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POPULATION | Prisoniers hommes | Prisoniers femmes | Total | pourcentage des prisonniers rapporté à la population | |||||
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ITALIE (1938) 43.979 000 | 52 018 | 5 553 | 57 571 | 0,13 | |||||
SUISSE (31-12-1938) 4.186.000 | 1 953 | 382 | 2 335 | 0.05 | |||||
FRANCE (1931) 40.835.000 | 17 699 | 2 708 | 20 406 | 0,05 | |||||
POLOGNE (1938) 34.500.000 | 62 367 | 5 641 | 68 008 | 0,19 | |||||
U R S S 194.000 000 | 15 000 000 | 7,73 |
Par Sylvestre M. Et Pierre Z.
La « liberté » des Communistes (IIe partie)1
Résumé : Après avoir décrit les procédés d’arrestation dans le « paradis des travailleurs », les auteurs – dont nous ne savons rien si ce n’est que l’un d’eux était un socialiste polonais – en viennent maintenant à la finalité de ces arrestations massives, sans aucun lien avec une culpabilité précise comme nous avons l’habitude de l’attendre de nos tribunaux. Il s’agit en réalité d’un processus darwinien d’élimination du « moins apte », de celui qui n’est plus en phase avec la nouvelle société qu’il s’agit d’accoucher au forceps. L’essence de l’élitisme, en politique, veut que la minorité dirigeante sache mieux que les gens du peuple ce qui assurera leur bonheur. Par certains côtés, c’est aujourd’hui l’Occident qui est devenu la proie du filet élitiste, avec le même manque de considération pour la piétaille électorale. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il ne sera pas inutile de se remémorer les leçons d’une histoire au demeurant toute proche, même si le « meilleur des mondes » en gestation saura faire usage des nouvelles technologies permettant d’influencer et de contrôler plus subtilement les populations. Mais, dans les deux cas, mutatis mutandis, donc avec les adaptations qui s’imposent, il est clair que les futurs citoyens de la Cité céleste possèdent bien des traits permettant aux organes de propagande de les dénoncer comme autant d’ennemis du « vivre-ensemble ».
Qui est arrêté en URSS et pourquoi ? (p. 144-149)
a) Catégories de délinquants – Anéantissement en masse des ennemis.
«… Je fus arrêté par les autorités soviétiques à Wilna le 2 août 1940, trois semaines après l’entrée de l’armée soviétique en Lituanie, Lettonie et Estonie.
À Wilna, les autorités soviétiques se consacrèrent tout d’abord, durant les premiers jours de leur gouvernement, à l’organisation et à la remise en ordre des prisons.
Les beaux édifices de l’État et communaux, les édifices des chemins de fer furent transformés en prisons ainsi que les écoles ; cela rendait en même temps inutile toute l’organisation judiciaire. Qui était arrêté ? Pour quel genre de faute ? Celui qui se pose ces questions ne possède aucune idée de la réalité soviétique.
Lorsque, une fois confiné, je demandai à un vieux geôlier, type de citoyen des camps de concentration, en lui montrant une femme, si c’était une prisonnière politique ou une criminelle, il me répondit : « Une demande pareille n’a pas de sens en URSS, car la raison de l’arrestation n’est pas ce délit ou un autre accompli par une personne, mais plutôt le désir de la liquider. De quel droit cela est-il fait ? voilà qui a peu d’importance. »
Après l’arrestation, on s’occupe des raisons de l’arrestation et de l’auto-accusation. Il arrive ainsi qu’au cours des soi-disant enquêtes, le texte même de l’accusation soit plusieurs fois modifié. Les témoins et les preuves matérielles sont choisis seulement après l’arrestation de l’accusé.
Le désir de liquider tous les gens actifs dans la vie de l’État et dans l’économie de la Pologne était le motif des arrestations en territoire polonais2. Citons, par exemple, Wilna : les habitants de chaque immeuble furent minutieusement examinés au sujet de l’ensemble de leur passé, et les individus à arrêter et à liquider furent particulièrement désignés.
Les personnes arrêtées appartenaient aux catégories suivantes :
1) fonctionnaires de l’État et de la commune, officiers de tous grades, hommes politiques de tous genres, comités directeurs de toutes les associations et organisations qui n’avaient rien à voir avec la politique, chefs et membres actifs des organisations socialistes et des syndicats professionnels ;
- personnes de la classe des rentiers, qui avaient et remplissaient des fonctions plus ou moins importantes dans l’économie. Le problème marxiste est la reconstruction sociale et l’expropriation des moyens de production et des propriétés ; les autorités soviétiques ont simplifié ce problème au point de liquider biologiquement la classe des rentiers ;
- personnes de formation professionnelle et d’esprit contraire à l’idéologie soviétique ; en outre, toutes les personnes chez lesquelles on remarquait des « symptômes de quelque individualité ».
À Wilna, j’ai été témoin des faits suivants : Au cours des premiers mois, les autorités soviétiques ont employé la politique de la « main tendue » (flirt) avec le monde artistique polonais ; elles ont donné des subsides aux théâtres, ont offert de somptueux banquets, ont entouré d’une protection « paternelle » les artistes, les peintres, et ainsi de suite. Elles s’appropriaient en même temps certaines personnes très influentes de ce milieu, en inventant lâchement des accusations. Douze personnes parmi les artistes de Wilna étaient avec moi à Loukishki : je ne me souviens malheureusement pas de leurs noms.
Il y eut aussi parmi nous des personnes qui croyaient pouvoir trouver quelque modus vivendi avec les nouvelles autorités et qui ont même présenté dans ce sens des propositions concrètes en toute bonne foi, prouvant ainsi leur pauvreté spirituelle et se compromettant. En effet, pendant vingt ans, les Soviets n’ont certainement pas liquidé tout le monde éduqué dans la culture pré-soviétique, n’ont pas automatisé ni mécanisé l’esprit et l’intelligence de tous les citoyens faisant d’eux des marionnettes de la clique gouvernementale, ce qui a permis de laisser, dans les territoires récemment occupés, des hommes nourris de culture anti-communiste. Mais sous les Soviets, tout homme capable de dire « cogito » (« je pense ») est destiné à être liquidé, à être « arrêté » comme ils disent par euphémisme ;
- même les activistes communistes. Les autorités soviétiques emploient à leur égard une tactique et une façon d’agir toutes particulières. Les chefs communistes étaient certainement persuadés qu’ils deviendraient les autorités du pays après l’entrée des Soviets.
En réalité, ces derniers se sont conduits envers eux de la manière suivante : au début, ils ont profité de toute l’organisation communiste, se servant d’espions et de provocateurs pour les arrestations en masse ; dans la suite, les personnes les plus actives ont été liquidées par des condamnations aux travaux forcés ou de longs séjours en prison.
À Tcheliabinsk, ayant déjà été remis en liberté, je rencontrai un fameux agitateur communiste de Wilna qui, après l’entrée des Soviets, avait été nommé juge-procureur. Heureux de notre rencontre, il me raconta beaucoup de choses sur la réalité soviétique, soulignant qu’il l’avait imaginée de façon bien différente.
Comme conclusion de notre conversation, il me pria gentiment d’intervenir auprès de notre délégation pour qu’on lui délivrât un passeport polonais. Tout en étant depuis nombre d’années communiste et « patriote soviétique », il me dit, d’un ton parfaitement résigné : « Savez–vous, Monsieur, qu’ici, pendant toute sa vie, l’homme est menacé par l’épouvantail de la liquidation indépendamment de ses idées, favorables ou hostiles. Je suis déjà au seuil de la folie à force de ne savoir jamais ce qui pourra m’arriver demain. » Et il n’y a pas de quoi s’étonner : dans le régime soviétique, tout homme qui pense est de trop.
Dans la « katorga » de Vorcouta (RSS des Komi), je parlai assez longuement avec un homme de trente ans, un prisonnier naturellement, fils de L. ex-membre du « Gouvernement temporaire communiste polonais à Bialystok en 1920 ». Lorsque je lui demandai : « Frère, qu’en penses-tu donc à présent ? Est-ce que nous n’avons pas eu raison, nous socialistes, dans nos jugements sur le communisme ? », il me répondit, d’un ton d’homme las : « Qui donc pouvait prévoir que cette idée aurait engendré un monstre pareil ?»
- criminels. Les Soviets ont élargi la signification de l’expression « délinquant commun » en le nommant bytovik, ce qui signifie « de la vie quotidienne ». Ce mot russe englobe tous les délits communs, à partir du vol de cigarettes jusqu’au brigandage professionnel.
Il vaut la peine de faire remarquer qu’il n’existe pas d’État où le vol soit puni aussi sévèrement qu’en Russie soviétique et, en même temps, qu’il n’existe pas d’État où le vol et les tromperies soient aussi largement répandus. Mais personne ne s’en étonne : tant que la société profite de ce vol systématique par l’échange de choses illégalement appropriées, personne ne réagit. Dans la vie soviétique, il existe une « espèce d’échange » qui s’appelle le blat ; ce genre de commerce remplit toutes les cellules de la vie soviétique, l’argent ne représentant pas une grande valeur et ayant un faible pouvoir d’achat. La plus grande partie des articles s’obtient par ce blat, puisque chez les Soviets il y a de tout, mais pas pour tout le monde.
La classe supérieure privilégiée est composée en Russie des rangs gouvernementaux qui ont accès aux richesses du pays, et des rangs de ceux qui exercent cette espèce de blat. Il peut arriver qu’une personne, pour une raison ou pour une autre, perde ce droit : « les amis » alors, désirant montrer avec peu d’effort leur droiture, simulent une affaire et cette personne est liquidée. Les prisonniers de cette espèce constituent la plus grande partie des bytovik. À cette catégorie appartiennent aussi des voleurs et des bandits, qui s’appellent ourki et forment presque une classe fermée avec leurs idéologies de prisonniers et avec une psychologie qu’on ne peut trouver qu’auprès des Soviets.
En ce qui concerne les détenus polonais, militaires ou politiques, nous pouvons résumer comme suit les raisons de leur emprisonnement.
En 1918, d’après le point de vue bolchevique, la marche communiste vers le centre de l’Europe a été ralentie par la résurrection de la Pologne, qui profita de la faiblesse provoquée en Russie par la guerre civile. L’État polonais est donc une organisation contre-révolutionnaire ayant pour but la lutte contre la Russie soviétique.
La Russie soviétique est un état anti-territorial du prolétariat international ; elle a donc le droit de juger chaque citoyen de notre pays qui serait contre le communisme.
Ainsi tous les citoyens polonais qui s’occupaient de questions sociales, politiques, économiques, ont dû signer, lors de leur arrestation, un avis par lequel ils étaient informés qu’ils étaient jugés pour activité contre l’État, et ceci tout en étant des citoyens d’un autre pays.
J’ai rencontré dans un pénitencier un groupe important de personnes du Schutzbund autrichien, qui avaient cherché leur salut dans la Russie soviétique contre la terreur de Dollfuss3. Elles avaient été reçues par de grands banquets et des comices et, après avoir été introduites dans les différents clubs de travailleurs, petit à petit elles furent emprisonnées et condamnées pour espionnage en faveur de l’hitlérisme. Elles furent tellement maltraitées qu’elles signèrent à la fin une déclaration par laquelle elles avouaient être des espions, en qualité de citoyens soviétiques.
Comme la guerre continuait encore, on n’osa pas commencer le procès contre nos hommes, qui furent toutefois condamnés par contumace par l’Ossoboie Soviestchanie. Par contre, dans les cas où ils avaient réussi à avoir des éléments pour les accuser d’appartenir à quelque organisation fondée déjà pendant l’occupation, les Russes commencèrent le procès judiciaire dont le résultat fut une condamnation analogue à celle infligée par l’Osso, voire encore plus grave.
Les membres de plusieurs organisations secrètes furent battus sans miséricorde, torturés, affamés et enfermés dans des caves où il était impossible de ne pas tomber malade. Pour réussir à leur extorquer les fausses déclarations nécessaires à la sentence, les autorités soviétiques recouraient à la torture. Les interrogatoires avaient lieu pendant la nuit, jusqu’à l’épuisement physique et psychique des interrogés.
[…] Seule une personne qui a passé par les jugements de l’autorité soviétique peut se rendre compte des déclarations qu’elle réussit à extorquer aux condamnés.
Quelques exemples :
- Je demandai au médecin-en-chef du pénitencier (prisonnier lui aussi) pourquoi il avait été condamné ; il me répondit tranquillement : « Parce que je suis un espion. »
Comme je m’étonnais et le priais de ne pas se moquer de moi, il me dit « qu’il avait signé lui aussi cette déclaration », en ajoutant : « J’ai essayé de ne pas la signer, mais ils ont torturé ma femme pendant si longtemps qu’ils lui ont cassé l’épine dorsale et elle a signé la déclaration comme quoi j’étais un espion allemand ; moi-même, j’ai été tellement battu sur la nuque avec les revolvers que tout ce qui arrivait m’était indifférent. »
- Le deuxième médecin du camp (un Juif allemand, qui avait cherché asile dans le paradis soviétique) fut arrêté à Moscou au temps où Iejov était commissaire pour les Affaires intérieures. Il fut moins battu parce qu’il avait déjà su en prison que tout étranger devait signer la déclaration d’être un espion et que, s’il refusait cette signature, il serait tué au cours du procès.
Il vaut la peine de souligner à ce propos que rarement, en Russie, on mettait en liberté un étranger ; les réfugiés, dans le meilleur des cas, étaient naturellement envoyés dans le Nord, pour posielenie, c’est-à-dire en « exil ».
- Un professeur de l’école polytechnique de Moscou au temps des tsars, homme de 62 ans, spécialiste en expériences sur le charbon, fut condamné à 25 ans de prison parce que, soi-disant, il avait vendu les secrets des expériences scientifiques aux industriels des États-Unis, et il dut signer lui-même cette déclaration. À la suite des tortures subies pendant le procès, il était arrivé à un tel point d’épuisement qu’il dit au juge : « Je signerai tout ce que vous voudrez ! »
- Le médecin-chef d’un autre camp avait reçu, en 1933, le 1er prix pour l’organisation de l’hygiène scolaire. Arrêté quelques jours plus tard, il signa la déclaration suivante : « Le travail exécuté par moi, et qui a été récompensé par le 1er prix, a servi à cacher mon activité trotskiste. »
La masse ne fait pas grand cas, en Russie soviétique, des déclarations et ne fait pas de différence entre les condamnations à cinq ou à trente ans. Tout dépend du jugement par lequel on envoie les gens en prison. Un bytovik, c’est-à-dire un « criminel de droit commun », garde encore l’espoir de revoir le monde hors de la prison, tandis qu’un condamné politique suivant l’article 58 ne réussira plus à retourner dans le monde, même s’il n’a écopé que d’une sentence de trois ans.
Voici un exemple caractéristique. Un Russe, remplissant ma fiche (lors de mon arrivée au pénitencier), me dit : « Quel dommage que vous ne soyez pas un criminel ! Vous auriez pu faire ici une bonne carrière, mais avec l’art. 58 vous n’irez pas très loin. »
Tout cela démontre clairement combien les autorités soviétiques tiennent à l’anéantissement de toute la génération éduquée, qui a consciencieusement commencé sa vie avant la révolution bolchevique.
(Comparaison de la population carcérale de quelques pays)
Sans doute beaucoup plus de quinze millions de personnes sont en prison, en Russie soviétique, et ou bien elles sont tuées, ou bien elles finissent leur vie comme des esclaves employés pour coloniser des terrains inhabitables, pour construire des canaux et des chemins de fer. En raison des conditions climatiques très mauvaises, tôt ou tard elles finissent par mourir.
En URSS, chacun connaît un prisonnier dans son entourage proche. Une comparaison avec les statistiques des pays « bourgeois » de l’Europe le montre (cf. tableau ci-dessus) (p.128).
Le niveau de préparation et d’intelligence des juges eux-mêmes est très bas. Ils n’ont qu’un seul schéma pour chaque projet de loi, toujours identique : les mêmes questions, les mêmes remarques et les mêmes invectives désagréables. Mais ce qui est encore plus important, on ne sent même pas en eux la conviction profonde de ce qu’ils font. Pendant un de mes interrogatoires, ayant déjà remarqué l’indifférence complète du juge d’instruction, je lui demandai : « Dites-moi sincèrement : croyez-vous qu’un officier, remplissant ses devoirs de citoyen, soit un contre-révolutionnaire, et que les accusations qui me sont adressées soient fondées sur la vérité ? »
Je reçus la réponse suivante : « Si j’étais une personne privée, je traiterais autrement cette question, mais à présent vous êtes un prisonnier et je suis le juge. » (1 636 – L. J., 48 ans. médecin dentiste).
« … Je rencontrai à Arkhangelsk, pour la première fois, des prisonniers russes et je vis parmi eux plusieurs Juifs, surtout des personnes âgées et cultivées, recrutées parmi les professionnels rappelant, par leur piété et leur formation, les vieux temps pré-soviétiques. Ils avaient tous été condamnés pour contre-révolution. Les raisons suivant lesquelles les gens sont arrêtés sont absolument ridicules et ingénues, ainsi que le démontre le fait suivant : dans un camp de travail, je rencontrai une femme qui avait été condamnée à 10 ans parce qu’en cousantelle avait dit : « Quel fil horrible ! » Cela avait suffi pour qualifier son comportement comme contre-révolutionnaire » (10 586 – G.H., Juif, né en 1918).
La justice soviétique entre en Europe (p. 129-133)
De nos jours, le nombre des prisonniers s’est certainement accru du fait que la Russie a agrandi son territoire en « libérant » plusieurs contrées de la domination hitlérienne et a soumis ces populations à l’arrestation en masse et à la déportation. La machine écrasante de la justice soviétique s’est déplacée vers l’occident sur la ligne Elbe-Trieste.
Le système des arrestations et le plan de « reconstruction sociale » des pays occupés par l’armée rouge sont invariables.
Les propriétaires terriens sont arrêtés ainsi que les capitalistes, les activistes politiques, les fonctionnaires et les travailleurs de l’État et autonomes, le clergé et la classe intellectuelle, les activistes des syndicats, les socialistes et les communistes (ces derniers sous l’accusation de trotskisme), tous ceux enfin, à l’aveuglette, qui pour une raison ou autre sont considérés, par le NKVD, comme des éléments « socialement dangereux ». Des centaines de trains de prisonniers transportent dans le centre de la Russie aux prisons, aux camps et à l’exil des centaines de milliers d’« ennemis du peuple ». Des agitateurs bolcheviques venant de l’URSS prennent leur place, ainsi que des familles d’officiers de l’armée rouge ; la jeunesse du Komsomol, qui ne connaît pas la langue du pays occupé, n’a pas de préparation professionnelle, est toutefois désignée pour occuper des postes de direction et des positions clefs dans la vie d’une société soviétisée.
La soviétisation dirigée suivant les plans est exécutée sans pitié dans les territoires occupés. La première étape en est la révolution, non spontanée cependant, non semblable à la Commune parisienne ni à l’Octobre russe, mais une révolution imposée par l’occupant, une révolution administrée. Il appartient à la justice soviétique, dont le NKVD est la véritable et essentielle expression, de la réaliser.
Les noms seuls sont changés. La presse et la radio soviétiques n’emploient pas à l’égard des pays occupés les expressions « contre-révolution » ou « contre-révolutionnaire ». Ceci démasquerait les véritables intentions de la Russie vis-à-vis de ces pays, dans lesquels elle pense garder les apparences de la démocratie.
Ils deviendront partie intégrale de l’Union Soviétique après la « reconstruction sociale », après la « révolution administrée ». Au moment politiquement opportun, les « parlements » de ces pays demanderont au Conseil Suprême de l’URSS à être reçus dans l’assemblée des Républiques soviétiques. Mais ceci est prévu comme étape future. Voilà pourquoi on parle aujourd’hui des fascistes, du fascisme et de la « défascisation ».
Le concept de fasciste, dans l’interprétation faite pas la justice soviétique, est très élastique. Ce concept comprend maintenant non seulement les membres des partis fasciste et nazi et leurs partisans, mais aussi ceux qui s’opposent au programme bolchevique. La presse soviétique et communiste affirme aujourd’hui à l’unanimité que l’anti-communisme est du fascisme. Il faut donc arrêter et anéantir les « fascistes ». Nous écrivons le mot « fasciste » entre guillemets afin d’éviter les équivoques. Nous ne nous attendrissons pas sur le sort des vrais fascistes, délinquants de guerre, et de leurs partisans ; nous ne pouvons toutefois pas approuver l’extension du concept de fasciste à tous ceux qui ne sont pas enthousiastes à la pensée de la soviétisation de l’Europe. Chaque personne peut malheureusement devenir fasciste selon l’interprétation des tribunaux soviétiques.
L’affirmation de nombreux citoyens polonais et des pays baltes, « libérés » en 1939, nous semble juste : quiconque se trouve dans le rayon d’action du NKVD, disent-ils, doit s’attendre à tout moment à être arrêté.
Et elle n’a rien de plaisant cette recommandation : chaque personne, même jouissant encore de la liberté, doit avoir avec elle une petite valise (sans serrure de fer) contenant les accessoires de toilette, du linge de rechange et une couverture. De fait, nul n’est certain que son arrestation ne puisse se produire quand il est au restaurant ou au théâtre, aussi cette recommandation concerne-t-elle tous ceux qui habitent les territoires « délivrés » par l’Union Soviétique.
Si ceux qui, aujourd’hui, adhèrent au parti communiste dans les divers pays d’Europe, croient qu’ils pourront gouverner, ils se trompent. Après une ivresse momentanée, ils iront en prison et dans les camps de travail, comme cela est arrivé aux communistes polonais, lituaniens, estoniens et roumains.
La dogmatique bolchevique, bien qu’elle ait recours à des tactiques fort diverses, à propos de nombreuses questions, reste ici inflexible. La répulsion à l’égard de ce qui a quelque relation avec l’Occident est trop forte, dans toute la société russe et plus encore parmi les éléments gouvernementaux, pour que le NKVD puisse faire une exception à la règle en faveur des communistes de l’Europe occidentale.
Seuls les chefs des partis communistes des différents pays, précédemment instruits à Moscou et que cette ville a conquis à sa cause, peuvent compter sur quelques égards momentanés : membres du comité exécutif de la IIIe Internationale, du « Politbureau » et d’autres organes suprêmes de la révolution bolchevique.
L’éthique bolchevique est différente de celle des communistes non-russes, et c’est justement là-dessus que se fondent les malentendus, qui deviennent cause de l’éloignement de la tactique bolchevique loyale, accusation ayant toujours pour terme l’emprisonnement. Une personne, communiste par ses idées, est incapable d’éviter de semblables déviations à moins d’adapter une manière de penser cent pour cent bolchevique ; il lui faudrait, en ce cas, renoncer au rêve de la dictature du prolétariat et à tous les attributs nécessaires à un régime communiste. Pour en arriver là, elle devrait auparavant s’être bien avilie.
Le procès de la préparation de la société à la révolution, à 1a lutte en général contre les ennemis du communisme, se fait en même temps dans les pays de l’Europe occidentale. Le concept de « fasciste » est déjà défini, la manière pour anéantir le « fascisme » déjà indiquée. Les définitions juridiques de la justice soviétique pénètrent dans la conscience des peuples de l’Europe non encore occupée matériellement. La presse et la radio des pays de 1’Occident se sont habituées à la terminologie bolchevique employant toujours plus largement les expressions : « élément socialement dangereux », « tribunal du peuple », « épuration », etc. Le procès de l’intimidation des personnes contraires au communisme dure et se renforce. Tout essai de défense de la démocratie et de la liberté humaine est condamné ainsi que toute critique défavorable au totalitarisme russe.
Celui qui s’y risque est nommé fasciste et est excommunié dans l’opinion, non seulement des bolcheviques et des communistes, mais aussi de la société tout entière. Même si quelqu’un s’aperçoit que le bolchevisme est le système de gouvernement le plus totalitaire au monde, qui ne respecte ni l’idée de liberté ni celle de dignité humaine, il craint de le déclarer publiquement, afin de ne pas être accusé de fasciste par ceux qui auraient mérité de l’être en premier.
Cet élément particulier et essentiel de la terreur et de l’intimidation paralyse la volonté des peuples, en train d’observer passivement les phénomènes nouveaux, incompris et inquiétants.
C’est pour cela donc que tous ceux qui, sincèrement, désirent que les libertés démocratiques règnent dans le monde, doivent en premier lieu se libérer de cette crainte, briser cette terreur morale et, avec pleine conscience et compréhension de l’essence de la catastrophe nouvelle qui menace l’humanité, s’opposer au totalitarisme rouge avec la même force avec laquelle ils se sont opposés à la puissance du fascisme et du nazisme.
Transports vers les camps sibériens (p. 93-98)
Le prisonnier fait les trajets suivants, selon les circonstances, en chemin de fer (souvent sur des plates-formes ouvertes), dans des autocars, à bord de chalands, de bateaux ou bien à pied.
Particulièrement fatigants sont les trajets :
Kotlas – Vorkouta ;
Krasnoiarsk – Doudinka;
Kharkov – Vladivostok ;
Boukhta-Nakokodka – Kolima.
Kotlas se trouve à la confluence du Vicegda avec la Dvina septentrionale. C’est un gigantesque centre de distribution, qui dessert plusieurs systèmes de camps placés entre la Dvina et les Duraïs ; le plus oriental de ceux-ci, situé dans la partie orientale de la Russie, est Vorkoutstroï, avec son centre houiller de Vorkouta. Le trajet de Kotlas à Vorkouta se fait soit par voie terrestre, soit le long du fleuve Vicegda, puis en traversant le Pechora le long de l’Oussa jusqu’aux sources, ou bien par voie fluviale par la Dvina jusqu’à Arkhangelsk et, de là, sur un bateau traversant la mer de Barents jusqu’au port de Narian Mar, qui se trouve à l’embouchure de la Petchora, et en remontant en barque la Petchora et l’Oussa.
En cas de transport par voie terrestre, les prisonniers vont sur les trains de marchandises, dans des wagons fermés ou sur des plates-formes ouvertes, par la ligne de chemin de fer récemment construite qui conduit à Vorkouta, ligne terminée durant avril 1943. Avant cette date, par la force des choses, le transport était combiné.
Suivant les progrès dans la construction des étapes du chemin de fer, on arrive toujours à des localités plus lointaines en direction nord-orientale, puis le voyage continue à pied, ou par voie fluviale à bord de chalands. Il faut préciser que le transport des prisonniers a lieu sans tenir compte de la saison, si bien que les cas de congélation grave, et même mortelle, sont assez fréquents. Plus d’une fois, une tourmente de neige a recouvert tous les membres d’un groupe de prisonniers, soit plus de 1 000 personnes, y compris les surveillants. Suivant le règlement, les autorités des camps devraient fournir, aux prisonniers qui dépassent le cercle polaire, des vêtements de protection. Cependant, en pratique, ils les font voyager avec les vêtements personnels qu’ils portaient lors de leur arrestation et qui ont déjà été abîmés par leur séjour en prison.
Ainsi donc la mort blanche est leur camarade fidèle, et chaque transport laisse sa trace de cadavres serrés et disséminés çà et là, qui ne sont pas ensevelis parce que le long hiver en empêche la décomposition. Au moment du dégel, ils seront transportés jusqu’à la mer par quelque cours d’eau.
La voie fluviale Kotlas-Vorkouta est bien pire que la voie terrestre. Un chaland contient en moyenne de 1 000 à 2 000 prisonniers qui sont pressés dans la cale et ne peuvent se rendre sur le pont que pendant le jour pour leurs besoins, si le surveillant le permet. La quantité insuffisante de cabinets provoque, durant des jours entiers, des queues de prisonniers désirant y aller et attendant dans l’escalier montant de la cale.
L’on observe ce phénomène même la nuit, lorsque les plus prudents prennent place dans la queue.
Ceux qui souffrent de l’estomac ou ceux qui ne se soucient guère des règles d’hygiène, satisfont leurs besoins dans la cale, ce qui augmente la puanteur créée par la masse des corps humains non lavés et couverts de sueur. Durant la nuit, des bandes de malfaiteurs dépouillent complètement les camarades plus tranquilles, tuant ceux qui résistent ou commettant sur eux des violences sexuelles… Les surveillants ne réagissent pas aux vols ni aux crimes ; parfois, pour monnayer leur indulgence envers les bandits, ils se font donner une partie du butin.
Pour arriver à croire une chose pareille, il faut se rendre compte du manque énorme de tissus en toile et pour vêtements en URSS, de la valeur d’une chemise même réduite en lambeaux ou d’une paire de chaussures abîmées.
Un prisonnier russe, et surtout un étranger suffisamment vêtu, ne peut compter sur la compassion des criminels et des malfaiteurs, pas même sur celle de l’administration des prisons et du camp !
Outre le fléau des voleurs qui dépouillent les prisonniers, se font sentir aussi dans les chalands : la famine, la soif, les maladies et la température infernale de la cale.
Il semble paradoxal, mais cela est pourtant bien vrai, que sur les fleuves du nord, sur les eaux de l’océan glacial Arctique, les prisonniers meurent dans les chalands et sur les bateaux à cause de la soif et… de la chaleur !
La ligne fluviale Kotlas-Vorkouta, en tenant compte des arrêts aux lieux de débarquement, Arkhangelsk et Nurian-Mar, dure quelques mois. Quelques semaines d’arrêt sur la Petchora s’ajoutent souvent à ce délai au cas où le fleuve est gelé. Dans ce cas, la crainte de mourir de faim, s’il est impossible de prendre contact avec le lieu le plus proche de ravitaillement, oblige les surveillants à réduire aux prisonniers leurs rations déjà tellement maigres. Les délinquants déchaînés arrivent alors au paroxysme, enlevant les vivres à leurs camarades qui meurent de faim. Les cadavres sont jetés dans le fleuve.
Le transport par mer d’Arkhangelsk à Narian-Mar ne se présente pas mieux : la différence consiste uniquement dans un nombre plus grand de prisonniers. Plus d’une embarcation coule soit par suite d’une tempête, soit pour s‘être heurtée à une banquise.
Le trajet Krasnoiarsk-Doudinka présente le même tableau de l’embarcation et du bateau ; cette fois-ci, sur le fleuve Ienisseï, sa longueur atteint plus de 2 000 kilomètres.
Le transport des prisonniers de Kharkow (ou Kiev) à Vladivostok a lieu par chemin de fer dans les conditions que nous avons décrites par ailleurs. Le voyage dure cinq ou six semaines avec de courts arrêts dans les prisons situées le long du chemin de fer (par exemple, Sisran, Novosibirsk, Irkoutsk) ou bien sans intervalles.
Dans le premier cas, le prisonnier s’arrête deux ou trois fois pas plus que trois jours dans les lieux déterminés et reçoit dans les prisons une gamelle chaude ; dans le second cas, si le voyage a lieu sans arrêts, on donne au prisonnier un repas cuisiné une ou deux fois au cours de tout le trajet. Durant les années 1940 et 1941, une série de convois alla de la Russie d’Europe à Vladivostok et les prisonniers ne reçurent pas une seule fois un repas chaud ; on ne leur fit même pas prendre un bain et on ne leur désinfecta pas les vêtements.
Boukhta Nakhodka (près de Vladivostok) est, ainsi que Kotlas, un énorme centre de distribution, qui dessert les systèmes des camps situés entre l’Amour, le Kolima, le Kamtchatka, Sakhaline, dans la région de Iakoutsk, de Verkhoïansk, et sur la péninsule de Tchouktchi.
Un certain nombre de navires sont réservés au transport des prisonniers et font un service régulier sur les divers trajets maritimes, desquels deux restent particulièrement gravés dans les mémoires : le trajet Boukhta-Nakhodka – Magadan (au bord de la mer d’Okhotsk) et Boukhta-Nakhodka – détroit de Behring – océan glacial Arctique – péninsule de Tchouktchi ou Nijne Kolimsk.
Après Boukhta-Nakhodka, Magadan est le deuxième centre de distribution d’Extrême-Orient et constitue la porte de l’énorme zone des camps de travail placés très serrés dans le bassin du fleuve Kolima.
Étant donné les caractéristiques du climat (Verkhoiansk est la ville la plus froide), on envoie là-bas les délinquants particulièrement dangereux, vis-à-vis desquels l’intention de la justice soviétique équivaut à une sentence de mort. Les détenus font le trajet depuis Boukhta-Nakhodka par bateaux, en traversant les mers du Japon et d’Okhotsk. Au cours du passage du détroit de La Pérouse, des centaines de prisonniers meurent chaque fois, par étouffement. Ce détroit se trouve, en effet, entre la partie méridionale de Sakhaline (en possession des Japonais4) et l’île d’Hokkaïdo ; le service de renseignements japonais a, ainsi, la possibilité de photographier les navires des détenus soviétiques, étant d’ailleurs bien informé au sujet de leur nombre et de leur destination ; par contre, les autorités du NKVD ont tout intérêt à garder le plus grand secret sur la politique de massacre biologique des « éléments contre-révolutionnaires ».
Avant de rentrer dans les eaux du détroit, on ferme donc hermétiquement toutes les issues sur le pont et toutes les fenêtres, cherchant de cette manière à cacher le caractère du transport et à empêcher une fuite éventuelle des prisonniers. En effet, les prisonniers emmenés aux cabinets sur le pont, voyant le rivage japonais proche, se jetaient parfois à la mer, où ils étaient consciencieusement repêchés par les bateaux-pêcheurs japonais, chose qui n’était absolument pas dans les intentions du NKVD.
À cause de cela, des mesures de précaution furent prises qui, en vérité, coûtent cher en vies humaines, mais empêchent, en même temps, que des nouvelles défavorables à la Russie Soviétique ne franchissent les frontières.
Le reste du trajet de Magadan au fleuve Kolima se fait sur des voitures le long d’un itinéraire de 300-700 kilomètres. Les prisonniers sont entassés sur les plates-formes des autocars et obligés de faire tout le voyage assis. Il ne leur est permis ni de parler ni de bouger. La moindre infraction aux dispositions pénales est immédiatement punie de la peine de mort, exécutée par le surveillant. Le sévère « droit du Kolima », en effet, déjà en vigueur dans ce territoire, admet une réaction immédiate de la part des surveillants, lesquels ne connaissent pas d’autre moyen pour obliger les condamnés à obéir que celui de tirer ; et ils touchent au but. Il est inutile d’ajouter que le voyage, dans ce climat et en de telles conditions, se termine souvent par de graves congélations et même par la mort. Une fois arrivés au fleuve Kolima, les détenus sont transportés en chalands, pendant l’été, ou à pied, pendant l’hiver qui, dans ces régions-là, dure neuf mois.
Le transport de Boukhta-Nakhodka à la péninsule de Tchouktchi ou au Nijne Kolimsk diffère par la longueur de l’étendue de mer (les bateaux passent, en effet, le détroit de Behring et pénètrent au milieu des glaces de l’océan glacial Arctique) et par le manque de route intérieure pour les voitures.
Les prisonniers font à pied et par étapes le voyage des ports à l’intérieur de la région, souvent quelques centaines de kilomètres. Comme d’habitude, le chemin à parcourir est semé de cadavres.
1 Rappelons que cet ouvrage, publié à Rome en 1945, en français, a été réédité par Les Sept Couleurs en 1975, mais en reproduction photographique, donc en respectant la pagination.
2 Ndlr. Il en alla de même en 1944 lors de la révolte de Varsovie contre l’occupant allemand. Alors que, le 29 juillet, la radio de Moscou avait incité les habitants à prendre les armes, l’armée Rouge restera sur la rive droite de la Vistule jusqu’en janvier 1945, laissant ainsi la Wehrmacht et les SS « faire le travail ». Cf. Fr. MICHEL de la Trinité, « La Croisade des démocraties », in Le Cep n°73, déc. 2015, p. 39.
3 Ndlr. Dollfuss ayant fait arrêter les députés sociaux-démocrates, il est compréhensible que l’auteur qualifie la dictature du chancelier de « terreur ».
4 Ndlr. Après la défaite du Japon en 1945, le sud de l’île sera annexé par l’URSS.