Accueil » L’échec de la perte de conscience lors du suicide assisté

Par Nancy Valko

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Résumé : Lorsqu’on évoque le suicide assisté ou l’euthanasie, il est toujours supposé qu’il s’agit d’une mort paisible et sans souffrance, une « délivrance » par asphyxie en état d’inconscience. Or une étude médicale a été publiée en mai 2019 par huit anesthésistes qui pensaient pouvoir déterminer une méthode optimale. La réalité, telle qu’elle ressort des exécutions capitales aux États-Unis et des directives données en Hollande, est qu’un grand nombre « d’échecs » ont lieu. Si les candidats à la prétendue « mort douce » savaient ce qu’ils risquent d’endurer, il est probable que beaucoup renonceraient.

En tant qu’infirmière, j’ai vu des patients présumés inconscients dans le coma ou sous respirateur me parler plus tard de souvenirs et de sentiments au cours de cette période. C’est pourquoi j’ai toujours soigné de tels patients comme s’ils étaient éveillés. Dans un article étonnant de la revue de l’Association des anesthésistes de mai 2019 intitulé : «Implications juridiques et éthiques de la définition d’un moyen optimal pour atteindre l’inconscient grâce à l’assistance médicale à mourir»1, un groupe international de huit médecins s’est intéressé à la difficulté de garantir l’inconscience lors de la mort en cas de peine capitale, de suicide assisté-euthanasie2 .

Photo portrait de Nancy Valko

Convaincus que « la décision d’une société d’imposer une procédure d’aide à la mort, sous quelque forme que ce soit, devrait logiquement aller de pair avec la définition de la ou des méthodes acceptables », les auteurs ont passé en revue les méthodes couramment utilisées et les ont comparées à une analyse de la peine capitale aux États-Unis. Ils « s’attendaient à ce que, dans la mesure où l’objectif humain commun est de parvenir à la perte de conscience au moment de la mort, ce qui se produit ensuite rapidement sans douleur ni détresse, il était possible q
u’une seule technique fût utilisée ». Ils avaient tort.

Ils ont constaté que les surdoses mortelles administrées entraînaient lentement la mort par asphyxie due à une dépression cardiorespiratoire (battements de cœur et respiration), à une suffocation à l’hélium ou à l’injection létale néerlandaise (ressemblant à la peine capitale américaine). « Il semble y avoir une incidence de vomissements (jusqu’à 10 %), prolongation du décès (jusqu’à 7 jours) et réveil du coma (jusqu’à 4 %), constituant un échec de la perte de conscience. »

Les auteurs ne prennent pas position sur l’aide au suicide et déclarent leur intention de « vérifier sans passion si les méthodes utilisées pour induire la perte de conscience au moment de l’aide à la mort atteignent leur objectif ». La plupart des auteurs étant eux-mêmes des anesthésiologistes, ils ont utilisé les recherches les plus récentes sur la « prise de conscience accidentelle » au cours de l’anesthésie pour tenter de trouver un « moyen optimal » permettant de mieux atteindre l’inconscience.

Suicide assisté et peine capitale

Il fut difficile pour les auteurs de trouver des informations sur les méthodes actuelles pour induire la mort. Toutefois les Néerlandais ont publié des lignes directrices sur la « participation passive » – lorsque le médecin prescrit une dose élevée de barbiturique – et la « participation active », avec anesthésique intraveineux et un médicament neuromusculaire (paralysant).

Les auteurs ont notamment constaté qu’une injection létale est recommandée par les Néerlandais lorsque la mort par ingestion autonome ne survient pas dans les deux heures et qu’il s’agit « d’une reconnaissance explicite » du fait que cette ingestion peut échouer. L’injection létale néerlandaise ressemble (à l’exception de l’utilisation du potassium pour arrêter le cœur) à la méthode américaine pour la peine capitale ; les auteurs se sont donc penchés sur la méthode américaine d’injection létale, car elle est « conçue pour être “humaine” et présente des similitudes techniques » avec le suicide ou l’euthanasie par injection létale. Les protocoles d’injection létale américains incluent également des aspects techniques tels que les médicaments, la posologie et la surveillance du patient.

Cependant, comme le notent les auteurs, « des prisonniers auraient été manifestement réveillés et en détresse lors de certaines exécutions ». Deux condamnés à mort ont même demandé à la Cour suprême des États-Unis d’examiner la nécessité pour qu’un médecin confirme l’inconscience avant que les médicaments mortels ne soient administrés. Ils ont fait valoir qu’ils « pouvaient être éveillés mais paralysés au moment de la mort, faisant de cette méthode un “châtiment cruel ou inhumain”, qui violait le huitième amendement de la Constitution américaine ». Les auteurs notent que cette situation présente un parallèle évident avec le problème de reprise de conscience accidentelle lors d’une anesthésie générale, dans laquelle le patient se réveille paralysé sans qu’on s’en aperçoive lors d’une intervention chirurgicale, ce qui est connu pour être une cause de grande détresse. La Cour suprême des États-Unis a rejeté cet argument en 2008, mais, comme les auteurs le déclarent, « nous savons maintenant que la Cour a eu tort ».

Les lois américaines sur le suicide assisté garantissentelles une mort paisible ?

Les lois américaines sur le suicide assisté imposent le secret sur les rapports cependant obligatoires, si bien que le peu de données annuelles disponibles sur les complications sont auto-déclarées par les médecins, qui ne sont pas tenus d’être avec la personne pendant le processus ou même après pour prononcer le décès.

Toutefois, les auteurs ont pu utiliser les données des protocoles néerlandais et d’autres méthodes similaires utilisées ailleurs et indiquer qu’après la prise de la surdose mortelle :

« Les patients perdent généralement connaissance en moins de 5 minutes. Cependant, la mort prend beaucoup plus de temps. Bien qu’un collapsus cardiopulmonaire se produise en moins de 90 minutes dans deux tiers des cas, dans un tiers des cas, le décès peut prendre jusqu’à 30 heures3 . Les autres complications comprennent la difficulté à avaler la dose prescrite (jusqu’à 9%), les vomissements consécutifs (jusqu’à 10 %) qui empêchent une administration appropriée, et la récurrence du coma (jusqu’à 2 %). Chacune de ces complications constitue potentiellement une incapacité à atteindre l’état d’inconscience, avec toutes ses conséquences psychologiques, et il semblerait important de reconnaître explicitement cela dans des processus de consentement appropriés. »

Les auteurs notent également :

« Que l’incidence de l’échec de la perte de conscience est environ 190 fois plus élevée lorsqu’il est prévu que le patient soit inconscient au moment du décès [cas du suicide assisté], que lorsqu’il est prévu qu’il se réveille par la suite et se rétablisse comme après une chirurgie (alors environ 1 cas sur 19 000 seulement) [cas de l’anesthésie classique] 4.

La technologie peut-elle garantir la perte de conscience ? 

Les auteurs discutent les limites d’une simple utilisation des électroencéphalogrammes (EEG) ou de la technique de l’avant-bras isolé (IFT), dans laquelle la personne peut déplacer son unique avant-bras non paralysé pour signaler sa prise de conscience.

Or les auteurs déclarent :

« Les leçons récentes de l’anesthésie nous amènent à conclure que, si nous souhaitons mieux assurer la perte de conscience au moment de la mort… cela peut être réalisé en utilisant : 1) des perfusions continues de médicament à des concentrations très élevées ; 2) une surveillance concomitante de la fonction cérébrale basée sur l’EEG, ciblée sur les valeurs très faibles, la suppression des sursauts ou les valeurs isoélectriques ; et 3) la confirmation clinique de la perte de conscience par le manque de réponse à la commande ou à des stimuli douloureux / excitants (et ce dernier cas pourrait inclure un IFT). Les méthodes alternatives qui n’incluent pas ces éléments, impliquent un risque plus élevé, voire inacceptable, de rester conscient et sont donc, par définition, sous-optimales. »

Cependant, les auteurs reconnaissent qu’un tel protocole pose des problèmes pratiques comme des exigences techniques nécessitant l’intervention de praticiens qualifiés tels que les anesthésistes.

Et la « méthode optimale » pour assurer la perte de conscience est tellement médicalisée que :

« Une société ou des individus pourraient préférer conserver le choix de méthodes alternatives, même si celles-ci sont sous-optimales et comportent un risque de conscience plus grand au moment de la mort5. Si tel est le cas, les cadres juridiques et les processus de consentement devraient explicitement reconnaître ce choix. »

Conclusion

Le mouvement de légalisation du suicide assisté piloté par Compassion and Choices6 décrit le suicide assisté comme une mort facile et digne, et voire même une occasion de célébration.

Selon des sondages sur le suicide assisté, comme le dernier sondage Gallup7, 65 % ont répondu « oui » à la question suivante: « Lorsqu’une personne souffre d’une maladie incurable et vit une douleur intense, croyez-vous que les médecins devraient ou ne devraient pas être autorisés par la loi à permettre au patient de se suicider si le patient le demande ? », alors que les lois sur le suicide assisté ne mentionnent pas la douleur et stipulent que la personne doit être en phase terminale et devoir mourir dans les 6 mois.

Mais combien de personnes, en particulier les législateurs, diraient encore « oui » à la légalisation de l’aide à la mort après avoir appris la vérité dans cet article sur le prétendu suicide assisté « paisible » ?

Et combien de personnes auraient encore recours à l’aide au suicide, si elles savaient qu’elles pourraient demeurer conscientes et en grande détresse pendant le processus ?

Aujourd’hui malheureusement, aucune loi sur le suicide assisté n’exige ce genre de « consentement éclairé » explicite.

La solution évidente consiste à lutter contre toutes les lois actuelles en matière de suicide assisté et à soutenir toutes les personnes suicidaires.


Annexes

1. Résumé intégral de l’article de référence commenté ci-dessus :

« Toute décision d’une société de sanctionner l’aide à mourir sous quelque forme que ce soit devrait logiquement aller de pair avec la définition de la ou des méthodes acceptables. L’aide à mourir est légale dans plusieurs pays et nous avons passé en revue les méthodes couramment utilisées, en les comparant à celle de la peine capitale aux États-Unis. Nous nous attendions à ce que, dans la mesure où un objectif humain commun est de parvenir à une perte de conscience au moment de la mort, se produisant ensuite rapidement sans douleur ni détresse, il était possible qu’une seule technique soit utilisée. Cependant, la grande hétérogénéité des méthodes suggère qu’une méthode optimale pour atteindre à la perte de conscience reste à déterminer. Dans l’assistance à la mort volontaire (dans certains États américains et certains pays européens), la méthode habituelle pour induire la perte de conscience semble être l’ingestion de barbituriques auto-administrés, la mort en résultant lentement par asphyxie due à la dépression cardiorespiratoire. Les injections administrées par un médecin (une combinaison d’anesthésie générale et de blocage neuromusculaire) sont une option envisageable dans les directives néerlandaises. Des méthodes hypoxiques impliquant une inhalation d’hélium ont également été signalées. La méthode suivie pour la peine capitale aux États-Unis ressemble à la technique d’injection néerlandaise, mais les drogues, les doses et la surveillance employées en diffèrent. Cependant, pour toutes ces formes d’assistance médicale à la mort, il semble y avoir une incidence relativement élevée de vomissements (jusqu’à 10%), une prolongation du décès (jusqu’à 7 jours) et un réveil du coma (jusqu’à 4%), constituant autant d’échecs de la perte de conscience. Cela fait craindre que certains décès ne soient inhumains, et nous avons utilisé les leçons des études les plus récentes sur la reprise de conscience accidentelle au cours de l’anesthésie pour décrire un moyen optimal permettant de mieux atteindre l’inconscience. Nous avons constaté que l’acte de définir un « optimum » avait lui-même des implications importantes pour l’éthique et le droit. »

2. Articles complémentaires publiés par le site de l’Euthanasia Prevention Coalition :

https://alexschadenberg.blogspot.com/2019/02/assisted-dying-can-cause-inhumane-deaths.html

https://alexschadenberg.blogspot.com/2018/08/is-lethal-injection-inhumane-euthanasia.html

https://alexschadenberg.blogspot.com/2019/03/many-assisted-suicide-deaths-are-slow.html


1 Références consultables sur le site :

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anae.14532#anae14532-bib-0010

2 S. SINMYEE, V. J. PANDIT, J. M. PASCUAL, A. DAHAN, T. HEIDEGGER, G. KREIENBÜHL, D. A. LUBARSKY, J. J. PANDIT, « Legal and ethical implications of defining an optimum means of achieving unconsciousness in assisted dying »,Anæsthesia, vol. 74, n° 5, mai 2019 ; résumé intégral traduit en Annexe.

3 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anae.14532#anae14532-bib-0031

4 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anae.14532#anae14532-bib-0021

5 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anae.14532#anae14532-bib-0054

6 Nom collectif d’associations américaines pour « la mort dans la dignité » (traduction en novlangue européenne), généralement une pour chaque État.

7 https://news.gallup.com/poll/235145/americans-strong-support-euthanasia-persists.aspx

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