Partager la publication "Dossier Malachi Martin 2 : La Maison battues par les vents"
Par Francois Thouvenin
La Maison battue par lesvents. Le roman duVatican,
par Malachi MARTIN
(Titre original : Windswept House. A Vatican novel)
Point de vue du traducteur François Thouvenin
Malachi Brendan Martin naît à Ballylongford, dans le comté de Kerry (République d’Irlande), le 23 juillet 1921 au sein d’une famille catholique de la classe moyenne où l’on parle irlandais à table. Ses trois frères seront ordonnés prêtres, comme lui, deux d’entre eux devenant des universitaires eux aussi. Après des études secondaires à Dublin, il entre le 6 septembre 1939 comme novice dans la société de Jésus. La Deuxième Guerre mondiale l’oblige à rester en Irlande, où il étudie à l’Université nationale. Il y obtient un baccalauréat en sciences sémitiques et en études orientales tout en faisant des études d’assyriologie au Trinity College de Dublin, après quoi il part poursuivre ses études à l’université catholique de Louvain, en Belgique.
Le 15 août 1954, jour de la fête de l’Assomption, il est ordonné prêtre dans l’ordre des jésuites. Il étudie ensuite à l’université hébraïque de Jérusalem et à l’université d’Oxford, se spécialisant dans les études intertestamentaires, la christologie et les manuscrits hébreux et arabes. Il étudie aussi la psychologie, la psychologie expérimentale, la physique et l’anthropologie.
Il participe aux recherches sur les manuscrits de la mer Morte et publie dans divers journaux de nombreux articles sur la paléographie sémitique. Il travaille longuement sur le syllabaire de Byblos à Tyr (au Liban) et dans la péninsule du Sinaï. Il prend part à ses premiers exorcismes en Égypte, où l’ont amené ses études d’archéologie.
Il est convoqué à Rome pour y devenir le secrétaire du cardinal Bea (sj.), confesseur de Pie XII, poste qu’il occupe de 1958 à 1964 et qui le met en contact avec Jean XXIII, l’initiateur de l’aggiornamento dans l’Église. Ses années romaines coïncident avec les débuts de Vatican II (1962-1965), et il assiste en tant qu’interprète à toutes les sessions de ce Concile, dont l’évolution le laisse de plus en plus perplexe.
À Rome, il devient professeur à l’Institut biblique pontifical, où il enseigne l’araméen, la paléographie, l’hébreu et l’Écriture Sainte. Durant cette période, il réside au Vatican. Là, il travaille comme traducteur, sous l’autorité du cardinal Bea, au sein de la Division des Églises orthodoxes et des anciennes Églises orientales au Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens. Mais en juin 1964, il démissionne de l’Institut biblique pontifical.
En février 1965, il demande à quitter l’ordre des jésuites. Il est alors dispensé par Paul VI de ses vœux de pauvreté et d’obéissance, le 30 juin 1965, mais non de son vœu de chasteté, demeurant ainsi prêtre séculier.
En 1966, il part s’installer à New York, où il travaille comme plongeur dans un restaurant, serveur et chauffeur de taxi, avant de commencer à pouvoir vivre de sa plume. Il s’occupera de médias et de communication pendant tout le reste de sa vie. Après son arrivée à New York, le cardinal Cooke lui donne par écrit l’autorisation de continuer à exercer son sacerdoce. Il est naturalisé américain en 1970.
Avec le temps, ses écrits deviennent de plus en plus critiques vis-à-vis du concile Vatican II et de l’Église post-conciliaire. Le roman dont il est question ici est le dernier qu’il ait écrit ; il est aussi le plus abouti.
Malachi Martin meurt le 27 juillet 1999 à New York, où son corps repose au Gate of Heaven Cemetery.
Le personnage principal de La Maison battue par les vents n’est autre qu’un certain « Pape slave ». On est donc en présence de ce qu’il est convenu d’appeler un roman à clef, ce genre d’œuvre dont l’auteur fait passer un message à travers une trame romanesque et des pseudonymes. Force est de souligner tout d’abord sa qualité purement littéraire, Malachi Martin étant aussi un véritable écrivain. L’humour et la truculence y affleurent parfois, bien que le sujet ne s’y prête guère.
La galerie des personnages – tant secondaires que principaux – est particulièrement fournie, pittoresque à l’occasion, et la psychologie de chacun est exposée avec autant de délicatesse que de précision. On mentionnera pour commencer la famille Gladstone, dont l’immense et majestueuse demeure située sur l’île côtière de Galveston, face à l’océan Atlantique, a pour nom Windswept House, « Maison balayée par le vent » : la mère, Cessi, femme forte de la Bible, fermement attachée à sa foi catholique semper idem (c’est sans doute à elle que l’auteur s’identifie le mieux) ; Christian, l’aîné de ses trois enfants, prêtre inébranlable dans son sacerdoce traditionnel ; Paul, le cadet, financier international, puis hiérarque européen devenu quelque peu apostat ; Tricia, la benjamine, artiste peintre handicapée par une grave maladie des yeux.
Sauf Paul, ces gens sont de fervents catholiques américains issus de la Cornouaille, que leurs ancêtres durent quitter en 1668 pour échapper aux persécutions élisabéthaines. Les Gladstone, qui ont fait fortune en Amérique, s’enorgueillissent de la devise « Pas de quartier ! », et c’est sans fléchir qu’ils n’ont cessé de l’appliquer à tout ce qui est ennemi de l’Église du Christ.
L’aîné des Gladstone va vivre des moments difficiles et même crucifiants dans une Église, et notamment une Rome, en proie aux séquelles du concile Vatican II.
Il va y rencontrer des hommes voués, les uns – de plus en plus rares – à la préservation de ce qui peut être sauvé de l’Église de toujours, de l’Église « en ordre », les autres – nombreux et sûrs d’eux-mêmes – au remplacement de celle-ci par une institution syncrétiste en parfaite adéquation à l’esprit du temps et aux exigences du monde, dont le prince a été officiellement intronisé au sein même de l’Église.
Parmi les premiers, on retiendra la forte personnalité de Damien Slattery, supérieur de l’ordre des dominicains, colosse irlandais aussi bon vivant et tonitruant que capable d’une grande finesse de jugement. Parmi les seconds, le tortueux cardinal secrétaire d’État Mastroianni, aux accointances mondialistes troubles et délétères. Le père Christian Gladstone va faire la connaissance du « Pape slave » et de tous ceux qui tournent autour de lui, quelques-uns pour le protéger et le défendre, les autres pour le torpiller en l’entraînant dans leur jeu méphitique. Il fera connaissance avec la corruption qui gangrène peu à peu le grand corps ecclésial, notamment aux États-Unis, son pays d’origine. Cette corruption revêt toutes les formes : religieuse, politique, financière, mafieuse. Elle inclut même un mélange détonant d’homosexualité et de satanisme au sein du clergé, et elle peut aller jusqu’au meurtre, rituel ou non. C’est avec une précision clinique et un sens consommé du suspense que l’auteur – qui est arrivé au sommet de son art – expose les mœurs en question. Tels sont les souverains ingrédients qui rendent ce livre plus difficile à refermer qu’à ouvrir.
Mais on omettrait l’essentiel en ne mentionnant de l’ouvrage que ce qui l’apparente aux meilleurs romans policiers et romans d’espionnage. Car l’essentiel du message de Malachi Martin consiste à dénoncer, en la décortiquant, la corruption de la Foi, qui passe naturellement par celle de la théologie et de la liturgie. On est là aux antipodes de livres à grand succès aussi absurdes, racoleurs et anti-chrétiens que Da Vinci Code, par exemple. La Maison battue par les vents est une hymne vibrante à l’Église du Christ dans ce que celle-ci a de plus sacré, absolu et intemporel, donc de plus divin et, à ce titre, de plus férocement combattu par les forces de l’Adversaire : la Vérité.
Ce sont justement la quête et la défense de la Vérité qui sous-tendent ce roman passionnant à tous égards.
Une question de sémantique et de stylistique comparée
Comme on a pu le lire ci-dessus, Malachi Martin dit avoir intitulé son roman La Maison balayée par le vent en référence à l’Église, qui essuie un fort vent venant de Lucifer. On pourra donc s’étonner que j’aie préféré intituler la version française : La Maison battue par les vents. Il y a pourtant trois raisons à cela.
En premier lieu, l’idée d’une maison balayée est plutôt positive, car si une maison est balayée, recevant de la sorte « un bon coup de balai », c’est parce qu’elle en a besoin pour être purgée de ses saletés. Or, en l’espèce, c’est le vent mauvais évoqué par l’auteur qui est censé faire entrer des saletés dans la maison. J’ai donc voulu éviter toute ambiguïté, et l’adjectif battue m’a semblé assez nettement négatif pour cela. En deuxième lieu, le titre fait référence aussi à la demeure des Gladstone, baptisée Windswept House, qui se trouve être plantée en plein Atlantique, telle un phare avancé de la foi catholique. Or, quand on parle d’un phare, on dit seulement de lui qu’il est battu par les vents, non balayé par eux, car cela pourrait aller jusqu’à signifier que les vents ont emporté le phare. En troisième lieu, et dans le droit fil du deuxième point, mieux valait parler des « vents » au pluriel (ce que le libellé anglais autorise, d’ailleurs), car l’Église est attaquée de toutes parts, quand bien même connaîtrions-nous l’origine unique de ces attaques. Telle est la seule liberté importante que je me suis permis de prendre avec le beau texte de Malachi Martin, toutes les autres variations ne m’ayant été dictées que par le passage obligé du génie de l’anglais à celui du français, comme par le souci d’en rendre la lecture agréable.
(Éd. Saint-Rémi, 2015, 25€)