Partager la publication "In memoriam : dom Marie-Grégoire osb"
Par Cep
Dom Marie-Grégoire, surnommé « l’ermite du Diois », nous a quittés. Il était rattaché à l’abbaye bénédictine de Fleury dont nous reproduirons tout d’abord ici le communiqué : « Notre père Marie-Grégoire Girard, moine prêtre de l’abbaye de Fleury, s’est endormi dans le Seigneur à l’âge de quatre-vingt-et-un ans, dont soixante-et-un de profession, cinquante-trois de sacerdoce et quarante-huit de vie érémitique. Après quatorze ans de vie commune, il embrassa en 1965 la vie érémitique qu’il mena fidèlement jusqu’au bout dans une grande austérité. Son rayonnement fut à la mesure de la radicalité de ses choix : retiré dans la vallée du Quint (Drôme), il était pour ses habitants et bien au-delà une vigie et une référence spirituelle.
Il est mort seul à son ermitage à une date incertaine, sans doute le 17 ou le 18 novembre, anniversaire de sa profession. »

Cliché Gaston Émery
Né le 4 mars 1932 à Fontainebleau, profession monastique le 18 novembre 1952 à l’abbaye de Fleury, ordination sacerdotale le 11 juin 1960, entré en solitude le 15 janvier 1965, ermite à Saint-Andéol-en-Quint de 1967 à sa mort.
Gaston Émery de Bourg-lès-Valence, un ami de dom Marie-Grégoire, a donné un beau témoignage dans La Gazette de la Gervanne, n° 469 de décembre 2013 : « Son ermitage [une cabane en bois sans électricité, à 760 m d’altitude et près d’une source en pleine forêt], situé en regard de la vallée de la Sure [rivière qui serpente du nord-est au sud-ouest entre deux sommets du Vercors : le But Saint-Genis, qui culmine à 1 643 m au levant, et la Tête de la Dame à 1 506 m au couchant] conduisant à Saint-Julien-en-Quint, était connu de beaucoup d’entre nous. […] Malgré ses mortifications et privations continuelles, son alimentation uniquement végétarienne, son âge avancé, le Père témoignait de la force d’adaptation du corps humain en communion avec la nature.
Il sera et restera pour longtemps une référence extra naturelle en ce domaine. […] Il a toujours été un farouche opposant aux médias en tous genres flairant une bonne aubaine pour remplir des colonnes car, disait-il, “s’il était ermite, ce n’était pas pour étaler partout son engagement religieux, qui devait, comme il l’avait conçu, être dans une grande intimité avec le Ciel et non avec les agissements profanes de notre société ici-bas ”.
Depuis 18 ans que nous nous sommes connus et par la suite côtoyés régulièrement, j’ai toujours été sidéré par son mode vie plus que spartiate.
Il ne voyait jamais de médecin. Bien des gens avec qui j’ai gravi les pentes [menant à son ermitage par des sentiers longeant parfois un ravin vertigineux] pour lui rendre visite, s’y rendaient un tantinet goguenards [pensez donc ! un ermite à l’époque d’internet !], puis, surpris par l’accueil chaleureux de cet homme aux yeux [marron clair] pénétrants, tout doucement, la conversation s’harmonisait, tantôt sur le comportement du monde actuel et aussi tantôt sur des pointes d’humour. Il était doué pour les histoires drôles, ce qui mettait tout de suite à mal la vision d’un homme plongé dans un sérieux mystique indétournable. Il n’avait pas de barbe comme les vieux patriarches de légende (souvent cisterciens “ éternels comme les chênes ”) et sa tenue était toujours correcte. Sa propreté étonnante laissait parfois pantois ses visiteurs. Son ouverture d’esprit ne faisait pas de différence entre les différentes confessions religieuses, son abord était le même pour tous. […] La destinée du père Marie-Grégoire se trouvait en sa foi et son charisme, et nul doute que la volonté divine l’a “ parachuté ” chez nous. […] Il est de mon devoir de préciser que les visiteurs affichant un certain scepticisme à la montée vers lui, en repartaient bouleversés et, sans l’avouer ouvertement, ne souhaitaient qu’une chose : retourner le voir !!! Les jeunes également en revenaient la tête chavirée et je suis sûr que certains en avaient pour plusieurs jours avant de reprendre le rythme du tapage journalier qui les accompagne dans la société actuelle. »
C’est un promeneur qui, le 18 novembre de l’an dernier, trouva le corps inanimé du Père, entre son ermitage et la source, recouvert d’une mince pellicule de neige, son bidon à côté de lui. En Drôme Hebdo du 2 janvier 2014, Dominique Guilloud-Tanis relate qu’à chaque visite, avant de partir, les visiteurs entraient dans la petite chapelle de l’ermitage pour un temps de prière, « mais l’ermite n’obligeait personne » tient à préciser Gaston Émery.
À la première page d’un de ses travaux personnels (reliés artisanalement mais jamais publiés, archivés à l’abbaye de Fleury), dom Marie-Grégoire avait écrit cette dédicace :
« Celsitudini tuæ quam semel inspexisse est omnia didicisse » (À Ta grandeur sublime : l’avoir contemplée une seule fois, c’est avoir tout appris).
C’était pour nous un grand soutien de savoir qu’un homme de cette trempe et d’un tel recul par rapport au monde ne jugeait pas dérisoire de lire Le Cep et même le diffusait auprès de ses visiteurs, pour lesquelsil avait demandé à recevoir un exemplaire surnuméraire. Voici quelques passages d’une longue réponse qu’il nous écrivait le 1er décembre 2010 : « J’ai noté des choses à nous communes : “ la vérité en tant que telle ”, la surprise devant l’indifférence, “ combat d’arrière-garde1 ” (on me l’a dit aussi), etc., mais pour moi c’est moins dur à porter : étant ermite, je n’ai pas à m’en soucier ( ?) […] Vous faites allusion à “ l’état actuel de l’Église ” qui vous tient sur la réserve. Il y a eu, en effet, apostasie des laïcs après la guerre, faite au nom de Teilhard2, que l’on me jetait à la figure à la caserne (en 56, c’était la guerre d’Algérie ; je suis né en 32) ; heureusement mon abbé m’avait mis en garde (ancien de l’École des Mines…) en 1955 à la parution des écrits de cet ignoble personnage qui renia ses vœux en faisant un testament civil, pour échapper à la condamnation constante de ses supérieurs jésuites. On opposait alors jeunes et vieux, laïcs et clergé, hommes et femmes, etc., et depuis, nos derniers catholiques dociles sous les médias appellent “ Église ” la hiérarchie, quiproquo sans remède en France. Je suis fils de laïcs, j’ai la religion de mon arrière-grand-mère ; tous les prêtres que j’ai vus dans mon école libre étaient fils de laïcs et avaient la religion de leur mère. […] Ouvrez les yeux : les gens préfèrent les mauvais films, les mauvais livres, la mauvaise nourriture, la mauvaise médecine. De chaque société émanent des artistes, des penseurs, des prêtres reflétant l’âme commune. Les artistes qui ont du goût se résignent à faire un travail à l’étranger et répandent autour d’eux, sans bruit, le goût de la beauté. Vous aussi, conservez les rêves de la jeunesse et agissez petitement : “ on n’est vulnérable que par ses prétentions ”.
“Tout reconsidérer dans le Christ” n’est pas ambitieux, c’est le but de la vie ; laïcs et clergé doivent connaître notre origine et notre destinée en Dieu (pour Marx, il faut lutter pour transformer le monde). Rappelez-vous Jean Daujat, chef de 600 militants en 1925 (et futur normalien) : quand il décida d’étudier la doctrine, 7 restèrent avec lui, mais il tint bon.
Les gens modestes que vous atteignez sont marqués et, plus tard, le Seigneur sera reconnu avec des yeux que vous aurez contribué à ouvrir, Dieu voulant. »
Espérons que celui qui, ici-bas, accompagnait “ de tout son cœur ” le CEP de ses prières, saura, depuis la Maison du Père, lui continuer cet inestimable service.
1 « Vous menez un combat d’arrière-garde ! » Il s’agissait d’une réflexion qu’avait faite à Paris, en janvier 2009, Mgr Sanchez Sorondo, chancelier de l’Académie Pontificale des Sciences, devant nos critiques de l’évolutionnisme, suite à une session de l’Académie sur l’Évolution, en octobre 2008, session à laquelle Maciej Giertych avait pu assister (cf. « L’évolution vue de Rome », Le Cep n° 46, pp. 33-44).
2 Espiègle, dom Marie-Grégoire se désignait parfois lui-même comme le « trimard du jardin », par opposition à Teilhard de Chardin !