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Par Marie-Christine Ceruti
La « Contradiction » entre saint Marc et saint Jean sur l’heure de la passion1
Résumé : Selon saint Jean, Jésus fut condamné à mort à la 6ème heure, mais la crucifixion eut lieu, selon saint Marc, à la 3ème heure. Cette contradiction apparente demande explication. Marie-Christine Ceruti en rapporte ici trois possibles.
Il s’agit, une fois encore, d’une « contradiction » découverte entre les Evangiles et qui a pu servir à porter le discrédit sur eux. Dans saint Jean (19,14) Pilate prononce la sentence de mort presque à la 6ème heure (c’est-à-dire un peu avant midi), tandis que saint Marc écrit (15,25) : « C’était la troisième heure et ils le crucifièrent« .
Or le Père Giuseppe Ricciotti avait proposé (Vita di Gesù Cristo ; 1941 ; § 607) trois explications à cette différence d’heure. Souvent « oubliées » par les méthodes contemporaines, elles méritent d’être rappelées.
La première est celle de Saint Jérôme, d’ailleurs reprise plus récemment (et c’est celle qui me convainc le plus). « 3 », note-t-il s’exprime en grec avec un gamma « G » et « 6 » avec un digamma « F ». On voit la ressemblance des deux lettres. Il suffit donc de penser à une petite erreur de graphie pour lire dans saint Marc un « 6 » comme dans saint Jean. Ricciotti objecte que cette supposition n’est absolument pas confirmée par les codex. Mais il me semble que les codex dont nous disposons sont tous des copies de documents antérieurs – et si l’erreur a été faite sur un des premiers Evangiles, tous les autres, parce qu’ils en découlent, portent la même erreur : ce tout petit trait en plus ou en moins. Ajoutons que Saint Jérôme était né vers 347 et qu’il est mort en 420. Or nous n’avons guère de codex ou de parchemins datant d’avant cette époque. Très vraisemblablement on possédait davantage de manuscrits des Evangiles des premier, deuxième, troisième et quatrième siècles, à l’époque de Saint Jérôme, qu’à la nôtre, et cela ne l’a pas empêché de faire ce raisonnement ; à plus forte raison donc sommes-nous autorisés à le faire aujourd’hui.
Certes, si nous retrouvions l’évangile en hébreu, la question serait résolue !
La deuxième hypothèse, rapportée comme venant de « certains savants » – propose que saint Jean ait compté les heures à partir de minuit, comme le réclamait l’habitude civile des occidentaux, tandis que Saint Marc les comptait à partir de l’aube, selon la façon orientale. Mais objecte Ricciotti, saint Marc, écrivant à Rome, aurait plutôt dû compter à l’occidentale, et saint Jean à l’orientale, puisqu’il écrivait en Orient. Je laisse aux spécialistes la tâche d’évaluer cette explication.
La troisième hypothèse a la faveur de Ricciotti : il explique que l’usage voulait qu’on comptât les heures de l’aube au coucher du soleil, en divisant ce temps en douze : ce qui fait que chaque « heure » était plus ou moins longue suivant qu’on était en été ou en hiver (tout le monde a étudié cela en histoire romaine) ; cependant, en Judée, les instruments de mesure du temps étant extrêmement rares, on était obligé d' »adapter » en pratique ce système : les gens observaient la lumière du soleil, et regroupaient les douze heures du jour en quatre périodes, égales entre elles, deux avant midi et deux après-midi. Chaque « période » était par conséquent de trois « heures » romaine théoriques : une période allant de l’aube au milieu de la matinée, et la dernière du milieu de l’après-midi au crépuscule. (Aux équinoxes, c’est-à-dire au moment de Pâques ou un tout petit peu plus tôt, on avait donc une période allant de 6h à 9h, une autre de 9h à midi, la suivante de midi à 15h, et la dernière de 15h à 18h.) De cette façon il était plus facile de distinguer, en fonction de la lumière, chacune de ces quatre périodes. Et c’est ainsi qu’on appelait « 1ère heure », le laps de temps qui s’écoulait entre l’aube et le milieu de la matinée (plus ou moins 9h) ; la 3ème heure » était le nom donné au reste de la matinée ; la « 6ème heure » s’étendait de midi jusqu’à plus ou moins 15h, et la « 9ème heure » s’appliquait au reste de l’après-midi. De fait, observe Ricciotti, il est très rare que les Synoptiques parlent d’autres horaires que ceux-ci (voir la Parabole des ouvriers de la dernière heure Mt 20, 1-6) ; tandis que saint Jean sort de ce schéma (1,39 ; 4,52 ; 11,9 ; voir aussi 4,6), mais il le fait parce qu’il veut donner des précisions, si bien qu’il parle d’heures précises et particulières. Voilà pourquoi cette discordance entre l’Evangile de Saint Jean et celui de saint Marc :
le premier parlait de la véritable 6ème heure c’est-à-dire de midi, tandis que le deuxième parlait de façon plus générale de cette période de temps qui va plus ou moins de 9h à midi.
A propos de la parabole des ouvriers de la dernière heure, la Bible de mon beau-père (1964), présentée par le Père G. Alberione, des éditions Paoline (Saint Paul), précise (je traduis) : « De même que la nuit était divisée en 4 parties de 3 heures chacune, de même le jour était divisé en 4 parties : la première (du lever du soleil à 9heures), la troisième (de 9h à 12h), la sixième (de 12 à 15 heures, la neuvième (de 15 à 18 heures). On comptait aussi les heures comprises dans chacune des parties. Ainsi la 9ème heure comprenait-elle la 9ème, la 10ème et la 11ème heure, qui était la dernière du jour c’est-à-dire 17 heures. »
En ce qui me concerne j’avoue que mes préférences vont à l’explication de saint Jérôme. Saint Irénée, Contre les Hérésies (V 30,1), sur un tout autre sujet, dit textuellement ceci : « Sans doute y a-t-il eu là une erreur de scribe, telle qu’il s’en produit couramment du fait que les chiffres sont écrits au moyen de lettres« . Preuve que la façon d’écrire les chiffres en grec, était souvent cause d’erreurs. En hébreu, le professeur Zaninotto m’a déclaré que la confusion entre « 3ème » et « 6ème » était beaucoup plus difficile.
Le samedi 9 juin à Quimper, MM. Maurice Conat, Pierre Dequènes et Mme Bibiane Cabrol invitent à une journée de conférences sur le thème :
« Intelligibilité du plan divin sur la Création : vers la fin du temps des Nations et la nouvelle Création. »
Conférences de :
Pierre Dequènes (L’Histoire cachée du Christianisme),
Bibiane Cabrol (La fin du Temps des Nations)
et Maurice Conat (La restauration de la Création)
De 9h30 à 18h00 à l’Orangerie du château de Lanniron.
Inscriptions auprès de P. Dequènes
(142 rue Roller, 83200 Toulon, Tél. : 04 94 24 35 90)
160 FF (Déjeuner inclus) avant le 28 mai.
1 Repris des « Nouvelles de l’Association Jean Carmignac » (n°9, février 2001)