Par Thouvenin, François

LES DESSOUS DE LA PRÉHISTOIRE

Série « Les belles histoire d’Oncle Fernand »

3. Lizou, le vaillant petit pionnier, ou l’origine des oiseaux 

(Projet de sketch informel commandé par Yvon Pottens, spécialiste de paléontologie humaine mondialement réputé, afin d’illustrer et d’exalter encore un peu plus la Loi Intangible de l’Évolution dans les établissements scolaires, mettant ainsi les jeunes esprits à l’abri des billevesées créationnistes)

• Salut, Onc’ Fernand ! Hier après-midi, j’ai vu un truc super à la télé. C’était sur les dinosaures volants. Et tu sais quoi ? Y’en avait tout plein de sortes, même des giga-gros !
• Oui, Jérémy, ça allait de la taille d’un moineau à celle d’un avion, en passant par les ptérodactyles et les ptéranodons. Le quetzalcoatl était un géant volant de douze mètres d’envergure !
• Le quezto… quèzaco ? Ah ! ouais, j’ai vu ça ! Trop top !
• Et tu sais ce que signifie « quetzalcoatl » ?
• Ben non…
• Ça veut dire « serpent à plumes » dans une ancienne langue indienne du Mexique. C’était un dieu de ces peuplades-là.
• Ça peut avoir des plumes, un serpent ?
• Non, le quetzalcoatl n’a jamais existé que dans l’imagination humaine… Mais après tout, en y réfléchissant bien, les gens qui l’ont inventé n’avaient peut-être pas si tort que ça d’apparenter entre elles les espèces d’animaux, parce que figure-toi que les oiseaux… Tu vois comment ils sont, les oiseaux, n’est-ce pas ? Ils sont recouverts… Allez, dis-le, ils sont recouverts de quoi ?
• Ben… de plumes, non !?
• Bien sûr ! Or, figure-toi (et là, tu vas être surpris), figure-toi, donc, que les oiseaux sont les descendants des ?……. Réfléchis…… Les descendants de qui ?
• Ben, ch’sais pas…
• DES DINOSAURES, justement ! Tu te rends compte ? Ça a l’air incroyable, hein ? Mais si on se réfère à l’Évolution, qui peut tout expliquer, qui explique tout, ça n’a rien d’étonnant. Parce que tout se tient, vois-tu : de la première cellule vivante à l’homme, tout se suit, se succède, en un miracul… (euh…), en un merveilleux et constant progrès.
• C’est un progrès, que les oiseaux descendent des dinosaures ?
• Bien sûr ! Un gigantesque progrès ! Comme celui de Bubulle sortant de la mer ou de Bertha y entrant ; tu te souviens ?¹
• Mouais… Mais pourquoi qu’c’est un progrès ?
• Parce que la plume des oiseaux est bien plus légère que l’écaille des dinosaures, cette blague ! Et qu’elle se prête beaucoup mieux au vol ! Donc, figure-toi qu’un jour…
• Ça commence toujours par « un jour », tes histoires, onc’ Fernand…
• Eh bien oui, quoi, il faut un début à tout, et tout débute forcément un beau jour… Où en étais-je ?… Ah oui ! Un jour, donc (si tu veux bien, héhé !), un dinosaure pas très grand, juste un gros lézard herbivore, était poursuivi par un dinosaure très féroce qui voulait le dévorer. Appelons ce gros lézard Lizou. Et voilà-t-il pas que Lizou arrive au bord d’une falaise ! Alors, forcément, il se trouve coincé tout à coup entre son poursuivant et le vide… Qu’aurais-tu fait à sa place ?
• Ben, ch’sais pas…
• Se faire dévorer, ça doit être très, très long et très, très douloureux, non ? Surtout si on tombe sur un prédateur sadique habitué à commencer par les pattes et le derrière… Alors, tant qu’à mourir, autant choisir la mort la plus rapide. Et le petit dinosaure a sauté…
• Et il s’est envolé ?
• Ah non, tu vas trop vite ! Pas celui-là, pas déjà ! Lui, c’était un précurseur, en somme. Alors, tout en agitant ses papattes de devant comme pour essayer de freiner, il est allé se fracasser en contrebas.
• Trop pas cool !…
• Eh oui… Mais ses petits avaient vu la scène. Et ça leur a donné des idées. Alors, par imitation, ils ont pris l’habitude d’agiter sans arrêt leurs papattes de devant comme ils l’avaient vu faire à leur père et comme ils le voyaient déjà faire chaque jour à leurs cousins munis d’ailes au lieu de papattes de devant. Et un jour (excuse-moi, hein !), l’un d’eux, poursuivi par un dinosaure carnassier, est arrivé au bord de la même falaise, a agité ses papattes de devant…
• Et il s’est envolé !
• Non, pas encore, malheureusement pour lui, mais au moins, il a essayé… Tu te souviens de l’histoire de Bubulle, le poisson qui voulait sortir de l’eau ? Eh bien, ç’a été pareil pour Lizou et toute sa lignée : pendant des millions et des millions… et encore des millions d’années, les descendants de Lizou ont sauté du haut de la falaise en agitant leurs papattes de devant pour essayer de voler… Et ils se sont évidemment cassé la figure. Des millions, des milliards, des trillons, des quadrillons de Lizous !… Pauvres bêtes, quand on y pense… (snif !)
• Tu pleures, onc’ Fernand ?
• Mais non, voyons !… Donc, voilà : il y a eu d’innombrables générations de reptiles incapables de voler, mais essayant pourtant de le faire sous l’empire de la nécessité. Et puis, un jour (arrête de pouffer bêtement, c’est bel et bien arrivé d’un seul coup), il s’est produit par hasard une MUTATION FAVORABLE. C’est-à-dire qu’une couvée de dinosaures est née non pas avec des écailles, qui sont lourdes, mais avec des plumes, qui sont légères !! C’est DINGUE, hein ? Et c’est ce qui s’est passé forcément, puisque le dog… (euh…) la Loi de l’Évolution nous l’enseigne. Et à partir de là, les choses sont allées relativement vite : génération après génération, les proto-oiseaux ou reptiles-oiseaux (on va les appeler comme ça) ont développé leurs papattes de devant en ne cessant de les agiter comme la sous-espèce en avait pris l’habitude, et à force d’être entraînées ainsi, au fil d’un nombre incalculable de générations, ces papattes sont devenues des sortes d’ailes, de plus en plus légères, de plus en plus longues et larges, de plus en plus portantes, au point de permettre des sauts de plus en plus longs, de plus en plus hauts… Jusqu’au… jour (eh oui, héhé !) où l’un de ces reptiles-oiseaux, poursuivi par un prédateur et arrivant au bord de la falaise, a préféré sauter dans le vide comme ses devanciers… Mais, cette fois, sans même s’en rendre compte, par instinct, par nécessité, le voilà qui s’est mis à voler devant les yeux ravis de ses congénères !! Ah, quelle inexplicable splendeur que l’intelligence de Notre Mère Nature !… Au bout de tous ces millions d’années, la nécessité venait enfin seconder le hasard pour cré… (euh…), pour produire le premier oiseau à partir du reptile !! (snif !)
• Tu pleures, onc’ Fernand ?
• C’est seulement d’émotion… Mais tu m’as encore interrompu….. Ah oui, je voulais ajouter que ce dernier reptile volant… ou premier oiseau, a reçu le nom d’archæoraptor. On en a trouvé un fossile en Chine ; c’est donc la preuve de son existence, la preuve que les oiseaux descendent bien des dinosaures et que…
• « Aréco… archér… archéo…raptor », tu dis ? Mais à la télé, justement, ils en ont parlé, et ils ont dit hier que c’était pas vrai. Que des déconneurs avaient collé la tête et le corps d’un oiseau à la queue et aux pattes de devant d’un dinosaure pour faire croire qu’on avait trouvé ce qui manquait entre les reptiles et les oiseaux…
• Aha… (aheum…). Tu es sûr de ça ?
• Oui, j’ai même enregistré l’émission sur ma tablette. Je l’ai ici dans mon sac, tu veux voir ?
• Non, non, ce n’est pas la peine (aheum…) Parce qu’il faut se méfier de ce qu’on voit à la télévision : périodiquement, il y a une taupe de la secte créationniste qui arrive à passer entre tous les filtres pour déverser ses inepties dans une émission de vulgarisation scientifique ; presque toujours, on la démasque à temps pour l’empêcher de nuire, mais manifestement, on ne l’a pas vu venir, celle-là ! J’espère que le responsable de ce fiasco sera sanctionné comme il le mérite… Mais revenons à des choses vraiment intéressantes. Sais-tu, par exemple………
• Mais pourquoi il fallait absolument que les oiseaux proviennent des dinosaures ? Pourquoi ils n’auraient pas pu être cré… (pardon) pas pu apparaître tout seuls ? Pourquoi est-ce qu’on voit toutes sortes d’espèces qui volent : les prétod… machins, les chauve-souris, et même les poissons : on nous l’a appris à l’école. Est-ce que le Créat… est-ce que Notre-Mè-reu-la-Nature avait besoin de partir des dinosaures pour fabriquer les oiseaux ? Elle n’était pas assez maligne pour le faire directement ? Et puis, dis voir, onc’ Fernand, tous ces millions de milliards de Lizous munis de pattes en train de devenir des ailes, qui n’avaient plus des vraies pattes et pas encore des vraies ailes, ils faisaient comment pour se déplacer ? Ça devait être drôlement difficile pour eux de courir jusqu’au bord de la falaise !… Sans compter qu’ils n’avaient peut-être même pas eu le temps de faire des petits avant !…
• Aïe aïe aïe ! Je vois que tu passes décidément beaucoup de temps avec ton copain Kevin, l’adorateur de la Bible ! J’avais pourtant prévenu ton père à ce sujet… Les oiseaux descendent des dinosaures, voilà tout ! C’est une vérité scientifiquement révélée et démontrée, donc intangible sous peine d’héré… sous peine de non-sens pseudo-scientifique, et tous les révisionnistes acharnés, tous les négationnistes rétrogrades, tous les fondamentalistes religieux n’y peuvent plus rien, parce qu’il y a désormais trop de savants pour le professer et aussi trop de gens pour le croire… Bon, tu m’excuseras, mais il est l’heure que je parte à la fac. Allez, rentre chez toi, Jérémy, et bonne journée… Et ne fréquente plus ce Kevin, bon sang !!
• Ben… au revoir, onc’ Fernand…….
• C’est ça, au revoir…………

Par François Thouvenin,
orthopaléontologue diplômé

L’I.G.I.O.E.S. (Inspection Générale de l’Impartialité et de l’Orthodoxie des Enseignements Scientifiques) recommande vivement l’adoption de ce sketch informel à des fins didactiques, en vue de sa diffusion dans les établissements de l’Éducation Nationale, depuis l’école maternelle jusqu’au mastère de sciences naturelles. À condition, toutefois, de supprimer les huit dernières répliques, qui n’apportent rien à la démonstration.

1 F. THOUVENIN, « La splendide épopée de Bubulle et Bertha », Le Cep n°57, p. 27 ; et « Origines du poisson Bubulle et de tous ses gentils amis », Le Cep n°68, p. 34.