Partager la publication "Les hommes vont-ils perdre leurs dents ?"
Par Dr Pierre-Florent Hauvilliers
Résumé : La réduction du nombre des dents est présentée comme un trait de l’évolution humaine : notre alimentation ne nécessiterait plus autant de dents qu’auparavant ; la mâchoire humaine diminuerait irréversiblement ; l’absence (agénésie) de dents de sagesse donnerait donc un avantage adaptatif qui se diffuserait dans la population.
L’auteur réfute un à un ces arguments qui, au demeurant, ne concernent une fois de plus qu’une variation intra–spécifique (portant sur le nombre d’organes existants). Or une preuve de l’évolution trans-spécifique doit porter sur l’apparition (et non la disparition) d’un organe nouveau (absent chez les ascendants).
Dans un précédent article (cf Le Cep n° 40), nous avons vu l’argument de la réduction du nombre de dents – en particulier des dents de sagesse (troisième molaire) – comme preuve de l’évolution, réfuté par une équipe de chercheurs dentistes tout acquise aux thèses évolutionnistes.
Notre réfutation se trouve basée sur un certain nombre d’arguments évolutionnistes qui pèchent par leur faiblesse.
Ce fait révèle, d’une part, la grande fragilité d’argumentation de cette soi-disant « preuve », et d’autre part le manque de hauteur d’analyse de leurs auteurs du fait qu’ils adhèrent à la thèse erronée de l’Évolutionnisme.
C’est pour cela que nous jugeons nécessaire de reprendre l’argumentaire réfutant l’évolution des dents, point par point, en le corrigeant et en le complétant par l’observation clinique.
A- Argumentaire évolutionniste
Les évolutionnistes qui affirment que la réduction du nombre de dents chez l’homme est une confirmation de la thèse de l’Évolution, s’appuient sur l’affirmation des points suivants :
- Nous nous acheminons vers une réduction du nombre de dents parce que notre alimentation est plus molle : les dents étant moins utiles, leurs dimensions se réduisent jusqu’à provoquer la disparition de certaines. Les études montrent que depuis l’australopithèque le nombre de nos dents se serait réduit de 50%.
- La taille de la mandibule a beaucoup diminué au cours de notre évolution : à cause de l’alimentation plus molle, notre engrènement incisif, de « bout à bout » (considéré comme un caractère acquis et irréversible depuis des centaines de milliers d’années), est passé sur un mode de recouvrement. L’espace osseux de la mandibule, s’étant réduit, ne laisse plus assez de place à la dent de sagesse dont la morphogenèse peut alors échouer.
- Les agénésies, en particuliers celles des dents de sagesse, sont un avantage adaptatif, car lorsqu’elles sortent mal par manque de place, elles peuvent provoquer des infections parfois mortelles ; « la sélection naturelle aurait alors retenu davantage les individus présentant de telles agénésies ».
B- Nos commentaires sur cet argumentaire
La réduction de la taille des dents n’est pas un fait avéré.
Dans le n° 5 du Cep, nous avions écrit un résumé concernant nos propres recherches concernant ce sujet1. Elles avaient été menées dans le but de vérifier la thèse2 de Patrick Semal présentée à l’Université Libre de Bruxelles en 1987 qui consistait en une « démonstration » de la réduction de la taille des dents dans le cadre de l’évolution humaine. Nos vérifications portant sur la thèse de P. Semal avaient révélées des fautes de procédures sur des bases de recherches – qui plus est – erronées, ce qui avait permis de réfuter aisément ses conclusions sur la base d’un argumentaire sérieux.
Les évolutionnistes avancent que les dents se sont réduites en taille de 5O% depuis l’australopithèque. L’ennui, c’est que l’australopithèque (qui, aussi, avait été incorporé dans l’étude de P. Semal) est un singe que l’on avait cherché à nous attribuer comme ancêtre… thèse aujourd’hui réfutée par les évolutionnistes ! Il ne reste plus alors qu’à se rabattre sur l’homme de Neandertal. Le seul problème, c’est qu’il n’existe pas de statistique sur la taille moyenne des dents néandertaliennes, par manque de matériaux dentaires suffisant.
Dans nos propres vérifications sur les statistiques publiées (ainsi que celles utilisées par P. Semal) concernant la taille actuelle des dents humaines, nous avons trouvé tout et n’importe quoi : les statistiques, plutôt fantaisistes, n’étaient pas fiables. Pour les mêmes groupes humains, les moyennes variaient d’une manière très importante d’un auteur à l’autre. On ne pouvait donc pas s’appuyer sur ces mesures statistiques pour réaliser un travail sérieux. C’était pourtant ce qu’avait fait P. Semal qui ne les avait pas vérifiées.
Cela m’avait amené à mesurer la taille de milliers de dents présentes sur les centaines de moulages que je garde dans mes archives depuis plus de deux décennies.
J’y ai alors découvert que la variabilité de tailles des dents humaines, selon le type de dent (pour ce qui concerne mon groupe de population étudié) se situait dans une fourchette de 20% à 43,33 % et de 13% à 27% au sein d’une même famille (frères et sœurs, parents et enfants) !
Autrement dit, l’amplitude importante de la variation de tailles des dents interdit de s’appuyer sur des moyennes statistiques (en l’absence d’un très grand nombre de dents et d’une méthode plus appropriée reflétant la distribution des mesures). Toute conclusion dans un sens de réduction ou d’augmentation de la taille des dents humaines au cours des âges se trouve obligatoirement erronée. Il faut avoir le courage de le dire.
2.1 La réduction de la taille de la mandibule est un fait avéré mais qui s’inscrit mal dans le cadre évolutionniste
C’est un fait avéré : depuis que l’homme se civilise et cuit son alimentation, les malpositions dentaires existent. Le seul problème est l’augmentation contemporaine très importante de la fréquence des malpositions par encombrement. De nulle qu’elle était chez nos plus vieux « ancêtres » (homme de Neandertal), elle se retrouvait accidentellement chez notre ancêtre préhistorique récent, le Cro-Magnon et pas très fréquemment jusqu’à la fin du XXIème siècle. De nos jours, environ 30% des enfants suivent un traitement correctif d’alignement dentaire3 alors que dans les années 1970, ce chiffre se montait à 10%. Le nombre des encombrements dentaires (par manque de place) devient impressionnant, de sorte que les enseignements de l’orthodontie privilégient les extractions des 4 premières prémolaires, suivies plus tard par celle des dents de sagesse que l’on accusait de vouloir défaire les alignements dentaires péniblement acquis lorsqu’elles avaient la mauvaise idée de vouloir sortir dès l’âge de 18 ans.
La formule dentaire régressait alors artificiellement de 32 à 24, défigurant les enfants dont les visages s’aplatissaient4, réduisant d’autant les fosses nasales.
Actuellement nous constatons que la tendance extractive des dents de sagesse marque le pas. En effet, les extractions préventives des dents de sagesse aux USA comme au Royaume Uni ne sont plus remboursées, à défaut d’être interdites5. En France, les « recommandations de bonne pratique professionnelle » ne conseillent pas les extractions préventives, mais ne les interdisent pas non plus dans le cadre d’un traitement de redressement des dents. On constate, semble-t-il, une certaine marche-arrière, discrète.
Mais revenons aux manques de place dans les mâchoires : elles se constatent essentiellement chez les Occidentaux et chez ceux qui vivent à l’occidentale. Ainsi, des Africains ou des Asiatiques6 dont les parents présentaient un alignement impeccable des dents voient leurs enfants, élevés à la mode occidentale, commencer à présenter des problèmes d’éruption des dents de sagesse, puis, se rajouter à leurs petits enfants des problèmes d’alignement dentaire avec la nécessité d’extraire les dents de sagesse. Cela montre que ces malpositions sont la conséquence d’un mode alimentaire désordonné7. Cette notion n’est plus contestée dans le milieu dentaire, mais on n’envisage pas pour autant de proposer les mesures correctrices. Les malpositions dentaires touchent de plus en plus de jeunes : ceux de la génération Mac Donald, du non allaitement maternel, du biberon – bouillie puis du fast-food, de la purée-viande hachée, chips et pain de mie, du grignotage permanent.
Ce phénomène de réduction de taille des mâchoires n’est donc pas un phénomène adaptatif mais le résultat d’un hypo- développement des mâchoires par manque de sollicitation musculaire, ce qui n’a rien d’irréversible. Cela se corrige par une simple rééducation.
2- 2 La fermeture de l’occlusion incisive est un fait avéré, mais ne s’inscrivant pas dans un cadre évolutionniste
On peut, en effet, constater que les incisives supérieures et inférieures se croisent de plus en plus souvent, ce qui serait le signe d’une réduction de la taille de la mâchoire, alors que chez l’homme préhistorique, le croisement était quasiment nul (en labidodontie ou bout à bout incisif- fig.1) 8.

Fig.1 Homme moderne (en psalidodontie)
Fig.2 Homme préhistorique (en labidodontie)
Ce constat devient une preuve, pour l’évolutionniste, de la réduction irréversible de la taille de nos mâchoires. Ce recouvrement des incisives inférieures par les incisives supérieures (ou psalidodontie, considéré comme normal par les orthodontistes lorsqu’il est de 2 mm, avec un surplomb de 2mm – fig.2) se trouve, en fait, être la cause d’un hypo-développement antérieur de la mandibule en poussant les incisives inférieures vers l’intérieur de la mandibule, ce qui occasionne une réduction de place pour leur rangement : elles se mettent alors très fréquemment en malposition9.
Avec le traitement orthopédique rééduquant tout le système manducateur, nous avons la surprise de constater que la norme du recouvrement incisive et du surplomb de 2 mm est fausse : les incisives, spontanément, se mettent presque bout à bout, comme chez le Cro-Magnon.
Le recouvrement et le surplomb se réduisent à ½ mm ! En fait, c’est aussi ce positionnement que j’ai pu constater chez des Asiatiques et des Africains de culture traditionnelle. Le fait de ne pas se servir suffisamment de ses incisives pour couper (les jeunes ne s’en servent plus), induit une croissance plus en longueur des dents antérieures, croissance qui ne s’arrête qu’au contact de la dent d’en face. Ce phénomène touche aussi toutes les dents. Cet allongement (égression) de la dent se remarque particulièrement lors d’une extraction : la dent opposée va régresser jusqu’à toucher parfois la gencive située à l’emplacement de la dent extraite.
Pour couper les aliments, le pain en particulier, nous avançons notre mandibule afin de mettre les incisives en bout à bout (c’est ce que font spontanément les couturières pour couper le fil). Les incisives ne fonctionnent pas exactement à la manière d’une paire de ciseau.
Leur cinétique tient plus des mors d’une tenaille. Lorsque l’on utilise couramment ses incisives pendant la croissance des maxillaires, leur morphogenèse s’harmonise et les dents se positionnent de manière correcte… Il y a encore une norme à revoir. Avec le traitement de rééducation évoqué précédemment, l’organisme repositionne les dents selon ce que le Créateur avait prévu, avec ses propres particularités (angulation des dents selon la morphologie des mâchoires, de l’articulation temporal-mandibulaire10, de l’angulation des vertèbres cervicales, de la stature générale, etc. La taille des dents n’est pas un facteur prépondérant puisque l’organisme arrive toujours à lui trouver de la place !
Évidemment un recouvrement incisif trop important sera un facteur de malposition dentaire mais aussi d’un déchaussement précoce des dents antérieures.
Il faudrait ajouter d’autres problèmes qui seront induits par une usure presque nulle des incisives alors que les molaires (servant encore chez les jeunes, car ils n’avalent pas encore tout sans mastiquer) finissent toujours par s’user plus ou moins, ce qui va entraîner des malocclusions aux conséquences fâcheuses11.
2-3 L’espace osseux de la mandibule se réduit, ne laissant plus de place à la dent de sagesse
La fermeture de l’occlusion incisive amène en effet un recul, mais seulement partiel, des incisives inférieures et non pas de toute la mandibule.
Les incisives, disposant alors d’une place réduite, vont montrer une fâcheuse tendance à se placer en malposition, ce qui fait dire aux écoles d’orthodontie américaines que les malpositions incisives inférieures qui touchent de très nombreuses personnes sont une caractéristique de l’espèce humaine ! Le déplacement vers l’intérieur des incisives inférieures seules et non pas de la mandibule se vérifie d’une manière très simple: le rapport molaire (engrènement des premières molaires entre elles) utilisé comme référence d’un engrenage dentaire correct ne varie jamais. Il est le même tant chez l’homme préhistorique que chez le moderne. Si la mandibule reculait, on devrait constater un recul des molaires inférieures par rapport aux molaires supérieures, ce qui n’est pas le cas.
On en conclut que seule la partie antérieure de la mandibule se réduit par le croisement des dents.
3- Les agénésies de dents de sagesse constituent un avantage adaptatif : affirmation théorique sans aucun fondement
La réalité de la clinique dentaire nous permet d’affirmer, d’une part, que les agénésies des dents de sagesse sont peu fréquentes, et d’autre part que ceux qui souffrent de leurs dents de sagesse, au point de devoir les faire extraire, sont loin de constituer une majorité ! Ce sont des problèmes que nous rencontrons peu dans notre activité professionnelle. On pourrait schématiser en disant que nous rencontrons peut-être autant d’agénésies de dents de sagesse que d’accidents d’évolution de ces dents !
Dans l’histoire de la dentisterie, il y a eu bien plus de mort par des infections dentaires consécutives à des caries non traitées que par des infections provoquées par des dents de sagesse. Aussi affirmer que les agénésies de dents de sagesse présentent un avantage adaptatif est une affirmation tout à fait gratuite, théorique, et sans aucun fondement.
Le problème des dents de sagesse se trouve être un problème récent (milieu du XXième siècle) qui ne concerne que notre société occidentale.
Les enfants qui ont suivi correctement le traitement orthopédique évoqué dans les lignes précédentes n’ont que très rarement présenté des difficultés d’éruption pour leurs dents de sagesse, ce qui prouve qu’il s’agit bien d’un phénomène réversible et adaptif et non d’une transformation génétique comme les évolutionnistes le sous-entendent.
Sur ce dernier point, comme pour les autres, on est effaré de constater à quel point la réalité clinique de la thérapeutique professionnelle se trouve éloignée et décalée par rapport aux déductions hypothétiques issues de la théorie évolutionniste.
Aussi, lorsque les évolutionnistes et les spécialistes de la profession dentaire parlent de la diminution de la taille de nos mâchoires et de la réduction future de notre formule dentaire comme d’un phénomène adaptif lié à l’évolution de l’espèce humaine (ce qui influence l’enseignement universitaire quant à la nature des traitements orthodontiques), on serait tenté finalement de leur décerner un bonnet d’âne tant leur analyse est faussée et coupée de la réalité clinique.
Mais l’ironie de la situation réside surtout dans le fait qu’une équipe de chercheurs dentistes favorables à la théorie de l’Évolution en arrive quand même à rejeter cette déduction des paléontologistes évolutionnistes, même à l’aide d’arguments incomplets et boiteux interprétés sous l’angle de la même vision évolutionniste… ce qui révèle encore plus la faiblesse de cette théorie sur ce sujet.
Mais, fait d’autant plus grave, ce manque de hauteur d’analyse constaté provient d’auteurs qui sont des dentistes responsables d’enseignement dans une Faculté prestigieuse, et c’est fort de leur notoriété qu’ils donnent ce point de vue. Ils semblent totalement coupés de la réalité clinique sur un sujet que visiblement ils ne maîtrisent pas. Peut-être devraient-ils actualiser leurs connaissances cliniques !
1 « Diminution de la taille des dents au cours de l’évolution de l’homo sapiens ? »,CEP N°5, pp 42-48.
2 « Évolution et variabilité des dimensions dentaires des Homo sapiens Neanderthalensis »
3 En fait, ce sont 70% des enfants actuels qui présentent des malpositions dentaires qui, bien sûr, ne sont pas toutes à corriger parce que le trouble demeure mineur.
4 J’ai vu des jeunes filles faire des dépressions et reprocher à leurs parents pendant des années ces traitements mutilants qu’elles avaient subis.
5 Voir le N° 13 du Cep : « Dents de sagesse : encore un coup dur pour les évolutionnistes », pp 15-22.
6 Nous pourrions rajouter les Portugais etc. et aussi nos vieilles populations paysannes.
7 Ce sujet a été partiellement traité dans Le Cep n°1 : De la coupe aux lèvres, pp 24-33.
8 Cette labidodontie se constate encore régulièrement chez nos patients qui se servent régulièrement de leurs dents.
9 Les incisives devant se ranger dans une position plus rentrée vers l’intérieur de la bouche vont se positionner sur un arc de cercle plus petit. Trouvant alors une place réduite et insuffisante, elles se mettent en malposition. Ce phénomène progressif s’accentue vers l’âge de 18 ans et des malpositions tardives des incisives apparaissent alors; elles sont cependant attribuées à tort aux dents de sagesse qui commencent souvent à sortir à cet âge. Ce phénomène existe, même quand il y a eu des extractions préventives de prémolaires et de dents de sagesse.
10 L’usage intensif des maxillaires comme on peut le retrouver chez des populations primitives, ainsi que chez les hommes préhistoriques, va modifier l’angulation arrière de la mandibule qui de 130° (chez nos mastico-déficients modernes adeptes du fast-food) va tendre vers 90°, angulation idéale pour avoir une puissance maxillaire maximum, ce que l’on retrouve aussi chez les singes.
11 Outre le déchaussement précoce avec une gingivite, il s’induit très souvent un disfonctionnement douloureux de l’articulation temporo-mandibulaire à la mastication car l’articulation et l’engrènement des dents se sont déstabilisés. Ces problèmes sont, eux aussi, en constante augmentation.