Accueil » La preuve par le canular (le Monde Édition Scientifique Samedi 5 Octobre 2011)

Par Morin Hervé

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Avec ses 28 100 revues pour 185 million d’articles publiés en 2012, l’édition scientifique est un monde sans pitié. L’arrivée de nouveaux acteurs chamboule les hiérarchies séculaires en offrant aux chercheurs un libre accès («open access ») à des plates-formes de diffusion en ligne de leurs travaux.

Depuis dix ans, le paysage est en complète recomposition, avec lacohabitation de divers modèles économiques que les anciens « barons » du secteur expérimentent eux aussi, de peur de se faire emporter par cette révolution numérique.

Les chercheurs assistent ainsi à l’émergence d’une foule de revues en ligne auxquelles ils adressent leurs manuscrits pour publication après examen par des spécialistes, le plus souvent en payant. L’enjeu pour eux est crucial : ces publications conditionnent leur avancement, selon l’adage : « publier ou périr». De quoi exciter l’appétit d’aigrefins. Science, la revue-phare de l’Association américaine pour l’’avancernent des sciences (AAAS). en apporte une éclatante démonstration à l’aide d’un procédé que d’aucuns pourraient considérer comme déloyal : le canular. Ainsi qu’il le raconte dans l’édition du 4 octobre, le journaliste John Bohannon a eu l’idée de créer de toutes pièces 304 versions différentes d’un article scientifique construit selon le même schéma: «  une molécule X tirée d’une espèce de lichen Y inhibe la croissance d’une cellule tumorale Z. »

Ces articles étaient signés par des auteurs dont le nom et l’affiliation avaient été générés aléatoirement à partir de patronymes africains et d’un lexique en swahili. Ils étaient rédigés dans un anglais dégradé grâce a une première traduction automatique en français puis une seconde pour retourner vers l’anglais.

En conclusion, ils proposaient de prouver l’efficacité d’X contre le cancer sans passer par des études cliniques. Surtout, ils étaient truffés d’erreurs telles qu’ « un relecteur compétent devait aisément l’identifier comme défectueux et impubliable  », écrit John Bohannon.

Pourtant, sur les 304 journaux en «  open access  » à qui il en a adressé une version, 157 l’ont acceptée pour publication, et 98 seulement l’ont rejetée. Sur les 49 restants, 29 sites sont en déshérence, et 20 n’ont à ce jour pas achevé le processus d’analyse.

Processus défaillant

Le canular de Science est dévastateur : il révèle un processus de relecture (« peer reviewing ») très défaillant. Des éditeurs prestigieux ont été pris en défaut, tels Elsevier, Wolters Kluwer ou Sage. Ce dernier a même réclamé un montant de 3100 dollars pour la publication de l’article fautif. Un tiers des revues ciblées par le canular étaient basées en Inde, quand bien même elles pouvaient se présenter comme américaines ou européennes.

Science doit cependant reconnaître que la revue PloS One n’est pas tombée dans son piège. Éditée par sa rivale, la Public Library of Science qui a réellement lancé il y a dix ans le mouvement de l’open access, PLoS One a « méticuleusement » révisé l’article avec l’auteur fictif avant de le soumettre à la relecture de spécialistes. Deux semaines plus tard, il était rejeté définitivement sur la base de sa « qualité scientifique… »

Hervé Morin

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