront en fait un champ assez large pour garantir que parmi elles il y en aura toujours certaines qui contribueront à la formation de nouveaux traits d’adaptation13.
Mais les génomes des organismes possèdent, inscrites en eux, de puissantes limitations à leur capacité au changement. Et les macro-évolutionnistes eux-mêmes fournissent la preuve que les « paysages d’adaptation » restreignent ce que la sélection naturelle peut effectuer dans l’évolution des populations14.
La convergence de toutes ces difficultés fit apparaître comme de moins en moins probable que la macroévolution se soit jamais produite. La situation intellectuelle dans mon propre domaine de recherche, l’origine de la première vie, augmenta mes doutes sur la macroévolution et, en fait, les poussa jusqu’à la rupture.
Conclusion
À tout le moins nous pouvons conclure que le darwinisme n’est plus la citadelle imprenable qu’il parut être pour tant de scientifiques et autres intellectuels pendant si longtemps. Le nombre de rebelles scientifiques continue de croître, et ce remarquable mouvement va probablement s’accélérer lorsque le problème de l’origine de l’information génétique sera carrément posé dans de plus nombreux domaines de la communauté scientifique. Le mouvement se produit dans beaucoup de pays différents, parmi les protestants, les catholiques et les orthodoxes, les juifs et les musulmans, aussi bien que chez des agnostiques. Mais une grande majorité d’universitaires demeure apparemment convaincue de la justesse fondamentale de l’explication évolutionniste des origines biologiques. Pour les non biologistes d’entre eux, et même pour beaucoup de biologistes spécialisés dans d’autres domaines que l’évolution, cette foi est fondée plus souvent sur la confiance que sur la familiarité avec les détails du dossier empirique de l’évolution.
Ensuite il y a ceux qui ont des doutes sur tel ou tel aspect du darwinisme, ou de la macroévolution, mais qui, pour des raisons personnelles, ne veulent pas faire ouvertement dissidence.
C’est ma très forte conviction que nous avons désormais suffisamment de preuves empiriques et d’arguments scientifiques solides pour soutenir une vigoureuse réaffirmation de la doctrine catholique de la Création, telle que comprise par les Pères et les Docteurs de l’Église. Les nombreux problèmes scientifiques du darwinisme devraient être largement débattus, tant à l’intérieur qu’au-delà de l’Université. De telles discussions au sein de la science académique et dans les cultures nationales en général devraient être largement encouragées. S’ils étaient soutenus par le Saint-Siège, beaucoup d’universitaires se mêleraient à la discussion, alors qu’ils hésitent encore. Le climat intellectuel mondial pourrait connaître rapidement un grand changement suite à un tel soutien manifestant la bienveillance et la magnanimité du Vatican.
(Traduction Claude Éon)
1Professeur émérite de Biologie (San Francisco State University)
2 « Macroévolution » signifie l’évolution de nouvelles espèces bien distinctes allant jusqu’au genre et aux catégories taxinomiques plus complexes.
3 Néo-darwinisme (ou simplement darwinisme) exprime l’idée que la diversité des organismes vivants est le résultat d’un processus naturel matérialiste et non programmé ayant commencé avec les premières cellules vivantes. Le mécanisme darwinien du changement évolutionniste suppose une variation génétique aléatoire parmi les individus d’une population et une sélection naturelle des variations les mieux adaptées aboutissant à la formation de nouvelles espèces à partir des espèces ancestrales. De cette façon tous les microbes fossiles et vivants, les plantes et les animaux ont évolué pendant des milliards d’années.
4 Cf. par exemple Dissent from Darwinism à: http://www.discovery.org/csc/
51970, Harold Shaw Publ., Wheaton, IL
61969, McGraw-Hill, New York
7S.G. Meyer 2004, The Origin of Biological Information and the Higher Taxonomic Categories. Proc. Biol. Soc. Washington 117(2): 213-239.
8S.M. Stanley 1979, Macroevolution: Pattern and Process, W.H. Freeman, San Francisco, p. 2.
9 S.J. Gould 1977, Evolution’s Erratic Pace, Nat. Hist. 86(5), 12-16
10 D. Raup 1979, Conflicts Between Darwin and Paleontology, Field Mus.Nat. Hist. Bull. 50:22
11 J.C. Sanford 2005, The Mystery of the Genome, Ivan Press, Lima, N.Y., Chap. 9.
12 M.J. Behe & D.W. Snoke 2004, Simulating Evolution by Gene Duplication of Protein Features That Require Multiple Amino Acid Residues, Protein Sci. 13:2651-2664.
13 Pour une considération analogue appliquée à l’origine des premières cellules vivantes, cf. D.H. Kenyon 1974, Prefigured Ordering and Protoselection in the Origin of Life, dans The Origin of Life and Evolutionary Biochemistry, Festschrift Volume for Prof. A.I. Oparin (K Dose, S.W. Fox, G.A. Deborin & T.E. Pavlovskaya, Eds) Plenum Press, New York, pp. 207-220.
14 S.P. Miller, M. Lunzer & A.M. Dean 2006, Direct Demonstration of an Adaptive Constraint, Science 314: 458-461.