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Par Firstenberg Arthur

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Les maladies chroniques de l’électricité1

Arthur Firstenberg2

Résumé : À partir de 1839 commença l’électrification de l’Europe. Des milliers de kilomètres de câbles furent tendus au-dessus des villes, le long des routes et des chemins de fer. En 1869, un jeune médecin, John Beard, publia un article sur une nouvelle maladie qu’il nomma « neurasthénie », sans en soupçonner la cause. Ce fut une doctoresse américaine, elle-même gravement atteinte, qui décrivit le mieux le lien entre les courants électriques et sa maladie. Surgirent alors le « mal télégraphique » et la « maladie des téléphonistes ». Malheureusement, sous l’influence de la psychanalyse, beaucoup crurent que la cause était psychique et se dispensèrent de chercher s’il existait une cause physique. Beaucoup n’avaient pas encore conscience des pathologies environnementales ni de l’électrosensibililé. Mais une bonne partie du monde, notamment l’Europe de l’Est, a conservé l’ancienne définition de la neurasthénie.

En 1859, la ville de Londres connut une métamorphose étonnante. Un enchevêtrement de fils électriques, soudainement et sans possibilité d’y échapper, envahit les rues, les magasins et les toits des immeubles de ses deux millions et demi d’habitants. Charles Dickens, dans son « House-Top Telegraphs » (All the Year Round, du 26 nov. 1859), a décrit cet envahissement : « Les araignées zélées ont, depuis longtemps, formé une société commerciale, la London District Telegraph Cy ltd. et ont tissé silencieusement mais efficacement leur toile commerciale.

257 km de fils sont maintenant fixés le long des parapets, au travers des arbres, au-dessus des greniers, autour des cheminées et en travers des routes sur la rive sud du fleuve. Les autres 193 km nécessaires seront installés de la même façon sur la rive nord. La difficulté décroît avec l’avancement des travaux, et l’Anglais le plus hardi est prêt à donner le toit de son château dans l’intérêt de la science et du bien public lorsqu’il découvre que des centaines de ses voisins ont déjà montré la voie. »

Les Anglais n’ont pas nécessairement bien accueilli le fait d’avoir des fils électriques fixés sur leurs maisons. « Le citoyen anglais n’a jamais vu une pile voltaïque tuer une vache, écrit Dickens, mais il a entendu dire qu’elle est bien capable d’un tel exploit. Le télégraphe fonctionne, dans la plupart des cas, grâce à une puissante batterie voltaïque et, par conséquent, le citoyen anglais ayant peur des éclairs en général, se tient à distance de tous ces engins. » Néanmoins, nous précise Dickens, les agents de la London District Telegraph Cy ont persuadé près de 3 500 propriétaires de louer leurs toitures pour l’installation de 450 km de fils qui sillonnent tout Londres et vont bientôt tomber dans les épiceries, pharmacies et tavernes partout dans la ville.

Un an plus tard, le réseau électrique au-dessus des foyers londoniens devint encore plus dense lorsque la Universal Private Telegraph Cy ouvrit ses portes. À la différence de la première société qui n’acceptait que les usages publics, l’Universal louait ses installations télégraphiques aux individus et entreprises pour usage privé. Des câbles contenant jusqu’à 100 fils chacun formaient l’armature du système, chaque fil se séparant de ses compagnons à proximité de sa destination finale. En 1869, cette seconde société avait tendu plus de 4 022 km de câbles et de nombreuses fois autant au-dessus de la tête et sous les pieds des Londoniens pour servir environ 1 500 souscripteurs répartis dans toute la ville.

La même transformation se produisit, plus ou moins, partout dans le monde. On ne réalise pas bien sa rapidité et son intensité aujourd’hui. L’électrification systématique de l’Europe commença en 1839 avec le télégraphe magnétique le long du Great Western Railway entre West Drayton et Londres, soit 24 km. L’électrification de l’Amérique commença quelques années plus tard lorsque fonctionna la première ligne télégraphique de Samuel Morse, entre Baltimore et Washington, dès 1844.

Même auparavant, les sonnettes et moyens d’identification électriques avaient commencé à décorer les foyers, bureaux et hôtels. Le premier système complet fut installé en 1829 dans la Tremont House à Boston où les 170 chambres étaient reliées par fils électriques aux clochettes du bureau principal. Les alarmes électriques apparurent en 1847 en Angleterre et rapidement ensuite aux États-Unis.

En 1850, des lignes télégraphiques étaient en construction sur tous les continents, sauf l’Antarctique. Aux États-Unis, 35 398 km de câbles étaient alors en service ; 6 436 km en Inde sur lesquels « se posaient les singes et des essaims de grands oiseaux3 ». En 1860, l’Australie, Java, Singapour et l’Inde étaient reliés par câbles sous-marins. En 1875, 48 270 km de câbles sous-marins supprimaient l’obstacle océanique des communications. Les inlassables tisserands avaient, pour électrifier le monde, tiré quelque 1 126 300 km de fils de cuivre sur toute la surface de la terre, de quoi faire quasi trente fois le tour du globe.

Presque depuis l’origine, l’électricité fit partie de la vie du citadin moyen. Le télégraphe ne fut jamais un simple accessoire des chemins de fer et des journaux. Avant le téléphone, les appareils télégraphiques furent installés d’abord dans les postes de police et de pompiers, puis à la Bourse, puis dans les messageries et bientôt dans les hôtels, entreprises et foyers. Le premier télégraphe municipal de New York fut installé par Henry Bentley en 1855, reliant 50 bureaux de Manhattan et Brooklyn. La Gold and Stock Telegraph Cy créée en 1867, fournissait instantanément les cours des actions, de l’or et autres Bourses à des centaines de souscripteurs. En 1869, fut créée l’American Printing Telegraph Cy pour fournir des lignes télégraphiques privées aux entreprises et aux individus. Deux ans plus tard, sa concurrente, la Manhattan Telegraph Cy apparut. En 1877, ces deux sociétés furent acquises par la Gold and Stock Telegraph gérant 1 930 km de câbles.

Au milieu de ces transformations, le fils svelte, légèrement sourd, d’un clergyman écrivit les premiers récits cliniques d’une maladie inconnue qu’il observait en neurologie dans sa clientèle à New York. Le docteur George Miller Beard (1839-1883) n’était sorti que depuis trois ans de l’École de médecine.

Cependant, son article fut accepté et publié, en 1869, dans le prestigieux Boston Medical and Surgical Journal, devenu plus tard le New England Journal of Medicine.

Jeune homme sûr de lui, possédant une sérénité et un sens secret de l’humour qui attiraient les gens vers lui, Beard était un fin observateur qui, sitôt entré dans la carrière, n’eut pas peur d’affronter de nouveaux espaces médicaux. En dehors de cette nouvelle maladie, il se spécialisa dans l’électrothérapie et l’hypnothérapie dont il contribua à restaurer la bonne réputation, un demi-siècle après la mort du médecin allemand Franz Mesmer, en 1815. Beard contribua aussi à l’étiologie et au traitement du rhume de foins et du mal de mer. En 1875, il collabora avec Thomas Edison dans la recherche sur « la force éthérique » qu’Edison avait découverte, force capable de circuler dans l’air, provoquant des étincelles dans les objets proches sans aucune connexion. Beard expliqua correctement, une décennie avant Hertz et deux décennies avant Marconi, qu’il s’agissait d’électricité à haute fréquence et qu’elle pourrait, un jour, révolutionner la télégraphie4.

Quant à la nouvelle maladie qu’il décrivit en 1869, Beard n’en devina pas la cause. Il pensait simplement que c’était une maladie de la civilisation moderne causée par le stress, qui était rare auparavant. Le nom qu’il lui donna, « neurasthénie » signifie simplement « faibles nerfs ». Bien que certains de ses symptômes ressemblassent à d’autres maladies, la neurasthénie semblait frapper au hasard, sans raison, mais personne n’était censé en mourir. Beard ne relia certainement pas la maladie à l’électricité qui était, en fait, son traitement préféré de la neurasthénie, lorsque le patient pouvait le supporter. Lorsqu’il mourut en 1883, la cause de la neurasthénie, à la déception de tous, n’avait toujours pas été identifiée. Mais dans une grande partie du monde où le terme « neurasthénie » est encore d’usage courant chez les médecins, l’électricité est reconnue aujourd’hui comme l’une de ses causes. L’électrification du monde fut, sans aucun doute, responsable de son apparition venue de nulle part durant les années 1860 pour devenir pandémique au cours des décennies suivantes.

Aujourd’hui, lorsque des lignes de milliers de volts sillonnent la campagne, que des lignes de 12 000 volts séparent les quartiers et que les disjoncteurs de 30 ampères règnent sur chaque maison, nous avons tendance à oublier ce à quoi une situation naturelle ressemble vraiment.

Aucun de nous ne peut commencer à imaginer à quoi ressemblerait la vie dans un monde sans électricité. Depuis la présidence de James Polk (1795-1849), nos cellules, telles des marionnettes sur des fils invisibles, n’ont jamais connu une seconde de répit des vibrations électriques. L’augmentation progressive du voltage au cours des 150 dernières années ne fut qu’une question de degré. Mais le soudain envahissement des champs nourriciers de la terre, durant les premières décennies de débauche technologique, eut une profonde répercussion sur la qualité de la vie elle-même.

Au début, les sociétés télégraphiques dans la campagne et les villes construisaient leurs lignes avec un seul fil, la terre elle-même fermant le circuit électrique. Rien du courant de retour ne suivait un câble comme il le fait dans les systèmes électriques de nos jours ; il voyageait dans le sol suivant des chemins imprévisibles.

Des poteaux en bois de 7,60 m soutenaient les fils entre les villes. Dans les cités, les nombreuses sociétés de télégraphe s’arrachaient les clients et, l’espace étant limité, des forêts de fils aériens s’enchevêtraient entre les toits, les clochers, les cheminées auxquels ils se fixaient comme des plantes grimpantes. De là pendaient des fils couvrant rues, ruelles et les espaces dans les maisons auxquelles ils s’accrochaient.

Les chiffres historiques donnent une idée de ce qui était en train d’arriver. Selon le livre de George Prescott sur l’Electric Telegraph (1860), une batterie normale pour 160 km de câble aux États-Unis représentait 50 paires de plaques de zinc et de platine donnant un potentiel électrique d’environ 80 volts.5 Dans les premiers systèmes, le courant ne passait que quand l’opérateur appuyait sur la touche d’envoi. Il y avait 5 lettres par mot et, en morse, une moyenne de 3 points ou traits par lettre.

Par conséquent, une opératrice compétente avec 30 mots/minute appuyait sur la touche envoi 7,5 fois par seconde. Ceci est très proche de la fréquence de résonance fondamentale de la biosphère (7,8 Hz) à laquelle tous les êtres vivants sont accordés et dont la force moyenne donnée dans les manuels est d’environ un tiers de millivolt par mètre.

Il est facile de calculer, en utilisant des hypothèses simples, que les champs électriques entourant les premiers fils télégraphiques étaient jusqu’à 30 000 fois plus forts que le champ électrique naturel de la terre à la même fréquence. En réalité, les rapides interruptions entre les saisies produisaient aussi un large spectre d’harmoniques de fréquences radio voyageant le long des fils et irradiant dans l’air.

Les champs magnétiques peuvent aussi être estimés. Basée sur les valeurs de résistance électrique des fils et des isolateurs données par Samuel Morse lui-même6, la quantité de courant sur un fil longue distance normal, varie de 0,015 ampère environ à 0,1 ampère selon la longueur de la ligne et le temps. Du fait de l’isolement imparfait, du courant s’échappait de chaque poteau vers le sol, un flux qui augmentait lorsqu’il pleuvait. Alors, partant de la valeur publiée de 10-12 tesla du champ magnétique de la terre à 8 Hz, on peut calculer que le champ magnétique d’un seul fil du télégraphe primitif aurait excédé le champ naturel terrestre de cette fréquence sur une distance de 3 à 19 km de part et d’autre de la ligne. Et, puisque la terre n’est pas uniforme, mais contient des courants souterrains, des gisements de fer et autres chemins conducteurs par lesquels pouvait passer le courant de retour, l’exposition de la population à ces nouveaux champs variait énormément.

Dans les villes, chaque fil transportait environ 0,02 ampère et l’exposition était générale, massive.

La London District Telegraph Cy, par exemple, employait normalement dix fils ensemble et la Universal Private Telegraph Cy tirait jusqu’à 100 fils ensemble tendus au-dessus des rues et toits d’une grande partie de la ville. Bien que l’équipement et l’alphabet du London District fussent différents de ceux de l’Amérique, le courant passant dans ses fils fluctuait selon un taux similaire : environ 7,2 vibrations par seconde si l’opérateur transmettait 30 mots par minute.

Le cadran télégraphique de l’Universal était une magnéto à manivelle qui envoyait en fait du courant alternatif dans les fils.

Un scientifique plein d’initiative, John Trowbridge, professeur de physique à Harvard décida de tester son hypothèse que des signaux convoyés par les fils télégraphiques mis à la terre aux deux extrémités s’échappaient de leur chemin, pourtant fixé d’avance, et pouvaient être détectés facilement dans des lieux éloignés. Son signal test était l’horloge de l’Observatoire d’Harvard, laquelle transmettait ses signaux horaires par un fil de 6,4 km de Cambridge à Boston. Son récepteur était un appareil nouvellement inventé – un téléphone – connecté à un fil de 152 m mis à la terre aux deux extrémités. Trowbridge découvrit qu’en mettant ainsi la terre à l’écoute, il pouvait clairement entendre le tic-tac de l’horloge de l’Observatoire jusqu’à 1,6 km de là, à divers points nullement dans la direction de Boston. La terre était donc massivement polluée par l’électricité vagabonde, conclut Trowbridge. L’électricité provenant des systèmes télégraphiques d’Amérique du Nord devrait pouvoir être détectée sur l’autre côté de l’océan Atlantique, dit-il après quelques calculs. Si un signal morse assez puissant, prévit-il, était envoyé de Nova Scotia à la Floride par un fil mis à la terre aux deux extrémités, quelqu’un sur la côte de France devrait pouvoir entendre le signal en mettant la terre à l’écoute selon sa méthode.

Plusieurs historiens de la médecine, qui n’ont pas creusé très profond le sujet, ont affirmé que la neurasthénie – du grec νεῡρον neuron, « nerf » et ἀσθένεια asthénéia, « faiblesse » – n’était pas une maladie nouvelle, que rien n’avait changé et que la haute société de la fin du XIXe et du début du XXe siècle souffrait réellement d’une sorte d’hystérie de masse7.

La liste des fameux neurologues spécialistes de la neurasthénie ressemble au Who’s Who de la littérature, des arts et de la politique de cette époque…

Les historiens, qui pensent avoir découvert la neurasthénie dans les anciens manuels, ont été trompés par les changements dans la terminologie médicale, changements qui ont empêché une compréhension de ce qui est arrivé à notre monde il y a 150 ans. Par exemple, le terme « nerveux » a été utilisé pendant des siècles sans les connotations que lui a données Freud. Il signifiait simplement « neurologique » dans le langage actuel. George Cheyne, dans son livre de 1733, The English Malady, mettait sous l’étiquette « désordre nerveux » : épilepsie, paralysie, tremblements, crampes, contractions, perte de sensation, intellect affaibli, complications de malaria et alcoolisme. Le traité de Robert Whytt (1764) sur les « désordres nerveux » est une œuvre classique en neurologie. Il peut être déroutant de voir la goutte, le tétanos, l’hydrophobie et des formes de cécité et de surdité appelées « désordres nerveux », jusqu’à ce qu’on réalise que le terme « neurologique » n’a pas remplacé « nerveux » en médecine clinique avant la seconde moitié du XIXe siècle. « Neurologie » à cette époque signifiait ce que « neuro anatomie » signifie aujourd’hui.

Une autre source de confusion pour un lecteur moderne est l’usage ancien des termes « hystérique » et « hypochondriaque » pour décrire des conditions neurologiques du corps, et non de l’esprit.

Les « hypochondries » – du grec ὑπό hupo, et χονδριακός chondriakos, « sous les côtes » désignaient les régions abdominales ; le mot « hystérie » vient du grec ὑστέρα hustéra, « matrice, utérus ». Comme Whytt l’explique dans son traité, les désordres hystériques et hypochondriaques étaient ces maladies neurologiques censées avoir leur origine dans les organes internes, « hystérique » étant appliqué traditionnellement aux femmes et « hypochondriaque » aux hommes.

Lorsque l’estomac, les intestins et la digestion étaient en cause, on appelait la maladie hypochondriaque ou hystérique selon le sexe du patient. Lorsque le patient avait une attaque, un évanouissement, des tremblements ou des palpitations, sans que les organes internes soient affectés, la maladie était simplement qualifiée de « nerveuse ».

Cette confusion était encore aggravée par les traitements draconiens qui furent la pratique médicale courante jusqu’à une date avancée du XIXe siècle et qui eux-mêmes provoquaient de sérieux problèmes neurologiques. Ils étaient basés sur la théorie médicale des humeurs établie par Hippocrate au Ve siècle avant J.-C. Pendant quatre mille ans, toute maladie était censée être due à un déséquilibre des « humeurs », les quatre humeurs étant le phlegme, la bile jaune, la bile noire et le sang, si bien que le but du traitement médical était de renforcer les humeurs déficientes et de drainer celles qui étaient en excès. Par conséquent, toutes les maladies, graves ou légères, étaient traitées par quelque combinaison de purge, vomissement, sudation, saignée, médicaments et diète. Et les médicaments risquaient d’être des préparations neurotoxiques contenant des métaux lourds tels que l’antimoine, le plomb et le mercure, fréquemment prescrites.

Au début du XIXe siècle, quelques docteurs avaient commencé à mettre en doute la théorie humorale de la maladie, mais le terme de « neurologie » n’avait pas encore acquis son sens moderne. À cette époque, le fait d’appeler encore de nombreuses maladies « hystériques » ou « hypocondriaques », alors qu’il n’y avait rien d’anormal dans l’utérus ou les organes internes, incita un certain nombre de médecins à utiliser de nouveaux noms pour les maladies du système nerveux. Au XVIIIe siècle, les « conditions vaporeuses » de Pierre Pomme incluaient crampes, convulsions, vomissement et vertige. Certaines de ces malades comportaient totale rétention d’urine, crachements de sang, fièvres, variole, attaques et autres maladies dont ils mouraient parfois.

Lorsque la maladie ne tuait pas les patients, les saignées fréquentes le faisaient. Le livre de Thomas Trotter, A View of the Nervous Temperament, publié en 1807, mentionnait les cas de vers, chorée, tremblements, goutte, anémie, troubles menstruels, empoisonnement par métaux lourds, fièvres et convulsions conduisant à la mort. Plusieurs médecins français, plus tard, tentèrent des mots tels que « neuropathie protéiforme », « hyperexcitabilité nerveuse » ou encore « l’état nerveux ».

Le Traité Pratique des maladies nerveuses (1851) de Claude Sandras est un manuel conventionnel de neurologie. Le livre d’Eugène Bouchut (1860) sur « l’état nerveux » contenait beaucoup d’histoires de patients souffrant des effets des saignées, de syphilis tertiaire, de fièvre typhoïde, de fausse couche, d’anémie, de paraplégie et autres maladies aiguës et chroniques de cause connue, parfois létales. La neurasthénie de Beard n’y figurait pas.

La première description de la maladie, sur laquelle Beard attira l’attention mondiale, figure dans le manuel de médecine d’Austin Flint, publié à New York en 1866. Flint, professeur au Bellevue Hospital Medical College, lui consacra deux brèves pages et lui donna presque ce même nom que Beard devait populariser trois ans plus tard. Les patients avec « l’asthénie nerveuse » comme il l’appelait, « se plaignaient de langueur, lassitude, manque d’entrain, douleur des membres et dépression mentale. Ils sont éveillés la nuit et commencent leurs travaux journaliers avec une sensation de fatigue8 ».

Ces malades n’avaient pas d’anémie ni aucun signe de maladie organique. Ils ne mouraient pas non plus de leur maladie ; au contraire, comme Beard et d’autres devaient l’observer plus tard, ils semblaient être protégés des maladies aiguës ordinaires et vivaient, en moyenne, plus longtemps que les autres.

Ces premières publications furent le début d’une avalanche. « Il a été davantage écrit sur la neurasthénie au cours de la dernière décennie », écrit Georges Gilles de La Tourette en 1889, « que sur l’épilepsie ou l’hystérie, par exemple, durant le dernier siècle9»

La meilleure façon de familiariser le lecteur avec la maladie et sa cause est de lui présenter un autre éminent médecin de New York, une doctoresse qui en souffrit personnellement. Mais au moment où celle-ci raconta son histoire, le corps médical américain cherchait depuis presque un demi-siècle la cause de la neurasthénie et, ne l’ayant pas trouvée, conclut que cette maladie était psychosomatique.

La doctoresse Margaret Abigail Cleaves, née dans le Wisconsin, fut diplômée en 1879. Elle travailla d’abord au State Hospital for the Insane à Mount Pleasant, Iowa, et de 1880 à 1883 comme médecin-chef des malades femmes au Pennsylvania State Lunatic Hospital. En 1890, elle ouvrit à New York un cabinet de gynécologie et psychiatrie. Ce ne fut qu’en 1894, à l’âge de 46 ans, qu’on lui diagnostiqua une neurasthénie. Ce qui était nouveau, c’était sa forte exposition à l’électricité : elle avait commencé à se spécialiser dans l’électrothérapie. Puis en 1895, elle ouvrit la New York Electro-Therapeutic Clinic, Laboratory & Dispensary et, en quelques mois, ressentit ce qu’elle appela une « rupture complète ».

Les détails, écrits dans son Autobiography of a Neurasthene, décrivent le syndrome classique exposé par Beard un demi-siècle plus tôt. « Je ne connaissais ni paix ni confort de jour comme de nuit », écrit-elle. « Perduraient toute la douleur habituelle du tronc nerveux ou des terminaisons nerveuses, l’exquise sensibilité du corps, l’impossibilité de supporter un contact plus lourd que celui d’une brosse à aile de papillon, l’insomnie, le manque de force, la récurrence de dépression de l’esprit, l’incapacité d’utiliser mon cerveau à mon étude et mes écrits comme je le souhaitais. » « C’était avec la plus grande difficulté, écrit-elle à une autre occasion, de pouvoir utiliser le couteau et la fourchette à table, tandis que le découpage était impossible. »

Cleaves souffrait de fatigue chronique, de mauvaise digestion, de maux de tête, de palpitations cardiaques et d’acouphènes. Elle trouvait les bruits de la ville insupportables. Elle sentait et avait le goût du « phosphore ». Elle devint si sensible au soleil qu’elle vivait dans des pièces assombries, ne pouvant sortir que la nuit. Elle perdit progressivement l’ouïe d’une oreille. Elle devint si affectée par l’électricité atmosphérique, par sa sciatique, sa douleur faciale, son intense agitation, son sentiment d’effroi et sa sensation « d’un poids écrasant la courbant vers la terre », qu’elle pouvait prédire avec certitude 24 à 72 heures à l’avance que le temps allait changer. « Sous l’influence de l’arrivée des orages électriques, écrit-elle, mon cerveau ne fonctionne pas10»

Et malgré tout, souffrant jusqu’à la fin de sa vie, elle se consacra à sa profession, s’exposant jour et nuit à l’électricité et aux radiations sous leurs différentes formes.

Elle fut la fondatrice et un très actif collaborateur de l’American Electro-Therapeutic Association. Son manuel Light Energy enseignait les usages thérapeutiques de la lumière solaire, de la lampe à arc, de la lumière incandescente et fluorescente, des rayons X et des éléments radioactifs. Elle fut le premier médecin à utiliser le radium pour traiter le cancer.

Comment n’aurait-elle pas pu savoir ? C’était pourtant facile. À son époque comme à la nôtre, l’électricité ne causait aucune maladie, et la neurasthénie – fût-elle finalement décidée – se situait dans l’esprit et les émotions.

D’autres maladies apparentées furent décrites à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des maladies professionnelles frappant ceux qui travaillaient à proximité de l’électricité. « La crampe du télégraphiste », appelée plus exactement en français le « mal télégraphique » parce que ses effets n’étaient pas limités aux muscles de la main de l’opérateur. Ernest Onimus en décrivit la souffrance à Paris dans les années 1870.

Ces patients souffraient de palpitations cardiaques, vertiges, vue affaiblie et de la sensation « d’un étau pressant l’arrière de leur tête. » Ils souffraient d’épuisement, de dépression et de perte de mémoire et, après quelques années de travail, quelques-uns sombraient dans la folie.

En 1903, le Dr E. Cronbach à Berlin donna les cas de 17 de ses patients télégraphistes. Six avaient soit une transpiration excessive, soit une extrême sécheresse des mains, des pieds ou du corps. Cinq souffraient d’insomnie. Cinq avaient une détérioration de la vue. Cinq avaient des tremblements de la langue. Quatre avaient perdu une partie de leur audition. Trois avaient des pulsations irrégulières. Dix étaient nerveux et irritables au travail et à la maison. « Nos nerfs sont brisés, écrivit un télégraphiste anonyme en 1905, et la sensation de santé vigoureuse a cédé la place à une faiblesse morbide, une dépression mentale, un épuisement oppressant… Ballottant toujours entre maladie et santé, nous ne sommes plus entiers, mais seulement des demi-hommes ; bien que jeunes, nous sommes déjà des vieux usés pour qui la vie est devenue un fardeau,… notre force prématurément sapée, nos sens, notre mémoire émoussés, notre sensibilité réduite. » Ces gens soupçonnaient la cause de leur maladie. « Est-ce que l’émergence de son sommeil du pouvoir électrique, demandait le travailleur anonyme, a créé un danger pour la santé de la race humaine11 ? »

En 1882, Edmund Robinson trouva des impressions semblables chez ses patients télégraphistes du General Post Office de Leeds. Lorsqu’il leur suggéra un traitement par l’électricité, ils « refusèrent d’essayer quoi que ce soit de ce genre ».

Longtemps auparavant, une anecdote de Charles Dickens aurait pu servir d’avertissement. Il avait visité l’Hôpital Saint-Luc pour les fous. « Nous rencontrâmes un homme sourd et muet, écrit-il, atteint maintenant d’une maladie incurable.» Dickens demanda quel avait été le métier de cet homme. « Oui, dit le Dr Sutherland, ceci est la chose la plus remarquable de toutes, Mr Dickens ! Il travaillait dans la transmission télégraphique-électrique des messages. » C’était en date du 15 Janvier 185812.

Les téléphonistes également souffraient souvent d’une détérioration chronique de leur santé. Ernst Beyer a écrit que sur 35 téléphonistes qu’il avait traités, pendant 5 ans, pas un seul n’avait été capable de reprendre son travail. Hermann Engel eut 119 tels patients. P. Bernhard en eut plus de 200. Les médecins allemands attribuaient couramment cette maladie à l’électricité. Après avoir passé en revue des dizaines de publications, Karl Schilling, en 1915, publia une description clinique du diagnostic, du pronostic et du traitement des maladies causées par l’exposition chronique à l’électricité. Régulièrement, ces patients avaient des maux de tête et des vertiges, des acouphènes et des taches oculaires, des pulsations très rapides, des douleurs dans la région du cœur et des palpitations.

Ils se sentaient faibles et épuisés, incapables de se concentrer. Ils ne pouvaient pas dormir. Ils étaient déprimés et avaient des crises d’anxiété. Ils avaient des tremblements. Leurs réflexes étaient rapides et leurs sens hyper-sensibles. Parfois leur thyroïde était hyperactive. Éventuellement, après une longue maladie, leur cœur s’était agrandi. Des descriptions semblables vinrent pendant tout le XXe siècle de docteurs aux Pays-Bas, Belgique, Danemark, Autriche, Italie, Suisse, États-Unis et Canada.

En 1956, Louis Le Guillantet ses collègues rapportèrent qu’à Paris « il n’y a pas un seul téléphoniste qui n’éprouve cette fatigue nerveuse à un degré ou un autre13 ». Ils décrivaient des patients avec des trous de mémoire incapables de mener une conversation ou de lire un livre, qui se disputaient avec leur conjoint sans raison et criaient sur leurs enfants, qui présentaient douleurs abdominales, maux de tête, vertiges, pression dans leur poitrine, sonnerie dans les oreilles, troubles visuels et perte de poids. Un tiers de leurs patients était déprimé ou suicidaire, presque tous avaient des crises d’anxiété et plus de la moitié un sommeil agité.

Aussi tardivement qu’en 1989, Annalee Yassi rapporta une « maladie psychogénique » répandue parmi les téléphonistes à Winnipeg, Manitoba et St. Catharines en Ontario, et à Montreal Bell Canada. Elledéclara que 47 % de ses opérateurs se plaignaient de maux de tête, fatigue et douleurs musculaires liées à leur travail.

Puis apparut le « traumatisme ferroviaire », maladie mal nommée qui fit l’objet d’une enquête dès 1862 par une commission désignée par la revue médicale anglaise The Lancet. La Commission blâma les vibrations, le bruit, la vitesse, le mauvais air et la simple anxiété.

Tous ces facteurs existaient et eurent certainement leur part. Mais il y avait une autre cause qu’elle ne prit pas en considération. Parce qu’en 1862, chaque ligne de chemin de fer était prise en étau entre un ou plusieurs fils télégraphiques circulant au-dessus et les courants de retour circulant en-dessous, dont une partie passait le long du métal des rails eux-mêmes sur lesquels roulaient les wagons de voyageurs. Passagers et personnel se plaignaient des mêmes maux signalés plus tard par les télégraphistes et téléphonistes : fatigue, irritabilité, maux de tête, vertiges chroniques et nausées, insomnie, acouphènes, faiblesse et engourdissement.

Ils avaient le cœur battant vite, un pouls bondissant, des bouffées de chaleur, des douleurs de poitrine, de la dépression et des troubles sexuels. Certains eurent une grosse surcharge pondérale. Certains saignaient du nez ou crachaient du sang. Leurs yeux faisaient mal avec une sensation de « tiraillement », comme s’ils étaient tirés de leurs orbites. Leur vision et leur audition se détérioraient et quelques-uns devinrent graduellement paralysés. Des décennies plus tard, on leur aurait diagnostiqué une neurasthénie, comme pour beaucoup d’employés des chemins de fer ultérieurement.

À propos de la neurasthénie, les observations les plus saillantes faites par Beard et par la communauté médicale, en ce XIXe siècle finissant, étaient les suivantes :

  • elle se répandait le long des chemins de fer et des lignes télégraphiques ;
  • elle touchait tant les hommes que les femmes, riches et pauvres, intellectuels et fermiers ;
  • ses victimes étaient souvent sensibles aux conditions climatiques ;
  • elle ressemblait parfois au rhume ou à l’influenza ;
  • elle se propageait dans les familles ;
  • elle abaissait la tolérance à l’alcool et aux drogues ;
  • elle rendait les gens plus vulnérables aux allergies et aux diabètes ;
  • les neurasthéniques avaient tendance à vivre plus longtemps que la moyenne ;
  • elle saisissait généralement les gens dans la fleur de l’âge : de 15 à 45 ans selon Beard, 15 à 50 selon Cleaves, 20 à 40 selon H. E. Desrosiers14, 20 à 50 selon Charles Dana ;
  • parfois les neurasthéniques évacuaient une urine rougeâtre ou brun foncé.

Ce fut le médecin allemand Rudolf Arndtqui finit par faire la connexion entre la neurasthénie et l’électricité. Ses patients qui ne pouvaient pas supporter l’électricité l’intriguèrent. Il écrivit : « Même le plus faible courant galvanique, si faible qu’il déplaçait à peine l’aiguille du galvanomètre et n’était pas perçu le moins du monde par les autres personnes, les troublait à l’extrême. » Il énonça, en 1885, que « l’électro sensitivité est caractéristique de la neurasthénie de haute intensité ». Il prophétisa que l’électro sensitivité « peut contribuer de façon importante à l’élucidation de phénomènes maintenant énigmatiques et inexplicable ».

Il écrivait cela au milieu d’un empressement intense et incessant pour câbler le monde entier, poussé par un enthousiasme indiscuté pour l’électricité, une adoration même, et il l’écrivit, tout en sachant qu’il risquait sa réputation. Un grand obstacle à l’étude sérieuse de la neurasthénie, suggéra-t-il, était que les gens moins sensibles à l’électricité ne prenaient pas du tout ses effets au sérieux, les rangeant dans le rayon de la superstition, « mis en tas avec la voyance, la télépathie et les mediums15 ». Cet obstacle au progrès nous défie encore aujourd’hui.

On rebaptise

En décembre 1894, un psychiatre viennois plein d’avenir écrivit un article dont l’influence fut énorme et dont les conséquences, pour ceux qui vinrent ensuite, ont été profondes et malheureuses.

À cause de lui, la neurasthénie, encore la maladie la plus courante de nos jours, est acceptée comme un élément normal de la condition humaine et pour laquelle il n’est pas besoin de chercher une cause externe. Par sa faute, les maladies de l’environnement, c’est-à-dire les maladies causées par un environnement toxique, sont largement censées ne pas exister, leurs symptômes automatiquement attribués à des pensées troubles et à des émotions hors contrôle. À cause de lui, on met aujourd’hui des millions de gens au Xanax, Prozac et Zoloft, au lieu de nettoyer leur environnement. Il y a plus d’un siècle, à l’aube d’une ère qui bénissait l’usage de l’électricité tous azimuts, pas seulement pour la communication, mais aussi pour l’éclairage, l’énergie et la traction, Sigmund Freud – car c’est lui dont il s’agit ! – rebaptisa la neurasthénie « anxiété névrotique » et ses crises « crises d’anxiété. » Aujourd’hui, nous les appelons également « crise de panique. »

Les symptômes énumérés par Freud, en plus de l’anxiété, seront familiers à tout médecin, tout malade en proie à l’ « anxiété » et toute personne sensible à l’électricité : irritabilité ; palpitations cardiaques, arythmies et douleurs de poitrine ; souffle court et crise d’asthme ; transpiration ; tremblements et frissons ; faim de loup ; diarrhée ; vertiges ; perturbations vasomotrices (bouffées de chaleur, extrémités froides, etc.) ; engourdissement et picotement ; insomnie ; nausée et vomissement ; mictions fréquentes ; douleurs rhumatismales ; faiblesse ; épuisement.

Freud mit un terme à la recherche d’une cause physique de la neurasthénie en la reclassant en maladie mentale. Puis, en appelant presque tous ses cas « anxiété névrotique », il en signa l’arrêt de mort. Bien qu’il prétendît faire de la neurasthénie une névrose à part, il ne lui trouva pas beaucoup de symptômes et, dans les pays occidentaux, elle a été complètement oubliée.

Dans certains milieux, elle se maintient en tant que « syndrome de fatigue chronique », une maladie sans cause que beaucoup de médecins croient être de nature psychologique et que la plupart ne prennent pas au sérieux.

Aux États-Unis, la neurasthénie ne survit que dans l’expression « dépression nerveuse », dont peu de gens se souviennent de l’origine.

Dans la Classification Internationale des Maladies (ICD-10), il y a un code unique pour la neurasthénie, F48.0, mais dans la version utilisée aux États-Unis (ICD-10-CM), F48.0 a été supprimé. Dans la version américaine, la neurasthénie est seulement une parmi une liste d’« autres désordres mentaux non psychotiques » et n’est presque jamais diagnostiquée. Même dans le Manuel de Diagnostic et de Statistique (DSM-V), le Système officiel d’attribution de code aux maladies mentales dans les hôpitaux américains, il n’y a pas de code pour la neurasthénie.

Cependant, ce n’était un arrêt de mort qu’en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. Le reste du monde diagnostique encore la neurasthénie au sens de Beard. Dans toute l’Asie, la Russie et les anciennes républiques soviétiques, la neurasthénie est aujourd’hui le diagnostic le plus commun de tous les diagnostics psychiatriques et même l’une des maladies les plus souvent diagnostiquées dans la médecine tout court16. Elle est souvent considérée comme un signe de toxicité chronique.

Dans les années 1920, juste au moment où le terme était abandonné à l’Ouest, il apparaissait en Chine. La raison : la Chine commençait juste son industrialisation. L’épidémie qui avait commencé en Europe et Amérique à la fin du XIXe siècle, n’avait pas encore atteint la Chine à cette époque. En Russie, qui commençait à s’industrialiser avec le reste de l’Europe, la neurasthénie devint épidémique dans les années 1880.

Mais la médecine et la psychologie russes du XIXe siècle furent fortement influencées par le neurophysiologiste Ivan Sechenov, qui insistait sur les stimuli externes et l’environnement dans le fonctionnement du corps et de l’esprit.

Grâce à l’influence de Sechenov puis celle de son élève Ivan Pavlov, les Russes rejetèrent la redéfinition freudienne de la neurasthénie comme anxiété névrotique, et au XXe siècle les médecins russes trouvèrent nombre de causes environnementales à la neurasthénie, parmi lesquelles l’électricité et les radiations électromagnétiques sous leurs diverses formes. Dès 1930, parce qu’ils la cherchaient, ce que nous ne faisions pas, une nouvelle entité clinique fut découverte en Russie qu’ils appelèrent « maladie des ondes radio » qui figure aujourd’hui, modernisée, dans les manuels dans l’ex-Union soviétique, mais demeure ignorée dans les pays de l’Ouest et à laquelle je reviendrai dans les chapitres ultérieurs. Dans ses premiers stades, les symptômes de la maladie des ondes radio sont ceux de la neurasthénie.

En tant qu’êtres vivants, nous possédons non seulement un corps et un esprit, mais nous avons aussi des nerfs qui font le lien. Nos nerfs ne sont pas simplement des canaux pour le flux et le reflux du fluide électrique de l’univers, comme on l’a cru, pas plus qu’ils ne sont un service de messagerie perfectionné pour fournir des produits chimiques aux muscles, comme on le croit aujourd’hui. En fait, comme nous le verrons, ils sont les deux. En tant que messagerie, le système nerveux peut être empoisonné par une chimie toxique. En tant que réseau de fins fils de transmission, il peut être facilement endommagé ou déséquilibré par une charge électrique élevée ou inhabituelle. Cela a des effets sur l’esprit et sur le corps, effets bien connus aujourd’hui comme désordres d’anxiété.


1 Extrait partiel du chapitre 5 : « Chronic Electrical Illness », p. 50-67, dans The Invisible Rainbow. A History of Electricity and Life, CA, Chelsea Green Publishing, 2020, 565 p. Traduit et adapté par Claude EON.

2 Diplômé en mathématiques de l’Université Cornell, puis étudiant en médecine à l’université de Californie, l’Américain Arthur Firstenberg dut abandonner la carrière médicale suite à une surexposition aux rayons X. Chercheur indépendant, consultant et conférencier sur la santé et les effets des rayonnements électromagnétiques.

3 E. HIGHTON, The Electric Telegraph. Its History and Progress,1851, p. 151.

4 G. M. BEARD, « The Nature of the Newly Discovered Force »,Archives of Electrology & Neurology 2(2), 1876 : 256-82.

5 G. B. PRESCOTT, History, Theory and Practice of the Electric Telegraph, Boston, Tiknor & Fields, 1860, p. 84, 270 & 274.

6 S. MORSE, « Telegraphic Batteries and conductors », Van Nostrand’s Eclectic Engineering Magazine 2, 1870, p. 613.

7 F. G. GOSLING, « Before Freud : Neurasthenia and the AmericanMedical community 1870-1910 », The Journal of American History 75, n°3, déc. 1988 ;Tom LUTZ, American Nervousness : 1903. An Anecdotal History,Cornell Univ. Press, 1981 ;Edward SHORTER, From Paralysis to Fatigue. A Historyof Psychosomatic Illness in the Modern Era, Reprint Ed., 1993 ;Michael S. KIMMEL & Amy ARONSON, Men and Masculinities. A Social, Cultural and Historical Encyclopedia, Californie, Santa Barbara, 2004.

8 A. FLINT, A Treatise on the Principles and Practice of Medicine, (1866), Forgotten Books, 2018, p. 640-41.

9 G. de LA TOURETTE, 2e leçon : « Les états neurasthéniques et leur traitement », Leçons de clinique thérapeutique sur les maladies du système nerveux, 1889, p. 61.

10 M. A. CLEAVES, Autobiography of a Neurasthene, 1910, p. 9, 80, 96 & 168-169.

11 Anonyme, « Die Nervosität der Beamten », Zeitshrift für Eisenbahn-Telegraphen-Beamte 23, 1905, p. 179-181.

12 Lettre à Wilkie Collins, 17 janvier 1858.

13 L. LE GUILLANT, R. ROELENS, J. BEGOIN, P. BÉQUART, J. HANSEN & M. LEBRETON,« La névrose des téléphonistes », La Presse médicale 64 (13), 15 fév. 1956, p. 274-77.

14 H. E. DESROSIERS, « De la neurasthénie », L’Union Médicale du Canada 8 : 145-54, 1879, p. 201-211.

15 R. ARNDT, Die Neurasthenie (Nervenschwache), (1885), É.-U., Whitefish, Kessinger Publishing, 2010, p. 102-104.

16 A. KLEINMAN, « Weakness and Exhaustion in the US and China », (in The Illness Narrative, 1988, p. 100-20) ; World Psychiatric Association, 2002, p. 9 ; Jacquelyn H. FLASKERUD, « Neurasthenia : here and there, now and then », in Issues in Mental Health Nursing, 2007, 28(6), p. 657-659.

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