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Par Jordan Elaine
REGARD SUR LA CRÉATION
« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages »
(Rm 1, 20).
La fraise : symbole de perfection et de droiture1
Résumé : Plante créée par Dieu pour l’homme, la fraise est à la fois un fruit et un symbole. Sous l’influence du Jardin des délices de Jérôme Bosch (1450-1516), on a voulu lui donner une connotation sexuelle. Or la tradition médiévale rattache au contraire la fraise à l’homme vertueux et à la femme qui fut à la fois fleur et fruit, la Vierge féconde. Mais cette antinomie n’est qu’apparente chez Bosch, si l’on prend en compte [mais est-on sûr de la connaître ?] l’intention morale de l’artiste.

Il y a d’abondantes preuves que le symbolisme est omniprésent dans l’art médiéval et que chaque objet y a sa propre signification. Certains symboles ont leur origine dans l’Écriture, comme la Croix. Le poisson et l’épine ont été très tôt portés par la tradition chrétienne.
D’autres se sont formés graduellement dans l’ambiance médiévale, laquelle rapportait toutes les choses créées au Créateur, cherchant à voir Sa marque et la signification imprimée dans chaque roche, fleur, arbre et animal. La rose représentait majesté et pureté ; l’œillet, outre sa distinction naturelle, symbolisait aussi les clous de la Crucifixion à cause de la forme de son calice ; le lion évoquait la royauté et le courage.
Je fus surprise récemment lorsqu’un ami me dit que les médiévaux voyaient dans la fraise un symbole de la tentation charnelle à cause de ses nombreux pépins et de son odeur éphémère, vite oubliée, reflétant la nature fugace des plaisirs charnels. Cette explication ne vient pas de la tradition médiévale, mais d’un article sur les étranges fraises dans le triptyque Le Jardin des délices de Jérôme Bosch (1450-1516) connu pour son style surréaliste avant l’heure.

Peint au début du XVIe siècle, ce triptyque n’est certainement pas médiéval ; il reflète plutôt la mentalité corrompue de certaines parties de l’Europe qui ont engendré la Réforme. En réalité, l’œuvre de Bosch, obsédé par le péché, serait mieux décrite comme un avant-goût du monde hideux de l’art d’aujourd’hui.


Pour sauver la réputation de la fraise – qui décore de façon charmante les pages de nombreux manuscrits médiévaux – j’ai cherché le symbolisme qu’elle avait pour l’homme du Moyen Âge. Dans un livre de 450 pages intitulé très simplement The Strawberry (La Fraise)2, écrit par le célèbre horticulteur George M. Darrow, j’ai trouvé tout ce dont j’avais besoin pour confirmer mon intuition que, dans la tradition catholique, la fraise ne fut jamais considérée comme un fruit de la volupté ou du mal, mais bien comme une chose bonne et tout à fait innocente.
Les fraises représentent les bons fruits de l’homme vertueux
Très tôt dans l’art et la tradition du Moyen Âge nous trouvons la fraise comme plante du paradis terrestre. Ceci provient sans doute d’un passage des Métamorphoses d’Ovide disant que, dans l’Âge d’Or, la terre produisait spontanément des fruits pour le bonheur de l’homme et il nomme la fraise comme l’un de ces salubres délices (voir ce passage en annexe).


Des fraises décorent les scènes de la Pentecôte et de saint Michel terrassant le démon
Dans les années 1300, il était courant de trouver des fraises dans les peintures italienne, flamande et allemande, de même que dans les miniatures anglaises, comme un symbole de la parfaite vertu. Pourquoi ? Parce que, nous dit le Symbol-Fibel3, l’homme du Moyen Âge croyait que la fraise était un remède contre les maladies dépressives ; sa présence suggère ainsi les pouvoirs de guérison du Christ qui nous conduisent au salut éternel. En outre, la fraise représente « la pensée noble et la modestie car, bien qu’elle soit remarquée par sa couleur et son parfum, elle se courbe cependant humblement vers la terre » (Darrow, p. 13).
Sa feuille tripartite rappelle la Sainte Trinité. Les fruits, pointant vers le bas, sont les gouttes du Sang du Christ, et les cinq pétales de sa fleur blanche Ses cinq Plaies (id.).
Saint François de Sales, qui pensait que la vertu est représentée dans la nature, parle de la vertueuse et incorruptible nature de la fraise, insensible à tout poison autour d’elle :
« Les maistres des choses rustiques admirent la fraîche innocence et pureté des petites fraises, parce qu’encore qu’elles rampent sur la terre et soyent continuellement foulées par les serpens, lézars et autres bestes venimeuses, si est ce qu’elles ne reçoivent aucune impression du venin, ni n’acquièrent aucune qualité maligne, signe qu’elles n’ont aucune affinité avec le venin » (Traité de l’amour de Dieu, L. 11, ch. 2).
De cette manière, poursuit-il, la fraise nous rappelle l’homme vertueux, lui qui n’est pas influencé par la malice du péché environnant.
Ainsi, comme symbole de perfection et de droiture, les tailleurs de pierre médiévaux sculptaient des fraises sur les autels et au sommet des piliers dans les églises et cathédrales. L’ornementation de ces magnifiques bâtisses chantait l’admiration médiévale de la nature, l’appréciation de tous les enchantements du printemps, ses guirlandes de fleurs, les enlacements du lierre et les très convoitées fraises des bois avec leurs fruits rouges et leurs fleurs blanches.
« Vierge féconde » : fleur et fruit en même temps
Nous trouvons la fraise en particulier dans les peintures de Notre-Dame, sur les bords des pages des livres de prière enluminés, des livres d’heures, spécialement dans les scènes représentant la Madone et le Christ.

Parfois les fraises font partie de l’arrière-plan, comme dans la charmante peinture allemande qui honore l’humble fruit de son nom, La Madone des fraises. La fraise symbolise Notre-Dame comme « la Vierge féconde » qui reste en fleur et porte son fruit en même temps. À cause de sa couleur rouge, la fraise fait aussi allusion à la Passion du Christ, tandis que les fleurs blanches de la plante expriment la pureté et l’humilité de la Madone.
Les artistes de la Renaissance aussi peignirent la fraise dans de nombreuses peintures de Notre-Dame. Dans la Bagnacavallo Madonna d’Albrecht Dürer, Notre-Dame tient le Christ enfant sur ses genoux et celui-ci tient dans sa main un brin de fraisier. La plante n’a que deux de ses trois feuilles, la feuille manquante indiquant la dernière personne de la Trinité dans l’Enfant.

Nous trouvons aussi un fraisier parfait avec fleur et fruit dans le coin inférieur droit de La Vierge adorant le Christ enfant endormi de Botticelli.

Dans le Jardin de Paradis, ci-dessous, autre peinture du début du XVe siècle, nous trouvons de nouveau Notre-Dame entourée de fleurs et de fruits, autant de symboles mariaux. Parmi ces fruits se trouve l’humble fraise, nourriture des âmes bénies au ciel. Ainsi la douce baie ne signifie pas seulement le bonheur du jardin d’Eden, mais aussi celui des âmes bénies du ciel, qui sont le fruit de Notre-Dame et qui, ainsi, poussent autour de ses pieds.

La seule exception à cette règle de la fraise comme symbole marial dans l’art du Jardin du Paradis, nous dit Darrow, se trouve dans la peinture du triptyque étrange et compliqué de Bosch, où le peintre fait de la fraise, du raisin, de la cerise et de la pomme des manifestations de sensualité. Cela n’est manifestement pas une expression de l’innocent esprit artistique médiéval. Ce que nous avons là est plutôt le sombre symbolisme occulte qui hantait l’imagination torturée de Bosch.
Nous en conclurons donc que la réputation de la fraise douce et parfumée est bonne, excellente même. Son symbolisme médiéval est fermement assuré comme reflétant la virginité féconde de Notre-Dame et comme la perfection des bienheureux qui jouissent de Sa compagnie dans la béatitude céleste.
Annexe.
Ovide nous dit que pendant l’Âge d’Or les gens vivaient sur des montagnes de fraises et autres fruits que la Nature produisait sans culture humaine.
« [101] La terre, sans être sollicitée par le fer, ouvrait son sein, et, fertile sans culture, produisait tout d’elle-même. L’homme, satisfait des aliments que la nature lui offrait sans effort, cueillait les fruits de l’arbousier et du cornouiller, la fraise des montagnes, la mûre sauvage qui croît sur la ronce épineuse, et le gland qui tombait de l’arbre de Jupiter. C’était alors le règne d’un printemps éternel. Les doux zéphyrs, de leurs tièdes haleines, animaient les fleurs écloses sans semence. La terre, sans le secours de la charrue, produisait d’elle-même d’abondantes moissons.
Dans les campagnes s’épanchaient des fontaines de lait, des fleuves de nectar ; et de l’écorce des chênes le miel distillait en bienfaisante rosée » (Métamorphoses, L 1).
Liste des images présentes dans l’article.
- image1: La fraise décore un manuscrit enluminé
- image2: L’étrange illustration de la fraise par Bosch
- image3: Les fraises représentent les bons fruits de l’homme vertueux
- image4: Des fraises décorent les scènes de la Pentecôte et de saint Michel terrassant le démon
- image5:
- image6:
- image7:
1 Extrait de The Strawberry : a Symbol of Perfection & Righteousness, traduit par Claude Eon. Source : traditioninaction.org/religious/f035_Strawberry.htm
2 G. M. DARROW, The Strawberry, Holt, Rinehart & Winston, 1966.
3 Livre édité en 1955, précieux pour la bonne compréhension des illustrations médiévales allemandes.