Partager la publication "Le satanisme dans la société américaine (II)"
Par Malachi Martin
Résumé : Après avoir décrit l’extension de satanisme aux Etats-Unis dans une première partie (cf. Le Cep n°11), l’auteur en vient aux mesures à prendre pour lutter contre ce phénomène. En premier lieu vient la restauration du grade d’exorciste dans l’ordination des prêtres, et le collaboration d’exorcistes qualifiés et reconnus dans chaque diocèse – avec les policiers en charge des crimes satanistes. Ensuite l’élimination des facteurs prédisposants à la possession, notamment la planchette Ouija, la méthode énnéagramme, la méditation transcendantale, etc… bref tout ce qui accoutume l’esprit à minimiser le rôle de la grâce divine dans notre progrès intérieur.
Le cercle d’abandon et de souffrance provoqué par l’incroyance des hommes d’Eglise ne s’arrête pas aux chrétiens ordinaires et aux possédés. Il s’étend bien plus loin.
A cause de la nature des outrages qui surviennent au cours du satanisme rituel – ainsi les viols d’enfants et les meurtres en série – les policiers interviennent fréquemment. Placés devant l’évidence indéniable d’un contexte satanique – des pentagrammes, des crucifix brisés, des graffitis sataniques et autres signes semblables – les officiers de police pouvaient autrefois appeler à l’aide un clergé capable de traiter la possession démoniaque.
Une telle aide est rarement disponible aujourd’hui. C’est plutôt l’ignorance, le désintérêt, l’incrédulité, une inflexible mauvaise volonté d’aider, chez bien des responsables de l’Eglise vis-à-vis de tant de cas de possession démoniaque, qui sont à l’ordre du jour.
En fait dans l’Eglise catholique, l’ordre d’exorciste – un degré dans l’ordination de chaque prêtre depuis des temps immémoriaux – a été omis dans le rite d’ordination, sous l’influence des innovateurs.
La possession démoniaque et son remède, le rite de l’exorcisme, sont considérés ainsi par beaucoup d’officiels et par leurs conseillers comme étant aussi hors de propos et négligeables que, disons, l’entraînement à l’usage de l’astrolabe. Ainsi aux Etats-Unis beaucoup de diocèse catholiques, grands ou petits, n’ont pas d’exorciste officiel.
Dans quelques diocèses plus heureux, où des prêtres font venir des exorcistes ad hoc, les évêques ne savent rien et désirent encore moins savoir. S’ils ne sont pas exactement bienveillants, au moins tournent-ils un œil aveugle. Et comme la permission de l’évêque est requise pour procéder à l’exorcisme, cet œil aveugle peut être considéré comme une permission tacite.
Dans d’autre diocèses, les évêques sont expressément opposés au rite de l’exorcisme. Même alors, certains prêtres font encore venir des exorcistes. Leur justification canonique, ici est que l’évêque a donné une « permission présumée. »
C’est-à-dire que si l’évêque croyait ce qu’il devrait croire comme évêque, et en outre s’il connaissait et reconnaissait comme valide un cas particulier de possession démoniaque, alors on peut présumer qu’il autoriserait l’exorcisme.
Un tel raisonnement théologique et de tels sophismes canoniques ne sont pas seulement tortueux. Ils présentent un scénario qui vient tout droit des catacombes. Car il en résulte ce qu’on peut seulement qualifier d’exorcisme « underground« . Un groupe de prêtres dans un diocèse opère en grand secret, en liaison avec ceux d’autres diocèses, en vue d’assumer leurs obligations vis-à-vis des fidèles dans le besoin.
Ecclésiastiquement, cette situation donne naissance à des irrégularités certaines. Dans quelques cas, elle conduit aussi à des sanctions canoniques injustement imposées par des évêques coléreux et incrédules qui soutiennent que leur autorité est ainsi bafouée.
Même dans ces circonstances difficiles, cependant, la fréquence des exorcismes a crû fortement . On note une augmentation de 750 % dans le nombre des exorcismes faits entre le début des années 1960 et le milieu des années 1970. Au cours de la même période, on a constaté une augmentation alarmante du nombre des possessions « demandées » – c’est-à-dire des cas dans lesquels les possédés demandent formellement à Satan de prendre possession d’eux (par oppositions aux cas de possessions « encourues », résultant d’autres activités des possédés qui facilitent leur possession).
Chaque année quelques 800 à 1300 exorcismes majeurs et plusieurs milliers d’exorcismes mineurs sont accomplis.
Pour les experts, c’est là un baromètre minimal donnant l’accroissement des cas connus de possession. Mais il donne plus encore à imaginer combien de cas ne peuvent être traités. Les milliers de lettres que je reçois de gens qui demandent désespérément de l’aide – catholiques, protestants, évangéliques et personnes n’appartenant à aucune confession – sont éloquentes, angoissées et constituent un témoignage frappant de la crise.
Entre temps, des officiers de police sont confrontés de façon croissante aux signes irréfutables de crimes commis au cours de cérémonies de satanisme rituel ou par ceux qui ont participé à ces rituels.
Ils ne peuvent guère recourir aux maigres cercles d’experts et de personnes capables d’assistance et de conseils. Conseils et assistance qui se trouvaient autrefois de façon courante.
Pour ceux qui interviennent dans le domaine de l’exorcisme et qui acquièrent ainsi une capacité plus grande à découvrir et reconnaître les marques de satanisme rituel, il est clair que dans beaucoup de commissariats de police le caractère satanique d’un crime est soit relégué à l’arrière-plan, soit entièrement omis, au moins dans les rapports publics.
En fait la police n’a pas d’autre choix. Elle n’a ni compétence ni autorité dans le domaine spécial et dangereux du comportement sataniste. La description brute de détails satanistes inspire souvent l’imitation ; en outre toute tentative faite par un officier – ou par quiconque, fût-ce un exorciste entraîné et autorisé – de libérer un possédé, place le sauveteur lui-même en grand danger d’une attaque démoniaque.
Un manque d’aide semblable se rencontre aussi bien chez les thérapeutes, psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux ou autres qui, comme la police, doivent s’occuper d’individus aberrants. Car, dans le contexte actuel en Amérique, la probabilité d’une possession chez des individus sadiques ou encore violents et antisociaux, est impressionnante.
Aux problèmes auxquels sont confrontés les policiers et tous ceux qui doivent traiter les effets du satanisme, la réponse la plus efficace consisterait à développer une collaboration étroite et équilibrée avec ceux qui ont des connaissances et de l’expérience dans ce domaine confidentiel, personnel et dangereux, de la possession et de l’exorcisme.
Mais cette coopération aujourd’hui est presque impossible étant donné toutes les circonstances décrites précédemment et d’autres encore. Comme les possédés avec lesquels ils entrent régulièrement en contact, les professionnels sont laissés à eux-mêmes pour traiter le problème tant bien que mal, utilisant les outils finalement inadéquats fournis dans le code des lois profanes et du comportement commun.
Comme d’habitude, cependant, ce sont les hommes et les femmes du grand public qui payent le prix fort.
Car même si la plupart d’entre nous passons toute notre vie sans venir directement au contact des réunions satanistes et sans être sollicités pour y participer, l’absence d’une telle coopération interdisciplinaire parmi les experts et les professionnels a des conséquences qui affectent chacun d’entre nous.
Dans nombre de crimes – dans certains cas de viols d’enfants par exemple, ou dans la plaie nationale montante de meurtres d’enfants ou d’adolescents apparemment sans motifs, des suicides et des viols – quelques chercheurs ont été conduits à l’idée correcte qu’un cercle de personnes qui maltraitent les enfants peut être lié organiquement à d’autres groupes.
Aujourd’hui encore, il n’y a pas de preuve légalement admissible qu’existe une organisation nationale des groupes satanistes. Ou que les membres des convents aux Etats-Unis et au Canada sont consciemment et délibérément engagés dans une conspiration à l’échelle de la nation et à travers les frontières. En fait les convents peuvent demander la protection constitutionnelle de la loi pour leurs rites et leurs cérémonies dès lors qu’aucune infraction ne peut leur être attribuée, durant leur activité professionnelle comme membres de convents.
Il faut comprendre que ces nombreux groupes vont d’une côte (des Etats-Unis) à l’autre, que certains groupes sont liés à d’autres et que leurs activités ne sont pas qualifiées par la loi2 en tant que telles.
Si être incrédule, c’est être désarmé, l’inverse est vrai aussi.
Etant donné les conditions générales qui nous environnent dans la société actuelle, il devient très important de réaliser que, même dans les pires conditions, nul ne peut être possédé sans quelque coopération de sa part. Il faut donc connaître au moins quelques-uns des facteurs susceptibles de faciliter la collaboration volontaire d’un individu, par ses facultés d’esprit et de volonté, avec une ou plusieurs de ces créatures sans corps ni sexe appelées démons.
Alors qu’aucune cause de possession démoniaque ne peut être disséquée physiquement ou encore réduite à nos étroits standards d' »objectivité, » il est et a toujours été à la fois possible et nécessaire de parler de ces causes avec précision en termes théologiques.
La possession démoniaque n’est pas une condition statique, un état immuable. On ne devient pas possédé soudainement comme on pourrait se casser un bras ou attraper la rougeole. La possession est plutôt un processus en cours. Un processus qui affecte les deux facultés de l’âme : l’esprit, par lequel un individu reçoit et intériorise la connaissance ; et la volonté, par laquelle il choisit d’agir selon cette connaissance.
Une ample expérience avec les possédés a clairement démontré que certains facteurs identifiables disposent un individu à collaborer en esprit et volonté avec un démon possédant, des facteurs prédisposants.
La présence de tels facteurs dans la vie d’une personne n’implique pas en elle-même que la personne se comptera un jour parmi les possédés. Toutefois, et avec seulement de rares exceptions d’après mon expérience, un ou plusieurs de ces facteurs sont à l’œuvre dans les véritables cas de possession.
Certains facteurs prédisposant à la possession sont présents parmi nous depuis longtemps, alors que d’autres sont d’une époque plus récente. Quelques-uns sont des « instruments », extérieurs à l’individu – la planchette Ouija, par exemple, ou une séance de spiritisme. D’autres sont des « attitudes », enseignées ou apprises par soi-même, qui sont intériorisées par la personne – médiation transcendantale et méthode Ennéagramme sont deux des plus importants dans cette catégorie.
Dans le contexte de la possession, les facteurs prédisposants produisent à l’intérieur de la personne un état des deux facultés de l’âme – esprit et volonté – qu’on peut adéquatement décrire comme un « vide aspirant ». Un vide, parce que se crée une absence de concepts clairement définis et humainement acceptables pour la volonté.
Dans le cas du Ouija ou celui de la séance de spiritisme ou de la méditation transcendantale ou de la méthode Ennéagramme, les participants doivent se disposer intérieurement à l’idée d’être ouverts, de désirer accepter tout ce qui leur arrive.
Ainsi le mot Ouija, lui-même, manifeste cette ouverture car le terme est composé des mots français Oui et allemand Ja (pour Oui). L’attitude du participant au Ouija est littéralement « Oui, Oui ». L’esprit doit être rendu réceptif à toute les suggestions ou tous les concepts qui lui sont présentés. Si les participants disposent ainsi leur volonté à accepter ces concepts et à les méditer, alors le circuit prédisposant est complet. Le vide aspirant peut opérer et il est assez puissant pour inonder l’esprit de concepts propres à présenter une offre à l’assentiment de la volonté.
Assez souvent l’esprit et la volonté s’ouvrent de cette manière envers la possession. Parmi le vaste échantillon de facteurs disposants susceptibles de conduire à la possession, la méthode Ennéagramme est de loin la plus commune et la plus pernicieuse. Etant donné l’état décadent de la religion, il n’est pas surprenant que la méthode ait été popularisée suite à son adoption enthousiaste par des théologiens et des professeurs des ordres religieux majeurs – jésuites, dominicains et franciscains – et par quelques-uns des organes officiels utilisés par les évêques des Etats-Unis et du Canada chargé d’enseigner la doctrine aux catholiques, jeunes ou adultes.
De plus, la méthode Ennéagramme est couramment présentée comme un enseignement agréé par le « Forum nord-américain sur la Catéchèse », l’organisme qui fournit aux paroisses et diocèses des Etats-Unis et du Canada les documents destinés à développer la foi des communautés et des individus. Ainsi cette méthode pénètre-t-elle au cœur même des croyances religieuses, du berceau à la tombe.
La méthode Ennéagramme a si bien étranglé l’authentique foi chrétienne, que certains la tiennent désormais pour la plus mortelle menace à ce jour dans la campagne entreprise pour éliminer les croyances traditionnelles chez les fidèles.
Comme le mot l’indique – »ennéa-gramme » signifie 9 points ou 9 signes – l’ennéagramme est une figure de mandala comportant 9 points dans un cercle. Le caractère de mandala de l’ennéagramme veut représenter le lotus, décrit par le psychologue Suisse Carl Jung comme « un symbole décrivant la tentative de réunir le soi« .
L’ennéagramme fut apporté en Occident par le maître spirituel asiate Georges Ivanovitch Gourdjeff. Gourdjeff, lui, le faisait provenir des maîtres musulmans soufis. La méthode atteint les Etats-Unis à travers des « maîtres spirituels » au Chili, en Bolivie et au Pérou. Au début des années 1970, elle fut diffusée par l’Institut Esalden3 à Big Sur (Californie) et par l’Université Loyola à Chicago.
On trouve maintenant une abondante littérature sur le sujet4.
La méthode ennéagramme enseigne qu’il existe très exactement 9 types de personnalités, chacune d’elle étant figurée par un des points de l’ennéagramme.
Chaque être humain correspond à un et un seul de ces types. Mais chacun reste indéfiniment auto-perfectible à l’intérieur de son type de personnalité. Cette idée est en réalité la résurgence d’une ancienne hérésie : le pélagianisme.
Elle contredit la notion chrétienne fondamentale que nous dépendons absolument d’une action de la grâce divine pour toute perfection morale. Réduits à nous-mêmes, nous demeurons impuissants. Non seulement nous ne sommes pas auto-perfectibles, mais nous ne pourrons jamais échapper par nous-mêmes à l’emprise de notre nature pécheresse. Seule la grâce surnaturelle nous en rend capable. Et cette grâce est un don gratuit venant de Dieu.
L’enseignement de la méthode Ennéagramme met Dieu hors circuit avec sa grâce.
Il ne reste même plus du tout de « circuit »: l’individu cherchant le perfectionnement est détourné de connaître effectivement sa dépendance envers Dieu et envers Sa grâce surnaturelle. Il se trouve confiné à l’intérieur d’un type inaltérable de personnalité, type défini par les maîtres de l’ennéagramme.
Un deuxième trait moral faux de la méthode achève les dommages provoqués par le premier. Ayant accepté avec fatalisme sa propre « catégorie », chaque participants devient dépendant, pour son perfectionnement, des exercices proposés pour son type de personnalité.
Autrement dit, l’âme du disciple d’ennéagramme est rendue docile et ouverte, en vue de recevoir la connaissance de soi promise à son type. L’âme devient un récepteur – un « vide aspirant » – attendant l’approche d’un « possesseur » approprié.
Dans ce contexte, ce possesseur peut survenir comme celui que saint Paul décrit précisément comme un ange de lumière. Mais le danger n’en est que plus insidieux : il peut conduire à la « possession parfaite ».
Le mot l’indique, la victime d’une possession parfaite est entièrement contrôlée par le démon, et ne laisse aucun indice, aucun signe extérieur de ce qui l’habite. Elle ne va pas trépigner, comme les autres possédés, à la vue d’objet religieux comme le crucifix ou le chapelet. Le possédé parfait ne tressaillira pas en touchant de l’eau bénite et discutera de questions religieuses avec sérénité.
S’il passe en jugement pour ses crimes, une telle victime admettra volontiers sa culpabilité et sa méchanceté ; souvent elle demandera qu’on lui ôte la vie, qu’on l’exécute pour ses crimes.
De la sorte, à sa manière, elle affirmera une préférence satanique pour la mort contre la vie, et son désir obtus de rejoindre le Prince dans son royaume.
Comme il ne reste aucune volonté propre à la victime, et comme quelque fraction au moins de cette volonté est nécessaire pour entreprendre un exorcisme avec quelque espoir de réussite, la guérison reste problématique, même dans le cas où la possession aura pu être découverte et identifiée.
Ainsi, et au sens le plus profond, nous tous – les possédés ; les professionnels qui devons traiter leur cas ; les parents qui craignent pour leurs enfants ; quiconque vit dans une société dégradée par des faits naguère inimaginables – tous nous sommes dans le même bateau.
Même un journal sobre et rationnel comme le New York Times laisse de temps à autre s’imprimer les plus sombres prédictions.
Ainsi dans un article du 15 mars 1992, Robert Stone écrivit carrément : « Notre nation se signale par l’apothéose virtuelle de l’égoïsme (the interested self) ». Il poursuivait en notant que « la nature humaine rejette l’égoïsme comme une fin en soi et requière quelque chose de plus haut et de plus noble. » Puis, en désignant les jeunes générations, Stone avertit clairement : « Si nous ne pouvons leur offrir une cause supérieure à la réalisation de leurs désirs individuels, tous les succès passés de l’Amérique perdront leurs sens. »
2 Ndlr. Semblablement en France, « l’outrage à la pudeur » a disparu du code pénal, rendant certains faits difficiles à qualifier juridiquement.
3 Ndlr. On lira donc sans surprise que l’Institut Esalen fut une des étapes de Boris Eltsine lors du dernier voyage qu’il fit aux Etats-Unis. De même Gorbatchev, en 1986, avait accordé à Werner Erhard (un des gourous du New-Age) un contrat de 3 ans pour initier de haut-fonctionnaires soviétiques à ses techniques psychiques (un mélange de zen et de scientologie).
4 Ndlr. En langue française, signalons l’ouvrage réalisé par Pascal Ide philosophe, médecin et prêtre de la Communauté de l’Emmanuel : « Les 9 portes de l’âme. L’ennéagramme » (Fayard, 1999). Ce livre muni du Nihil obstat et de l’imprimatur « se refuse aux interprétations psychologisantes et ésotérisantes de l’ennéagramme et en propose une relecture humaine et chrétienne« … L’intention est donc louable mais le résultat n’échappe pas à la critique fondamentale que fait Malachi Martin : méconnaissant le péché originel, Ide attribue à l’effort sur soi-même ce qui relève de la grâce divine. Le mot « grâce » semble d’ailleurs absent de ce gros livre de 450 pages, ce qui suffit à montrer combien sa « relecture chrétienne » est encombrée d’humanisme.