Main ou poignet ?

Par Jean de Pontcharra

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Résumé : Par l’observation de l’image du Linceul de Turin, l’auteur propose une hypothèse différente de celle du Dr Barbet et conclut à la crucifixion de Jésus dans la paume de la main et non dans le poignet. Cette thèse présente, outre son adéquation avec les taches de sang sur le tissu, l’avantage de correspondre avec les représentations classiques du crucifié.

L’observation minutieuse des empreintes des mains et des taches de sang sur le Linceul de Turin, couplée à son expérience de médecin, avait amené le Dr Barbet dans son remarquable travail « La passion de Jésus-Christ selon le chirurgien« [1] à écarter le clouage dans la paume des mains. Nous proposons ici une autre interprétation de l’image des mains, qui aboutit à l’hypothèse d’un clouage dans la paume (métacarpe).

Considérations préalables sur l’image :

Tous les observateurs – spécialistes ou non – ayant approché progressivement le Linceul ont noté que les détails s’estompent fortement à courte distance. Cela tient à la nature particulière de l’image déjà constatée par Vignon[2] et confirmée et expliquée en 1978 par les scientifiques du Sturp[3]. Les fibres de lin sont « roussies » superficiellement, toutes de manière identique. Seule la densité des fibres colorées par rapport aux fibres non colorées module les zones de clair à sombre : c’est un codage de l’image qui lui donne en particulier ses propriétés tridimensionnelles, inimitables et infalsifiables.

Il y a donc une réelle difficulté à prendre des mesures anthropométriques précises.

L’utilisation du positif est plus commode quand il s’agit des empreintes de sang, et le négatif photographique plus approprié pour l’étude de l’image et des détails anatomiques. Plus la réduction photographique est forte, meilleur est le contraste, mais les mesures perdent en précision. C’est donc à faible grossissement en vue globale que les détails des mains apparaissent le mieux (figure 1).

Lors de la formation de l’image, nous ne connaissons pas la position du drap de lin par rapport au corps du Christ (contact direct épousant le relief ? tension plus ou moins importante par des liens ?), ni la nature de la source (anisotrope parfaite ou non ?). L’image ne présente pas de limite franche entre le corps et l’arrière-plan. Les mains, par exemple, semblent extraordinairement étroites car la partie proche du drap est seule visible. L’absence de contour net rend illusoire toute tentative de correction par projection orthogonale de l’image sur une surface horizontale.

Il vaut mieux procéder sur des parties de l’image supposées horizontales, comme les phalanges de la main droite, pour estimer approximativement la longueur des doigts. On trouve ainsi respectivement 6,5 ; 8,5 ; 8,8 et 7,3 cm de l’auriculaire à l’index, mesures qui correspondent bien à la main d’un homme de taille 1,80 m.

L’image des doigts est contrastée car les espaces inter-doigts sont étroits et profonds (voir figure 1), mais on ne voit pas la naissance du pouce en adduction1 qui est placé plus bas. Des contusions importantes sur l’annulaire et le majeur de la main gauche (à l’articulation phalange/phalangine) ainsi qu’une déformation de l’auriculaire droit (due à une inflammation de l’articulation métacarpe/phalange de l’annulaire), compliquent l’image.

Hypothèses du Dr Barbet :

Suite à une erreur de calcul qui a inexplicablement échappé aux relectures (division au lieu de multiplication du poids du corps par le cosinus de l’angle des bras avec la verticale), le Dr Barbet concluait que chaque bras crucifié supportait une traction dans l’axe égale à  95 kg pour un poids du corps estimé à 80 kg2. Selon la formule de Barbet, chaque bras aurait supporté 34 kg environ pour un angle de 30° des bras par rapport à la verticale et seulement 17 kg pour un angle de 65 °, en supposant des pieds non cloués pendant librement !..

Le clouage des pieds soulage une grande partie du poids via les jambes et les cuisses, contrairement à ce que pensait le Dr Barbet [4]. Supposer l’existence de « repose-pieds », « croc de maintien » ou encordage avant clouage n’est pas nécessaire, même pour le clouage dans la paume.

De plus la suite des expériences du Dr Barbet a été faussée par la postulat suivant : « la paume ne peut pas supporter le poids du corps sans déchirure ». Ce postulat a été repris dans tous les travaux ultérieurs (voir par exemple[5]), à quelques exceptions près, correspondant à des travaux déjà anciens, par exemple dans Le Saint-Suaire devant la Science.[6]

Le Dr Barbet ne fit ses expériences de clouage dans la paume que sur un avant bras fraîchement amputé auquel il suspendit 40 kg. Il fallut plusieurs secousses pour arracher la paume du clou.

Il passa ensuite au clouage dans les poignets sur cadavres entiers et contesta les résultats de ses confrères qui avaient opéré de même mais en clouant dans la paume. Pourtant Dieudonné[6] suspendit ainsi un cadavre entier, sans autre points de support et sans que les paumes ne se déchirent.

Observation des mains :

Tous les observateurs sont d’accord pour voir dans la plaie du clou l’origine des deux coulures quasiment parallèles visibles sur le dos de la main gauche.

Le Dr Barbet attribue leur orientation aux différentes positions sur la croix, mais leur direction diverge nettement avec celles des coulures visibles sur les avant-bras.

L’espace de Destot est situé à 1 cm environ de l’axe médian longitudinal de la main gauche. Or la plaie, elle, est proche de cet axe, dans le prolongement de l’espace entre majeur et annulaire. Les écoulements sanguins ont une forme incompatible avec une plaie dans l’espace de Destot, à cause de la proéminence de la tête du cubitus (figure 2 bis).

Interprétation :

L’étude de la position des mains donne la clé du problème. Pour le Dr Barbet, les deux paumes sont situées l’une sur l’autre et les zones sombres et claires visibles sur la main gauche ne sont pas les espaces inter-doigts mais les sillons tendineux de la paume.

Or les sillons veineux et tendineux du dos de la main ne sont pas assez profonds pour donner une image aussi contrastée (figure 1) ; de plus ils auraient été légèrement obliques et non parallèles.

Nous proposons l’interprétation suivante :

Le corps étant allongé horizontalement sur le dos, la main droite est posée à plat sur le haut de la cuisse gauche.

La main gauche faisant voûte à cause du pouce rétracté vient naturellement coiffer le dos de la paume droite. L’alignement des têtes des métacarpiens gauches est situé à peu près au milieu de la paume droite, dans le prolongement de l’espace entre index et majeur droits (figure 1).

Cette main gauche cache tout juste l’espace de Destot droit. Un écoulement de sang provenant d’une plaie similaire à celle de la main gauche aurait dû être visible à cet endroit. Remarquons un indice de plus : l’absence de traces de sang sur plus de 10 cm sur le début des avant-bras (flèches A sur figure 3).

 Cette observation nous amène à confirmer la conclusion de la majorité des auteurs : les écoulement de la plaie de la paume se sont produits après la descente de la croix. En effet, le contact serré du dos de la main, poignet et début de l’avant-bras, contre le bois de la croix a étalé par capillarité le sang émis par la plaie (figure 3 bis). Le sang, à l’abri de l’air, n’a pas coagulé. Ce sang étalé et frais a été facilement enlevé lors de la rapide toilette que la Sainte Vierge et les saintes femmes donnèrent au corps de Jésus, malgré l’urgence. En revanche, le sang coagulé depuis plusieurs heures a résisté à cette rapide toilette, à moins que la toilette n’ait concerné que le visage et les mains.

 Lors de l’ensevelissement à l’horizontale sur la pierre tombale, le reste de sang veineux s’est écoulé par les cinq plaies principales. La paume de la main étant inclinée vers l’arrière, légèrement vers la gauche à cause du pouce rétracté, le trajet des deux coulures est alors parfaitement naturel et n’a aucun rapport avec la position des bras du crucifié sur la croix. Elles sont séparées par un promontoire veineux et/ou tendineux, la coulure de droite aboutissant  dans le creux de l’espace de Destot (figure 2 bis).

Si l’on reporte sur l’avant-bras droit la distance A libre de sang entre la trace du clou et le début des coulures de l’avant-bras gauche ( flèches A’  figure 3), on obtient la position probable de la plaie en plein milieu de la paume droite, à condition de supposer la symétrie de la crucifixion en ce qui concerne les bras. Ainsi s’explique que la plaie et la coulure soient entièrement masquées par la main gauche.

Nous l’avons signalé plus haut, ce masquage total n’aurait pas été possible avec un clou dans l’espace de Destot droit. Ajoutons que la tête d’un clou enfoncé à fond dans la paume vient enserrer fortement les os du métacarpe en les coinçant contre le bois et contribue à la solidité de la crucifixion.

Se pose maintenant la question de la rétraction des pouces en adduction. Les faisceaux nerveux médian et cubital (ou ulnaire) se subdivisent au niveau du métacarpe et sont reliés au niveau de la paume par une anastomose. Un clou traversant la paume entre le 3ème et le 4ème  métacarpien peut blesser une des ramifications du nerf cubital (rameau palmaire profond) innervant l’adducteur du pouce, avec rétraction réflexe associée. Ou encore certains médecins attribuent la crispation des doigts à la raideur cadavérique[7]. Cette explication, ne faisant pas intervenir de lésions nerveuses, est aussi possible : lors de l’ensevelissement seuls les quatre doigts nécessaires à l’occultation du pubis auraient été redressés par les pieux ensevelisseurs, laissant les pouces rétractés.

Empreintes sanguines :

Parmi les nombreuses énigmes que le Linceul pose, la plus troublante est certainement celle qui concerne le sang. En effet, les empreintes sanguines proviennent de sang déjà coagulé et sec (certaines plaies de la couronne d’épines, toutes les plaies de la flagellation, les coulures des avant-bras, etc…) mais aussi de sang veineux encore liquide et incoagulable[8] épanché après la mort et la descente de croix (cinq plaies principales dont quatre sont visibles sur le Linceul). L’impression des taches de sang nettes sans étalement entre les fils et les fibres, reste une énigme, peut-être plus complexe encore que la formation de l’image. Si les empreintes sanguines étaient le résultat du contact du tissu avec du sang liquide, seules les blessures principales auraient laissé une marque qui se serait étalée par capillarité entre les chevrons du tissu. Pour les épanchements très importants le tissu aurait été imbibé et traversé. En revanche, les blessures avec du sang coagulé, sec et craquelé n’auraient pas dû pouvoir imprimer leur image.

Authenticité :

Cette hypothèse a-t-elle une quelconque influence sur le débat de l’authenticité ? Non ! Bien sûr : celle-ci est fondée sur la nature de l’image, le mode d’impression des taches de sang, la concordance avec les Evangiles et une multitude d’indices faisant appel à toutes les disciplines de la science humaine la plus avancée. Le Linceul est « achiropoiète » (non produit de main d’homme), non « reproductible », et par là même infalsifiable[9] [10]

Conclusion :

L’hypothèse proposée d’enclouage dans la paume des mains du Christ s’accorde mieux avec les textes des Evangiles, en particulier celui de saint Jean, témoin oculaire, comme avec une iconographie constante. Elle est étayée par les conclusions suivantes :

– la résistance des mains à l’enclouage reste compatible avec le poids du crucifié, les pieds solidement fixés par un clou.

– l’observation des mains gauche et droite écarte l’hypothèse de clouage dans l’espace de Destot, situé au poignet.

– la longueur de l’interruption des coulures de sang en début d’avant-bras gauche, reportée sur l’avant-bras droit, confirme la position du clou dans la paume droite, entre les métacarpes du majeur et de l’annulaire. L’innervation à cet endroit par le rameau palmaire profond du nerf cubital confirme la position des pouces en adduction.

Remerciements :

Aux Drs M.-C. van Oosterwyck et Jean-Maurice Clercq, et à Jean-Marie Mathieu et André O’Connell, pour leur documentation, conseils et lecture critique. A mes filles Cécile et Myriam pour leur aide précieuse.

Bibliographie :

[1] P. Barbet. « La passionde N.S. Jésus-Christ selon le chirurgien« . Paris, Rééd .Médiaspaul.. 1965.

[2] P. Vignon. « Le Suaire devant la science, l’archéologie, l’histoire, l’iconographie, la logique« . Paris. Ed. Masson 1939.

[3] K.E. Stevenson, G.R. Habermas. « La vérité sur le Suaire de Turin« . Paris. Ed. Fayard. 1991.

[4] P. Mérat. « L’enclouage des pieds » Actes du 3ème Symposium Scientifique International. Nice 1997. Ed. CIELT 1998.

[5] R. Bucklin. « A doctor at Clavary : The second opinion« . Actes du Symposium Scientifique International. Rome 1993. Ed. F-X de Guibert 1993, p.173.

[6] A. L. Donnadieu. « Le Saint Suaire devant la science« . Paris Ed. C. Mendel 1903.

[7] M. Scepi, O. Guillaud-Vallée, O. Pourrat. « A propos de l’absence des pouces sur l’image du Crucifié du Linceul de Turin« . Revue Internationale du Linceul de Turin n°11, 1999.

[8] J. Solas « Les traces de sang sur le Saint Suaire. Particularité anatomo-pathologiques. Problème de leur transfert« . Actes du 3ème Symposium Scientifique International. Nice 1997.

[9] M.C. van Oosterwyck-Gastuche. « Le radiocarbone face au Linceul de Turin« . Paris. Ed. F-X de Guibert. 1999.

[10] A.A. Upinsky. « L’énigme du Linceul« . Paris Ed. Fayard. 1998.


1 Adduction, mouvement qui ramène un membre dans son axe médian [par opposition à l’abduction (qui l’écarte) et à la flexion (qui le plie)]

2 Pour Barbet, la traction dans chaque bras est égale à P/(2cosa) (P étant le poids total du corps). En réalité t=(P/2)cosa.

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