Accueil » Retour sur Giordano Bruno

Par Dominique Tassot

, , , , , ,

HISTOIRE

« Si l’homme est libre de choisir ses idées,il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. »

(Marcel François)

Résumé : Dans le Cep n° 36, Théophile Desdouits montrait, principalement par la critique littéraire, que la mort de Giordano Bruno par le feu à Rome, n’était pas établie avec certitude. Or il existe en Italie un document aujourd’hui aux Archives publiques, qui décrit le supplice. Mais, quoi qu’il en soit quant au fait, on peut toujours parler d’une « légende » de Giordano Bruno puisque ce n’est pas la défense du système de Copernic qui a motivé sa condamnation.

L’article de Théophile Desdouits, dans le précédent numéro, a poussé plusieurs lecteurs à réagir. En le publiant, nous ignorions en effet que cette étude datait de 1885, et cette omission dans Le Cep pouvait donner l’impression qu’il s’agissait du dernier état de la question. Certes le style était remarquable, mais on se complaisait à penser qu’un professeur agrégé de Lettres sût encore écrire en aussi bon français !

Or les publications ultérieures admettent généralement la réalité du supplice de Giordano Bruno. Rappelons que l’article avait été suscité par cette affirmation péremptoire de Maurice Allais : « Heureusement on ne demande plus aujourd’hui aux novateurs d’abjurer comme Galilée et on ne les condamne plus à être brûlés vifs sur le bûcher comme le moine Giordano Bruno le 9 février 1600, pour avoir plaidé le système héliocentrique. »1

Quel est donc aujourd’hui l’état de la question ?

Théophile Desdouits, on l’a noté, fait une excellente critique interne comme externe de cette lettre attribuée à Schopp, l’unique document qui a servi à la campagne anticléricale entretenue sur le nom de Giordano Bruno. Mais il s’est limité aux textes imprimés et ne fait état d’aucune archive italienne.

Un correspondant italien nous a fait parvenir le texte d’un Rapport de la Vénérable Archiconfrérie de Saint Jean le Décollé2 de la Nation Florentine à Rome, daté du 16 février 1600, et publié en 1904 (Domenico Orano, Libres penseurs brûlés à Rome du 16ème au 18ème siècles, Tipografia delle Mantellate). Ce récit a depuis été repris par différents auteurs. On y lit que 7 religieux furent appelés pour convaincre l’hérétique: 2 dominicains, 2 jésuites, 2 oratoriens et un hiéronymite, « lesquels avec grand zèle et beaucoup de doctrine lui montrèrent son erreur, mais (Bruno) resta dans sa maudite obstination, se retournant le cerveau et l’intellect avec mille erreurs et pensées vaines, et, ayant ainsi persévéré dans son obstination, il fut conduit par le ministre de la justice aux Champ des Fleurs et là dépouillé de ses vêtements, attaché à un poteau et brûlé vif, toujours accompagné par notre confrérie chantant les litanies ;et jusqu’à la fin les religieux l’incitèrent à quitter cette obstination dans laquelle s’acheva finalement sa misérable vie ».

L’Archiconfrérie de Saint Jean le Décollé fut dissoute par les Piémontais en 1870, et ses archives transférées à l’Etat italien, ce qui montre bien, signale notre correspondant, que « le Vatican fut traité comme un pays ennemi, vaincu, occupé et pillé. »

Si l’on accepte l’authenticité de ce rapport, l’exécution de Giordano Bruno est un fait avéré ; de fait l’Eglise ne le conteste plus depuis la fin du 19ème siècle.

Mais a t’on bien fait sur ce manuscrit les études paléographiques nécessaires et une critique aussi fine que celle que Th. Desdouits a réalisée sur la lettre de Schopp ?

Voici une question à laquelle nous n’avons pas le moyen de répondre ! Mais un point au moins ne semble mis en doute par personne : le procès de Bruno ne s’est jamais occupé de sa défense du système de Copernic et de la pluralité des mondes habités. C’est son panthéisme (l’univers, composé d’astres et de mondes innombrables est Dieu même), aboutissant à nier presque tous les dogmes, qui lui fut reproché sous la forme de 8 propositions tirées de ses œuvres.

Il est donc faux de dire, comme le fait Maurice Allais, qu’il fut condamné pour défendre l’héliocentrisme.

Une seconde remarque s’impose ici encore. Comme le note Vladimir Volkoff dans Le Retournement, il existe une étrange anomalie dans le Droit moderne : seuls sont protégés les biens matériels. Celui qui dérobe une voiture ou incendie la maison du voisin, se voit traîné devant les tribunaux. Mais celui qui détruit ces biens immatériels supérieurs que sont les croyances et les valeurs qui fondent véritablement une société, celui-là reste intouchable.

Volkoff visait la subversion idéologique pilotée par le Kremlin au sein de la société française (son héros est un « agent d’influence » littéraire) ; mais le même raisonnement suffirait à justifier l’existence d’une inquisition religieuse dans les Etats chrétiens. L’Inquisition se donnait en effet la peine de définir les idées reprochées aux hérétiques et de justifier ses jugements par la raison : on savait pourquoi on était condamné et l’on pouvait jauger les arguments avancés de part et d’autre. Aujourd’hui une autre inquisition, celle du « scientifiquement correct », existe bel et bien. Les carrières (les scientifiques sont presque tous des salariés) sont mises en péril par la contestation de ce que Maurice Allais appelle les « vérités établies ».

Cette inquisition inavouée, qui n’énonce jamais ni ses jugements ni les arguments qui les fondent, qui de surcroît porte sur des sujets sans lien direct avec les valeurs morales, cette inquisition n’est-elle pas, au fond, plus contraire à la fameuse « dignité de l’homme » que l’ancienne Inquisition qui, elle, argumentait avec le suspect et le traitait en être responsable, capable d’assumer, le cas échéant jusqu’au terme, la responsabilité de ses idées.

1 M. Allais, Pour une véritable déontologie scientifique, Le Cep n° 36, juillet 2006, p. 10.

2 Le Décapité.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Retour en haut