Partager la publication "Le “stupide Prêtre” "
Par le serviteur de Dieu Alexandre
« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. »
(Marcel François)
Résumé : Après avoir narré la survie miraculeuse du Père Arsénié dans un cachot gelé1 (cf. Le Cep n° 12) l’auteur évoque ici la rencontre entre un communiste convaincu et « ce stupide prêtre ». Au détour d’un débat entre prisonniers intellectuels, le prêtre se révèle historien de l’art et renverse le préjugé, commun dans « l’intelligentsia » russe, que la science s’élève sur le cadavre de la foi. Tout à l’inverse, l’art et la culture russe du 10ème au 15ème siècles ont été semés et sarclés par un clergé missionnaire dont l’élite se formait à Byzance.
Père Arsénié a beaucoup d’enfants spirituels à l’extérieur et à l’intérieur du camp, et son âme souffre pour chacun d’eux. Quand il était dans des camps réguliers, il lui était possible de recevoir des lettres de leur part, mais comme il est maintenant dans un camp de la mort, cela n’est plus possible. Ses enfants spirituels pensent qu’il est mort. Ils s’informent de lui mais reçoivent toujours la même réponse “S’il a été expédié vers le camp spécial, il n’est enregistré nulle part.”
La nuit tombe. Les colonnes de prisonniers pénètrent dans la zone du camp, les unes après les autres, et se déversent dans les différents baraquements. Dans celui de Père Arsénié, ils arrivent de mauvaise humeur et fatigués, mais, entrant dans la chaleur, ils sont réconfortés. Aujourd’hui, personne ne bat Père Arsénié et personne ne s’est emparé de sa nourriture.
(…) Un des hommes malades lui dit qu’il s’appelle Sazikov, Ivan Alexandrovitch. Père Arsénié prie calmement pendant qu’il l’aide. Sazikov le remarque et grommelle :
– “Tu es en train de prier, eh !, prêtre ? Tu pries pour obtenir le pardon de tes péchés et c’est pourquoi tu nous aides. Tu as peur de Dieu ! Pourquoi en est-il ainsi ? L’as-tu jamais vu ? »
Père Arsénié regarde Sazikov avec surprise :
– “Comment ne L’aurais-je pas vu ? Il est ici parmi nous et nous unit, toi et moi ! »
– “Qu’es-tu en train de dire, pope ? Dieu est dans ce baraquement !…” et il riait. Père Arsénié le regarde et dit calmement:
– “Oui, je vois Sa Présence. Je vois aussi que ton âme est noire de péché, mais il y a de l’espace pour de la lumière. La lumière viendra sur toi, Sazikov, la lumière ainsi que ton saint. Saint Séraphin de Sarov ne t’abandonnera pas.” Le visage de Sazikov se tord, il tremble et souffle avec haine:
– “Je te tuerai, prêtre stupide, je te tuerai ! Je ne sais pas comment lu connais ces choses. Je hais la façon dont tu penses !”
Père Arsénié se retourne et s’éloigne en répétant, “Aie pitié de moi pécheur !2 Pendant qu’il accomplit son travail, il prie un acathiste3, sa règle de prière, les vêpres, les matines ainsi que toutes les autres prières qu’un prêtre récite habituellement.
Le second patient est un de ceux qui sont au camp pour la simple raison qu’il a été déplacé d’un poste influent afin qu’un autre puisse prendre sa place. Son histoire est celle de beaucoup d’autres. Il a participé à la Révolution d’Octobre en 1917 et connu Lénine. Il a commandé une brigade en 1920 et occupé une position importante dans la police secrète, en travaillant pour le NKVD. Maintenant il est envoyé à la mort dans un camp à régime spécial, un camp spécial de la mort.
Certains hommes sont tués pour les choses qu’ils ont dites, d’autres pour leur foi ; il y a aussi ceux qui ont cru à l’idéal communiste et se sont trouvés sur le chemin d’un ambitieux. Chacun d’eux devra tôt ou tard mourir dans ce camp.
Un de ceux qui ont été écartés du pouvoir se nomme Alexandre Pavlovitch Avsenkov. Dès que Père Arsénié entend ce nom, il s’en souvient. Avsenkov a paru souvent dans les journaux, et il est l’un de ceux qui ont signé la sentence de Père Arsenié. Père Arsenié avait été condamné à être fusillé pour “activités “contre- révolutionnaires”. Plus tard, la condamnation a été commuée en quinze ans d’emprisonnement dans un camp. Père Arsénié se souvient très bien du nom d’Avsenkov.
Avsenkov est d’âge moyen. Il semble avoir quarante ou cinquante ans, mais la vie au camp a laissé une trace profonde sur lui. La faim, le travail épuisant, les coups et blessures, tout cela de pair avec la conscience qu’il y a seulement quelques mois, il en a expédié d’autres ici, croyant chaque fois qu’il débarrassait l’Etat des “ennemis du peuple”. Son séjour au camp lui fait prendre conscience de l’énormité de son erreur.
Il comprend qu’il a envoyé des dizaines, des centaines de milliers d’innocents à la mort. Sa position élevée lui a fait perdre le contact avec la vérité. Il a cru les rapports d’interrogatoire et la flatterie de ses subordonnés ; en suivant les ordres gouvernementaux absurdes, il a perdu le contact avec les êtres humains en chair et en os, et avec la vie elle-même.
Il souffre constamment, mais ne peut rien changer à ce qu’il a fait. Son sentiment de vide spirituel et de déperdition le déchire. Il est calme, aimable, et partage tout ce qu’il possède ; il n’a peur ni de l’administration, ni des criminels. Il est effrayé quand il est de mauvaise humeur, mais il ne perd pas la tête ; il essaie de protéger l’innocent et pour cette raison il doit souvent passer du temps dans une cellule de réclusion.
Avsenkov est attaché à Père Arsénié ; il l’aime pour sa générosité de cœur et sa cordialité. Il lui dit souvent:
– “Tu as une âme. Père Arsénié. (Au camp, dans le baraquement, la plupart des gens l’appellent Père Arsénié.)
« Tu as une âme, je vois cela mais je suis un vrai communiste, tandis que toi tu sers ton dieu, tu es un prêtre. Nous avons des points de vue différents. En théorie, je devrais me battre sur le plan idéologique avec toi » Père Arsénié sourit à peine et répond:
– “Eh ! cher ami. Pourquoi veux-tu te battre ? Tu t’es battu autant que tu l’as pu. Où ton idéologie t’a-t-elle conduit ? Elle t’a conduit dans ce camp qui est en train de t’avaler. Pour ce qui me concerne, j’ai ma foi en Christ ; là est la liberté et je L’ai à l’intérieur de moi-même. Dieu est le même partout et aide chacun J’ai confiance et je crois qu‘il va t’aider également ! Nous nous connaissons depuis longtemps. Dieu nous a conduits à être ensemble il y a longtemps, et il a planifié notre rencontre dans ce camp.”
« Que dis-tu ? Comment aurais-je pu te connaître ? »
– “Oh, bien sûr, tu me connais, Alexandre Pavlovitch. En1933, quand le communisme essayait d’éliminer la religion, des centaines et des milliers de croyants ont été exilés, des centaines d’églises ont été fermées, et à cette époque, pour la première fois, je fus envoyé au camp sur tes instructions. En 1939, je me trouvai à nouveau dans ta juridiction. J’avais écrit un article.
Dès qu’il a été publié, tu m’as arrêté à nouveau et tu m’as condamné à être fusillé. Mais, merci, tu as commué la sentence en un exil au camp. Depuis, j ‘ai toujours vécu dans divers camps et je me suis attendu à te voir. Finalement, nous nous rencontrons ! Ne crois pas que j’essaie de t’accuser. Tout cela est la volonté de Dieu, et ma propre vie n est qu‘une goutte dans l’océan. Bien sûr, tu ne peux pas te souvenir de moi. Parmi les dizaines de milliers que tu as vus, comment pourrais-tu te souvenir de moi ? Dieu seul connaît chacun et chaque chose ; le sort des hommes est entre Ses mains.”
La vie et le travail au camp sont affreux et inhumains. Chaque jour rapproche de la mort. Sachant cela beaucoup de prisonniers, ne désirant pas mourir spirituellement, s’efforcent de mener un combat intérieur pour leurs vies et leurs âmes. Ces prisonniers discutent à propos de la science, de la vie, de la religion.
Parfois, ils organisent une conférence sur l’art ou la recherche scientifique ou discutent au sujet de livres lus avant leur arrestation, récitent des poésies, ou évoquent leurs vies.
Avec l’arrière-plan de cruauté, de vulgarité et de violence, avec la conscience de la suspension d’une mort inévitable, de la faim, de l’épuisement extrême et de la présence continuelle des criminels, c’est vraiment remarquable. Ces prisonniers essaient souvent de trouver chez autrui un soutien qui rende leur vie supportable.
Selon la nature de la dernière vague d’arrestations, des gens différents arrivent au camp – ingénieurs, soldats, membres du clergé, savants, artistes, fermiers, écrivains, agronomes, médecins – et alors des sous-groupes de prisonniers ayant les mêmes centres d’intérêts se forment tout naturellement. Chacun est opprimé et épuisé, mais personne ne désire oublier son passé, sa profession. Le débat entre les groupes est animé, les gens se passionnent, ils ne voient que leur “point de vue” sur une question, et ils argumentent comme si leur vie en dépendait.
Père Arsénié ne prend part à aucune de ces discussions. Il ne s’aligne sur aucun groupe, et il n’essaie pas non plus de défendre un point de vue. Si une discussion commence, Père Arsénié va tout simplement se reposer et prier sur sa couchette. Les intellectuels dans le baraquement baissent le nez vers Père Arsénié. “Ce n’est qu’un prêtre stupide, sans instruction. Il a bon cœur, il est serviable, mais n’a aucune culture. C’est la raison pour laquelle il croit en Dieu : il n’a aucune autre raison de vivre.” Telle est l’opinion de la majorité des prisonniers.
Bien souvent, après que l’appel a été fait et les baraquements verrouillés pour la nuit, un groupe de dix ou douze écrivains, historiens d’art et artistes se réunissent. La discussion est toujours vive. Cette fois, ils traitent de l’art et de l’architecture de l’ancienne Russie. Un des prisonniers, un homme de grande taille qui, même au camp, a gardé son élégance et sa dignité, parle de ce sujet avec beaucoup d’assurance. Les gens autour de lui écoutent avec intérêt. Cet homme impressionnant et de grande taille est, de façon surprenante, très versé en la matière et fort sûr de lui ; il parle de façon convaincante. Alors qu’il discute, Père Arsénié vient à passer par là.
L’orateur, un professeur d’histoire de l’art, adresse la parole avec condescendance à Père Arsénié : “Dites-nous, cher Père, vous êtes un homme du clergé, très pieux peut-être pourriez-vous nous raconter comment vous comprenez l’influence de l’Orthodoxie sur l’art et l’architecture de l’ancienne Russie ? Pensez-vous qu’existe une telle influence ?“ Il parle en souriant. Les gens autour de lui rient. Avsenkov, assis à proximité, sourit également.
Pareille question adressée à Père Arsénié semble absurde. Certains sont désolés pour lui, d’autres souhaitent s’amuser. Chacun comprend qu’un prêtre aussi simple que Père Arsénié ne peut pas répondre à une telle question philosophique. Etant donné qu’il ne connaît rien, la question a pour objectif de l’humilier. Père Arsénié ne faisait que passer. Mais il s’arrête, écoute la question, note les visages ricanants et répond : “Je répondrai aussitôt que j’aurai terminé mon travail “, et il continue à marcher.
“Il n’est pas fou, il a évité d’être coincé sur le champ”, murmure quelqu’un.
“Oui, le clergé russe n ‘a jamais été cultivé”, fait écho un autre. Dix minutes plus tard, Père Arsénié retourne vers le groupe en train de discuter, et interrompant l’orateur, il dit : “J’ai terminé mon travail. Voulez-vous répéter votre question ?“
Le professeur fixe Père Arsénié de la façon dont il regarde un étudiant stupide, et dit lentement “La question, Père, est très simple, mais intéressante.
Comment, en tant que membre du clergé russe, comprenez- vous l’influence de l’Orthodoxie sur les beaux-arts et l’architecture de l’ancienne Russie ? Vous avez probablement entendu parler des trésors d’art à Souzdal, Rostov, Pereslavl ou au Monastère de Théraponte. Vous avez probablement vu des reproductions de l’icône de la Mère de Dieu de Vladimir et de la Trinité de Roublev. S’il vous plaît, expliquez-nous quelles sont les rapports que vous voyez ?“
La question est celle d’un professeur, chacun le comprend et pense qu’il n’aurait pas dû la poser à ce petit prêtre bon mais simple… Il est évident, pensent-ils, qu’il ne pourra pas répondre; vous pouviez le voir rien qu’en regardant son visage.
Père Arsénié se tient droit, son apparence change quelque peu; il regarde le professeur et dit : “Il existe beaucoup de théories différentes concernant la relation entre les beaux-arts et l’Orthodoxie. Beaucoup de gens ont écrit à ce sujet, vous inclusivement, professeur. Vous avez beaucoup parlé et écrit à ce sujet. Toutefois, il me semble qu‘un grand nombre de vos théories et affirmations sont sans fondement, incorrectes, et conçues seulement pour satisfaire vos lecteurs, ou vos censeurs. Ce que vous venez de dire, juste à l’instant, est beaucoup plus proche de la réalité que ce que vous écriviez dans vos livres.
“Vous croyez que les beaux-arts russes sont issus d’une base séculière : vous niez presque complètement l’influence de l’Orthodoxie. Vous écrivez qu’il n’y a que des facteurs économiques et sociaux, vous niez la base spirituelle du peuple russe et l’influence bénéfique du christianisme, qui influencent l’art et l’architecture. Mon opinion est opposée à la vôtre. Je considère que l’Orthodoxie a exercé une influence décisive sur la culture russe du dixième au dix-huitième siècle. Au dixième siècle, le clergé russe découvrit et accepta la culture de Byzance et l’introduisit chez nous pour influencer toute la Russie. Elle a apporté au peuple russe des livres, des icônes, des modèles d’églises grecques, l’hagiographie. Cette influence a bâti la culture russe.
“Vous mentionnez l’icône de la Mère de Dieu de Vladimir. Cette icône, comme beaucoup d’autres, ne vint-elle pas à nous de la Byzance orthodoxe ? Et les icônes ne sont-elles pas la fondation sur laquelle ont fleuri plus tard l’iconographie et l’art russe ?
“Chaque icône russe est apparentée de façon inextricable avec l’âme de l’iconographe chrétien, du croyant qui voit l’icône comme une représentation spirituelle et symbolique du Christ, de sa Mère, de ses Saints. Le peuple russe n ‘approche pas les icônes comme des idoles, mais comme des images spirituelles de celui ou de celle à qui l’âme s’adresse dans une prière affligée ou joyeuse. L ‘iconographe russe crée ses icônes en priant et en jeûnant, et il est compréhensible que l’on dise que la main de l’iconographe est guidée par un ange de Dieu.
“L‘iconographe russe ne signe jamais son œuvre parce qu’ ‘il considère que ce n ‘est pas sa main mais son ûme qui crée l’icône, avec la bénédiction de Dieu, alors que vous semblez ne voir que des facteurs socio-économiques.
“Regardez une madone occidentale et une icône de l’art ancien russe, vous constatez la différence. Dans nos icônes vous pouvez sentir l’esprit de foi, l’empreinte de l’Orthodoxie, sur les peintures occidentales4 vous voyez une Dame, une femme, spirituelle oui, mais pleine de beauté terrestre. Vous n’éprouvez pas la puissance de la grâce de Dieu ce n’est qu’une femme. Regardez seulement la Mère de Dieu de Vladimir. Voyez ses yeux et découvrez quelle force d’esprit, quelle fois en la miséricorde de Dieu et quelle espérance de salut vous y lirez !”.
Père Arsénié parle clairement et de façon expressive. Même son apparence physique a changé. Il parle d’icônes bien connues et explique chacune d’elles, révélant ainsi l’âme de l’ancienne iconographie russe. Il commence alors à parler de l’architecture en donnant des exemples comme ceux de Souzdal, de Vladimir et de Moscou et il montre leur rapport avec l’Orthodoxie.
Père Arsénié finit sa réponse de cette manière “En construisant des églises, les Russes firent en sorte que les pierres chantent la gloire de Dieu, qu’elles enseignent à propos de Dieu et Le glorifient.”
Père Arsénié a parlé durant une heure et demie et les gens autour de lui l’ont écouté dans un silence de mort.
Le professeur a perdu son sourire à moitié moqueur, et il le regarde comme s’il était rapetissé.
“Excusez-moi”, demande-t-il, “comment connaissez-vous tout cela? Vous connaissez les beaux-arts, l’architecture et même mes propres livres. Où avez-vous étudié ? Je croyais que vous étiez un prêtre.”
“Nous devons aimer et connaître notre patrie. Il est essentiel que même les “prêtres stupides” comme vous les appelez, comprennent l’âme de l’art russe. Etant pasteurs des âmes, ils doivent montrer à leur troupeau la vérité telle qu‘elle est.
Des gens comme vous, professeur, couvrent avec des théories tordues et des mensonges ce qu’il y a de plus précieux et de plus saint dans l’homme. La distorsion est créée pour votre bénéfice personnel et pour pourvoir aux besoins des tendances et directives politiques.”
Le professeur change immédiatement de registre et demande:
“Qui êtes-vous, quel est votre nom de famille ?“
“Dans le monde, j’étais Piotr Andreyevitch Streltzov, maintenant je suis Père Arsénié, un prisonnier comme vous- même, dans ce camp à régime spécial.”
Sidéré, le professeur parle avec difficulté : “Piotr Andreyevitch, excusez-moi. Pardonnez-moi ! Je ne pouvais imaginer que j’étais en train de parler avec un historien de l’art connu, auteur de nombreux livres et articles, ayant beaucoup enseigné, professeur réputé, maintenant prêtre, et de lui poser une question stupide. Depuis un certain nombre d’années, personne n’a plus entendu parler de vous. Personne ne sait où vous êtes, seuls vos livres et vos articles continuent à exprimer vos pensées. Comment est-il possible qu‘un tel expert soit devenu prêtre ?“
“Je suis devenu le prêtre Arsénié parce que je vois et sens la présence de Dieu en toutes choses. Etant devenu Père Arsénié, j’ai compris comme jamais auparavant qu’un simple prêtre doit connaître beaucoup de choses. Et puisque nous parlons du sujet des “simples prêtres”, vous tous vous savez qu’ils furent la puissance qui a fait de la Russie ce qu‘elle a été au quatorzième et au quinzième siècles, et qui a. aidé le peuple russe à renverser les Tatars.
Il est malheureusement vrai qu’au seizième et au dix-septième siècles la moralité est devenue très faible dans le clergé russe, et que quelques lumières seulement restèrent allumées à l’horizon de l’Eglise russe. Jusqu’alors, le sacerdoce avait été la force dynamique de notre pays. »
Après cela, Père Arsénié les quitte.
Tous ceux qui l’ont écouté demeurent silencieux, dans une crainte révérencieuse et étonnée.
“Eh bien, là nous l’avons, mes amis”, dit quelqu’un. “C’est notre prêtre simplet !“ Chacun retourne à sa couchette en silence.
Avsenkov constate qu’à partir de ce moment les intellectuels du baraquement regardent Père Arsénié différemment. Il semble que, pour beaucoup, les concepts de Dieu, de science et d’intelligentsia deviennent plus apparentés. Avsenkov avait été un communiste convaincu qui avait cru presque fanatiquement dans l’idéologie marxiste. Durant sa première année au camp, il avait vécu en solitaire, puis il s’était mis à parler avec certains prisonniers et avait compris que la plupart de ses anciens amis, aussi communistes, espéraient seulement une restauration des jours anciens, où leur vie était confortable. Ils ne se souciaient pas de combattre le pouvoir injuste de Staline. Ils ne s’en soucient toujours pas. Avsenkov déteste ce comportement et ne leur parle plus.
Depuis lors. Avsenkov réfléchit sur sa propre vie et comprend qu’il a perdu tout idéalisme depuis longtemps ses idées personnelles ont été remplacées, en faisant le perroquet, par des vérités toutes préparées et par l’obéissance aux ordres d’en-haut. Il a perdu contact avec l’humanité les conférences et les articles de journaux ont remplacé les êtres humains vivants.
Maintenant, Avsenkov voit dans le contact avec les autres prisonniers une vie authentique et sans artifices. Il se sent attiré par Père Arsénié, son attitude envers les autres et sa disponibilité constante pour aider chacun avec une vraie gentillesse. Les qualités intellectuelles du Père Arsénié le conquièrent complètement. Sa foi sans limite en Dieu et sa prière incessante ont d’abord aliéné Avsenkov, mais en même temps elles l’ont attiré d’une façon étrange. Il se sent toujours bien quand il est avec Père Arsénié. Toutes les difficultés, la tristesse, l’atmosphère opprimante du camp deviennent supportables en sa présence.
1 Ndlr. Un fait semblable survint il y a quelques années au dissident ukrainien Josep Térélya. Son geôlier l’avait laissé épuisé dans un cachot où il gelait à moins vingt degrés. Mais la Vierge lui apparut et il survécut au froid, à la grande surprise du geôlier.
2 Ndlr. La répétition constante de cette oraison jaculatoire constitue la méthode la plus commune d’union à Dieu dans la tradition grecque (« hésychasme »). On trouvera une illustration de cette « prière de Jésus » dans un délicieux petit ouvrage anonyme : « Récits d’un pèlerin russe » (éd. Seuil, collection « Livre de vie » n° 63, Trad. Jean Laloy).
3 Hymne.
4 NdIr. L’auteur n’a ici en vue, manifestement, que l’art issu de la Renaissance. Mais l’occident n’a pas toujours été opposé à l’Orient : tout comme en Russie, ce sont des artistes venus d’Orient qui ont fait naître l’iconographie et l’architecture chrétiennes.