Accueil » Guerre des civilisations en Europe (1ère partie)

Par Pr Maciej Giertych1

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SOCIÉTÉ
« Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant.« 
(P. Le Prévost)

Résumé : Publiée par l’auteur sur les presses et sous la livrée du Parlement européen, la brochure Civilisations at war in Europe y suscita quelques remous. L’analyse des faits de civilisation par l’historien polonais Feliks Koneczny (1862-1949) établit en effet que plusieurs civilisations distinctes coexistent en Europe, ce qui exclut toute fusion paisible puisque les comportements et les valeurs, la famille, le droit, l’héritage, etc., obéissent à des règles différentes. Ce sont notamment les civilisations latine, juive, byzantine (prussienne) et touranienne (russe).Dans cette première partie, le Pr Giertych examine les critères sur lesquels se fondent (et se distinguent) les civilisations, notamment la source du droit, l’attitude envers l’éthique et l’attitude envers le temps.

L’humanité peut être classée selon la race, la religion, l’ethnie, la profession, le niveau d’éducation et autres critères. La civilisation est un caractère distinctif de la plus haute importance. Elle concerne les normes que les gens tiennent pour obligatoires pour le bon ordre de la vie commune.

La présentation que je vais faire maintenant est fondée sur l’enseignement de Feliks Koneczny, historien et philosophe polonais, qui déploya sa propre école de pensée sur les différences entre civilisations. Il vécut de 1862 à 1949. Jusqu’en 1929 il fut professeur d’histoire, mais c’est surtout pendant sa retraite qu’il produisit ses œuvres historico philosophiques les plus importantes.

Presque tous ses écrits sont en polonais et, jusqu’à présent, seul son « On the Plurality of Civilisations » (Polonica Publications: London, 1962) a été publié en anglais.

Ce livre contient une longue introduction du Professeur Anton Hilckman de l’Université de Mayence (Allemagne), qui explique la méthode scientifique de Koneczny duquel il fut l’élève. La préface est d’Arnold Toynbee. C’est à ce dernier et à Oswald Spengler qu’il convient de comparer Koneczny: il appartient à la même classe de penseurs. Toynbee et Spengler sont bien connus des spécialistes des civilisations. Koneczny ne l’est pas, et pourtant, c’est lui qui développa une approche vraiment nouvelle sur la méthode de classement des civilisations et il mérite pour cela une reconnaissance universelle.

Définitions

Pour comprendre ce que je vais exposer, quelques définitions préalables sont nécessaires. Avec Koneczny, j’utilise le mot « civilisation » pour désigner la division principale de l’humanité. Le mot « culture » est réservé aux distinctions à l’intérieur des civilisations. Ces deux mots sont souvent utilisés de façon interchangeable, mais ici ils sont hiérarchisés. Ainsi, au sein de la civilisation latine, il y a les cultures anglaise, espagnole, polonaise et autres. Dans la civilisation juive on trouve les cultures sépharade, hassidique, caraïte et autres. Il s’agit seulement d’une convention, utilisée ici pour les besoins de la cause.

La civilisation est un produit de l’esprit humain. Elle se définit par les normes de vie qu’une communauté donnée accepte comme appropriées à son fonctionnement. Ces normes sont souvent transgressées parce que nous avons une nature déchue, mais elles existent malgré tout et leur identification est l’objet de l’étude des civilisations. La civilisation concerne donc les normes d’organisation d’une société. Elle est le mode d’organisation de la vie commune. La culture est l’adaptation de ce mode à une communauté spécifique: dans celle-ci le professeur d’Université aussi bien que l’illettré appartiennent aux mêmes civilisation et culture.

Les innovations techniques, l’automobile, le téléphone, l’ordinateur n’ont rien à voir avec la civilisation au sens que nous utilisons ici.

Pour qu’un mode de vie commune soit considéré comme une civilisation il faut qu’il ait fonctionné pendant plusieurs générations. Les diverses expériences d’organisation de la vie commune qui n’ont pas survécu à leur fondateur ne méritent pas la qualification de nouvelle civilisation. En d’autres termes, une civilisation doit être historique.

La réalité se rattache à cinq catégories:

Vérité -Beauté-Prospérité- Bonté-Santé

La recherche de la vérité requiert la raison. La bonté est une qualité de la volonté. Ces deux catégories sont spirituelles. Prospérité et santé sont des objectifs matériels. Le besoin de beauté est à la fois matériel et spirituel. Tout acte humain se rattache à au moins une de ces catégories.

L’attitude envers ces catégories est ce qui détermine la différence entre les civilisations.

Approche inductive

L’approche de Koneczny est inductive, il n’y a pas de notion a priori. Chaque affirmation provient de l’observation, des preuves et non pas d’idées préconçues. Par exemple, Koneczny rejette l’approche biologique des civilisations de Spengler et Toynbee. L’idée que les civilisations naissent, se développent, croissent, déclinent et meurent n’est pas confirmée par les faits. C’est vrai de quelques unes, mais pas des autres. Ainsi, nous ne savons rien de l’origine de la civilisation chinoise pas plus que nous n’observons aucun signe de son déclin. Elle existe et nous pouvons étudier en quoi elle diffère des autres sans faire d’hypothèse sur le stade de développement qu’elle a atteint.

Lorsqu’il étudiait les civilisations, Koneczny cherchait les lois de l’histoire. Il en proposa quelques unes entièrement fondées sur des observations documentées.

En voici quelques exemples:

L’inégalité est une réalité de la vie. L’effort pour rattraper et dépasser les plus riches, les plus sages, les plus vertueux stimule le développement matériel, intellectuel et spirituel. L’égalitarisme l’entrave.

Les civilisations diffèrent tellement qu’il n’est pas possible d’être civilisé de deux façons différentes; chacun appartient à une civilisation mais jamais à deux ou davantage. Quelqu’un peut avoir un père juif et une mère chinoise, mais en termes de civilisation il appartiendra à l’une ou à l’autre, voire à une autre différente, mais il ne peut pas être civilisé de deux manières.

Les civilisations, de par leur nature même, doivent être en guerre entre elles. Cette guerre n’a rien à voir avec la force ou l’activité militaire. C’est une guerre d’idées. C’est la question de savoir qui éduque les enfants de qui. Seront-ils élevés dans la civilisation des parents ou ceux-ci permettront-ils qu’ils soient élevés dans une autre civilisation.

Lorsqu’une civilisation cesse de lutter pour défendre sa propre identité, lorsqu’elle considère que les autres civilisations ont la même valeur, la plus « basse », c’est-à-dire la moins exigeante, l’emporte.

Les mélanges de civilisations ne peuvent être que mécaniques, jamais organiques, et ils périssent rapidement car ils sont sans consistance. Il n’y a pas d’exemple historique de mélange de civilisations ayant survécu sur une période de quelque longueur.

Organisation de la vie commune

Dans son analyse de l’histoire du monde, Koneczny parvint à la conclusion que pour la pensée et l’action humaines certaines paires de notions abstraites sont mutuellement exclusives, comme création et émanation, autour desquelles certains groupements d’idées se forment. Huit de ces paires concernent l’organisation de la vie commune et donc le thème des civilisations:

Tableau 1

PersonnalismeCollectivisme
Émancipation de la familleFamille non émancipée du clan
Induction (à partir d’observations)Déduction (de notions a priori)
Conscience historiqueNégation du passé
Unité dans la diversité, différences bienvenuesUniformité exigée
Approche organique des problèmesApproche mécanique des problèmes
Dualisme légal (droit public et privé)Monisme légal (droit public ou privé)
AutonomieTotalitarisme

La vie commune peut être organisée soit pour la personne humaine, soit pour la société. L’émancipation de la famille, du clan, est un élément essentiel d’une organisation personnaliste. Les solutions peuvent être cherchées dans l’expérience, par induction, ou par l’adoption a priori de quelque théorie. Prendre l’expérience en considération requiert la connaissance du passé et son respect. Ceux qui prennent les décisions a priori ne s’intéressent pas aux faits et ils exigent l’uniformité. Le respect pour l’expérience du passé conduit à la tolérance pour la diversité. L’unité fondée sur la diversité produit un organisme capable de se réparer lui-même par des corrections venant d’en bas. L’uniformité, imposée par des notions a priori, conduit à un mécanisme et à une vie dirigés d’en haut, ne pouvant être corrigés que par en haut. Les organismes se forment par induction, historiquement, à partir du développement naturel des relations. Ils créent des lois publiques et privées. Les organisations planifiées ne peuvent créer que des mécanismes, fondés sur un seul type de lois, public ou privé, mais pas sur les deux. Cela conduit au totalitarisme, alors que le gouvernement autonome découle de la tolérance de la diversité.

La civilisation latine, à partir de laquelle Koneczny commence ses analyses et tire toutes ses affirmations, appartient en totalité à la première catégorie de notions. Toutes les solutions dérivées de la seconde catégorie lui sont étrangères et la corrompent.

Liste des civilisations

Avec pareille approche la liste des civilisations est courte. Tellement courte que l’on peut en donner la liste ici. L’ordre suivi essaie d’être chronologique, mais ne l’est pas nécessairement, car de nouvelles preuves peuvent en changer l’ordre:

Chinoise*Égéenne
ÉgyptienneNumide*
Brahmane*Touranienne*
Juive*Spartiate
BabylonienneAthénienne
IranienneHellénique
SyrienneRomaine
Tibétaine*Byzantine*
PuniqueLatine*
SumérienneArabe*
IncasAztèque

Les deux dernières sont difficiles à classer chronologiquement, c’est pourquoi elles sont mises à part. On pourrait prétendre qu’il en existe quelques autres, ou que certaines ne seraient que des cultures d’autres civilisations. Koneczny était conscient que d’autres études modifieront certainement la liste, comme l’effort scientifique le fait toujours. Mais en tout cas, la liste est courte. L’astérisque indique les civilisations qui existent encore; les autres ont disparu et nous ne les connaissons que par des documents historiques. Des neuf qui existent encore, la touranienne, la byzantine, la latine et l’arabe sont nées à des époques historiques que nous pouvons plus ou moins définir. Les autres datent d’un temps très lointain, elles paraissent sans âge. Ces neuf civilisations peuvent être étudiées à partir de communautés existantes. Koneczny a examiné en profondeur les civilisations latine, juive, byzantine et touranienne, puisqu’elles existent en Pologne ou près d’elle.

Dans ce qui suit, je me concentrerai sur ces quatre là, mais j’essaierai aussi de rassembler les quelques mots que Koneczny a écrits sur la civilisation arabe, à cause de son intérêt particulier pour l’Europe occidentale aujourd’hui.

Critères de classification des civilisations

Dans l’étude des civilisations des critères ont souvent été employés qui n’ont aucune pertinence pour identifier ces civilisations selon nos définitions. D’autres critères ont étécomplètement ignorés qui ont cependant une grande importance pour notre sujet.

Race

Je commencerai par la race, très fréquemment invoquée dans le débat sur la civilisation, non seulement du temps de Koneczny, mais aujourd’hui encore. La race n’a cependant rien à voir avec la définition d’une civilisation. La race est un caractère somatique; elle est un aspect de la zoologie humaine. Les différences physiques entre les races peuvent se traduire par des capacités différentes, que l’on voit bien dans le domaine du sport, peut-être aussi dans le potentiel intellectuel, bien que ceci est encore un sujet discutable, mais elles n’ont rien à voir avec les normes tenues pour appropriées à la vie d’une communauté donnée. Ainsi qu’on l’a définie, la civilisation est un produit de l’esprit humain.

Un enfant adopté élevé dans une famille de race complètement différente deviendra normalement une personne conformée à la civilisation des parents adoptifs. En dehors de cette évidence, il y a beaucoup d’exemples de grandes communautés de races différentes dans la même civilisation, ou de gens de la même race dans des civilisations différentes. Les Blancs, racialement indistincts les uns des autres, constituent la majorité des gens appartenant aux civilisations latine, byzantine, touranienne et juive. Dans la civilisation touranienne, cependant, il y a des gens de race blanche (russes), han (chinois) et turkmène (Turquie). La race ne définit pas la civilisation.

La civilisation comporte pourtant un aspect biologique. Elle constitue une barrière très forte par le mariage. Les gens cherchent normalement un conjoint dans la même civilisation qu’eux-mêmes: ils espèrent partager avec lui les normes de leur société. C’est ainsi que la barrière de la civilisation devient biologique. En biologie, le développement des races, tant animales qu’humaines, est une conséquence de leur isolement.

Une communauté isolée développera des caractères biologiques dus à la perte accidentelle de certains gènes (la « dérive génétique ») et également dus à l’adaptation aux conditions spécifiques de l’environnement. Cette dernière cause demande à la vie de s’adapter à un climat différent ou à quelque autre élément des conditions de vie. Dans tous les cas, une communauté isolée développera des traits biologiques qui la distingueront des autres, pourvu que l’isolement soit maintenu. Nous savons bien, en effet, par l’élevage animal que l’isolement est la première condition du maintien d’une race spécifique. Dans les sociétés humaines, les mariages entre gens de civilisation différente se produisent occasionnellement, mais c’est un phénomène rare et moins il se produit plus les différences biologiques entre les civilisations se développeront. Ce n’est pas la race qui fait la civilisation, c’est la civilisation qui fait la race.

Langue

Quelques chercheurs ont suggéré que la langue, ou le groupe linguistique, dans une certaine mesure, définissent la civilisation. Il n’en est pas ainsi. À l’intérieur de la civilisation latine on trouve des langues de groupes très différents: indo-européen, finno-ougrien, celtique et basque. D’autre part, non seulement l’indo-européen, mais aussi le slave sont utilisés dans au moins trois civilisations: latine, byzantine et touranienne.

Le degré de développement d’une civilisation peut cependant dépendre de la langue qu’elle utilise, car c’est un outil important de développement. Si l’instrument est de faible efficacité, le développement peut être lent et la stagnation de la civilisation peut en résulter.

Les gens qui utilisent l’écriture picturale par exemple, et non l’écriture phonétique, peuvent éprouver des difficultés pour écrire les mots abstraits et les transmettre aux générations suivantes. Ainsi la civilisation chinoise est faible dans les humanités car elles requièrent l’introduction constante de nouveaux termes abstraits qu’il est difficile d’exprimer sous forme picturale. L’écriture arabe offre l’avantage de pouvoir s’écrire très rapidement, un peu comme notre sténographie.

L’écriture hébraïque, qui n’enregistre pas les voyelles, favorise les ambiguïtés selon les voyelles supposées manquantes. C’est donc le mode d’écriture qui influence le développement de la civilisation plutôt que la langue elle-même. Les langues changent, pas nécessairement pour un progrès, mais parfois en perdant leur efficacité en tant qu’outil. La tendance actuelle de réduire le nombre des formes grammaticales peut se traduire par une perte de précision.

Religion

C’est une question qui a égaré plusieurs spécialistes des civilisations, y compris Spengler lui-même. La proximité confessionnelle n’entraîne pas nécessairement la proximité de civilisation.

Deux des civilisations actuelles, la juive et la brahmane, sont franchement de nature sacrale; l’arabe est à moitié sacrale. Koneczny n’en était pas sûr au sujet de la civilisation tibétaine, car il ne la connaissait pas suffisamment pour décider si elle était sacrale, semi-sacrale ou autre chose.

Les autres civilisations existantes ne sont pas sacrales car pour elles la religion ne détermine pas toutes les catégories de la vie: vérité, bonté, prospérité, santé, beauté.

Le bouddhisme varie selon la civilisation dans laquelle il vit. Le catholicisme essaie de modifier la civilisation dans laquelle il entre, travaillant avec patience sur plusieurs générations. Il essaie de sanctifier tout ce qui, dans la culture locale, est adaptable au christianisme (inculturation), mais il ne cédera jamais sur l’essentiel. L’Islam a très peu de théologie et l’autorité du Coran limite la liberté de certains dirigeants alors que d’autres prendront sur eux-mêmes de se faire les interprètes du Coran.

Loi

L’attitude envers les questions juridiques est un déterminant important d’une civilisation. Dans la loi il y a trois domaines fondamentaux: la famille, la propriété et l’héritage. De nombreuses questions juridiques font la différence entre civilisations.

La façon d’acquérir une femme (payer pour elle ou en attendre une dot), la monogamie, la polygamie ou la polyandrie, les droits ou privilèges de la femme dans la maison du mari, autant d’éléments de la loi familiale ayant des conséquences sur la civilisation. Il est impossible d’avoir une société à la fois monogame et polygame, où il faut payer pour une femme et en attendre une dot, donnant des privilèges à la femme et reconnaissant ses droits. Koneczny affirme que toutes les sociétés sont patriarcales et qu’il ne connaît aucune société actuelle ou passée, fondée sur un système matriarcal. Il est prêt à changer d’avis s’il a la preuve du contraire, mais pour le moment, la question du matriarcat ne concerne pas la discussion sur les civilisations.

La hiérarchie dans la famille, entre les générations, dans le clan et entre les clans, autant d’éléments de la loi de la famille très importants pour la civilisation.

La propriété peut être communale, familiale, privée ou une combinaison de celles-ci.

La véritable propriété privée n’est possible que dans un système monogame, mais la monogamie n’implique pas automatiquement l’existence de la propriété privée. La femme et les enfants peuvent être considérés comme propriété du mari et père ou comme dotés de leurs propres droits de propriété.

La loi peut être privée, publique, ou les deux ensemble. La loi privée se déploie dans la famille, dans la famille étendue, dans le clan et dans la nation. La loi publique se déploie dans la ville ou dans l’État, où elle organise la vie entre habitants sans relations entre eux.

La manière selon laquelle la propriété, le droit ou titre est hérité, est une autre question importante différenciant les civilisations. C’est de là que sort le système des castes. Même une femme peut être reçue en héritage (lévirat).

Source du droit

La source du droit est encore plus importante pour définir les civilisations.

Pour ceux qui ont été élevés dans la civilisation latine, il est évident que l’éthique est la source du droit.

Nous pensons que la loi écrite est toujours imparfaite et nous essayons sans cesse de l’améliorer, c’est-à-dire de la mettre en accord avec ce que nous considérons comme juste et moral. Toute question doit d’abord être examinée sur sa conformité avec les normes éthiques et, seulement ensuite, nous l’inscrivons dans la loi. Dans cette discussion la société en général joue un rôle et c’est de là que provient la démocratie.

Cependant, il existe des civilisations dans lesquelles ce n’est pas l’éthique, mais l’intérêt de l’État qui décide de ce qui est écrit dans la loi. Selon cette conception l’État doit être efficace et non pas moral.

Il est aussi possible que la loi trouve son origine dans la volonté du gouvernant. Les Romains qui avaient observé cela en Orient disaient de ce système: « Quod principi placuit, legis habet vigorem » soit: ce qui plaît au prince a valeur de loi. Dans un tel système le gouvernant est affranchi des contraintes morales.

Il peut être un homme bon et moral, une bénédiction pour ses sujets, mais il peut aussi être malfaisant et sans pitié, un fléau pour tous. Dans l’un et l’autre cas, le système légal est très simple et efficient.

Enfin, la Révélation peut être la source du droit. Il en va ainsi dans les sociétés sacrales. Pour les juifs ce sera la Torah, le Pentateuque de Moïse; pour les brahmanes ce sera le livre des Veda. La Révélation ne peut pas être changée, elle ne peut qu’être interprétée mais la lettre de la loi est importante.

Nous disons qu’une personne droite n’a pas besoin de connaître la loi pour vivre en accord avec elle. Cela cependant n’est vrai que pour les civilisations dans lesquelles l’éthique est la source du droit.

Attitude envers l’éthique

L’attitude envers l’éthique est une autre source de différence entre civilisations. Tout doit-il être jugé d’après l’éthique, ou bien existe-t-il des sujets affranchis des contraintes morales ? La politique doit-elle être soumise à la morale ? Qu’en est-il de la guerre ? Et de la guerre au crime ? L’État doit-il être jugé selon les normes morales ? Et le gouvernant ? Les réponses à ces questions déterminent la civilisation.

Devons- nous considérer la lettre de la loi ou l’intention du législateur ? Là encore il y a une importante différence entre civilisations. Avons-nous une éthique valable en toutes circonstances, ou avons-nous une éthique de situation qui varie selon où et avec qui nous traitons? Là encore c’est une source importante de différence.

Le Temps

C’est une découverte propre de Koneczny que l’attitude envers le temps est une différence importante entre civilisations.

Certains peuples primitifs n’ont aucun sens du temps. La capacité à mesurer le temps est un important progrès. Ensuite, naît l’idée du calendrier, prenant habituellement pour point de départ quelque événement historique significatif. Certaines civilisations ont des cycles dans lesquels le temps revient, ce qui permet de penser en termes de périodes plus courtes.

Pour la même raison on adopta les ères. Souvent les gens mesurent le temps à partir de la dernière guerre ou d’une autre catastrophe tels qu’un grand incendie de forêt ou une inondation.

L’étape suivante dans la relation de l’homme avec le temps est son contrôle. Cela est lié au souci de respecter une échéance spécifique, au concept de temps et de date précis, à la ponctualité.

C’est l’échange qui souligna l’importance de définir le lieu et le temps de la rencontre entre le vendeur et l’acheteur. Le producteur peut vendre ses marchandises à l’acheteur soit sur le lieu de production si l’acheteur veut bien y venir, soit sur un marché où le producteur apporte sa marchandise. Il a besoin de savoir où et quand le marché fonctionne, mais, en général, il dispose d’une certaine flexibilité sur le moment précis de son offre. Cependant, lorsqu’il confie sa marchandise à un intermédiaire, à un commerçant, la ponctualité devient essentielle. Ceux qui sont incapables de livrer à temps perdent la capacité de commercer: ainsi le commerce provoque la ponctualité.

Le stade suivant est de considérer le temps comme une marchandise, un bien avec lequel on travaille, pour l’utiliser ou le gaspiller.

L’organisation de la vie, la répartition du temps entre l’étude, le travail, le repos et le loisir, la fidélité à ce partage, la possibilité reconnue de perdre son temps, le pouvoir d’empêcher les autres de faire perdre son temps, autant de modalités du travail sur le facteur temps.

Finalement la notion de responsabilité pour le passé et pour l’avenir apparaît. C’est la conscience historique, le sentiment d’orgueil ou de honte à l’égard du comportement de nos ancêtres. C’est aussi la conscience de la responsabilité envers le comportement futur de nos descendants. Cela demande une réflexion sur une période bien plus longue que la durée de sa propre vie; et fournit un motif aux efforts qui profiteront aux générations futures.

La différence d’attitude des civilisations à l’égard du temps peut ainsi servir pour essayer de les classer.

(À suivre : la descriptions des différentes civilisations européennes sera l’objet d’une seconde partie)

1 Député polonais au Parlement européen, le Pr Maciej Giertych est déjà connu des lecteurs du Cep par son article « L’information en biologie va vers le déclin (Le Cep n° 32).

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