Partager la publication "La médecine de l’homme déchu ou le péché originel à travers l’homéopathie"
Par Dr Jean-Maurice Clercq
Résumé : Médecine quasi immatérielle, l’homéopathie est réputée ne guérir que par « effet placebo ». Elle s’oppose donc à la science matérialiste ; elle suppose aussi une conception implicitement chrétienne de l’origine des maladies : cette rupture de l’harmonie primitive que nous nommons « péché originel ». De grands maîtres de l’homéopathie en ont témoigné, tels Kent ou Masi Elizalde. Car une guérison ne saurait être durable si elle ne rétablit pas l’élément blessé, qu’il soit physique, psychique ou spirituel.
Lorsqu’un patient prend trois granules d’un remède homéopathique et les laisse fondre sous la langue pour se soigner d’une affection quelconque, il n’a certes pas conscience qu’à travers ce geste, certains homéopathes reconnaissent l’existence du péché originel, avec la maladie comme sa conséquence logique.
La thérapeutique homéopathique sollicite de notre organisme la mise en œuvre d’un mécanisme d’autoguérison (dont le processus nous demeure encore inconnu) qui n’avait pas, ou mal, fonctionné pour différentes raisons. En effet, tout individu, depuis sa naissance, est muni d’un système d’autoguérison qui le maintiendra ou le ramènera en bonne santé au cours de sa vie à travers les agressions ou les maladies qui affecteront son organisme.
Poussant plus avant la réflexion, il s’en déduit que l’organisme a été programmé pour rester en bonne santé : la maladie devient une anomalie consécutive à un parasitage qui a perturbé d’une manière ou d’une autre les défenses et le système d’autoguérison. La bonne santé est donc l’état normal dans lequel l’homme a été créé pour vivre sur terre. Toute maladie, toute pathologie crée un état de fait anormal par rapport au cours prévu de la nature ; l’homme n’a pas été créé pour être malade. Et pourtant la souffrance et la maladie sont le lot de la condition humaine, bien plus que celui de la vie animale.
C’est une constatation, et le traitement homéopathique essaie de nous ramener à la normalité originelle.
Poursuivons cette piste de réflexion sur l’origine de la maladie : il y eut, à un moment donné de l’histoire humaine, un « accident » qui a dénaturé sa destinée en perturbant ses défenses, permettant à la maladie d’apparaître, aux microbes de le rendre malade par l’affaiblissement des mécanismes d’autoguérison. Ainsi diminué, l’homme allait connaître un destin de douleur.
C’est en ces termes médicaux que l’homéopathie pose l’existence du « péché originel », ou de « l’accident » qui a vicié le cours de la vie humaine. Il devient alors intéressant de rechercher dans l’œuvre de Samuel Hahnemann, fondateur de l’homéopathie, quelle put être sa perception du « péché originel, » avec son incidence sur la thérapeutique homéopathique.
1. Concept religieux et métaphysique de la maladie.
Hahnemann, dans l’Organon, parle du « but transcendant de l’existence » et affirme que « la cause de la maladie humaine est dans la transgression de la loi, la transgression de l’ordre« . En son Esculape dans la Balance, il pense que le but de l’homme est « de se rapprocher du Grand Esprit qu’adorent les habitants de tout le système solaire par l’intermédiaire de sensations de bien-être, d’actions qui exaltent la dignité de l’homme et de connaissances qui embrassent l’univers« . Bien sûr, cela est exprimé selon le langage du début du XIXème siècle et encore influencé par les philosophes et les encyclopédistes du XVIIIème.
Dans les « Ecrits mineurs« , Hahnemann précise : « Un grand facteur de cette angoisse existentielle est la sensation chez l’homme de se voir l’être le plus démuni de toute la création« , ce qui est à rapprocher de saint Thomas d’Aquin : « l’homme n’a ni poil, ni dent, ni aile« .
Ainsi, pour Hahnemann, « la nature laissée à elle-même » (Ecrits mineurs) et « l’incapacité de la Vix medicatrix naturæ à accomplir sa tâche » (Organon, préface de la 4ème édition) quand elle arrête son effort curatif à mi-chemin, sont les deux cause de la maladie.
« N’imiter pas la nature dans son effort très misérable pour guérir« . Et cette incapacité de la nature à guérir se retrouve dans saint Thomas lorsqu’il s’exprime sur l’intégrité originale : « Don préternaturel perdu par la transgression de la loi« .
Le docteur Alfonso Masi Elizalde1 explicite la pensée d’Hahnemann : « L’œuvre hahnemanienne anticipe la conception existentialiste chrétienne. Nous avons la séparation, le détachement de l’homme de Dieu, la sensation de l’homme empêché et l’indication de l’angoisse existentielle comme l’origine de toutes les maladies de l’homme« . Ainsi, la conception d’Hahnemann rejoint la conception thomiste sur la nature humaine diminuée, non pervertie mais diminuée dans toutes ses potentialités, y compris celle de s’autoguérir.
L’homme est un composé substantiel où la perturbation du composé inférieur (le corps) est impossible sans la perturbation du composé hiérarchiquement supérieur (l’esprit), c’est-à-dire qu’il est nécessaire, pour les grandes maladies profondes, qu’il y ait intervention de l’esprit dans le déclenchement de la maladie et de la perturbation humaine. Le professeur Masi Elizalde précise qu’il trouve lui aussi dans les maladies les traces d’un conflit spirituel ou métaphysique : « J’ai trouvé la confirmation chez tous les malades, dans toutes les maladies, du conflit métaphysique… J’ai vu que l’homme est vraiment un composé substantiel, unitaire, à savoir non seulement psychologique et corporel mais spirituel, psychologique et corporel. C’est le critère moniste absolu. »2
Cependant au XXème siècle, certaines écoles d’homéopathie refusent cette conception métaphysique de la maladie, et refusent de comprendre le problème de la maladie humaine à la lumière de la Révélation à laquelle ont adhéré les grands maîtres de l’homéopathie après Hahnemann tels que Hering, Allen, Kent, etc.
Masi Elizalde, lui, conclut : « Il s’agit donc d’une conception religieuse de la médecine et de la maladie…
C’est la raison pour laquelle je prétends que l’homéopathie est la vision existentialiste chrétienne de la maladie. »3
2. L’origine de la maladie par le péché originel
Les enseignements du célèbre homéopathe Masi Elizalde sont intéressants à plus d’un titre, puisqu’ils cherchent à revenir à la véritable tradition homéopathique dans la droite ligne de son fondateur, et c’est pour cela qu’ils développent la conception d’Hahnemann.
Chaque homme serait un « morceau d’Adam » qui recherche « l’attribut de la Divinité« . Il cherche la possession de cet attribut qui assurera son bonheur mais, quand il croit l’atteindre, « il comprend que son but n’est pas le bonheur mais la souffrance« . Cette recherche est anormale pour sa condition humaine, car la mesure de la divinité n’est pas la mesure de l’homme. Ce désir d’être semblable à Dieu (devenir un « homme superlatif »), cette attitude – péché d’orgueil – le conduit à refuser la réelle perfection de sa condition humaine (reçue de Dieu), et cela est pathologique4.
L’homme possède une impulsion constitutive transcendante, d’ordre physiologique, qui l’oriente vers Dieu,. Mais il a détourné le sens de cette impulsion constitutive de sa nature vers un autre but : lui même. Il a donc décidé en Adam la déformation de sa nature et a ainsi introduit la pathologie par cette contradiction : « la maladie humaine est le résultat du combat entre le théocentrisme physiologico-constitutif et l’homocentrisme pathologique. »5
Nous arrivons ainsi à cette réalité du péché originel que Masi Elizalde tente d’expliquer :
« Le péché en son origine est la mystérieuse inconformité de l’homme dans son état de perfection avec la possibilité d’augmenter cette perfection par son propre travail » et se traduisant « par des mouvements d’orgueil, par le désir d’être comme la divinité :
refuser sa vraie nature pour désirer une nature supérieure (divine), pathologique pour l’homme parce que cette nature n’est pas normale de sa condition d’homme« .
La maladie devient la conséquence mécanique de ce désir insatisfait, avec la permission de Dieu. L’homme désire être éternel comme Dieu. Ce désir devient une condition psycho-pathologique au regard de sa vraie nature humaine (celle de l’homme vivant, dépendant de la matière et finissant dans la mort).
Il refuse et rejette sa condition humaine et son harmonie dans la création, qui consiste à aller vers l’immortalité ; il perd du coup sa propre perfection humaine. « Du point de vue pathologique… l’importance du péché originel est le refus par l’homme de sa propre nature, avec dégradation de cette nature et diminution de toutes ses potentialités primitives. »6
Puis le Pr A. Masi Elizalde finit d’expliquer le fond de la pensée d’Hahnemann : « Les substances naturelles représentent un aspect de l’ordre divin : pour cette raison Dieu a offert Sa création. Dans chaque substance, dans chaque objet de la création, il a figuré un aspect de la perfection divine, un aspect de l’ordre divin. Toute la création est mise sous le joug d’Adam. Adam est le maillon majeur. Le refus d’Adam d’accomplir sa tâche de maillon principal a détruit cet ordre et masqué la perfection primitive des similitudes de chaque substance avec un certain aspect de la perfection divine. Nous avons dit que la maladie profonde, la psore primaire7 de l’homme, lui vient d’être responsable de certains aspects de l’altération de l’ordre.
Il doit donc trouver son simillimum8 dans la substance chargée de représenter ce même aspect de l’ordre qu’il a assumé comme sa responsabilité personnelle.
Ces considérations trouvent confirmation si vous étudiez la manière personnelle d’être de chaque substance de la nature.
On retrouve dans cette manière de vie de la substance les mêmes problématiques que chez l’homme simillimum de cette substance. »9
Ainsi toute partie de la création des trois règnes (animal, végétal, minéral) représenterait un des aspects de la perfection divine10. Elle est capable, prise dans une proportion infime , de rétablir la perte de santé provoquée par les conséquences du péché originel en puisant dans la création cette « partie d’harmonie » qui, faisant défaut au malade, a causé sa maladie.
La simple loi de la similitude11 servant de base à l’homéopathie, constatable par l’observation, permet de trouver sans autre moyen d’investigation scientifique la substance représentant cette « partie de perfection » qui permettra en quelque sorte la neutralisation de la perturbation physiologique ou de l’agression microbienne ayant entraîné ou déclenché la pathologie.
3. La guérison spirituelle :
Le corps étant gouverné par le psychisme, et le psychisme par le spirituel, on en vient inévitablement à l’influence de ces deux derniers sur la maladie. Bien sûr, on connaît très bien le mécanisme des guérisons par auto-suggestion (qui peuvent représenter dans certaines conditions d’expérimentation jusqu’à 28 % des guérisons, preuve indirecte que la maladie, néanmoins réelle, était provoquée par un désordre d’ordre psychique). C’est l’effet placebo.
Ce phénomène se retrouve dans les guérisons à la suite de traitements homéopathiques comme allopathiques, ou bien dans les médecines primitives et empiriques. Mais il faut aussi envisager un autre processus de guérison, différent de celui obtenu par autosuggestion et qui peut être qualifié de « guérison spirituelle ».
Puisqu’un dysfonctionnement par manque d’harmonie entre la partie consciente et spirituelle de l’individu et sa destinée matérielle peut entraîner une pathologie, le rétablissement de cette harmonie doit permettre lamise en place d’un processus d’autoguérison d’ordre spirituel. Ce genre de guérison en l’absence de traitement se trouve aussi bien dans les groupes du Nouvel Âge, à La Mecque, dans les réunions charismatiques, qu’à Lourdes12 ou dans les véritables conversions.
Lorsqu’il y a seulement guérison apparente, parce que le malade a calmé ses inquiétudes métaphysiques, par exemple au moyen de la quincaillerie religieuse puisée dans le Nouvel Age, nous sommes alors en présence d’une « suppression temporaire » de la maladie. Le moyen utilisé par le patient n’étant pas le bon, il n’y a pas guérison au sens profond du terme. La dysharmonie spirituelle reste latente et la maladie risque alors de réapparaître sous une autre forme et d’une manière plus grave avec une autre symptomatologie, de sorte que peu de personnes feront une relation avec l’état antérieur, sauf les homéopathes qui connaissent bien les mécanismes de la suppression.
4. L’homéopathie contestée : une nécessité.
A la lumière des éclaircissements précédents, il apparaît que la véritable homéopathie doit soigner le patient dans toute sa spécificité d’être humain : corps-âme-esprit ou, selon Saint Thomas d’Aquin : âme végétative (corps), âme sensitive (sentiment), esprit rationnel (intellect).
Survient alors la question suivante : peut-on être véritablement médecin homéopathe sans être croyant ni sans tenir compte de la déficience spirituelle de son patient ? La réponse de Kent, un grand maître de l’homéopathie de la fin du XIXème siècle est nette :
« Il n’est pas possible d’être homéopathe pour un incroyant ». Mais il convient d’expliquer cette dénégation de Kent : pour être un praticien homéopathe dans sa véritable dimension, il est nécessaire d’être croyant afin de considérer le patient dans sa dimension humaine globale d’homme déchu avec ses caractéristiques physiques, psychiques et spirituelles. Si le praticien ne prend pas en compte le spirituel, il pourra certes améliorer l’état de son malade, mais il ne pratiquera pas l’homéopathie dans sa perfection pour obtenir une guérison véritable dans toute sa plénitude, assurant un état de santé harmonieux et durable, surtout si l’altération de la santé avait pour origine un trouble spirituel.
Ce trouble aura alors peu de chance d’être découvert. Si par bonheur il l’était, il risque d’être réduit à l’état de simple trouble ou manifestation psychique par le praticien athée, au lieu d’être vu comme la vraie cause, susceptible d’orienter le traitement.13
Il n’est pas nécessaire que le malade soit croyant pour bénéficier de la thérapeutique homéopathique, mais le fait d’être soigné par cette méthode et de cette manière rétablira sa santé dans ses dimensions physiques, psychiques et spirituelles et le disposera aussi à éveiller son sens religieux qui s’était altéré.14
On comprend peut-être mieux ainsi, avec la prédominance du matérialisme à notre époque, l’apparition de nouvelles maladies qui vont de pair avec la perte du sentiment de religiosité naturelle.
On comprend également mieux le dualisme qui existe entre la médecine allopathique et la médecine homéopathique, et les attaques incessantes que subit l’homéopathie. Oubliant le mens sana in corpore sano, la médecine officielle, dans sa forme caricaturale et matérialiste, en est arrivée à privilégier chez le malade les seules dimensions physiques, biologiques.
Ainsi, sans le vouloir, la médecine homéopathique est devenue une alternative « idéologique » que ne peuvent tolérer les tenants d’une médecine matérialiste. Malgré l’accumulation des preuves médicales, expérimentales ou cliniques et les recherches fondamentales, son efficacité reste contestée aujourd’hui avec les mêmes termes et arguments -au mot près- que ceux utilisés il y a plus d’un siècle par certains membres de l’Académie de médecine. L’attaque n’est plus d’ordre médical. Le procédé n’est pas nouveau, la polémique est donc loin de s’éteindre : c’est celle de la lutte du bien et du mal avec, au centre, le péché originel et l’origine de la maladie. L’homme rétabli dans sa santé se rétablit aussi dans sa véritable dimension spirituelle : celui d’un être créé par Dieu et par amour et appelé au partage éternel de la Félicité divine.
1 Cours supérieur de révision de la doctrine, de la technique et de la matière médicale homéopathique, 1989, D3, remise à jour 1993 – Homéoden Book Service
2 Idem.D11. (Ndlr. On se reportera aussi à Victor Frankl et Henri Baruk)
3 Idem.D17
4 Idem. MM5
5 Idem.MM6
6 Idem .Q-R 5
7 Terme homéopathique désignant la cause première et profonde de la maladie : la psore est la signification de la vraie maladie derrière les symptômes.
8 Remède profond qui, par la similitude des symptômes qu’il produit à doses pondérables et répétées chez le bien portant, guérira à dose infinitésimale l’ensemble des mêmes symptômes présentés par un malade.
9 Idem. Q-R 7
10 Tout comme chaque être humain, dans l’exercice de la charité, représente une parcelle de l’Amour de Dieu.
11 Similia similibus curentur : les semblables guérissent leur semblable.
12 On comprend la grande prudence de l’Eglise qui ne proclame miraculeuse une guérison que lorsqu’aucune loi physiologique ou biologique ne permet de comprendre le processus de la guérison constatée et que l’on est contraint d’admettre l’intervention d’une force de guérison extérieure au malade, c’est-à-dire l’intervention divine.
13 Beaucoup de remèdes homéopathiques possèdent une connotation religieuse découverte par expérimentation. Ainsi le Répertoire de Kent, un des livres de base des homéopathes, contient à la rubrique « Ferveur Religieuse » : 53 remèdes ; « salut de son âme » : 25 remèdes ; « anxiété à propos de son salut » : 25 remèdes. Sur la mort, il en va de même : « dégoût de la vie » : 65 remèdes, « fatigué de vivre » : 51 remèdes, et dans les différentes rubriques sur la « Mort » on trouve une centaine de remèdes différents.
14 Le Dr Michel Guermonprez cite volontiers l’anecdote suivante dans ses formations homéopathiques : Un prêtre vient le consulter – « Docteur, j’ai perdu la foi ! » – « Ce n’est pas mon affaire, allez voir votre évêque », répond le médecin ! – « Je connais l’homéopathie, je sais que mon problème n’est pas métaphysique mais un symptôme médical » – « Alors, je puis m’occuper de vous ». Et ce prêtre fut guéri de ses doutes religieux survenus à l’occasion d’une pathologie particulière.