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Par Reix Justine
Comment la Chine vend les « organes halal » de ses prisonniers ouïghours1
Résumé : Comme en écho à l’article publié dans Le Cep n°85 sur les prélèvements forcés d’organes en Chine, le présent article, aussi effrayant, cible la vente d’organes – prélevés sur des prisonniers ouïghours – à destination de clients fortunés des pétromonarchies du Golfe. Tout ceci, bien entendu, avec le silence complice de l’Occident, pourtant si prompt à prodiguer ses leçons de morale au globe tout entier !
Enfermées dans des camps d’internement, les minorités musulmanes chinoises serviraient de banque d’organes.
Des organes qualifiés de « halal » prélevés de force et revendus à prix d’or dans les pays du Golfe.
Il ne fait pas toujours bon être d’une autre ethnie que les Han, l’ethnie majoritaire, en Chine. Depuis de nombreuses années, les minorités religieuses y sont persécutées. Musulmans, chrétiens, Tibétains ou encore Falun Gong sont considérés comme des ennemis de l’État de par leurs croyances2. En 2014, des camps d’internement ont été construits dans la province autonome du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Le but étant d’y enfermer des centaines de milliers de musulmans Ouïghours, Kirghiz, Hui et Kazakhs. Selon Amnesty International, un million de Ouïghours seraient actuellement détenus sans procès, ni raison particulière. Mais en plus du travail forcé dans ces camps, les organes des détenus seraient prélevés pour être revendus.
Après avoir longtemps nié l’existence de ces camps, la Chine a fini par les reconnaître officiellement, en octobre 2018, sous le nom de « camps de transformation par l’éducation ». Certains internés n’en sortent jamais. Selon bon nombre d’enquêteurs, la raison de ces disparitions serait simple : ils seraient tués pour leurs organes.
Depuis 2016, le gouvernement chinois a lancé une vaste campagne de bilan médical dans la région autonome du Xinjiang, avec des tests obligatoires uniquement pour ses habitants Ouïghours âgés de 12 à 65 ans. Dans la batterie de tests proposés, on prélève du sang mais on réalise aussi parfois des examens échographiques. Ces derniers permettent de visualiser la taille, la forme et la structure interne d’un organe. Des bilans médicaux douteux que la Chine n’a jamais cherché à justifier.

Pour beaucoup – cela ne fait aucun doute – ces tests permettent d’alimenter une base de données des futurs donneurs. Un journaliste d’investigation américain, Ethan Gutmann, a travaillé pendant plusieurs années sur les prélèvements d’organes en Chine. Pour lui, il est évident que la Chine tente de garder un œil sur les minorités ethniques à travers ces contrôles médicaux : « Tous les rescapés de camps que j’ai pu interroger, qu’ils soient Ouïghours, Kazakhs, Kirghizes ou Hui, ont eu des prélèvements sanguins tous les mois. On pourrait se dire que c’est pour éviter des maladies infectieuses, mais ce n’est pas possible puisque les Chinois Han représentent plus de la moitié de la population dans le Xinjiang et pourtant ils ne sont pas testés.
Ces bilans permettent donc de les surveiller et, potentiellement, de les repérer pour des prélèvements d’organes. » Grâce à ces tests, le gouvernement peut donc connaître et collecter le groupe sanguin des Ouïghours ainsi que l’état de leurs organes.
La Chine fait partie des pays où le temps d’attente pour une greffe est le moins long. Pourtant, dans la culture chinoise, il est important de garder intact le corps après la mort et donc ne pas faire don de ses organes. Alors que les dons d’organes ne sont pas monnaie courante, les donneurs sont pourtant toujours disponibles. Comment la Chine obtient-elle tous ces organes ? L’attente se compte seulement en jours, parfois en semaines, alors que, pour beaucoup de pays, il faut souvent attendre plusieurs mois, voire des années. Aux États-Unis, il faut en moyenne 3,6 ans pour obtenir une greffe, alors que 145 millions de personnes sont enregistrées comme donneurs d’organes. En Chine, il faut environ 12 jours seulement pour la même demande, alors que 373 536 personnes seulement sont enregistrées comme donneurs d’organes. Certaines personnes apprennent même à l’avance la date exacte de leur transplantation. En d’autres termes, les hôpitaux connaissent à l’avance les dates de décès des donneurs.
Les prélèvements d’organes ne sont pas nouveaux en Chine. Durant de nombreuses années, le pays en a prélevé sur des condamnés à mort avant d’annoncer à la communauté internationale, en 2015, la fin de cette pratique.
Enver Tohti, un ancien médecin ouïghour, a assisté et participé à des prélèvements d’organes sur des condamnés à mort en 1995. Il a, depuis, fui la Chine. Son chef de service lui avait ordonné, à l’époque, de prélever des organes sur un condamné à mort. « On attendait les coups de feu pour sortir du véhicule dans lequel nous étions, les autres médecins et moi. Il y avait plein de cadavres allongés par terre. Mon chef m’a ordonné de retirer un foie et un rein. Alors, c’est ce que j’ai fait ! », rapporte l’intéressé. Sauf que ce condamné à mort était encore en vie. Lorsqu’Enver Tohti a commencé à opérer l’homme, du sang a jailli, preuve que son cœur battait toujours.
« Il a gesticulé. Son corps essayait de lutter mais il était trop faible pour résister. Il n’était pas mort et je lui ai quand même retiré son foie et son rein. Mon chef a récupéré les organes et m’a dit de tout oublier. »
Les condamnés à mort ont longtemps servi de banques d’organes et rien ne prouve que cette pratique se soit vraiment arrêtée en 2015.
Les Falun Gong sont eux aussi victimes de prélèvements d’organes et incarcérés dans des camps. Ce mouvement fondé sur une technique traditionnelle de relaxation, poursuivi et réprimé par le gouvernement chinois, est considéré comme une menace pour le Parti communiste3. L’ancien ministre chinois de la santé, Bai Shuzhong, a d’ailleurs abordé, lors d’appels téléphoniques, l’existence de prélèvements d’organes sur des Falun Gong.

Le China Tribunal a recueilli plusieurs témoignages comme celui de Gulbahar Jelilova, une jeune femme kazakhe réchappée d’un camp d’internement.
Elle a été détenue pendant un an et trois mois. Emprisonnée avec des femmes ouïghours, elle a très vite entendu parler des prélèvements d’organes et a constaté la disparition de prisonnières. Régulièrement, elle devait se soumettre à des examens échographiques ainsi qu’à des prélèvements de sang. Mais avant sa libération, en août 2018, la jeune femme a été emmenée dans une nouvelle prison pour faire un dernier examen médical. Examen qui l’aura peut-être sauvée.
La famille de He Lifiang, un Falun Gong, a également témoigné. Après avoir été arrêté, il est mort au bout de deux mois de détention. Sa famille a pu voir son corps et observer une incision recousue sur sa poitrine, mais aussi une incision encore ouverte dans son dos : des zones pour prélever des organes comme un poumon et un rein. Face aux questionnements de la famille, la police répondit qu’il s’agissait seulement d’interventions dues à l’autopsie. Un argument qui ne convainc pas la famille He. Dans ce même rapport4, une autre famille raconte ne pas avoir pu voir le corps d’un membre de leur famille qui fut incinéré sans leur autorisation.
Témoignage du rescapé Omir Bekali qui a subi dans un camp plusieurs tests médicaux, dont des examens échographiques d’organes.

Les acheteurs viennent du monde entier pour ces greffes d’organes. Les prélèvements servent en partie à alimenter les besoins de la Chine, puis de ceux qui ont les moyens de se les payer à l’étranger. Les donneurs ouïghours étant musulmans, la Chine cible principalement le monde musulman pour lui vendre ces organes qui n’ont jamais eu d’alcool ou de porc dans le sang.
« Selon plusieurs de nos sources, un prisonnier d’une trentaine d’années rapporterait un demi-million de dollars à lui seul. »
Erkin Sidick, conseiller du World Uyghur Congress, est l’un des premiers à avoir alerté sur l’existence d’organes halal en croisant plusieurs sources : « Dernièrement, on m’a appris que le Parti communiste chinois avait récemment commencé à transporter une grande quantité d’organes de Ouïghours entre Shanghai et l’Arabie saoudite. Le gouvernement chinois fait la promotion de ces organes halal en Arabie Saoudite pour attirer les musulmans. » Selon lui, il s’agirait de l’une des raisons pour lesquelles plusieurs pays du Golfe (Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis) ont signé une lettre de soutien à la politique chinoise.
Pour un étranger, il est très facile de trouver sur Internet des offres attrayantes provenant de cliniques privées. De nombreux hôpitaux tentent de séduire les patients internationaux à l’aide de publicités en anglais, et les personnes de confession musulmane sont directement ciblées. L’hôpital Tongshantang de Pékin propose sur plusieurs de ses sites des transplantations de rein et se vante sur sa chaîne Youtube d’avoir un espace de prière pour musulmans ainsi qu’une cantine halal pour ses patients.
Pour le journaliste Ethan Gutmann, les organes halal sont vendus à destination des musulmans : « C’est facile. Les hôpitaux chinois vendent les organes et les musulmans qui ont besoin d’une greffe les achètent. » Si aucun prix n’est clairement visible sur les sites, beaucoup estiment qu’il faudrait tripler le prix d’un organe « normal » pour pouvoir se procurer un organe halal. En 2006, le site d’un hôpital chinois proposait par exemple un foie pour 100 000 dollars.
Selon plusieurs de nos sources, un prisonnier d’une trentaine d’années rapporterait un demi-million de dollars à lui tout seul.
Pendant plusieurs années, l’hôpital central de Tianjin a été dans le viseur des organismes luttant contre ce trafic d’organes. Le site de l’hôpital proposait pour les étrangers une version en anglais et une en arabe. « Cet hôpital propose environ 5 000 transplantations par an. J’ai recueilli de nombreux témoignages et preuves sur le nombre croissant de patients venant des pays du Golfe » raconte le journaliste d’investigation Ethan Gutmann. Ce même hôpital a aussi vu son nom être traduit en arabe pour s’adapter à ses nouveaux patients.
Dans la région des Ouïghours, le Xinjiang, l’aéroport de Kachgar permet le transfert d’organes. Au sol, un marquage en chinois et en anglais indique une voie destinée aux transports d’organes. « Cet aéroport se trouve dans une zone peu peuplée, ce qui n’est pas logique. Ce serait logique dans la province du Hunan, mais le Xinjiang ne compte que 25 millions d’habitants. Comment peut-on avoir autant d’organes ? » rappelle le médecin ouïghour Enver Tohti5, lui qui a assisté et participé à des prélèvements d’organes sur des condamnés à mort.

Un marquage au sol dans l’aéroport de Kachgar. Crédit James Millward.
Mais il n’est pas nécessaire d’être musulman pour espérer un organe rapidement et, de plus, en meilleure santé puisque le donneur n’a jamais consommé d’alcool. Récemment, plusieurs pays comme le Royaume-Uni, la Belgique, la Norvège, l’Italie, Taïwan, l’Espagne ou encore Israël, ont instauré une taxe pour dissuader ceux qui souhaiteraient se rendre dans un pays, notamment la Chine, pour recevoir une greffe d’organe. Une décision qui peut être saluée, mais qui semble quasiment impossible à mettre en place. À moins de ficher la population en attente d’un organe.
Le peu de transparence de la Chine empêche de savoir où est redistribué l’argent gagné grâce à ce trafic. Pour le journaliste Ethan Gutmann, il y a de fortes chances pour que l’argent soit disséminé entre les hôpitaux, les établissements locaux du Parti communiste chinois ainsi que les camps d’internement.

Un site chinois de vente d’organes repéré par le Tribunal of China qui ne semble plus actif. Le compte WhatsApp du vendeur est cependant toujours connecté, même s’il a préféré ne pas nous répondre.
Ethan Gutmann a également travaillé sur les nombreuses disparitions de membres des minorités ouïgoures et kazakhes dans le Xinjiang. Son constat est effarant. 25 000 Ouïghours de 25 à 35 ans seraient tués chaque année pour leurs organes, selon le journaliste. Toutes nos sources ont affirmé que les cadavres étaient brûlés pour supprimer toute preuve.
La Chine se méfie encore plus, depuis que la communauté internationale s’intéresse aux camps d’internement dans le Xinjiang. Plusieurs crématoriums ont vu le jour, en quelques années seulement, dans la région des Ouïghours. Chose étrange, plusieurs gardes sont postés nuit et jour devant ces crématoriums. « Pour le tout premier crématorium, ils ont recruté 50 gardiens pour un salaire de 1 200 dollars » raconte Ethan. Une somme rondelette en Chine, ce qui attire encore plus l’attention sur ces crématoriums qu’aucun de nos interlocuteurs n’a pu approcher.
« L’histoire se répète et l’Europe ne fait rien. Cela me rend malade »
Le journaliste reste stupéfait par le peu d’intérêt accordé par la communauté internationale pour ce qui n’est autre qu’un crime contre l’humanité : « Angela Merkel n’a pas l’air de comprendre ce que tout cela signifie. Peut-être que l’économie passe en premier pour elle. L’histoire se répète et l’Europe ne fait rien. Cela me rend malade. »
En juin 2019, un tribunal indépendant, le China Tribunal (présidé par l’avocat britannique, Geoffrey Nice, reconnu internationalement pour son implication dans la lutte contre les crimes de guerre au Kosovo) a enquêté à la demande du groupe ETAC (End Transplant Abuse in China) sur les prélèvements d’organes des prisonniers en Chine. Dans son jugement final étayé sur 60 pages6, le tribunal conclut à l’existence de vols d’organes à grande échelle organisés depuis plusieurs années, mais également au prélèvement d’organes sur les prisonniers de camps d’internement. Selon plusieurs rapports, ce sombre marché rapporterait des milliards de dollars chaque année.
Vient alors la question difficile des enfants Ouïghours et des autres minorités enfermées dans des camps. Que deviennent-ils lorsque leurs parents sont arrêtés ? Les mineurs sont envoyés dans des camps d’endoctrinement pour y recevoir une « éducation patriotique » avec interdiction formelle d’y parler ouïghour. Plus de 500 000 enfants seraient actuellement7 dans ce genre de camp. De quoi rappeler les heures les plus sombres de notre histoire.
Une vidéo d’un des camps pour enfants selon Erkin Sidick :
Si quelques trafics d’organes d’enfants existent en Chine8, rien n’indique pour l’instant que des prélèvements d’organes à grande échelle y soient organisés. « Il y a beaucoup de rumeurs autour des enfants dans les camps d’endoctrinement, mais il n’y a aucune preuve directe. J’ai seulement connaissance de la mort de deux enfants qui ont été battus à mort d’une manière si violente que leurs organes ne pouvaient plus être récupérés. » Selon le journaliste, ces enfants peuvent servir à alimenter un autre marché, celui des esclaves sexuels.
Alors que les preuves s’accumulent autour de cette épuration ethnique, la communauté internationale est encore frileuse à l’idée de condamner la Chine pour des pratiques qui ressemblent, à s’y méprendre, aux camps de concentration nazis. « Les gens ont l’air d’avoir oublié l’Holocauste. Pourtant c’est bien un holocauste qui se passe sous nos yeux au XXIe siècle. On enferme des hommes dans des camps de concentration où ils font du travail forcé, on fait des tests sur eux, on leur prélève leurs organes et on force les femmes à se marier à des Han », raconte Erkin Sidick, un membre du World Uyghur Congress, épouvanté par ces camps.
Le 12 juin dernier, les sénateurs belges ont demandé l’ouverture d’une enquête des Nations Unies sur le trafic et la transplantation d’organes en Chine9. Une demande qui n’est pas nouvelle. En 2019, Hamid Sabi, avocat membre du China Tribunal, avait demandé au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme d’enquêter sur le sujet. Cette année, en France, le député européen Raphaël Glucksmann a travaillé pendant plusieurs mois sur les conditions de détention des Ouïghours en Chine. Il souhaite mettre en place une commission d’enquête internationale ainsi que des sanctions contre le gouvernement chinois.
« Nous sommes face à un État qui a érigé le mensonge en norme. Un État qui a nié l’existence des camps de Ouïghours jusqu’à l’année dernière. Un État qui a caché aux yeux du monde entier la naissance du Covid-19, avant de trafiquer tous ses chiffres sur l’épidémie. Un État qui, depuis sa création, a étouffé et massacré toutes ses minorités », raconte Raphaël Glucksmann qui a fait de la cause ouïghoure son cheval de bataille.
Dernièrement, le député européen et l’Institut Ouïghour d’Europe ont lancé un compte Instagram, Ouïghours News, pour regrouper toutes les informations francophones sur le sujet, dans l’espoir de faire avancer les choses : « Je me battrai inlassablement afin qu’une enquête des Nations Unies sur le trafic et la transplantation d’organes en Chine se constitue. Et que le régime chinois paie pour ses crimes10. »
1 https://www.lelibrepenseur.org/comment-la-chine-vend-les-organes-halal-de-ses-prisonniers-ouighours-aux-riches/ : mis en ligne en juin 2020.
2 Se reporter à l’article circonstancié de G. YIN & D. LI, « Les prélèvements forcés d’organes en Chine », in Le Cep n°85, décembre 2018, p. 24.
3 Ndlr. En réalité, le Falun Gong, technique d’hygiène physique et mentale multiséculaire, était jadis vanté comme une preuve de la supériorité du régime chinois, comparé à l’Occident. Mais quand les pratiquants de Falun Gong devinrent plus nombreux que les membres du Parti (on en comptait 70 millions en 1999), le gouvernement prit peur et la persécution commença.
4 state.gov/report/custom/4b079f0555/
5 https://video.vice.com/fr/video/fr-le-chirurgien-chinois-qui-denonce-la-vente-des-organes-halal-de-ouigours-a-prix-dor/5ee3aadb44562c71471fb751
6https://chinatribunal.com/wp-content/uploads/2019/06/Short-Form-Conclusion-China-Tribunal.pdf
7 https://taiwannews.com.tw/en/news/3846961
8 https://instagram.com/p/CAsy7IJoKSY/?utm_source=ig_web_copy_link
9https://lalibre.be/international/asie/le-senat-belge-condamne-les-prelevements-forces-d-organes-en-chine-5ee350847b50a66a595aff7a
10 https://uhrp.org/news-commentary/one-woman-story-what-she-witnessed-chinese-concentration-camps