Partager la publication "L’armée et la religion : un épisode de 1917"
HISTOIRE
« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. »
(Marcel François)
Résumé : Le 28 juillet 1917, la Semaine Religieuse de Valence protestait contre la nette différence de traitement entre l’Islam et le Catholicisme dans l’Armée française à l’époque. On notera au passage comment l’auteur doit se servir du Journal Officiel pour diffuser des propos que la censure aurait interdits, s’ils étaient sortis sous sa plume.
Semaine Religieuse de Valence, 28 juillet 1917
Liberté pour les Musulmans
Entraves pour les Catholiques
Interdiction de la Consécration au Sacré Coeur.
Dans la séance du Sénat du 29 juin dernier, M. de Lamarzelle a protesté, en termes aussi mesurés que justes, contre la circulaire du ministre de la guerre interdisant aux soldats d’assister, le 13 juin (fête du Sacré Coeur) à la cérémonie de la Consécration des soldats catholiques au Sacré Coeur.
Nous le citons d’après le Journal Officiel, puisque c’est le seul moyen que nous avons de porter la question devant nos lecteurs, sans risquer les ciseaux de la censure.
« Quelque temps après cette réunion de Paray-le-Monial, les évêques français, à la sollicitation de nos cardinaux, convoquaient les catholiques de France, à une cérémonie revêtant le même caractère qui devait avoir lieu le 15 juin, jour de la fête du Sacré Coeur.
Les soldats catholiques naturellement pensaient – si toutefois les besoins du service le leur permettaient – y assister, quand le 13 juin – je cite ce qui s’est passé dans une ville que je connais, je suis sûr que la même chose s’est passée dans toutes les autres villes de France – les soldats de la garnison furent réunis, et un de leurs chefs leur tint le langage suivant que je reproduis en susbtance :
« Je vous ai tous réunis parce que nous avons reçu des instructions vous défendant d’assister à une cérémonie religieuse qui aura lieu le 15 juin. Cette cérémonie est la fête du Sacré Coeur ; on a eu l’idée de consacrer les soldats catholiques au Sacré Coeur. C’est à ce genre de cérémonie qu’il vous est interdit de participer. Tous les soldats qui seront trouvés assistant à cette fête seront punis sévèrement ».
(A droite – C’est odieux !…)
En présence de ce que j’appellerai une violation de la liberté de conscience, il est une protestation dont je veux citer quelques mots, parce que, contre tous les droits aussi, la censure a empêché qu’on la publiât dans les journaux. C’est la protestation de Mgr l’Evêque de Périgueux ; la censure la trouvait, sans doute, belle. Voici comment il s’exprimait :
« Je proteste au nom de la fameuse et très précieuse union sacrée dont un pareil acte est une grave déchirure. Depuis trois ans, pour l’amour et le bien de la France, nous l’avons pratiquée, loyalement, complétement, cette union.
« Pas un mot de critique, pas un mot de politique n’a été prononcé par nous.
« L’Eglise de France n’a cessé, par ses prières, par ses paroles, par ses conseils, par ses actes, par le sang si copieusement répandu de ses prêtres, de ses religieux et de ses fidèles, dans une inlassable patience, dans une confiance sans bornes communiquée à ceux qui l’écoutent, dans une charité inépuisable pour ceux qui souffrent, d’aider de tout son pouvoir, les divers gouvernements qui se sont succédés depuis la déclaration de la guerre.
« Ce qu’elle a fait, elle le continuera.
« Mais alors, pourquoi montrer qu’on la regarde comme une ennemie et empêcher les soldats qui le souhaitent, et, parmi eux, des prêtres même, de venir chez elle ?
« Que craignait-on donc spécialement en cette solennité du 15 juin ?
« Les combattants, les travailleurs mobilisés ou les blessés qui seraient venus assister y auraient entendu, une fois de plus, des discours les exhortant, au nom de Dieu, au courage, à la confiance et à la vertu.
« Avec tous les fidèles, ils auraient mis plus spécialement leurs privations, leurs souffrances et leurs efforts sous la protection du Coeur que les catholiques adorent et qui nous a donné l’exemple de sacrifices.
« J’affirme qu’ils en seraient sortis réconfortés et plus prêts au labeur et à l’héroïsme et que comme toujours par conséquent un acte injuste, par lequel on a voulu les écarter de Dieu, est préjudiciable à la France. »
(Très bien ! et applaudissements à droite).
Il y a une autre lettre, que je ne vous lirai pas, bien qu’elle soit aussi belle et aussi éloquente, car elle ne fait que corroborer ce que je viens de lire. C’est la lettre du cardinal-archevêque de Bordeaux.
Le vaillant journal La Croix voulait, hier, la publier ; la censure le lui a interdit. En vérité, je vous demande pourquoi ! »
Observation rigoureuse du Ramadan musulman prescrite par le Ministre de le guerre.
En même temps qu’il interdisait aux soldats catholiques de se consacrer au Sacré Coeur, le ministre édictait les mesures les plus minutieuses pour que les soldats musulmans puissent observer rigoureusement leur jeûne du Ramadan.
Laissons encore la parole à M. de Lamarzelle.
« Messieurs, il est dans la lettre de Monseigneur l’Evêque de Périgueux, un passage très court que je tiens à citer encore.
« D’après la loi de conscience humaine et d’après la législation française, le pouvoir civil et militaire doit, s’il ne fait pas plus, laisser à chaque homme la liberté de son culte.
« Les catholiques seuls s’entendront-ils refuser cette liberté et faut-il qu’ils soient traités encore et toujours comme des parias ?…
« Vous édictez des mesures importantes tendant à ce que les musulmans qui servent la patrie, puissent suivre facilement les rites, cérémonies et jeûnes de leur religion. Nous avons appaudi à ces mesures libérales. Mais pourquoi ne pas accorder aux soldats catholiques l’équivalent de ce que l’on donne aux combattants mahométans ? »
« Eh bien ! oui, j’applaudis à ces mesures, comme j’ai applaudi à celle que j’ai signalée ici, à propos du projet de loi qui violait de la façon la plus flagrante les lois sur les Congrégations et sur la séparation des Eglises de l’Etat, au profit des mahométans, en permettant au Gouvernement d’acheter à leur profit, par personne interposée, un immeuble dans les lieux saints musulmans. J’applaudis encore de toutes mes forces à l’esprit d’une circulaire du 4 mai 1917, circulaire à laquelle fait allusion Monseigneur de Périgueux, et qui organise minutieusement les mesures destinées à permettre aux soldats mahométans à pratiquer leur religion. La circulaire entre dans tous les détails : elle dit, par exemple que « le café du matin sera reporté au coucher du soleil, etc. » : elle énumère toutes les fêtes du jeûne de Ramadan pour qu’elles soient respectées.
« Ainsi d’après la tradition, trois journées du mois de Ramadan sont considérées comme jours fériés ce sont :
En Nespia, qui tombe le 5 juillet,
Lillet el Fedila qui tombe le 17 juillet,
L’Aοd Seghin, fin du jeûne, le 21 juillet,
Il conviendra, dit la circulaire en terminant, de tenir compte de ces coutumes. »
« Comme l’évêque de Périgueux, j’applaudis à ces prescriptions ; ainsi je vous demande si les catholiques sont traités de cette même façon ! »
M. le Comte de Trévéneuc. – Les musulmans ne se laisseraient pas traiter comme les catholiques se laissent traiter !
M. de Lamarzelle. – Voici la réponse. C’est une circulaire du ministre de la Guerre, du 7 juin 1917, ainsi conçue :
« J’ai été informé que des cérémonies ayant pour objet la consécration des soldats catholiques des armées alliées au Sacré Coeur (c’est exactement le même caractère que celui de la cérémonie de Paray-le-Monial) devaient avoir lieu, vers le 15 juin courant, à l’occasion des fêtes du Sacré Coeur, soit au front, soit dans les cantonnements.»
« Suit l’interdiction aux soldats d’y assister.
« Pourquoi donc, Messieurs, des soldats catholiques ne sont-ils pas traités comme des soldats musulmans ?
« Quelle est la raison de cette différence, de cette inégalité de traitement entre les uns et les autres ?
M. le Comte de Tréveneuc. – C’est la passivité des catholiques !
M. de Lamarzelle. – La circulaire nous répond que « l’assistance des soldats à ces fêtes doit être interdite : 1° parce qu’elle pourrait porter préjudice aux intérêts généraux du pays ; 2° parce qu’elle pourrait compromettre la discipline ».
« Eh bien ! je mets ici quiconque au défi de venir apporter un seul fait, fût-ce le plus petit, constituant une atteinte à l’ordre public intérieur, ou à la discipline aux armées…
« Nos cérémonies ont-elles apporté le trouble à la discipline ou à l’ordre intérieur ? Citez donc un fait ! »
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Note : Cet épisode remontant à 1917 est doublement significatif. Il montre tout d’abord que la guerre religieuse est plus importante que la guerre extérieure. A une époque « d’union sacrée », où les divergences entre partis politiques se sont tues, la République choisit d’affaiblir quelque peu le moral des troupes, plutôt que de faire une entorse au laïcisme militant qui caractérise en France la « séparation de l’Eglise et de l’Etat ». On jugera par là de la naïveté des évêques qui continuent de pratiquer un « ralliement » unilatéral à la République.
Cet épisode démontre aussi l’utilité de l’Islam dans cette guerre religieuse, rôle justifiant toutes les exceptions aux « principes » laïcistes. Dès la révolution de 1830, on avait interdit le prosélytisme chrétien envers les musulmans d’Afrique du Nord, et la République y finança l’Islam à ce point que Charles de Foucault se lamentait de voir les fonds publics servir à construire des mosquées chez des peuples qui n’étaient point encore musulmans. Et aujourd’hui, en métropole, un ministre très médiatisé a profité de son premier passage à l’Intérieur pour officialiser l’Islam en créant artificiellement le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), ce qui officialise les tendances dures de l’Islam. Puis, lors d’un bref passage aux Finances, il mit en place une formule indirecte, par associations interposées, permettant à l’Etat de financer les édifices musulmans (en complément de la cession gratuite du terrain par les municipalités, seule aide possible jusqu’alors). Il doit bien exister une intention (une « intelligence intentionnelle » !) derrière cette islamophilie couvrant deux siècles et traversant indemne deux guerres mondiales!