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Par Hugh Owen

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Une amnésie collective1

Résumé : Haeckel (1834-1919), le traducteur de Darwin en Allemagne, est moins connu que son inspirateur britannique, mais eut peut-être plus d’influence que lui, car il était engagé dans le courant libre-penseur qui allait peu à peu l’emporter dans les universités du continent. Il considéra tout d’abord l’Église catholique comme son plus formidable adversaire, compte tenu de l’incompatibilité évidente entre la Genèse – avec les dogmes associés – et l’évolutionnisme, avec l’origine simiesque de l’homme. Puis il nota l’apparition de théologiens de compromis et osa prédire, par nécessité logique, que l’Église en viendrait à accepter l’évolution. A contrario, il est clair que cet « évolutionnisme théiste » ne sera surmonté que par un retour à la doctrine de l’inerrance, y compris scientifique et historique, de la Bible.

Dans une lettre récente, nous avons démontré que les catholiques ont souffert d’amnésie collective à propos de la véritable doctrine catholique de la création, exactement comme nos ancêtres dans la foi, les Hébreux, ont souffert d’amnésie collective à propos de la Genèse et du reste de la Loi pendant de longues périodes en deux occasions, au moins, de l’histoire du salut.

Dans la présente lettre, j’aimerais démontrer que cette amnésie collective à propos de l’histoire sacrée de la Genèse a commencé, en réalité, beaucoup plus tôt qu’on ne le pense et que ceci a jeté la confusion chez les théologiens des années 1890 et début 1900, avec l’idée d’une évolution allant jusqu’au corps humain et aussi avec les chronologies longues, alors que la société catholique pouvait donner l’impression d’être en bonne santé. Aujourd’hui, quelques théologiens bien intentionnés et d’orientation traditionnelle concluent à tort que ces idées sont inoffensives parce qu’elles furent largement tolérées bien longtemps avant la révolution contre la liturgie du rite romain et les autres enseignements traditionnels de l’Église concernant la foi et la morale.

Contrairement à une croyance populaire dans le monde anglophone, Charles Darwin ne fut pas un propagandiste de l’évolution-du-microbe-à-l’homme aussi persuasif que son collègue allemand Ernst Haeckel (1834-1919), auteur de dessins frauduleux pour « prouver » la commune descendance de toutes les créatures à partir d’une cellule « primitive », l’ancêtre commun. La « preuve » bidon de Haeckel fut l’unique élément de propagande le plus efficace pour convaincre l’élite intellectuelle occidentale que l’évolution-du-microbe-à-l’homme était un fait scientifique et non une grossière conjecture2. Elle convainquit les intellectuels catholiques – depuis le père John Augustine Zahm (1851-1921) de l’université Notre-Dame (Indiana, É.-U.), à l’aube du XXe siècle, jusqu’au jésuite Karl Rahner (1904-1984) vers la fin du XXe siècle – que l’enseignement traditionnel de l’Église sur la création spéciale d’Adam et d’Ève avait été démontrée fausse par cette découverte « scientifique ».

schéma d'embryons

Fig. 1. Comparaison des embryons de huit espèces de vertébrés, à trois stades différents de leur évolution, telle que donnée frauduleusement par Haeckel en 1874 dans son Anthropogenie.

Haeckel lui-même, dans son livre Derniers mots sur l’Évolution3,reconnut la rapidité avec laquelle l’élite intellectuelle catholique avait changé de position sur l’évolution. Il salua « les efforts intéressants que l’Église a récemment faits pour établir un compromis pacifique avec son ennemie mortelle, la science monistique4. Elle a décidé d’accepter dans une certaine mesure et de concilier avec sa foi (sous une forme déformée et mutilée) la doctrine de l’évolution à laquelle elle s’était opposée avec véhémence pendant trente ans. Ce remarquable changement d’attitude de la part de l’Église militante m’a semblé si intéressant et important et en même temps si trompeur et si malveillant, que je l’ai choisi comme sujet d’une conférence populaire et ai accepté cette invitation à Berlin.

Il était évident que tant la théorie générale de l’évolution que son extension à l’homme en particulier devaient rencontrer dès le début la résistance la plus déterminée de la part des Églises. Toutes deux sont en contradiction flagrante avec l’histoire mosaïque de la création et des autres dogmes bibliques qui en dépendent et qui sont encore enseignés dans nos écoles élémentaires. On doit à la perspicacité des théologiens et de leurs associés, les métaphysiciens, d’avoir tout de suite rejeté le Darwinisme et d’avoir dans leurs écrits opposé une résistance particulièrement énergique à sa principale conséquence, l’ascendance simiesque de l’homme. Cette résistance parut d’autant plus justifiée et encourageante que, pendant sept ou huit ans après la publication de Darwin, peu de biologistes acceptaient sa théorie, et que l’attitude générale parmi eux était celle d’un froid scepticisme.

Je puis en témoigner par ma propre expérience. Lorsque, pour la première fois je me fis ouvertement l’avocat de la théorie de Darwin à un congrès scientifique, à Stettin en 1863, je fus presque seul et fus blâmé par la grande majorité pour avoir pris au sérieux une théorie aussi fantasmagorique, « le rêve d’une sieste d’après dîner » comme l’appelait Keferstein, le zoologiste de l’université de Göttingen5 ».

Ici Haeckel révèle plusieurs faits oubliés qui doivent être rappelés d’urgence aux intellectuels catholiques. Premièrement, il reconnaît que l’Église rejetait complètement l’hypothèse darwinienne – l’évolution continue du-microbe-à-l’homme – durant la première décennie suivant la publication de L’Origine des espèces. Fait plus important encore, Haeckel révèle l’une des principales raisons pour laquelle le Pape et les évêques n’ont pas éprouvé le besoin d’anathématiser l’évolution biologique à l’époque du premier concile du Vatican, à savoir que la « théorie » était jugée, à juste titre, si « fantasmagorique » qu’elle n’avait pas besoin d’être prise au sérieux. Par exemple, lorsque le bienheureux pape Pie IX approuva l’œuvre du Dr Constantin James, éminent médecin catholique français, pour son livre Du Darwinisme, ou l’homme-singe (1877) dans lequel il réfutait « les aberrations du darwinisme », le Pape précisait :

« Un système que repoussent à la fois l’histoire, la tradition de tous les peuples, la science exacte, l’observation des faits et jusqu’à la raison elle-même, semblerait n’avoir besoin d’aucune réfutation, si l’éloignement de Dieu et le penchant au matérialisme, provenant de la corruption, ne cherchaient avidement un appui dans tout ce tissu de fables. Celles-ci, du reste, démenties de tous côtés par les arguments les plus simples, portent, de plus, en elles la marque évidente de leur propre insanité. Et, en effet, l’orgueil, après avoir rejeté le Créateur de toutes choses et proclamé l’homme indépendant, voulant qu’il soit son roi, son prêtre et son Dieu, l’orgueil en arrive, par toutes ces folies de son invention, à ravaler ce même homme au niveau des animaux sans raison, peut-être même de la matière brute, confirmant ainsi, à son insu, la parole divine : « Où l’orgueil a été, là aussi sera la honte ! » (Pr 11, 2).

Mais la corruption de ce siècle, les artifices des pervers, le danger pour les simples, exigent que de semblables rêveries, tout absurdes qu’elles sont, comme elles se servent du masque de la science, soient réfutées par la science vraie6. »

Il faut remarquer qu’en tête de liste des matières qui répugnent tant à ce « tissu de fables » de Darwin, le bienheureux Pie IX cite non pas les sciences naturelles, mais l’histoire et « les traditions des peuples ». L’« amnésie collective » de l’héritage catholique inclut notre oubli presque complet du fait que nos Pères dans la foi considéraient, à juste titre, que l’information historique du Livre de la Genèse était une donnée inerrante permettant aux savants catholiques de déterminer l’âge approximatif de l’univers. En outre, nos Pères dans la foi reconnaissaient que « les traditions des peuples » comprenaient une mémoire vivante des événements-clés de l’histoire humaine, tels que la création d’un couple originel en état de perfection, sa perte de la grâce, un Déluge universel et une confusion des langues à la Tour de Babel. À juste titre, les intellectuels catholiques comme le Bx pape Pie IX et Orestes Brownson7 prenaient cette mémoire historique beaucoup plus au sérieux que les extrapolations extravagantes de Darwin et de ses disciples sur un passé ne pouvant être ni examiné ni reproduit.

À la lumière de ces faits, il n’est pas étonnant que le Pape et les évêques du concile de Vatican I, en 1869-1870, aient réaffirmé le décret dogmatique Firmiter de Latran IV (en 1215) sur la création et anathématisé la proposition selon laquelle « les progrès de la Science » demandaient que la doctrine de la création, entre autres, fût modifiée ; mais ils ne virent pas la nécessité de condamner explicitement l’évolution-de-la-molécule-à-l’homme. C’était aussi parce que la règle d’or, pour enseigner et prêcher la foi à l’époque de Vatican I, était le Catéchisme Romain, le catéchisme du concile de Trente (en 1545-1563), qui enseignait clairement que Dieu créa spécifiquement toutes les différentes espèces de créatures, l’homme y compris, en six jours, exactement comme rapporté par Moïse dans ce que le Catéchisme Romain appelle « l’histoire sacrée de la Genèse ». Le même Catéchisme enseigne aussi que Dieu se reposa littéralement le septième jour du travail d’avoir créé de nouvelles espèces de créatures, excluant ainsi totalement l’hypothèse d’une évolution de-la-molécule-à-l’homme sous ses formes théistes ou athées, ainsi qu’une création progressive, soit l’idée que Dieu aurait étalé la création sur des millions d’années.

Tout naturellement, dans ses Derniers Mots sur l’Évolution Haeckel considéra sa réussite à transformer son plus grand ennemi, l’Église, en un actif partisan comme « son plus grand triomphe ». Il écrit : « Aujourd’hui, alors que l’évolution est presque universellement reconnue en biologie, que des milliers de travaux en anatomie et physiologie sont fondés sur elle chaque année, la nouvelle génération peut à peine avoir une idée de la violente résistance qui fut opposée à la théorie de Darwin et des luttes passionnées qu’elle provoqua. Tout d’abord, les Églises élevèrent une protestation vigoureuse ; elles regardèrent à juste titre leur nouvel adversaire comme l’ennemi mortel de la légende de la création, et elles virent menacés les fondements mêmes de leur croyance… Notre science de l’évolution remporta son plus grand triomphe lorsque, à l’aube du XXe siècle, ses plus puissants adversaires, les Églises, se réconcilièrent avec elle et essayèrent de lui adapter leurs dogmes8. » [souligné par nous]

Haeckel poursuit en notant le rôle exceptionnel joué par les savants de la Société de Jésus dans l’accomplissement de cette révolution contre les « fondements » de la croyance. Il écrit :

« Le P. jésuite Wasmann et ses collègues ont, involontairement, rendu un très grand service au progrès de la science pure. L’Église catholique, la plus puissante et la plus considérable des sectes chrétiennes, s’est vue elle-même contrainte de capituler devant l’idée de l’évolution. Elle adopte l’application la plus importante de l’idée, la théorie de la descendance selon Lamarck et Darwin, qu’elle avait vigoureusement combattue jusqu’à il y a vingt ans. Vraiment, cela mutile le grand arbre, coupant ses racines et ses branches les plus hautes. Certes, elle rejette encore la génération spontanée à la base et la descendance de l’homme d’ancêtres animaux au sommet. Mais ces exceptions ne dureront pas. La biologie impartiale n’en tiendra pas compte et la foi religieuse reconnaîtra à la fin que les espèces les plus complexes ont évolué à partir de formes plus simples conformément aux principes de Darwin. […] La reconnaissance publique de [la vérité de l’évolution] par le père Erich Wasmann [1859-1931] mérite une attention particulière et nous pouvons en attendre de plus grands fruits. Si sa force de conviction et son courage moral sont assez puissants, il tirera les conclusions normales de ses hautes réalisations scientifiques et quittera l’Église catholique comme d’autres jésuites éminents – le comte Hoensbroech et le savant géologue et professeur Renard de Gand, l’un des acteurs de l’expédition Challenger9 sur les dépôts en mer profonde – l’ont fait récemment. Mais même si cela n’arrive pas, sa reconnaissance du darwinisme, au nom de la foi chrétienne, restera un jalon dans l’histoire de l’évolution. Sa tentative ingénieuse et très jésuitique d’unifier des pôles opposés n’aura pas d’effet nuisible ; elle tendra plutôt à hâter la victoire de la conception scientifique de l’évolution sur les croyances mystiques des Églises10. »

Avec cette déclaration, Haeckel analysait avec une grande perspicacité la faible argumentation avec laquelle l’évolutionnisme théiste tentait de concilier l’évolution de-la-molécule-à-l’homme avec le dogme opposé de la création. Il anticipa à juste titre que, si les théologiens catholiques acceptaient le point de vue naturaliste de Darwin et de ses disciples sur les origines de l’homme et des autres êtres vivants et qu’ils abandonnaient l’enseignement constant de l’Église sur la doctrine fondamentale de la Création, les catholiques réfléchis comprendraient l’absurdité de vouloir concilier ces contraires. Il comprenait que les théologiens, en permettant aux savants naturalistes de légiférer pour eux sur le dogme de la création, finiraient par céder sur le primat de la théologie comme reine des sciences, autorisant dès lors la science naturaliste à usurper sa place. Haeckel releva aussi l’ironie du fait que les jésuites et autres apologistes catholiques de l’évolutionnisme théiste, à la fin du XIXe siècle, essayèrent de faire comme si l’Église « avait admis la théorie de l’évolution depuis des décennies » alors que seulement une ou deux décennies auparavant l’Église était unie contre l’évolution, menace mortelle pour les fondements mêmes de la Foi.

Comme le dit bien Karl Escherisch11 : « Jusqu’ici nous avons lu sur les figures de nos adversaires cléricaux seulement haine, amertume, mépris, moquerie ou pitié à l’égard du nouvel envahisseur de leur structure dogmatique, l’idée de l’évolution. Maintenant (depuis l’apostasie de Wasmann), les protestations des journaux catholiques affirmant que l’Église catholique avait admis la théorie de l’évolution depuis des décennies, nous fait sourire. L’évolution est maintenant arrivée à sa victoire finale et ces gens-là voudraient nous faire croire qu’ils ne lui furent jamais hostiles, qu’ils n’ont jamais hurlé et fulminé contre elle. “Comment, disent-ils, quelqu’un aurait-il pu être assez fou pour la contester, alors que la théorie de l’évolution jette sur la sagesse et la puissance du Créateur une lumière plus noble que jamais !”. Nous trouvons une retraite diplomatique semblable dans l’œuvre en vogue du père jésuite Martin Gander, The Theory of Descent (1904: “Ainsi les formes modernes de la matière ne furent pas créées par Dieu immédiatement ; elles sont les effets des forces formatives placées par le Créateur dans la matière primitive et elles apparurent graduellement au cours de l’histoire de la terre, lorsque les conditions extérieures se trouvèrent dans la bonne configuration.” Ceci constitue un changement de position remarquable de la part du clergé12. »

Oui ! vraiment, les forces anticatholiques « sourient » toujours de ce « remarquable changement de position », enchantées de voir des intellectuels catholiques comme le Dr Ken Miller13 nous assurer que l’interprétation historique littérale de la Genèse était une invention des protestants fondamentalistes de la fin du XIXe siècle, en contradiction flagrante avec le fait indiscutable que chacun des Pères et Docteurs de l’Église aurait donné sa vie pour défendre la vérité historique littérale de chaque mot de « l’histoire sacrée de la Genèse ». Dans un accomplissement remarquable des prédictions de Haeckel, le Dr Miller assure à ses jeunes audiences que les savants du XXIe siècle découvriront comment la vie est sortie de la matière inerte lorsque « les conditions extérieures furent dans la bonne configuration », sans acte créateur spécial de Dieu. Ainsi, comme le prédisait Haeckel, l’évolutionnisme théiste catholique conventionnel est désormais impossible à distinguer de l’évolutionnisme athée, sauf par son acceptation de l’idée absurde que Dieu aurait introduit une âme humaine lors de la conception de deux primates infrahumains !

L’arme secrète de Lucifer contre la vraie doctrine catholique de la Création

Comprendre combien gravement les intellectuels catholiques se sont laissé tromper à la fin du XIXe siècle (et au début du XXe), peut constituer le premier pas afin de nous libérer de l’esclavage intellectuel envers une foule d’erreurs liées à l’évolution. Mais il y a une pièce du puzzle que Haeckel ne peut pas fournir, et c’est ce qui concerne les sources de la doctrine catholique sur la création de l’homme et de l’univers. Nous avons vu que dix ans après la publication de L’origine des espèces, le premier concile du Vatican réaffirma le décret Firmiter de Latran IV qui avait défini la création par Dieu « de toutes choses… tout ensemble (simul)… dès le commencement du temps (ab initio temporis) ». Une objection souvent soulevée par les auteurs modernes contre la thèse selon laquelle le décret Firmiter de Latran IV (et Vatican I) voulait définir une fois pour toutes que Dieu avait créé toutes les différentes espèces de créatures corporelles au commencement du temps, soutient que le Firmiter lui-même est rarement mentionné par les théologiens ou Docteurs de l’Église dans leurs écrits contre les erreurs ultérieures relatives à la doctrine de la création. Si le Firmiter, dit l’argument, avait l’intention de définir la création de toutes les différentes espèces de créatures corporelles au commencement du temps, dit l’argument, alors les Docteurs ultérieurs et les théologiens éminents auraient cité ce fameux Firmiter comme preuve textuelle contre les hérétiques postérieurs qui dévièrent de la vraie doctrine de la création ; ce qu’ils ne firent pas….

Malheureusement, l’objection illustre cette attitude qui rend si difficile aux auteurs modernes de comprendre correctement la pensée des auteurs médiévaux et du Firmiter, une attitude d’irrévérence envers l’Écriture Sainte totalement inerrante en tant que Parole de Dieu, inspirée par Dieu. L’intention du Firmiter était de corriger les hérésies basées sur le rejet ou l’interprétation erronée des premiers chapitres de la Genèse, mais il n’avait nullement pour but de remplacer la Genèse comme source première d’information révélée par Dieu sur la création du monde. L’idée commune, chez les théologiens de nos jours, que le contenu de Genèse 1-3 n’est pas suffisant pour prouver que Dieu créa par son fiat toutes les différentes espèces de créatures au commencement du temps, aurait été incompréhensible non seulement pour le pape Innocent III et pour les Pères de Latran IV, mais aussi pour le Bx pape Pie IX et le pape Léon XIII. D’ailleurs, dans l’un des manuels les plus respectés de théologie dogmatique publié après Vatican I, la Dogmatique, son auteur, le père Matthias Joseph Scheeben (1835-1888), rejetait complètement l’évolution-du-microbe-à-l’homme et soutenait la création spéciale de toutes les espèces différentes de créatures, l’homme y compris. Cependant, bien que la Dogmatique fût écrite immédiatement après Vatican I, traduite en français et publiée à Paris chez Palmé en 1877, la défense par Scheeben de la doctrine de la création spéciale ne repose pas sur le Firmiter de Latran IV et de Vatican I, mais sur le témoignage de l’histoire sacrée de la Genèse. Selon les termes d’un Manuel de théologie catholique fondé sur la Dogmatique de Scheeben, les auteurs expliquent que :

« Les êtres organiques, qui maintenant se reproduisent par génération, ne doivent leur existence ni à la génération spontanée, ni à l’évolution inconsciente de la matière et des forces inorganiques ; chaque espèce a été créée pour représenter un modèle divin14 et elle a reçule pouvoir de seperpétuer en produisant des individus de la même espèce. Cette doctrine est très expressément contenue dans le récit de la création de la Genèse15. »

Répétons-le, le Firmiter de Latran IV (repris par Vatican I) voulait exclure les enseignements erronés sur la création fondés sur le rejet ou l’interprétation fautive de la Genèse, et nullementremplacer la Genèse comme récit inerrant donné par Dieu pour expliquer comment Il créa toutes les différentes espèces de créatures spirituelles et corporelles pour l’homme au commencement du temps. Ainsi, pour saint Thomas et les Docteurs de l’Église qui vinrent après lui, jusqu’à la génération du « plus grand triomphe » de Haeckel, il suffisait de dire que « d’après Moïse, Dieu disait X, Y ou Z » pour régler la question. Aucune référence à un concile de l’Église ou à un document pontifical n’était nécessaire. Cependant, l’un des signes du « plus grand triomphe » de Haeckel fut l’érosion de la foi de beaucoup d’intellectuels catholiques dans l’inerrance des Écritures, à commencer par le Livre de la Genèse. Ceci, à son tour, donna naissance à l’attitude moderne, si commune aujourd’hui même chez les théologiens amis de la Tradition, d’insister pour avoir quelque décret conciliaire ou pontifical ratifiant la vérité historique littérale de l’Écriture Sainte. L’arme secrète de Lucifer dans sa guerre contre la vraie doctrine de la création a été l’abandon du respect immémorial pour l’Écriture Sainte et pour son inerrance qui était la marque de tous les Pères, Docteurs et maîtres en sacrée théologie de toutes les générations qui précédèrent le « grand triomphe » de Haeckel. Débarrassées de cetee vénération pour la Parole de Dieu, les générations suivantes d’auteurs catholiques jusqu’à nos jours, demandent en vain la preuve que le Firmiter de Latran IV et Vatican I exclut l’évolution théiste et la création progressive, sans se soucier du fait que c’est seulement dans l’atmosphère appauvrie de la foi depuis le « grand triomphe » de Haeckel que les auteurs catholiques cherchent partout sauf dans « l’histoire sacrée de la Genèse » la source de la vraie doctrine catholique de la création16.


1 Repris du Kolbe Center Report de janvier 2020. https://kolbecenter.org/ Traduit par Claude EON.

2 NDLR. Sur cette question se reporter à « Haeckel démasqué », in Le Cep n°6, février 1999, p. 1-12.

3 NDLR. Titre original en allemand : Der Kampf um den Entwickelungsgedanken, 1905, litt. Le Combat autour de la pensée de l’évolution.

4 NDLR. Le monisme – monismus en allemand, du grec μόνος monos « seul, unique », terme forgé par Christian WOLFF en 1734 – est le nom donné par Haeckel à la religion dont il fut l’inventeur et le propagandiste, sorte de panthéisme affirmant que la seule réalité est la nature corporelle qui engendre la sensibilité et la conscience. Les ouvrages de Haeckel furent traduits en France par Reinwald, l’éditeur des rationalistes

5 E. HAECKEL, Last Words on Evolution.

6 Cité par A.D. WHITE Histoire de la lutte entre la Science et la Théologie dans la chrétienté (1895). Nous avons ici restitué l’original français du bref de PIE IX. Pour plus de détails, lire « Le darwinisme jugé par les princes de l’Église », in Le Cep n°91, juin 2020, p. 45.

7 Orestes Brownson (1803-1876), philosophe et essayiste politique américain.

8 E. HAECKEL, Last Words on Evolution.

9 Haeckel avait participé à cette expédition scientifique maritime.

10 Ibid.

11 Entomologiste allemand : 1871-1951

12 Ibid.

13 Kenneth R.MILLER, (né en 1948), biologiste moléculaire américain, enseignant à l’Université Brown, est connu pour prétendre réconcilier la science et la foi par le darwinisme.

14NDT. Saint MAXIME le Confesseur répète à satiété que, pour tout être créé ou créable, « préexistent en Dieu, solidement fondés, les logoï selon lesquels tout est, devient et demeure à jamais par ses logoï providentiels ».

15A Manuel of Catholic Theology based on Scheeben’s Dogmatik, Joseph WILHELM & Thomas B. SCANNELL, Londres, Paul Kegan, 1890, vol. Ier, chap. IV, Sect. 122, p. 383. Souligné par nous.

16 La preuve que le plein sens de l’Écriture avait suffisamment d’autorité aux yeux des Pères de Latran IV pour fonder la doctrine se trouve dans l’enseignement de saint Thomas, dans la Somme théologique, sur la Transsubstantiation. Puisque Latran IV venait juste de définir pour la première fois le dogme de la Transsubstantiation, on pourrait s’attendre à ce que saint Thomas cite l’enseignement du Concile sur son sujet. Mais il ne le fait pas. Il lui suffit de citer le texte de l’Écriture et de le commenter à l’aide des Pères de l’Église. La même chose est vraie pour le traitement par le Firmiter de la doctrine de la création. Il ne mentionne pas la Genèse parce qu’il assume que le sens littéral et évident de la Genèse est vrai. Il définit simplement la création d’une manière qui exclut toute doctrine rejetant ou interprétant faussement le sens littéral et évident de l’histoire sacrée de la Genèse, et cela vise les erreurs modernes de la création progressive et de l’évolution théiste.

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