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Par Claude Destaing

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REGARD SUR LA CREATION

« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Romains, 1 : 20)

Les homéothermes1

Résumé : La théorie évolutionniste requiert une continuité entre le règne végétal et le règne animal. Or tout les oppose dès le principe des grandes fonctions physiologiques : racines et feuilles externes d’un côté, et estomac interne de l’autre ; consommation de gaz carbonique et de chaleur d’un côté, et leur production de l’autre, etc.
En effet le végétal est immergé dans son milieu, tandis que l’animal, mobile, doit transporter avec lui tous ses systèmes : respiratoire, digestif, circulatoire. Ces systèmes à leur tour requièrent une température interne constante, produite par le métabolisme, répartie par la circulation sanguine et protégée par le pelage ou les plumes. De plus, sans système nerveux pour sentir et garder l’équilibre, se déplacer serait courir au suicide ! Comment ne pas admirer Celui qui a conçu cette merveille d’organisation fonctionnelle ? Et comment ne pas plaindre les naturalistes qui étudient Son message sans en lire le sens ?

La vie n’est pas un cinquième état de la matière, l’organique, qui ferait suite aux plasmatique2, gazeux, liquide et solide. C’est un ordre nouveau d’existence, le biologique, qui introduit dans la matière une complexité d’organisation, une unité d’action et un besoin de communication la dépassant. C’est une création qui transfigure le minéral et préfigure la personne. Tous les vivants ont en commun cette grâce de vivre.

De la plante à l’animal, nous constatons une élévation des formes de vie. Ce qui augmente, c’est conjointement la motilité, c’est-à-dire la capacité d’action, et « l’irritabilité», c’est-à-dire la capacité de réaction. Tel est le caractère paradoxal de l’individu, qu’il s’affirme d’autant plus qu’il communique davantage.

Il y a bien des degrés de perfectionnement dans l’échelle animale, qui commence au ras du végétal — avec des cas-frontières tels que les coraux et les actinies fixés au sol marin, ou certains protistes comme l’Euglène, qui ont des plastes — et qui s’en éloigne de plus en plus jusqu’à l’homéotherme, par une complexification croissante de l’organisme et particulièrement du système nerveux.

L’homéotherme, c’est-à-dire l’animal à température constante, peut être considéré comme la solution d’un problème qui, humainement parlant, — notre propos n’étant pas d’enseigner au Créateur comment il a créé le monde — pourrait s’énoncer ainsi : comment faire un vivant aussi indépendant que possible du sol et des saisons ?

Qu’il se déplace, implique qu’il puisse se détacher du sol sans dommages et qu’il soit dépourvu de tout ce qui peut gêner son mouvement. Donc plus de racines paralysantes, plus de feuillage fragile et encombrant, plus de tissus cellulosiques ou ligneux. Admirons comment «dame-nature» a résolu le problème : les cellules sont dévêtues de leur tunique celluloso-pectique, la charpente se condense et s’articule, feuilles et racines s’intériorisent en poumons et intestins.

Mais cette libération réclame, du même coup, un changement du mode de nutrition. Car plus de feuilles donc plus de synthèse du carbone ; plus de racines donc plus d’eau azotée et calcique ; et donc plus de protéines ni de squelette. Eh bien, dame-nature pourvoit l’animal d’organes d’ingestion, de digestion et d’assimilation des matières organiques végétales (ou animales pour les carnivores). En effet, pour être assimilables, ces aliments doivent subir une série de transformations mécaniques et chimiques que nous allons brièvement étudier chez le mammifère non ruminant.

Morcelée par des mâchoires coupantes et broyantes, mouillée par la salive qui digère l’amidon et facilite la déglutition, roulée en boulettes par la langue, la nourriture est tractée dans la poche stomacale par les mouvements péristaltiques de l’œsophage. Brassé par contractions simultanées des trois couches musculaires de l’estomac, ce bol alimentaire est transformé, par l’action de l’acide chlorhydrique et des enzymes du suc gastrique, en une bouillie claire, le chyme, qui est expulsée en jets successifs dans l’intestin grêle par le sphincter pylorique. L’irruption du chyme dans le duodénum déclenche hormonalement la sécrétion des enzymes pancréatiques et intestinales qui, renforcées par la bile hépatique, le transforment en substances suffisamment simples pour être triées par les villosités absorbantes de l’intestin : d’une part glucose, acides aminés, vitamines, eau et sels minéraux rejoignent le cœur par voie sanguine via le foie, organe capital aux fonctions multiples3. D’autre part, acides gras et glycérines, reconstitués en lipides au niveau de la muqueuse, rejoignent le cœur par voie lymphatique.

L’absorption intestinale

Schéma de l'absorption intestinale

Les villosités (0,5 à 1 mm de haut), hérissées de microvillosités d’un micron, sont les « racines » de l’animal. Elles sélectionnent, dans le chyme, les produits de la digestion qui, par les vaisseaux sanguins et lymphatiques, iront se déverser dans le cœur pour nourrir toutes les cellules de l’organisme. Micro villosités, villosités et replis multiplient la surface absorbante de l’intestin grêle (quelque 200 m2 chez l’homme !). Du cœur où confluent donc toutes les substances assimilées, le sang, oxygéné dans les poumons (près de 300 millions d’alvéoles chez l’homme, soit une surface absorbante de quelque 80 m2), va nourrir toutes les cellules du corps. Cette description très sommaire nous laisse deviner quel formidable cartel d’usines hautement spécialisées, desservies par un prodigieux réseau de transport, se cache derrière pelage ou plumage de n’importe quel homéotherme.

L’appareil circulatoire, avec son cœur infatigable (celui d’un cheval pompe environ 20 litres par minute au repos, et 50 litres au travail), ses artères élastiques, ses veines valvulées à sens unique, ses capillaires (de 6 à 30/ 1000es de mm de diamètre) qui irriguent tous les tissus, ses vaisseaux et ganglions lymphatiques, ses plaquettes anti-hémorragiques (500.000 au mm3), ses hématies ou globules rouges (5.000.000 au mm3) porteuses d’oxygène ou de gaz carbonique, ses leucocytes ou globules blancs (7.000 au mm3) mangeurs de microbes ou de cellules inutiles, à lui seul cet appareil est une merveille d’organisation.

A lui seul, le cœur, double pompe refoulante et aspirante, automatique et cadencée, avec ses quatre valvules anti-reflux, sa circulation sans mélange des sangs pur et impur, ses repos diastoliques, son rythme modifiable, selon les besoins de l’organisme, par deux centres cérébro-spinaux, l’un modérateur, l’autre accélérateur, coordonnés par l’hypothalamus, ce cœur si petit et si puissant qui centralise et anime tout l’immense réseau circulatoire (100 km chez l’homme), ce cœur est une invention si intelligente qu’il ne peut être en aucune façon le produit d’une évolution aléatoire.

Le cœur (coupe longitudinale)

Muscle gros comme un poing, c’est le moteur infatigable de la circulation sanguine. Les oreillettes se contractent les premières (systole auriculaire) et chassent leur sang dans les ventricules. Les ventricules se contractent aussitôt (systole ventriculaire), les valvules mitrale et tricuspide se ferment en claquant, le sang fuse dans l’aorte et l’artère pulmonaire, les valvules sigmoïdes se ferment à leur tour pour empêcher le reflux. Puis, après un temps de repos (diastole générale), le cycle recommence. Il est à noter que les artères élastiques sont les auxiliaires indispensables de l’action cardiaque intermittente qu‘elles prolongent et uniformisent.

Voici donc notre futur homéotherme en bonne voie d’indépendance. Tous organes végétatifs à l’abri, trimbalant sa «terre» en lui-même, il acquiert une autonomie et une sécurité fonctionnelles qui autoriseront les longs déplacements, le travail, le jeu et le repos. Mais attention, tel quel il reste à la merci des changements de saisons. Comment stabiliser son milieu intérieur et sa vitalité ? Par la régulation thermique. Plus facile à dire qu’à réaliser.

Maintenir un organisme à une température constante qui favorise au maximum l’activité musculaire et cérébrale — de 36 à 40° pour les mammifères, 42° pour les oiseaux — exige d’abord une activation du métabolisme, donc de l’assimilation, de la respiration, de la circulation et de l’excrétion, car tout est lié. Ce problème est résolu par un tube digestif, des poumons, un système circulatoire, un foie et des reins à haut rendement.

Mais il ne suffit pas que le métabolisme augmente, encore faut-il qu’il s’adapte aux variations de température ambiante, que poils ou plumes ne font qu’amortir. Cette complexe fonction thermostatique est commandée par un central hypothalamique. Quand la température baisse, cet ordinateur intensifie le rythme cardiaque, les échanges respiratoires, l’activité musculaire (tonus, frissons, tremblements, claquements de dents), déclenche la vaso-constriction des capillaires périphériques, active les réactions du foie et excite l’appétit. Au contraire, quand la température monte, le métabolisme et l’appétit diminuent, la transpiration et la soif augmentent, les capillaires périphériques se dilatent et le rythme respiratoire s’accélère (halètement).

Une telle régulation thermique doit être complétée, sous peine de graves désordres, par une régulation du pH, de la concentration et de la pression du sang, que menacent les variations de régime alimentaire. L’équilibre acido-basique est assuré par les substances-tampons, les poumons et les reins. La constance de la composition du sang et de la pression osmotique est principalement l’œuvre des reins. Ce petit organe, avec son million de tubes urinifères d’une longueur totale de près de 40 km, est un filtre sélectif capable d’éliminer systématiquement les déchets (urée, acide urique, créatinine), mais de ne rejeter que l’excès des substances utiles (sels, glucose, eau).

Nous voyons donc quelle complexe, précise et incessante collaboration de fonctions exige la constance du milieu intérieur qui est «la condition de la vie libre» (Claude Bernard). Mais ainsi libéré, notre homéotherme de fortune serait en droit de réclamer le moyen de bouger. Dame-nature lui offre deux possibilités remarquables : les pattes et les ailes. Nous, enfants gâtés de l’ère industrielle, nous sous-estimons nos pattes.

La patte (l’aile aussi) est pourtant une géniale invention. Nous nous extasions devant la roue, notre œuvre. Mais si indispensable qu’elle soit à notre petit génie fabricateur, la roue est un engin pauvre et raide qui ne peut que rouler et virer. La patte articulée et musclée a bien plus d’aptitudes motrices. Elle nous meut en trois dimensions avec une docilité et une souplesse incomparables. Quelle prothèse égalera jamais la légèreté, la précision, la délicatesse et la rapidité d’une main et d’un bras? Quelle hélice ou réacteur égalera jamais l’aile mobile de l’oiseau ou de l’insecte? Quel avion pourra jamais rivaliser avec la mouche ou le colibri ?

Si nous ne craignions de transformer notre essai en traité de zoologie, nous montrerions la stupéfiante corrélation des formes et leur parfaite adaptation au mode de vie de chaque espèce. Comme le dit si justement Cuvier dans ses Leçons d’anatomie comparée, «si les intestins d’un animal sont organisés de manière à ne digérer que de la chair récente, il faut aussi que ses mâchoires soient construites pour dévorer une proie, ses griffes pour la saisir et la déchirer, ses dents pour la couper et la diviser, le système entier de ses organes du mouvement pour la poursuivre et pour l’atteindre…».

Contentons-nous d’en finir avec notre homéotherme. Que lui manque-t-il ? Le principal : la sensibilité. Se déplacer sans rien sentir, c’est courir au suicide. Trouver et choisir la nourriture, se défendre, s’accoupler, pour un vivant sans racines, sans feuilles, sans écorce, sans étamines et sans pistil, nécessitent des organes d’information. Là, dame-nature s’est surpassée en créant les sens et le système nerveux, prodigieux ordinateur aux milliards de cellules et de circuits, capable de capter, transformer, centraliser, décoder, enregistrer, associer et comparer des multitudes de signaux visuels, auditifs, olfactifs, gustatifs, tactiles, thermiques, spatiaux, pour déclencher la réaction instinctive adéquate.

Imaginons quelle rapidité et quelle précision peut atteindre le processus électro-chimique qui permet à des bêtes telles que le lynx de réagir au centième de seconde, en dosant exactement l’influx moteur et en contrôlant incessamment la trajectoire des organes préhensiles, pour capturer une proie mobile. On ne s’en rend pas compte, mais c’est bien plus fortiche qu’un missile !

Parler des sens, c’est parler de sensibilité ; et sensibilité évoque souffrance. Qu’est-ce en soi qu’une sensibilité animale ? Personne n’en sait rien, parce que personne ne connaît d’autres sensations que les siennes. La sensation nous apparaît comme la traduction consciente d’une excitation de l’organisme par un stimulus. Mais qu’est-ce que la conscience? Nous ne pouvons que tourner en rond dans le mystère de notre moi. Car personne ne connaît d’autre conscience que la sienne. «Ma conscience, c’est la certitude que j’ai d’une permanence de mon individualité, l’évidence d’être toujours moi». Sensibilité, conscience sont des expériences strictement personnelles. Que ressent un chat? Quelle conscience a-t-il du «moi» que nous lui prêtons quand on dit: « il » souffre? Comment retentit la souffrance en ce «moi» supposé? Pour vous répondre, il faudrait que je sois chat. Mais, si j’étais chat, vous répondrais-je ? Il est donc préférable de laisser en suspens un problème dont la dimension fondamentale nous échappe.
Voici donc terminé notre homéotherme. Arrêtons-nous un instant pour l’admirer. Par son anatomie prodigieusement complexe et fonctionnelle — à lui seul l’œil, et plus encore la vision, est une merveille ahurissante — par la constance de son milieu intérieur, par le développement de son cerveau et surtout de son cortex, il accède à une individualité et une indépendance qui l’apparentent plus à l’homme qu’à la plante. Nous avons entrevu avec quelle souveraine intelligence sont résolus les problèmes d’adaptation à ce niveau de vie supérieur, et nous devons admettre logiquement qu’un tel organisme a été pensé. Mais alors se pose la question : comment se fait-il que des savants, éminents dans leur spécialité, refusent cette conclusion logique ?

Disons-le tout net : il ne nous appartient pas de les juger ni de répondre à leur place. Toutefois, puisque, de l’aveu de certains, nous savons que ce refus procéderait d’un parti-pris de ne pas outrepasser les limites de l’empirisme, nous pouvons relever qu’une telle attitude, honnête sur le plan scientifique, est très regrettable sur le plan humain car elle ampute la réalité de toute signification métaphysique.

Il en est de tels esprits comme d’un fils qui, recevant une lettre de son père, passerait sa vie à en analyser la matière, le graphisme, l’orthographe et la syntaxe, allant de la physique à la chimie, de l’arithmétique à la géométrie, de l’étymologie à la linguistique, et qui mourrait sans même savoir ce que son père voulait lui dire.

Concluons en étendant au règne animal cette belle formule d’Alfred Kastler, prix Nobel de physique : « L’idée que le monde, l’univers matériel, s’est créé tout seul, me paraît absurde. Je ne conçois le monde qu’avec un créateur, donc un dieu. Pour un physicien, un seul atome est si compliqué, si riche d’intelligence, que l’univers matérialiste n’a pas de sens.4 »

1 Extrait de l’ouvrage De l’Univers à Dieu (Résiac,1978, pp.39-47)

2 En physique, on appelle plasma un gaz très fortement ionisé, c’est-à-dire dont les noyaux atomiques et les électrons sont dissociés sous l’effet d’une très haute température ou d’un rayonnement à haute fréquence. Ce quatrième état de la matière, qui a des propriétés spécifiques, est de loin le plus courant dans l’univers. La matière stellaire et une partie de la matière interstellaire sont plasmatiques. En laboratoire, on obtient du plasma par décharges électriques très puissantes dans un gaz.

3 Biliaire, antitoxique (complétée par celles des reins et de la peau), glycogénique, lipogénique, protéogénique, martiale, fibrinogénique et thermique.

4 L’Express, 12 août 1968.

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