Partager la publication "À propos de la micro et de la macroévolution"
Par Pr Pierre Rabischong
SCIENCE ET TECHNIQUE
« Les rationalistes fuient le mystèrepour se précipiter dans l’incohérence »
(Bossuet)
Pr Pierre Rabischong1
Résumé : Professeur d’anatomie et spécialiste des prothèses, le Pr Rabischong put mesurer la quantité de « matière grise » que les ingénieurs déploient pour mettre au point le moindre substitut aux organes du corps. Or l’organe imité par la prothèse est toujours, et de loin, très supérieur à la copie. L’information, l’ordre, le programme sont le contraire du hasard. Comment donc ne pas admettre l’existence d’un Programmeur, même invisible, à l’origine de chacune des espèces intelligemment conçues qui s’offrent à notre étude ? Or la théorie de l’évolution affirme que les différentes formes vivantes sont sorties les unes des autres (c’est « l’ancestromanie ») par l’accumulation de petites variations aléatoires (les mutations).
En face les anti-évolutionnistes ont coutume de distinguer la « microévolution », petite variation intraspécifique (cas réel et observé) de la « macroévolution », grand saut avec apparition d’organe nouveau (cas mythique car inobservé). La microévolution serait alors acceptable, tandis que la macroévolution serait à rejeter. Le Pr Rabischong expose ici pourquoi même le terme de microévolution revient à entériner un processus darwinien (non dirigé) non prouvé.
La nature, qui est la collection des êtres vivants, le « musée de la vie », n’est pas un chaos désordonné. Elle est constituée d’une série d’espèces bien définies et différentes représentant autant de « communautés reproductives » selon la définition d’Ernst Mayr. Tous les membres d’une espèce sont interféconds et il existe une barrière génétique empêchant les copulations productives hors de l’espèce.
Chaque espèce a sa propre variabilité, inscrite dans le programme génétique, et son adaptabilité propre définissant les limites de sa survie dans un environnement particulier. Comment alors expliquer la grande diversité du vivant ?
Au sein de l’espèce, essentiellement par la reproduction sexuée. Celle-ci permet le mélange des programmes parentaux selon des règles très strictes d’appariement des deux moitiés génomiques parentales.
Le phénomène critique est en effet la méiose durant laquelle les deux chaînes d’ADN se conjuguent. Une double « boîte à outil » génétique est prévue pour réparer en temps réel les possibles erreurs de ce processus de haute technologie. Deux enzymes, l’ADN polymérase et l’exo nucléase, font cette opération sans pouvoir cependant stopper le processus. En cas d’erreur non immédiatement réparable, ou bien la totalité du système est arrêté conduisant à un avortement dit spontané, ou bien le système reste viable malgré son erreur, et dans ce cas peut survenir une malformation, ce qui reste néanmoins très rare. Celle-ci peut se transmettre aux générations suivantes soit par la mère soit par le père, et la malformation est soit dominante soit récessive.
Dans ce contexte bien défini, on peut comprendre que vouloir expliquer l’apparition des 3 millions d’espèces que nous connaissons par une succession d’erreurs imprévisibles et donc non programmables relève d’une pure fantaisie. On ne peut pas faire de la haute technologie en additionnant des erreurs. Car les mutations, considérées par certains comme le moteur de l’évolution, sont réellement des erreurs qui peuvent n’avoir aucune conséquence visible ou qui peuvent donner lieu à des malformations graves touchant des gènes ou même des chromosomes entiers comme dans la trisomie 21 caractérisant les enfants dit mongoliens en raison de leur apparence particulière. Ces déviations importantes du schéma spéciel donnent la plupart du temps des sujets stériles ne pouvant pas transmettre l’anomalie génétique. Divers chercheurs ont étudié les phénomènes d’hybridation interspécielle qui peuvent engendrer des individus viables comme le mulet, issu de l’âne et d’une jument, ou le tigron, issu du tigre et d’une lionne.
Mais ces hybrides sont stériles, ce qui montre bien que tout est fait pour donner une grande force à l’espèce, qui est réellement la base « antichaos » du système naturel. Il n’en va pas de même pour les plantes qui n’ont pas toutes une reproduction sexuée.
On peut donc analyser le concept de microévolution, qui, on doit le rappeler, est le principe essentiel du gradualisme prôné par Darwin. Accepter la microévolution veut dire qu’on accepte la possibilité d’un changement de caractère phénotypique2 au sein d’une espèce par un changement aléatoire de type mutationnel au sein du programme génétique. On peut prendre pour exemple la résistance aux antibiotiques de certaines souches de bactéries. En fait ce phénomène tout à fait réel ne peut pas justifier l’existence de mutations dites « profitables » qui donneraient naissance à une variété mieux adaptée à son environnement. Il s’agit incontestablement de l’expression de la variabilité inscrite dans le programme d’une bactérie, et qui lui permet de ne plus répondre à l’agression d’un antibiotique, extrait lui-même la plupart du temps d’un microorganisme.
Le vrai problème est de savoir si une mutation peut ajouter de l’information au génome pour la création éventuelle d’un nouveau système spéciel. Or son caractère aléatoire la prive de cette possibilité de participer à l’élaboration d’un programme nouveau nécessitant à l’évidence une « concertation » multifactorielle techniquement intelligente. Il est donc important de ne pas utiliser le mot de microévolution qui ne correspond pas à une réalité biologique et qui plonge immédiatement l’utilisateur dans la logique darwinienne. Si, de même, croire dans l’évolution veut dire croire au passage progressif d’une espèce à une autre, cette conception n’est plus acceptable, comme nous allons le voir.
S’agissant de la macroévolution, le problème est le même. On parle de macroévolution à propos des grands sauts « technologiques », comme le passage reptile/oiseau.
Le gradualisme de Darwin n’est plus applicable et Darwin lui-même s’en tire par une pirouette en affirmant que notre collection de fossiles est trop incomplète pour trouver le bon chaînon manquant ( missing link ) qui effacerait la discordance. Stephen Jay Gould et Nils Eldredge ont suggéré de parler de ponctualisme, c’est-à-dire de changements brusques dans l’évolution succédant à des périodes relativement stables.
On doit aussi souligner le fait qu’aucun fossile connu n’est un « raté », mais au contraire le témoin incomplet3 d’un organisme de « haute technologie » biologique. Si on prend l’exemple de la limule qui se retrouve inchangée dans toutes les couches géologiques, on est obligé d’admettre qu’une des qualités majeures des programmes génétiques est leur grande stabilité dans le temps. Il n’y a pas dans la biologie de « bricolage », comme le disait François Jacob, mais une très grande rigueur avec des règles précises et intelligentes, admettant cependant une certaine flexibilité. Certes, la sélection naturelle existe, mais comme la possible élimination d’une espèce qui n’est plus intégrée dans un environnement répondant à son adaptabilité programmée génétiquement. Or éliminer n’est pas innover.
Parvenu à ce stade du raisonnement, il semble logique de se poser la question suivante qui n’accepte qu’une réponse binaire : concernant l’origine du monde vivant, le système a-t-il pu se faire seul par une suite de mutations aléatoires et non programmables sélectionnées par un jury inintelligent nommé sélection naturelle sans aucune intervention extérieure, ou le système de la vie a-t-il été mis en place par un Constructeur génial et créatif qui a toutefois souhaité rester invisible et muet. La première hypothèse, qui correspond au darwinisme sous toutes ses formes, peut difficilement résister à une critique dirimante fondée sur la non contemporanéité des mutations mâle et femelle.
En d’autres termes, d’après ce que nous avons dit de l’espèce, communauté reproductive exclusive, créer une nouvelle espèce par des mutations aléatoires implique que le mâle (ou la femelle) qui sort par sa mutation du patrimoine génétique de l’espèce avec les membres de laquelle il n’est plus fécondant, trouve une (ou un) partenaire qui ait au même moment la même mutation aléatoire. Ce phénomène est d’une très faible probabilité statistique. De ce fait, la filiation interspécielle n’a jamais pu être démontrée scientifiquement ou expérimentalement, ce qui devrait mettre fin à la notion de transformisme, proposée par Darwin, pour caractériser le passage progressif d’une espèce à une autre.
Ce que j’ai appelé « ancestromanie » est précisément cette obligation, en acceptant la première hypothèse, de chercher toujours l’ancêtre qui précède une espèce donnée, ce qui pour l’espèce humaine nous ferait croire que notre ancêtre serait Orrorin Tagenensis, détrôné par Toumai, des singes totalement incultes ne se doutant pas de leur rôle déterminant pour la venue de l’homme sur la terre. Certains néanmoins se disent évolutionnistes non darwiniens en cela qu’ils acceptent le passage d’une espèce à une autre, en stipulant que le Dieu créateur a lancé le système en contrôlant, plus ou moins, d’en haut, les mutations complexes nécessaires pour expliquer les grands changements. Ce type de compromis est très facilement critiquable d’un point de vue scientifique, car il n’est fondé sur aucune donnée directement observable.
Ceci devrait nous conduire finalement à adopter la seconde hypothèse, celle d’un constructeur ayant programmé la séquence historique du vivant dans tous ses détails, et ayant choisi de mettre l’homme en dernier, peut-être pour ne pas être gêné par le seul vivant capable de critiquer ses choix et éventuellement de chercher à les détruire. Cette vision se rapproche de la conception dite fixiste émise par Georges Cuvier qui pensait qu’il n’y avait sur terre que les espèces créées par Dieu, et que seules des catastrophes naturelles pouvaient en changer l’ordonnance. La conception trop rigide de Cuvier a besoin d’être assouplie.
Mais si un constructeur puissant est à l’origine du monde vivant, il ne peut avoir laissé le hasard s’introduire dans le système, et il a dû nécessairement tout mettre en place dans le détail, sans pour autant laisser derrière lui des laboratoires ou des ateliers. Là est sans doute sa vraie puissance de création « ex nihilo ». Parler de « programmisme » comme je le fais4, est donc adhérer à ce concept d’un constructeur extrêmement intelligent comme en témoignent toutes ces réalisations que nous pouvons admirer et étudier avec tous les moyens techniques dont nous disposons actuellement. Aucun biologiste ne peut trouver stupide le processus, la structure ou la fonction biologique sur lesquels il travaille. Il ne peut que s’enthousiasmer5 au sens propre du terme.
Pour finir, le programmisme peut être accepté par tout le monde, croyant ou non croyant. Les croyants peuvent facilement mettre un nom sur le constructeur. Les athées et les agnostiques peuvent accepter l’idée d’un programme, même s’ils ne veulent pas croire en un constructeur invisible et muet6. Quant aux scientifiques, ils répugnent dans leurs théories à faire intervenir une action extérieure non perceptible directement, ce qui correspond bien à leur vocation d’observateurs de faits reproductibles. Cependant dans les théories qu’ils en tirent, il est temps qu’ils arrêtent de nous faire croire que leurs faits scientifiques puissent relever du seul hasard, même noyé dans une échelle en millions d’années, ce qui est difficilement concevable.
1 Ancien Doyen de la Faculté de Médecine de Montpellier.
2 Le phénotype désigne l’ensemble des traits apparents d’un organisme, notamment les caractères qui servent à la classification des espèces.
3 Au moins 90% de l’information caractérisant une espèce se rapporte aux organes mous (qui disparaissent lors de la fossilisation).
4 cf. Le Programme Homme, Paris, P.U.F. 2003.
5 Ndlr. Le mot enthousiasme vient de l’adjectif grec entheos (inspiré par un dieu) que les poètes de la Pléiade ont francisé. Il gardait alors sa connotation divine.
6 Ndlr. Est-on vraiment sûr que soit muet Celui qui nous parle à travers la Révélation ? Cf. Ps 18(19).