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Par William Paley
REGARD SUR LA CREATION
« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Romains, 1 : 20)
Une invention suppose un inventeur1
Résumé : L’œuvre de William Paley a marqué si profondément l’intellect anglo-saxon que, après 2 siècles, une réédition en livre de poche vient de paraître. Le célèbre passage reproduit ici (dans la traduction de 1804) peut être considéré comme l’archétype ayant inspiré le mouvement de l’Intelligent Design. L’homme qui trouve une montre par terre sait qu’il ne peut s’agir d’un caillou bizarroïde ! Il faut qu’un ouvrier intelligent ait conçu et exécuté cette machinerie si bien ajustée pour une fin et une seule.
Or les athées refusent cette évidence devant ces « machines » bien plus admirables encore que sont les êtres vivants ! N’est-ce pas une évidente contradiction ?
Si en traversant un désert, je marchais sur une pierre, et que je me demandasse comment cette pierre se trouve là, je pourrais m’en rendre compte d’une manière passablement satisfaisante, en me disant que de tout temps cette pierre a été dans ce lieu. Il ne serait pas facile, je crois, de démontrer l’absurdité de cette réponse. Supposons qu’au lieu d’une pierre, j’eusse trouvé une montre, la réponse qu’elle a été de tout temps dans le même endroit ne serait pas admissible. Cependant, pourquoi cette différence ? Pourquoi la même réponse n’est pas appréciable ? Parce qu’à l’examen de cette machine je découvre ce que je n’avais pas pu découvrir dans la pierre, savoir : que ses diverses parties sont faites les unes pour les autres, et dans un certain but ; que ce but est le mouvement, et que ce mouvement tend à nous indiquer les heures.
Je découvre encore, en examinant la montre, que si ses parties avaient toute autre forme que celle qu’elles ont, ou qu’elles fussent arrangées de toute autre manière que celle qu’on leur a donnée, la montre ne remplirait pas l’objet auquel elle est destinée. Je vois un ressort qui est le principe du mouvement. Je vois un nombre de roues, et une suite d’engrenages, qui communiquent le mouvement de la fusée au balancier et du balancier aux aiguilles. Je vois que les calibres de ces roues sont mesurés de manière à ce que les aiguilles se meuvent avec une parfaite régularité sur le cadran, dans un temps donné. Je vois que les roues sont d’un métal qui ne prend pas la rouille, que les ressorts sont faits avec la substance la plus élastique. Je vois que le cadran est recouvert d’une matière transparente, afin qu’on puisse voir la position des aiguilles, sans ouvrir la montre.
Une fois le mécanisme saisi, la conséquence des faits me paraît évidente. Il faut que cette machine ait été faite par un ouvrier : il faut qu’il ait existé un ouvrier, ou plusieurs, qui aient eu en vue le résultat que j’observe, lorsqu’ils ont fabriqué cette montre.
La conséquence dont je parle ne serait pas moins inévitable, lorsque nous n’aurions jamais vu fabriquer de montre, et que nous n’aurions jamais connu d’artiste capable d’en faire une, lors même que nous ne pourrions pas nous représenter de quelle manière il est possible qu’une telle machine ait été faite : car cette difficulté est la même que celle que nous trouvons à expliquer certains produits des arts de l’antiquité, ou encore que celle qu’éprouve la plus grande partie des hommes pour se rendre compte de la manière dont se travaillent les objets les plus curieux des manufactures modernes. Sur un million d’hommes, y en-a-t-il un, par exemple, qui sache comment on s’y prend pour tourner ovale ? L’ignorance, dans ce genre, n’a d’autre effet que de nous donner plus d’admiration pour l’ouvrier, mais elle ne saurait nous conduire à douter que cet ouvrier ait existé. Or le raisonnement demeure exactement le même, soit qu’il s’agisse d’un agent humain, ou que cet agent ait une nature et des attributs différents.
Si la montre ne va pas toujours bien, ou si, même, elle va rarement très bien, le raisonnement n’en sera pas moins bon.
Le but de la machine, et le dessein de l’ouvrier demeureraient évidents, quelle que fût la manière dont nous essayerions d’expliquer l’irrégularité du mouvement de la machine. Il n’est point nécessaire qu’une machine soit sans défauts pour qu’on puisse découvrir dans quel but elle a été faite ; mais surtout cette perfection n’est point du tout nécessaire pour que l’on découvre que l’ouvrier a eu un but quelconque en la faisant.
Le raisonnement ne se trouverait nullement affaibli s’il y avait quelques parties de la montre sur l’usage desquelles dans les fonctions de la machine, nous nous trouvassions embarrassés, ou si même nous ne pouvions pas être sûrs que certaines parties fussent nécessaires au mouvement de l’ensemble.
Si la perte ou le dérangement de certaines pièces amenait la cessation du mouvement, ou son altération, l’utilité de ces pièces nous serait pleinement démontrée, quoique nous fussions incapables de saisir l’enchaînement de causes et d’effets qui rend ces pièces nécessaires. Or, plus la machine est compliquée, plus aisément il y a lieu à cette ignorance de notre part. S’il y avait dans la montre certaines pièces qui nous parussent superflues, et indépendamment desquelles il nous fût démontré qu’elle peut cheminer, l’existence de ces parties superflues ne détruirait point le raisonnement que nous aurions fait sur l’utilité des autres : l’évidence d’un dessein chez l’ouvrier subsisterait dans toute sa force.
Un homme dans son bon sens pourrait-il se contenter, pour expliquer l’existence de la montre, de l’assertion que cette montre est un produit du hasard ? que le corps trouvé dans ce lieu devait être distingué par une configuration intérieure quelconque, et que cette configuration a pu être celle d’une montre, comme toute autre ?
Quelqu’un pourrait-il être satisfait, pour expliquer l’existence de la machine, de l’assertion qu’il y a naturellement dans les choses un principe d’ordre, et que ce principe d’ordre a donné à toutes les parties de la montre leur forme et leur situation relative ? Peut-on se faire une idée nette de ce que c’est qu’un principe d’ordre qui crée une machine telle qu’une montre, indépendamment d’un ouvrier intelligent ?
Quel est l’homme raisonnable qui ne serait pas surpris d’entendre dire que le mécanisme de la montre n’est point une preuve d’invention, mais que ce mécanisme est le résultat nécessaire des lois de la nature métallique. C’est un abus des mots que d’assigner une loi quelconque comme la cause efficiente d’un résultat. Une loi suppose nécessairement un agent, puisqu’elle n’est que le mode selon lequel l’agent procède. Elle suppose une puissance, puisqu’elle n’est que l’ordre selon lequel cette puissance agit. Sans cet agent, sans cette puissance (qui l’un et l’autre sont distincts de la loi) la loi ne peut rien, et même elle n’est rien.
L’expression que je viens d’employer, de nature métallique peut paraître bizarre ; mais le philosophe qui la condamne en emploie lui-même qui ne sont pas plus claires : les lois de la nature animale, les lois de la nature végétale, ou même les lois de la nature (en supposant l’exclusion d’un agent et d’une puissance) sont des expressions tout aussi vagues et inintelligibles.
Enfin, l’observateur qui a trouvé la montre, et qui raisonne d’après les faits, ne sera point ébranlé dans sa croyance qu’il a existé un ouvrier fabricateur de cette machine, lorsqu’on lui objectera qu’il ne peut pas le savoir. Il en sait assez pour raisonner comme il le fait. Il sait que cette machine a été faite dans un certain but utile. Il sait que les moyens sont adaptés à l’effet. Cela lui suffit pour fonder son raisonnement. Son ignorance et ses doutes sur certains détails n’empêchent point qu’il ne soit parfaitement sûr que cette montre soit l’ouvrage d’un ouvrier intelligent. Il sent bien qu’il ne comprend pas tout, mais il n’a aucun doute sur le point essentiel.
Supposons maintenant que celui qui a trouvé le montre découvre, qu’en outre de toutes les propriétés qu’il a observées dans cette machine, elle possède la faculté singulière de reproduire une autre montre toute semblable. Supposons qu’il découvre que la montre renferme tout un appareil dans lequel se travaillent les instruments destinés à créer d’autres montres, par le seul effet spontané du mouvement existant. Quelle influence cette découverte aura-t-elle sur son jugement ?
Il admirera probablement de plus en plus la beauté de l’invention et l’art de l’inventeur.
Soit qu’il considère le but, soit qu’il arrête sont attention sur les moyens, qu’il examine l’action et la réaction des diverses parties dont il est capable de saisir le mécanisme, il trouve de nouvelles raisons de rapporter cet ouvrage à un art merveilleux, et à une singulière intelligence.
L’observateur distinguera aisément que si la montre qu’il a sous les yeux a la faculté de faire des montres semblables à elle, cette faculté est très différente de l’art d’un ouvrier qui invente et exécute. La montre qui en crée une autre n’a aucune part à l’ordonnance et à l’arrangement des diverses parties qui constituent celle-ci.
On pourrait dire dans un certain sens que l’eau d’un ruisseau moud le grain ; mais il serait absurde de dire que l’eau du ruisseau a construit le moulin : nous ne pourrions jamais former cette conjecture lors même que nous ne saurions comment nous rendre compte de l’origine de cette construction. Quelle est la part du courant d’eau dans la mouture du grain ? une impulsion sans intelligence, dirigée sur un mécanisme ordonné et exécuté avec intelligence, produit un certain effet qui est la mouture du grain. Mais l’effet résulte de l’arrangement des parties. On ne peut pas dire que le ruisseau soit l’auteur de l’effet produit, encore moins de l’arrangement des parties de cet ensemble. Il est clair qu’il a fallu une intelligence, un plan pour inventer, ordonner et exécuter le moulin, quoique l’impulsion aveugle du courant d’eau, soit nécessaire pour lui faire remplir l’objet auquel il a été destiné, tout comme le mouvement machinal de la montre est nécessaire pour la création d’une nouvelle montre.
Si donc il est peu probable que la montre trouvée par notre observateur soit sortie elle-même des mains de l’ouvrier, il n’en est pas moins évident que la première montre qui a donné naissance aux autres, a été l’ouvrage d’un ouvrier intelligent : quant au dessein, le raisonnement subsiste dans toute sa force. Nous avons mille questions à faire sur les causes des rapports qui existent entre les diverses parties de la montre ; et on ne répond à aucune de ces questions en disant que cette machine procède d’une autre machine semblable.
Il n’y a point de plan sans intelligence, point d’invention sans inventeur, point d’ordre qui ne demande un choix, point de dépendance de diverses parties vers un certain ensemble de résultats, qui ne suppose une intention éclairée. Personne donc ne peut raisonnablement admettre que la véritable cause de ce mécanisme admirable de la montre, soit un mouvement aveugle. Chacun voit avec évidence qu’un simple mouvement machinal ne peut pas disposer les différentes parties, leur assigner leurs fonctions, faire concourir celles-ci vers un but, et rendre le résultat utile à d’autres êtres. Il n’y a rien d’expliqué encore, quant à l’origine première, lorsqu’on a découvert qu’une montre fait une montre.
On ne fait que reculer la difficulté en disant que le mécanisme de la montre trouvée procède d’une mécanisme semblable ; celui-ci d’un précédent, et ainsi en remontant indéfiniment. On est toujours également embarrassé à expliquer l’invention, et l’inventeur. Si la difficulté s’affaiblissait un peu en remontant de montres en montres, on finirait par la surmonter, à force de multiplier les suppositions de remplacement : il n’y a aucune différence quelconque, quant à la solution du problème, soit qu’on suppose une succession finie, ou une succession infinie. Une chaîne composée d’un nombre infini de chaînons ne peut pas mieux se soutenir par elle-même qu’une chaîne composée d’un nombre fini de chaînons Quoique nous n’ayons jamais fait cette expérience, nous en avons la parfaite certitude, parce que nous sentons très bien qu’en décuplant ou en centuplant le nombre des chaînons, nous ne faisons point un seul pas vers la solution de la difficulté. Tel est le cas dont il s’agit. La machine que nous avons sous les yeux, démontre par sa construction une invention et un dessein. L’invention suppose un inventeur, et le dessein un être intelligent, soit que le mécanisme procède immédiatement ou non, d’un autre mécanisme semblable.
La question n’est pas seulement de savoir pourquoi et comment la montre existe : le point à éclaircir, la difficulté à laquelle nous ne pouvons pas échapper, c’est l’invention et le dessein de cette machine : comme que nous fassions, il faut toujours remonter à un agent doué d’intelligence.
Notre observateur réfléchira que l’agent créateur de la première montre a réellement fait toutes celles qui sont procédées de cette première ; car fabriquer une seconde et une troisième montre par les instruments nécessaires à cet ouvrage, ou bien faire en sorte que le mécanisme produise une nouvelle montre, c’est une seule et même chose, quant à l’intelligence, à cela près qu’il y a un art bien plus admirable dans cette faculté de reproduction indéfinie communiquée par l’inventeur. Il semble donc que l’admiration de l’observateur ne peut que s’accroître par cette découverte. Que dirait-on si, au lieu de s’étonner et d’admirer davantage, cet observateur concluait de sa découverte nouvelle, qu’il n’y a ni art ni invention dans la montre ? C’est pourtant là précisément le raisonnement des athées.
1 William Paley, Théologie naturelle, trad. Charles Pictet, Imprimerie de la Bibliothèque Britannique, Genève, an 12 (1804), pp 1-11.